Imprimir PDF Republish

IMMUNISATION

La multiplication des vaccins

L’Institut Butantan développe des procédés pour augmenter la production et baisser les coûts

Publié en juillet 2011

NELSON PROVAZIAvec une capacité de production s’élevant à 20 millions de doses, la fabrique de vaccins contre la grippe de l’Institut Butantan a commencé à fonctionner pleinement au mois de mars et devra permettre au Brésil d’être autosuffisant en matière de prévention contre le virus influenza pour les personnes âgées en 2012. Le Brésil pourra même devenir, d’ici trois à cinq ans, exportateur de vaccins contre la grippe. Deux procédés développés par les chercheurs de l’Institut Butantan promettent d’augmenter la production sans avoir besoin d’agrandir la fabrique qui avait été inaugurée en 2007. Ces procédés n’ont été validés que récemment ainsi que la possibilité d’acquérir davantage de matière première (chaque dose requiert l’utilisation d’un œuf de poule fécondé pour la reproduction du virus ce qui rend la fabrique consommatrice de 20 millions d’œufs par an). Un des procédés permet d’isoler le virus entier avec toutes les protéines qu’il contient. Actuellement le vaccin contre l’influenza utilise le virus d’une protéine, l’hémaglutinine A. Les autres protéines sont écartées bien qu’offrant également une protection et subissant moins de mutation que l’hémaglutinine A. «Quand nous avons produit ce nouveau vaccin, nous avons découvert que la production par œuf augmentait de deux à sept fois selon le sérotype do virus»”, déclare Isaias Raw, chercheur à l’Institut Butantan.

Le deuxième procédé, déjà breveté par l’Institut, est parvenu à isoler une substance adjuvante, le mono-phosphoré lipidique (MPLA), qui intensifie la réaction immunologique de l’organisme en stimulant la production appropriée d’anticorps ou de lymphocytes. D’autres substances de ce type ont déjà été créées mais elles sont onéreuses ou ne sont pas accessibles. le MPLA, curieusement, est un sous-produit d’une autre ligne de recherche de l’Institut Butantan qui concerne le développement d’un nouveau type de vaccin contre la coqueluche et considéré plus sûr grâce à l’enlèvement du lipopolysaccharide (LPS) de la bactérie qui provoquait des réactions inflammatoires et toxiques. « Nous avons converti des kilos de LPS en MPLA, qui en petites quantités permet d’augmenter la réponse des différents vaccins et ainsi de les utiliser en dosages plus faibles», déclare Isaias Raw. Des tests sur des souris ont montré que le MPLA permet de se protéger de l’influenza en utilisant un quart de la dose actuelle. L’effet a déjà été démontré sur des êtres humains.

La substance est actuellement testée sur diverses maladies. L’Institut Butantan a démontré que le MPLA avait du potentiel dans des vaccins contre la leishmaniose chez les chiens, rompant ainsi un lien de transmission qui peut être mortel chez l’homme. Il fait également l’objet de recherches à l’Institut Ludwig de New-York, pour potentialiser l’effet d’un vaccin contre le cancer de l’ovaire, et d’un groupe de chercheur de Ribeirão Preto pour un vaccin contre la tuberculose. «Cette substance sera également testée brièvement comme vaccin contre l’hépatite B qui est actuellement inefficace pour les personnes âgées de plus de 50 ans qui attendent une greffe de foie ou de reins», déclare Isaias Raw. Le MPLA, en augmentant la réponse immunologique, le rend également moins spécifique. Il y a déjà eu des cas où un vaccin contre la grippe a également permis d’immuniser le patient contre d’autres sérotypes. Le MPLA est bon marché. «Nous pouvons produire du MPLA pour 1 milliard de doses au prix coutant d’un centime. Ceci permettrait au Brésil de se protéger de la pression des grandes entreprises qui ne veulent pas vendre l’adjuvant mais le vaccin complet», affirme le chercheur. Les résultats, qui dépendront de nouveaux essais cliniques avant de déboucher sur une ligne de production, ont été publiés dans la revue Vaccine dans un article signé par Raw, Cosue Miyaki, Wagner Quintilio et Eliane Miyaji, entre autres chercheurs de l’Institut Butantan. «Les recherches en laboratoire ne s’arrêteront pas avec la publication de cet article et elles continueront en visant la production de vaccins au bénéfice de la population», déclare Isaias Raw.

La production de vaccin se base sur l´utilisation d´oeufs fécondés

MARCELO VIGNERONLa production de vaccin se base sur l´utilisation d´oeufs fécondés MARCELO VIGNERON

L’Institut Butantan estime que les deux procédés sont capables d’augmenter la capacité de production de la fabrique du vaccin contre l’influenza en qui passerait de 20 millions à 160 millions de doses. Une telle croissance, outre la réalisation de tests cliniques, dépendra naturellement des conditions du marché qui a énormément varié ces dernières années. La fabrique a été projetée en 2004 à l’époque de la menace de la grippe aviaire. Cette épidémie causée par le virus H5N1, a, en 2005, décimé des milliers d’oiseaux et même infecté certaines personnes au Vietnam, en Thaïlande, en Indonésie et au Cambodge. À cette époque, un ancien édifice de l’Institut Butantan a été transformé en laboratoire pilote pour débuter une production à petite échelle du vaccin. Simultanément, l’État de São Paulo a financé la construction de la fabrique et le Ministère de la Santé l’importation des équipements. Le procédé utilisé pour la production du vaccin a été remis par le laboratoire Charles Mérieux, actuellement Sanofi-Pasteur, et se base sur la reproduction du virus dans des œufs fécondés.

Le scénario s’est radicalement transformé en 2009 avec l’apparition du virus H1N1, responsable de la grippe porcine. Il est apparu aux États-Unis et a infecté des milliers de mexicains et s’est rapidement transformé en pandémie. Les souches étaient identiques à celles de l’influenza de 1918 qui a provoqué la grippe espagnole et tué 40 millions de personnes. Les deux virus avaient une chose en commun, ils atteignaient principalement les jeunes, les enfants et les femmes enceintes qui, jusqu’alors, ne faisaient pas l’objet de campagnes de vaccination. La demande en vaccinations a été rapidement multipliée par 10. Actuellement l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime que l’alerte concernant la létalité du H1N1 a été surdimensionnée mais qu’elle a favorisé à l’époque une articulation en matière d’offre de vaccins. «L’OMS a ordonné la préparation d’un vaccin et l’a cédé aux producteurs, y compris à l’Institut Butantan. Il n’allait pas y avoir de vaccins pour tout le monde mais l’accord entre l’Institut Butantan et le laboratoire Sanofi a permis l’acquisition de vaccins fabriqués à l’étranger et de vacciner ainsi environ 80 millions de personnes», déclare Isaias Raw.

Avant même d’appliquer ces nouveaux procédés, l’Institut Butantan entrevoit la possibilité d’exporter des vaccins contre la grippe dans les pays de l’hémisphère nord. La production actuelle de la fabrique a une forte saisonnalité. La fabrication commence vers le mois de septembre quand l’OMS définit quels sont les trois types de virus de la grippe les plus virulents au cours de cette période, et qu’il envoie les échantillons aux fabricants. Dans le cas de l’Institut Butantan, la production se concentre jusqu’au mois d’avril, quand la vaccination commence, et la fabrique interrompt ses activités le reste de l’année. «Nous pourrions produire un éventail de vaccins de l’hémisphère nord durant cette période d’inactivité que nous fournirions à la population vivant au dessus de l’équateur, tant au Brésil que dans des pays comme le Venezuela, la Colombie et les Guyanes», déclare Isaias Raw. «La vaccination est actuellement tardive et n’est pas vraiment efficace dans ces régions».

Virus et embryon
La fabrique a mis sept ans avant d’être prête car il a fallu surmonter une série d’étapes et d’obstacles. Outre les questions bureaucratiques liées au choix de l’entreprise de construction et à l’importation d’équipements spéciaux comme les ultracentrifugeuses, il a fallu également mettre au point une machine qui détruit ce qui reste des œufs après avoir séparé le liquide rempli de virus où baigne l’embryon. Ce matériel doit être réduit en poudre pour être transporté avec sécurité et incinéré pour ne pas servir d’aliment aux oiseaux ou à d’autres animaux car il suffirait de quelques virus vivants pour disséminer la maladie. «Il s’agit d’un processus très complexe qui utilise une technique spécifique pour injecter la souche du virus dans chaque œuf, pour séparer le suc du virus, le purifier et le repurifier et offrir un traitement écologiquement correct au matériel écarté», déclare Hernan Chaimovich, Surintendant de la Fondation Butantan. Comme le vaccin immunise contre trois types d’influenza, la production se concentre sur une souche à la fois. Avant de passer au prochain virus, la fabrique doit s’arrêter quelques jours et subir un processus rigoureux de désinfection. Le laboratoire Sanofi, qui accompagne la production des premiers lots, a attesté la conformité de la fabrique aux normes de la communauté européenne depuis cette année. Les investissements pour l’exécution du projet ont dépassé les 100 millions de réaux, avec des financements du gouvernement de l’État de São Paulo, du Ministère de la Santé et de la Fondation Butantan. Ces chiffres sont négligeables face aux millions de réaux d’économie réalisés par le Brésil en n’ayant pas besoin d’acheter le produit aux laboratoires internationaux», affirme Jorge Kalil, directeur Général de l’Institut Butantan, dans un article publié dans le journal Folha de S. Paulo. «Cette avancée technico-scientifique gigantesque nous permet d’être aujourd’hui le seul pays d’Amérique Latine à produire des vaccins contre l’influenza».

Alliance globale
La capacité de production de vaccins par des institutions publiques brésiliennes a attiré l’attention de la Fondation Bill et Melinda Gates, qui a également contacté d’autres institutions étrangères. L’année dernière, L’Institut Butantan a donc reçu la visite de Tachi Yamada, président du Programme de Santé Globale de la Fondation, intéressé par la capacité de production de l’institution pauliste. L’entité philanthropique du propriétaire de Microsoft cherche des partenaires pour produire des vaccins à bas prix qui seraient destinés aux pays en développement. Une proposition de collaboration a été récemment formalisée entre l’Institut Butantan, l’entreprise Serum Institute et l’Institut Bio-Manguinhos, de la Fondation Oswaldo Cruz (Fiocruz), à Rio. L’objectif de ce partenariat est la production d’environ 30 millions de doses d’un vaccin pentavalent contre la diphtérie, le tétanos, la coqueluche, l’hépatite B et l’hémophilie B (cause de méningite et autres maladies). L’Institut Butantan a remis une proposition concernant la fourniture de 100 millions de doses qui seraient livrées en 2014 au prix unitaire de 1,50 US$ et attend une réponse. L’articulation pour la recherche de nouveaux fournisseurs entre la fondation Bill et Melinda Gates et l’Alliance Globale pour les Vaccins et l’Immunisation (Gavi, sigle en anglais) a déjà produit des effets notables. Le mois dernier, quatre géants pharmaceutiques, GSK, Merck, Johnson & Johnson et Sanofi-Aventis, se sont mis d’accord pour vendre à Gavi des vaccins contre la diarrhée à prix coûtant. La réduction du prix est de 70%. En outre, deux entreprises indiennes, Serum Institute et Panacea Biotec, se sont engagées à fournir du vaccin pentavalent au prix de 1,75 US$ la dose.

Republier