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EMBALLAGE INTELLIGENT

Couleur liée aux champignons

Un film sensible prévient le consommateur en cas de détérioration des aliments

Publié en mai 2011

EDUARDO CESARLe manioc, plante traditionnelle originaire du sud-est de l’Amazonie et déjà consommée au Brésil bien avant l’arrivée des Portugais – il constituait la base alimentaire des Indiens –, a acquis de nouvelles fonctions technologiques avancées. Des films plastiques biodégradables faits à partir de l’amidon de ce végétal pourront être utilisés dans la production d’un emballage actif, capable d’inhiber la croissance de champignons, ou intelligent, qui change de couleur quand l’aliment commence à s’abîmer. Le polymère est aussi testé dans des chirurgies cardiaques, tant pour revêtir l’implant veineux et lui donner plus de résistance au cours de la phase initiale que pour la libération de médicaments.

Les études qui ont donné lieu aux films plastiques à base de l’amidon du manioc, un polysaccharide qui a pour fonction principale d’emmagasiner l’énergie produite par la photosynthèse, ont débuté en 2004 à l’Université de São Paulo (USP). Le groupe de recherches coordonné par la professeur Carmen Cecilia Tadini, du Laboratoire d’Ingénierie Alimentaire du Département d’Ingénierie Chimique de l’École Polytechnique de l’USP, développe des pellicules qui ont en commun dans leur composition l’addition de glycérol, une substance plastifiante connue commercialement sous le nom de glycérine. Sous-produit de la fabrication du biodiesel, le glycérol a un coût réduit.

Trois types de films plastiques sont étudiés. Chacun est caractérisé par les substances présentes dans sa composition, et deux d’entre eux contiennent des nanoparticules d’argile pour les rendre plus résistants. Dans le cas de la pellicule antimicrobienne, ce sont les huiles essentielles de clou de girofle et de cannelle qui possèdent des principes actifs agissant contre les micro-organismes. Les tests réalisés en laboratoire avec le polymère contenant ces essences ont montré qu’il est capable d’empêcher la croissance de champignons. Carmen C. Tadini observe : « Aujourd’hui, ces micro-organismes sont combattus avec des substances antifongiques appliquées sur les produits emballés. […] Au cours des tests faits sur les films que nous développons, nous avons constaté que cette capacité peut durer jusqu’à sept jours ».

L’un des défis à relever pour produire ce film fut de déterminer le dosage exact des essences de clou de girofle et de cannelle qui devait entrer dans sa composition. En cas de surdosage, l’odeur forte et caractéristique de ces épices pouvait contaminer les aliments emballés ; et à l’inverse, un dosage trop faible n’était pas efficace pour éviter la croissance des microbes. Ce défi a été confié à la doctorante Ana Cristina de Souza, qui a suivi un stage au Laboratoire de Haute Pression et Technologie Supercritique de l’Université de Coimbra, au Portugal. Elle y a appris à dominer la technique qui utilise du gaz carbonique à l’état supercritique pour incorporer les huiles essentielles aux polymères. Elle explique que l’état supercritique est atteint quand la température et la pression d’une substance sont supérieures à son point critique – qui se produit quand on atteint une pression donnée et que l’équilibre liquide-vapeur cesse d’exister. La substance dans cet état possède de grandes applications dans des processus d’extraction et de séparation chimique.

Le deuxième plastique est fait à partir de la même base que le premier, avec de l’amidon de manioc, de la glycérine et des nanoparticules d’argile. Il se différencie d’après le quatrième élément de sa composition, à savoir un extrait riche en anthocyanines – un composant naturel de fruits violets ou violacés tels que le raisin, l’açaï, le jaboticaba et la mûre, par exemple. Carmen C. Tadini explique que « la caractéristique des anthocyanines dont nous tirons profit dans notre travail, c’est leur capacité à changer de couleur quand son pH change. Comme l’altération du pH est un des premiers indicateurs de détérioration d’un produit alimentaire, nous utilisons cela pour produire un film pour des emballages intelligents. Il change de couleur quand l’aliment commence à s’abîmer. Une palette de couleurs sur l’emballage peut indiquer au consommateur si le produit est bon ou pas ».

Le troisième polymère est en phase de test avec l’équipe du professeur José Eduardo Krieger, directeur du Laboratoire de Génétique et Cardiologie Moléculaire de l’Institut du Cœur (InCor), de la Faculté de Médecine de l’USP. Le plastique est utilisé pour améliorer l’efficacité des greffons veineux utilisés dans les chirurgies de revascularisation myocardique, plus connues en tant que pontages par greffe veineuse saphène. Le film utilisé n’a pas de nanoparticules d’argile dans sa composition, afin qu’il puisse être absorbé par l’organisme du patient avec le temps. En plus de l’amidon de manioc et du glycérol, il contient une substance dénommée carboxymethylcellulose (CMC), un polysaccharide extrait de la cellulose et qui a pour fonction d’améliorer les propriétés mécaniques du plastique.

Résistance naturelle
Dans les pontages par greffe veineuse saphène, quand cette veine est retirée de la jambe et placée au niveau du cœur pour fonctionner comme artère, l’exigence de résistance est plus élevée que celle comparée à sa fonction naturelle. Eduardo Krieger explique que la rapidité du flux et la pression du sang circulant dans les veines sont plus faibles que dans les artères, d’où des parois plus fines. Lorsqu’une veine comme la veine saphène est greffée sur le cœur, elle subit une altération brusque de fonction et doit s’adapter rapidement à son nouveau rôle. Comprendre comment cela fonctionne et ce qui se passe quand une veine « s’artérialise » est l’objectif du travail de recherche développée par Krieger à l’InCor. « Nous cherchons à savoir quels sont les gènes et les protéines qui sont impliqués dans ce processus », précise-t-il.

Une fois compris cela, il est possible de penser à de nouvelles interventions pour améliorer la performance et rendre plus durable le pontage par greffe veineuse saphène. Eduardo Krieger observe que la perte des greffons veineux atteint 50 % après 10 ans, comme si « la garantie expirait dans la moitié des cas ». Le travail de l’équipe vise à découvrir une alternative pour augmenter ce délai. Dans ce sens, deux fonctions du film développé par Carmen C. Tadini et son équipe sont testées. Dans la première, il est utilisé pour envelopper, c’est-à-dire pour revêtir extérieurement le greffon veineux afin de lui donner plus de résistance et de soutien dans les premières phases postchirurgicales. Après cela, la veine artérialisée acquiert un soutien qui lui est propre. Ainsi, le film perd sa fonction et l’absorption par l’organisme devient avantageuse.

Dans la seconde fonction, le film est utilisé comme plate-forme pour libérer les médicaments des substances. De l’avis d’Eduardo Krieger, « découvrir les gènes ou les protéines impliquées dans l’artérialisation, différente chez chaque patient, permettra d’interférer sur le processus à des fins thérapeutiques. Si un gène est plus actif que ce qu’il devrait être, nous pouvons par exemple le désactiver avec des médicaments ». Pour que la pellicule développée par Carmen C. Tadini puisse exercer cette fonction, elle doit être imprégnée de médicaments, de la même manière que les autres plastiques avec des substances antimicrobiennes ou qui la font changer de couleur. Pour l’instant, les tests en laboratoire de Krieger sont effectuées in vitro avec des segments vasculaires et des cellules, à travers des modèles expérimentaux utilisant des souris. Par la suite, les expérimentations pourront être faites sur des lapins et des porcs.

Le projet de développement du film pour envelopper les veines du cœur est plus récent. Initié en 2009 avec le doctorat d’Helena Aguiar et le financement du Conseil National de Développement Scientifique et Technologique (CNPq), il compte sur la participation du groupe de chercheurs de l’Institut de Chimie de São Carlos, de l’USP, dirigé par le professeur Douglas Franco. Le travail le plus avancé est celui du développement du plastique aux propriétés antimicrobiennes, débuté en 2004. « Nous en sommes déjà à la phase de viabilité de la production à l’échelle industrielle », précise Carmen C. Tadini. Ce projet bénéficie du financement de la FAPESP. Pour le développement du film intelligent, le groupe a obtenu des bourses du CNPq et de la Coordination de Perfectionnement du Personnel de Niveau Supérieur (Capes).

Homogène et biodégradable
L’évolution de l’intégration des nanoparticules d’argile aux plastiques a bénéficié du travail de la doctorante Otilia de Carvalho, qui a suivi un stage à l’Université française de Strasbourg, plus précisément au Laboratoire d’Ingénierie des Polymères pour les Hautes Technologies (Lipht). Elle signale que son « principal objectif pendant le stage a été d’élaborer un film à base d’amidon, nanocomposé d’argile et plastifié avec du glycérol. […] Vu qu’il y a une faible compatibilité entre l’amidon et l’argile native, j’ai testé deux modifications et obtenu des matériaux beaucoup plus homogènes ».
Une étude présentée en avril 2011 par l’institut allemand Fraunhofer montre également l’utilisation de films qui changent de couleur quand des aliments comme la viande ou le poisson sont avariés. Dirigée par le professeur Anna Hezinger, la recherche a utilisé des capteurs chimiques dans des emballages plastiques qui répondent aux amines, des molécules présentes dans la détérioration des viandes, et qui changent la couleur du film qui enveloppe le produit. Hezinger a obtenu le soutien financier du Ministère de l’Éducation et de la Recherche, et à présent elle recherche des partenaires dans le secteur industriel pour produire ces capteurs chimiques pour emballages.

Quant aux plastiques biodégradables en général, il s’agit d’un domaine en développement dans le monde entier. Nombres de ces films sont aujourd’hui produits dans plusieurs pays comme le Japon, les États-Unis, la Hollande et le Brésil. Ils sont fabriqués à partir de plusieurs sources, dont le manioc, le maïs, la pomme de terre, le soja et la cellulose. Le Brésil produit à une échelle pilote un plastique biodégradable à partir de la canne à sucre et qui possède des propriétés similaires à celles du polypropylène. Appelé Biocycle, il a été développé de concert par l’Institut de Recherches Technologiques (IPT) et le Centre de Technologie de la Copersucar (CTC) au début des années 2000. Eduardo Brondi, gérant administratif de l’entreprise PHB qui produit le bioplastique, observe : « Aujourd’hui, la technologie de production est au point. Toute la production est destinée au développement et au test d’application, conjointement avec de nombreux partenariats dans le monde entier ». Parmi ces applications se trouvent des pièces automobiles, des jouets, des verres et des couverts.

Conformément à une étude de l’European Bioplastics – association créée en 2006 et qui représente les fabricants, les traiteurs et les utilisateurs de bioplastique et polymères biodégradables et leurs produits dérivés –, en 2007 (donnée disponible la plus récente) la capacité de production mondiale de bioplastique équivalait à près de 0,3 % de la production mondiale de plastiques, principalement dérivés de sources pétrochimiques. La prévision est que la production de bioplastiques atteigne 2,33 millions de tonnes en 2013 et 3,45 millions de tonnes en 2020.

LE PROJET
Emballage actif biodégradable à base de fécule de manioc et d’additifs naturels comestibles : élaboration, caractérisation et évaluation – nº 2005/51038-1
MODALITÉ
Ligne Régulière d’Aide au Projet de Recherche
COORDONNATRICE
Carmen Cecília Tadini – USP
INVESTISSEMENT
85 401,19 réaux et 58 250,00 US$ (FAPESP)

Articles scientifiques
1. KECHICHIAN, V., DITCHFIELD, C., VEIGA-SANTOS, P. & TADINI, C.C. Natural antimicrobial ingredients incorporated in biodegradable films based on cassava starch. LWT – Food Science and Technology. v. 43, pp. 1088-1094, 2010.
2. VEIGA-SANTOS, P., DITCHFIELD, C.& TADINI, C.C. Development and evaluation of a novel pH indicator biodegradable film based on cassava starch. Journal of Applied Polymer Science. v. 120, pp. 1069-1079, 2011.

 

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