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BIOCHIMIQUE

Lumières vivantes

Le mécanisme qui fait briller des champignons donne lieu à une méthode de détection d’une contamination

Publié en février 2010

Pleurotus gardneri: redécouvert dans l´´etat du Piauí

CASSIUS STEVANI/USPPleurotus gardneri: redécouvert dans l´´etat du Piauí CASSIUS STEVANI/USP

Dans le film d’animation 1001 pattes, l’éclairage interne de la fourmilière est entièrement réalisé avec des champignons lumineux. « Il y a certes un peu de licence poétique dans la création, mais en essence c’est vrai », observe Cassius Stevani de l’Institut de Chimie de l’Université de São Paulo (USP). De fait, il existe des champignons bioluminescents qui émettent de la lumière, et nombre de fourmis en cultivent dans leurs terriers – mais pas de ce type. Stevani tente de comprendre le mécanisme chimique qui produit cette luminosité ainsi que sa fonction dans l’organisme. En cours de route, il a déjà rencontré une utilisation pratique : détecter une contamination du sol par des métaux.

En 5 ans seulement, Stevani et ses collègues ont découvert 12 espèces de champignons luminescents au Brésil. Parmi elles, l’espèce amazonienne Mycena lacrimans, trouvée par Ricardo Braga-Neto de l’Institut National de Recherches de l’Amazonie (Inpa) ; ou encore l’espèce qui ressemble à un parapluie à l’envers et naît à la base de certains palmiers (piaçava ou babaçu) dans l’état du Piauí. Dans un article qui a fait la une de la revue Mycologia en mars 2010, Stevani et le biologue nord-américain Dennis Desjardin, de l’Université d’État de São Francisco, Californie, indiquent qu’il existe 71 espèces connues dans le monde. Mais d’après le chimiste, « il doit exister beaucoup d’autres espèces, [ …] qui n’ont pas encore été décrites parce qu’elles sont difficiles à trouver ; peu de gens parcourent la forêt sans lampe de poche les nuits sans lune ».

Avant 2002, on ne connaissait pas encore de champignons bioluminescents au Brésil. Il y avait bien l’espèce Agaricus phosphorescens (rebaptisée ensuite Pleurotus gardneri), décrite au XIXe siècle par l’Anglais George Gardner, mais aujourd’hui les mycologues remettent en question cette classification parce qu’elle se basait sur des espèces similaires en Europe. L’erreur fut difficile à corriger, car le seul échantillon préservé se trouvait dans un herbier en Angleterre.

Un champignon qui semble être de la même espèce a récemment été rencontré à la base d’un palmier piaçava par la primatologue nord américaine Dorothy Fragazy, un jour où elle a terminé plus tard que d’habitude sa journée d’observation de singes dans l’état du Piauí. Fascinée, elle a montré des photos à un autre américain du Jardin Botanique de New York. Celui-ci a alors contacté Dennis Desjardin, considéré par ses pairs comme l’un des plus grands spécialistes en matière d’identification de ces organismes. Desjardin a ensuite prévenu Stevani, qui a aussitôt découvert sur Internet que Dorothy Fragazi était au Brésil pour travailler en collaboration avec la primatologue brésilienne Patrícia Izar, de l’Institut de Psychologie de l’USP. Ces données en main, il l’a immédiatement contacté pour tenter de connaître l’emplacement du champignon. Une de ces histoires du hasard, dont les informations ont couru le monde avant d’arriver quasiment au même endroit.

Et ça a marché : Marino Gomes de Oliveira, le propriétaire du terrain où travaillaient les deux primatologues, a séché au soleil et envoyé à Stevani 4 kilogrammes de champignons lumineux. Désormais, les chercheurs sont sur le point de corriger l’identification grâce à l’examen détaillé des champignons par les mycologues (spécialistes en champignons) Marina Capelari (Institut de Botanique de São Paulo) et Dennis Desjardin. Ce dernier s’est consacré à l’exploration de forêts peu connues dans le monde, y compris au Brésil. Il signale que les extraordinaires efforts faits par son groupe ont permis plusieurs découvertes : « Dernièrement, j’ai dirigé une expédition sur une île de la Micronésie dans l’Océan Pacifique, où les champignons n’avaient jamais été inventoriés ; sur les 128 espèces rencontrées, sept étaient luminescents ». Et de préciser que les champignons lumineux restent minoritaires parmi toutes les variétés existantes.

De l’avis de Dennis Desjardin, le Brésil est prometteur parce qu’il possède une immense zone forestière dont les champignons n’ont pas encore été étudiés : « Nous en savons encore très peu sur les champignons brésiliens, donc nous espérons rencontrer un grand nombre de nouvelles espèces, luminescentes ou non ». Il explique aussi que pour trouver des champignons lumineux, il faut avoir cela en tête. La majorité des mycologues qui étudient la diversité de champignons les décriphotos vent pendant la journée (ils émettent aussi de la lumière, mais le chercheur ne la voit pas) et les sèchent immédiatement pour les préserver ; en réalité, il faut d’abord les examiner dans le noir pour voir s’il y a luminescence, et seulement après les sécher. « Pour cette raison, je pense que plusieurs champignons tropicaux sont sans doute luminescents, mais nous ne nous en sommes pas encore rendus compte ».

Mycena fera : des champignons qui brillent tout le temps, mais qui ne sont vus que dans le noir

CASSIUS STEVANI/USPMycena fera : des champignons qui brillent tout le temps, mais qui ne sont vus que dans le noir CASSIUS STEVANI/USP

Même s’ils sont encore peu connus, on a commencé à en parler il y a très longtemps. Le philosophe de la Grèce antique Aristote a été le premier à relater le phénomène il y a plus de deux mille ans, en décrivant une lumière vive qui était différente de celle du feu. Néanmoins, les études scientifiques sur ce sujet n’ont débuté que dans les années 1950, et c’est seulement maintenant qu’elles commencent à contribuer à la compréhension de la bioluminescence de ces organismes spécialisés dans la décomposition du bois et d’autres types de matière organique.

Signalisation
L’intérêt de Stevani pour les champignons est né de son travail antérieur sur les lucioles et autres insectes. Lors d’un voyage effectué en 2002 pour recueillir du matériel avec Etelvino Bechara – spécialiste renommé en bioluminescence des lucioles et aujourd’hui professeur de l’Université Fédérale de São Paulo (Unifesp) –, il a profité de l’occasion pour rechercher les champignons dont lui avait parlé son collègue. Et il a trouvé : tandis qu’il fixait une zone de végétation humide plongée dans l’obscurité et jouxtant une cascade (au milieu du Cerrado, dans l’état du Mato Grosso do Sul), il a aperçu une lumière verte différente, constante et non pas clignotante comme celle des lucioles.

Il s’agissait de champignons. Cette découverte a donné naissance à son projet de recherche, débuté en 2002 avec le soutien de la FAPESP dans le cadre du Programme Jeune Chercheur. Mais avant même que la recherche ne commence, des preuves sont apparues pour montrer que les champignons lumineux ne se trouvaient pas seulement dans l’état du Mato Grosso do Sul. Durant un travail de terrain dans le Parc d’État Touristique de l’Alto Ribeira (Petar), situé au sud de l’état de São Paulo, l’écologue João Godoy – aujourd’hui professeur de la Faculté d’Ingénierie de São Paulo – a été emmené par son guide vers un champignon lumineux. Surpris, il en a informé son ami chimiste qui a pu ainsi concentrer ses activités au sein du Petar, plus proche de son laboratoire.

Certaines de ces espèces sont en train d’aider à dévoiler les minuties de la bioluminescence des champignons. Stevani bénéficie de l’assistance de trois doctorants financés par la FAPESP. À travers des essais chimiques exhaustifs, le doctorant Anderson Oliveira a analysé trois espèces de la Forêt Atlantique du Petar – Gerronema viridilucens, Mycena lucentipes et Mycena luxaeterna – ainsi que « pleurotus » gardneri, rencontré dans la municipalité de Gilbués (état du Piauí). Les résultats ont été publiés dans un article paru en 2009 dans la revue Photochemical & Photobiological Sciences. Ils montrent que le mécanisme de production de lumière est similaire à celui observé chez les lucioles et les bactéries bioluminescentes : des enzymes appelées luciférases oxydent une substance – ou un substrat, dans le langage des chimistes – connue sous le nom de luciférine, qui libère de l’énergie sous forme de lumière.

Oliveira a utilisé ce qu’il y a de plus moderne dans les laboratoires de chimie, cependant la base de l’essai pour caractériser la réaction enzymatique date de plus d’un siècle. En 1885, le physiologiste français Raphaël Dubois a écrasé les organes lumineux de la luciole Pyrophorus avant de les mélanger avec de l’eau froide. La solution a émis une sorte de lumière verte, qui a disparu peu à peu. Il en a conclu que cela provenait de la luciférine consumée par la réaction chimique. Puis il a chauffé une solution identique pour désintégrer les enzymes présentes, sensibles à la chaleur. Le mélange des deux solutions – la froide ne contenait plus que des enzymes sans luciférine, et la chaude seulement de la luciférine – a produit une émission de lumière. Cette histoire est racontée dans le livre Bioluminescence, publié en 2006 par le pharmacien japonais Osamu Shimomura, chercheur au Laboratoire Biologique Marin de Woods Hole, États-Unis.

Shimomura a gagné le Prix Nobel de Chimie en 2008 pour ses études sur la bioluminescence : il a isolé sur des méduses la protéine fluorescente verte (GFP), qui montre l’activité de gènes spécifiques quand elle est accouplée à l’ADN d’un organisme étudié en laboratoire. La protéine lumineuse est devenue essentielle dans de nombreux laboratoires de génétique. Une aspiration qui n’est pas éloignée des recherches de Stevani dans la mesure où les mécanismes de bioluminescence sont similaires, y compris entre des organismes très différents.

Mais cela ne signifie pas que les compositions chimiques de la luciférine et de la luciférase soient identiques chez les insectes et les champignons. Stevani explique que « luciférine est le nom donné à tout substrat qui produit de la bioluminescence, mais les luciférines d’organismes distincts peuvent être des molécules totalement différentes ». Tous les champignons déjà étudiés par son groupe émettent cependant de la lumière par l’intermédiaire des mêmes substrats et des mêmes enzymes, ce qui fait penser à une origine commune à tous. Mais tous les champignons bioluminescents ne sont pas des parents proches, prévient Desjardin : « Aujourd’hui, nous savons qu’il existe quatre lignages de champignons avec des espèces bioluminescentes, néanmoins elles n’ont pas toujours un lien de parenté proche entre elles. […] Certaines espèces de Mycena s’apparentent plus à des espèces non lumineuses qu’à d’autres du même genre ».

Le groupe de l’USP s’attaque désormais à la structure de la molécule, afin de comprendre pourquoi de minuscules champignons – parfois seulement de 0,5 cm de circonférence – se collent tels des adhésifs phosphorescents sur le tronc d’un arbre ou se répandent au milieu du feuillage qui recouvre le sol de la forêt. Au contraire des champignons qui produisent leur propre lumière, les adhésifs phosphorescents emmagasinent la lumière ambiante pour pouvoir briller la nuit, à l’exemple des constellations qui ornent les plafonds des chambres d’enfants de tous âges. Pour l’instant, Oliveira a réussi à séparer de l’extrait de champignon une solution qui contient de la luciférine – elle brille quand elle est mélangée à une solution enzymatique. Mais la concentration de la substance doit être très faible, parce que le chimiste Antonio Gilberto Ferreira, de l’Université Fédérale de São Carlos (UFSCar) n’est pas parvenu à la détecter avec l’imagerie par résonance magnétique nucléaire des protons. Stevani pense qu’« il faut extraire une plus grande quantité ou utiliser un équipement plus sensible ».

Le chimiste de l’USP s’est lancé dans cette entreprise par pure curiosité scientifique, mais il estime qu’il est essentiel de découvrir des utilisations pratiques capables de servir aux autres chercheurs et à la société. Il semble sur le bon chemin : dans un article à paraître dans Environmental toxicology and Chemistry, Luiz Fernando Mendes, autre doctorant dirigé par Stevani, montre que la lumière des champignons Gerronema viridilucens peut aider à détecter des niveaux élevés de contamination du sol par des métaux divers.

Capteurs biologiques
Mendes cultive les champignons dans des plaques en verre de 35 millimètres de diamètre, sur une substance gélatineuse à base d’algues agar-agar, le milieu de culture le plus commun dans les laboratoires biologiques. Après une croissance de 10 jours, les champignons sont encore en phase de développement. À cette étape, ils sont composés de filaments microscopiques, les hyphes, qui représentent la plus grande partie du cycle de vie de n’importe quel champignon ; et chez certaines espèces, ils produisent aussi la lumière verte. Le chercheur mesure la luminosité émise par chacune de ces plaques et y dépose un petit échantillon d’extrait de sol à analyser. Après 24 heures dans une chambre climatique, le champignon se met à émettre moins de lumière si l’échantillon est contaminé – un résultat interprété par les chimistes comme une forme de nuisance envers l’organisme.

Branches recouvertes d’hyphes invisibles à la lumière du jour

CASSIUS STEVANI/USPBranches recouvertes d’hyphes invisibles à la lumière du jourCASSIUS STEVANI/USP

Mendes a obtenu des graphiques qui représentent l’intensité de la lumière émise en présence de différentes concentrations de 11 métaux distincts – calcium, sodium, magnésium, cadmium, cobalt, manganèse, potassium, lithium, zinc, cuivre et nickel – et indiquent la toxicité de l’échantillon analysé. Ce travail a déjà donné lieu à l’enregistrement d’un brevet au Brésil sur l’utilisation des champignons dans des essais de toxicité environnementale. Il suffit de mesurer l’intensité de la lumière qui émane du champignon pour estimer la quantité de ces métaux sous une forme qui peut être absorbée et utilisée par les êtres vivants. D’après Stevani, « il ne s’agit pas de mesurer la concentration totale des substances chimiques, cela n’aurait aucun sens biologique ni utilité pratique ». Le problème c’est que le Gerronema viridilucens est peu sensible, sans doute parce qu’il vit dans le sol et qu’il s’est adapté à des conditions adverses. « Ce qui importe, c’est que le bioessai fonctionne », ajoute Stevani. « À présent, il faut trouver des espèces plus sensibles et qui puissent être testées de la même manière ».

Stratégies
Parce qu’elle consomme de l’oxygène dans ses réactions chimiques, la bioluminescence pourrait jouer un rôle antioxydant qui protégerait les champignons et autres organismes, voire les lucioles, d’espèces réactives produites à partir de l’oxygène consommé pendant la respiration. Cette protection de l’organisme est une des explications possibles des bénéfices à émettre de la lumière au milieu de la forêt. Mais le groupe a montré qu’en cas de stress oxydatif intense l’organisme des champignons privilégie des réactions plus spécialisées et éteint la luminescence. C’est en tout cas ce que décrit le travail pas encore publié d’Olívia Domingues, autre doctorante de Stevani. Elle s’est aperçue qu’en présence de fortes concentrations de métaux les cellules préfèrent utiliser la coenzyme NADPH pour produire du glutathion réduit, qui évite l’action délétère des métaux. Et comme le glutathion se bat contre les enzymes productrices de luminescences pour disposer de ressources, le champignon s’éteint peu à peu. C’est pour cette raison que les champignons du bioessai de Mendes perdent leur luminosité sur un sol contaminé par des métaux.

Les résultats d’Olívia Domingues permettent d’expliquer pourquoi les champignons bioluminescents sontutiles en tant que bioessai de toxicité, cependant ils n’élucident pas le bénéfice que peut apporter la lumière verdâtre. Stevani soulève des hypothèses écologiques, avec à l’appui des photographies de mouches posées sur des champignons. Peut-être que la lumière verte aide à attirer des insectes, de la même manière qu’une ampoule allumée fait venir vers elle des insectes en tout genre. Annoncer sa présence aux affamés du coin peut paraître une stratégie désavantageuse, mais la fonction pendant le cycle de vie des champignons est éphémère, tout comme les fruits des arbres : quand un animal mange une partie du champignon, il emmène avec lui des spores, ces structures microscopiques qui vont générer de nouveaux champignons s’ils sont déposés dans des endroits propices. Ou alors la lumière est peut-être destinée à signaler le danger dans le cas des champignons toxiques, comme cela se passe avec les animaux venimeux aux couleurs chatoyantes. « Ce qui est peu probable », conclut Stevani sur le ton de la plaisanterie, « c’est que la bioluminescence des champignons serve à éclairer des fourmilières où à signaliser les vols, comme dans 1001 pattes ».

Les découvertes du chimiste montrent clairement que plusieurs mystères resteront cachés parmi les feuillages tant qu’il n’y aura pas plus de biologues et de chimistes prêts à éteindre leur lanterne pour contempler l’obscurité de la forêt, parfois parsemée de couleur verte.

LES PROJETS
1. Étude de la bioluminescence de champignons et ses applications en chimie environnementale 2. Bioluminescence et activité pharmacologique de champignons .MODALITÉ 1. Ligne Régulière de Financement de Projets de Recherche 2. Jeune Chercheur. COORDONNATEUR Cassius Stevani – IQ /USP INVESTISSEMENT 1. 328 413,09 réaux 2. 457 741,18 réaux

Articles scientifiques
1. DESJARDIN, D. et al. Luminescent Mycena: new and noteworthy species. Mycologia. À paraître
2. MENDES, L.F. & STEVANI C.V. Evaluation of metal toxicity by a modified method based on the fungus Gerronema viridilucens bioluminescence in agar medium. Environmental Toxicology and Chemistry. v. 29, p. 320-26. 2010.
3. OLIVEIRA, A.G. & STEVANI, C.V. The enzymatic nature of fungal bioluminescence. Photochemical & Photobiological Sciences. v. 8, p. 1416-21. Octobre 2009

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