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ÉCOLOGIE

Chimie dans l’air

Des composés volatiles contrôlent l’interaction entre les végétaux et les insectes

Publié en décembre 2009

Une fourmi visite l’inflorescence de la plante para-tudo-do-campo ou perpétua (Gomphrena macrocephala)

EDUARDO CESARUne fourmi visite l’inflorescence de la plante para-tudo-do-campo ou perpétua (Gomphrena macrocephala)EDUARDO CESAR

L’espèce ananas ananassoides du Cerrado1 est l’un des rares points rouges au milieu du gris desséché des arbres d’une réserve entourée de plantations de canne à sucre et d’eucalyptus, dans une propriété agricole de Pratânia (dans la région centrale de l’état de São Paulo). Les fleurs de couleur bleu clair et les feuilles de cette variété d’ananas libèrent des composés volatiles qui attirent colibris, abeilles et papillons en quête de nectar ou de pollen. D’après la biologue Juliana Stahl, qui effectue une recherche dirigée par Sílvia Rodrigues Machado et Elza Guimarães – professeurs de l’Université d’état Paulista (Unesp) de Botucatu –, « les ananas entretiennent une relation plus proche avec les colibris, mais rien n’empêche la visite d’autres animaux ». Les effluves qui parfument l’air des bois, des plantations ou des jardins sont l’illustration de batailles continues pour la survie, et montrent que les plantes ne sont définitivement pas passives. Après des millions d’années de sélection naturelle, seules se sont développées celles capables d’interagir avec les animaux et d’autres plantes en libérant des composés chimiques qui permettent la défense ou établissent des accords aux bénéfices généralement mutuels.

De l’avis de Sílvia R. Machado, « les plantes ‘manipulent’ leurs visiteurs ». Les recherches de son groupe tentent de comprendre pourquoi certaines plantes attirent des groupes spécifiques de pollinisateurs. Elles font également la lumière sur la formation de composés chimiques qui intéressent les êtres humains. Tatiane Rodrigues, l’une des biologues de l’équipe, a constaté que les structures sécrétrices allongées et arrondies de la tige et de la racine du copayer2 produisent une huile utilisée par les hommes pour traiter des inflammations, des blessures et des mycoses, et par les plantes contre les insectes : « Même les plantes à peine germées possèdent des cellules sécrétant l’huile qui leur permet de se protéger contre les prédateurs ». Sa collègue Shelley Favorito a identifié cinq types de glandes à la surface des feuilles du Lippia stachyoides, qui produisent des huiles à l’odeur forte pour imperméabiliser les feuilles et repousser les prédateurs.

Une abeille s’approche de la Diplopterys pubipetala en quête d’huile

CLÍVIA POSSOBOM/ELZA GUIMARÃES/UNESPUne abeille s’approche de la Diplopterys pubipetala en
quête d’huileCLÍVIA POSSOBOM/ELZA GUIMARÃES/UNESP

Mieux connaître ces interactions permet de définir les espèces de plantes et d’animaux les plus importantes pour la continuité des milieux naturels. Le croton glandulosus, un arbuste d’un mètre de hauteur qui pousse sur des terres abandonnées, est l’une d’entre elles. Chercheur de l’Unesp de Botucatu, Lucia Maria Paleari reste impressionnée par la diversité d’abeilles, de pucerons, de mouches, de papillons, de scarabées et de fourmis minuscules qui se gavent des sécrétions libérées par les structures sécrétrices des racines, tiges, feuilles et fleurs. L’un de ces visiteurs est l’abeille jataí (Teragonisca angustula), qui se nourrit du nectar des fleurs du croton et produit un miel dont le litre peut coûter jusqu’à près de 52 euros. Pour la chercheuse, cet arbuste qui n’entre pas en compétition avec les plantes cultivables pour la lumière et les substances nutritives devrait être maintenu dans des zones de cultures agricoles, et non pas éliminé et méprisé comme il l’est habituellement : « le croton alimente des insectes qui pourraient agir comme des ennemis naturels de nuisances agricoles ».

Opportunité
La richesse des plantes et des animaux du pays encourage les échanges entre les chercheurs brésiliens et nord-américains. L’un des centres prévu pour abriter des collaborations internationales est l’Institut National de Science et Technologie, Centre sur l’Énergie, l’Environnement et la Biodiversité, coordonné par José Rodrigues et Tetsuo Yamane et situé à l’Université de l’état d’Amazonas (UEA) de Manaus.

Lors de l’inauguration de l’institut en avril dernier, Jerrold Meinwald (un des pionniers en la matière) a souligné lors d’une conférence le potentiel du pays dans ce domaine : « Dotée d’une diversité importante et très peu étudiée, la région amazonienne représente une opportunité unique pour des recherches. […] Un investissement consistant du Brésil dans ce domaine pourrait produire une recherche de classe mondiale et un institut qui pourrait attirer et qualifier des leaderships scientifiques ».

La biologue brésilienne Consuelo de Moraes, chercheuse de la Pennsylvania State University, est une des membres de ce groupe qui commence à prendre forme ; elle a montré que les messages des plantes pouvaient avoir des destinataires différents : « Beaucoup de chercheurs ne croyaient pas à la spécificité des interactions entre les plantes et d’autres espèces ». Comme elle l’écrit dans l’article publié en 1998 dans Nature, la guêpe parasitoïde Chardiochiles nigriceps distingue la composition de composés libérés par le tabac, le coton et le maïs attaqués par des chenilles des espèces Heliothis virescens et Helicoverpa subflexa – et ne recherche que les plantes occupées par des chenilles de la première espèce.

La doctorante Clívia Possobom a renforcé cette possibilité de messages spécifiques en vérifiant qu’une plante grimpante du Cerrado, la Diplopterys pubipetala, maintient une relation très étroite avec des abeilles de la tribu Centridini. Des glandes situées à la base de la fleur produisent une huile qui ne semble servir qu’aux abeilles, qui l’utilisent comme revêtement des nids et d’aliments pour les larves. Possobom observe : « Je ne connais aucune autre fonction de cette huile, qui ne sort que lorsque l’abeille gratte la glande ». Cette huile « peut être une sorte de récompense aux pollinisateurs de qui la Diplopterys, auto-incompatible, dépend » (même s’ils ont été produits par une fleur hermaphrodite, les grains de pollen d’une plante ne pourront germer que s’ils vont à la rencontre de structures féminines de la fleur d’une autre plante de la même espèce). D’après Sílvia Rodrigues Machado, « il y a un échange, une coévolution. […] Les Dyplopterys et les abeilles dépendent les unes des autres ».

Des substances libérées par les plantes peuvent guider d’autres plantes, qui ne sont pas toujours les bienvenues. Dans un article publié en 2006 dans la revue Science, Justin Runyon, Mark Mescher et Consuelo de Moraes ont montré que la plante parasite cipó-chumbo (Cuscuta pentagona) sélectionne des hôtes au moyen de composés volatiles et croît dans leur direction. Le cipó- chumbo parasite la tomate, l’alfalfa, la pomme de terre, le soja et l’oignon, mais pas le blé, qui libère des composés répulsifs contre lui. Pour Consuelo de Moraes, « après avoir germé, la cuscuta a 10 jours pour trouver une plante qui va l’héberger. […] Comme elle n’a ni racine ni feuilles, si elle n’en trouve pas une elle va mourir ». La Cuscuta racemosa, autre espèce de cipó-chumbo, vit dans la Forêt Atlantique et doit présenter un comportement similaire. Il ne s’agit pas d’un exemple isolé, car près de 4 500 espèces de plantes avec des fleurs – l’équivalent de 1 % du total – sont des parasites et vivent de l’eau et des substances nutritives extraites d’autres plantes.

Du point de vue de Jerrold Meinwald, « la signalisation chimique est la forme de communication dominante dans la nature ». Le nombre de types d’interactions est pratiquement illimité. En plus, des fleurs ou des feuilles peuvent produire différents types de composés pendant leur croissance. Silvia Rodrigues Machado, Elza Guimarães et Elisa Gregório (Unesp de Botucatu) ont montré en 2006 que les fleurs d’un arbuste du Cerrado – Zeyheria montana – produisent des alcaloïdes qui repoussent les visiteurs au début de leur développement, ainsi que des terpènes qui les attirent quand les grains de pollen sont prêts pour fertiliser d’autres fleurs.

Message aux autres feuilles
Selon un travail de Christopher Frost (de l’équipe de Consuelo de Moraes) publié dans Plant Physiology, près de 1000 espèces de plantes adoptent ce langage chimique. Les plantes libèrent au moins trois types de composés qui donnent aux forêts l’odeur typique de forêt. Identifiés par les sigles z3HAL, z3HOL et z3HAC, ils envoient des réponses contre les parasites en induisant la libération de substances au goût désagréable. En 2008, Consuelo de Moraes et son équipe ont décrit dans New Phytologist les réactions biochimiques au moyen desquelles la substance z3HAC, libérée par des feuilles en train d’être dévorées par des insectes, actionne la production de composés qui renforcent la défense de feuilles encore intactes d’une variété de peuplier, un arbre des régions froides. Moraes explique que lorsqu’« une feuille est attaquée, la feuille voisine se prépare pour se défendre quand elle perçoit les composés volatiles. […] Les feuilles non reliées entre elles communiquent par l’intermédiaire de ces composés ».

Lucia Paleari a choisi de présenter ces interactions de manière plus émotionnante et proposé en novembre 2008 une exposition sur le croton à un groupe d’étudiants de l’Unesp de Botucatu. D’après elle, 2 000 enfants, jeunes et professeurs des enseignements primaire et secondaire ont pu faire connaissance avec la plante et ont été impressionnés par les modèles immenses de têtes et les photos agrandies d’insectes exposés au gymnase d’une école de Botucatu : « Ils se sont demandés comment les insectes pouvaient avoir autant de structures sur la tête, et comment une plante qu’ils appelaient buisson avait tant d’atouts intéressants et était capable d’attirer autant de petits animaux différents. […] Nous avons appris à regarder plus calmement ».

Articles scientifiques
1. FROST, C.J. et al. Plant defense priming against herbivores: getting ready for a different battle. Plant Physiology. n. 146, p. 818-24. 2008
2. RODRIGUES, T.M. & MACHADO, S.R. Developmental and structural features of secretory canals in root and shoot Wood of Copaifera langsdorffii Desf. (Leguminosae Caesalpinioideae). Trees. n. 23 (5), p. 1013-18. 2009

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