Imprimir PDF Republish

SEMI-CONDUCTEURS

Mémoires du futur

Un centre sur les matériaux céramiques va développer un matériau pour une nouvelle usine de puces électroniques à São Carlos

Publié en novembre 2008

Galettes de silicium, semi-conducteur à la base de la puce de mémoire

EDUARDO CESARGalettes de silicium, semi-conducteur à la base de la puce de mémoireEDUARDO CESAR

Une mémoire électronique qui conserve l’information même quand elle n’est pas branchée à une source d’énergie, utilisée sur des cartes à puces intelligentes (smart cards), des tickets de transport public, des téléphones portables, la TV numérique et les transactions bancaires, sera produite dans une nouvelle usine qui sera construite à partir de 2009 dans la ville de São Carlos (état de São Paulo). La présence dans la région du Centre Multidisciplinaire pour le Développement de Matériaux Céramiques – un des Centres de Recherche, Innovation et Diffusion (Cepid) de la FAPESP, qui travaille en collaboration avec l’Université d’état de São Paulo (Unesp) d’Araraquara et de l’Université Fédérale de São Carlos (UFSCar) –, a été décisive dans le choix de la ville qui recevra l’usine de semi-conducteurs ferroélectriques. Partenaire du projet, le centre sur les matériaux céramiques a déjà formé 25 docteurs et 17 titulaires d’un master en matériaux ferroélectriques depuis 2000, date de la création de ce Cepid. Plusieurs de ces professionnels ou étudiants en fin de formation pourront travailler dans l’usine brésilienne.

Au départ, la mémoire à accès aléatoire ferroélectrique (FRAM), également connue sous le nom de mémoire non-volatile, sera produite au moyen d’une technologie développée par l’entreprise nord-américaine Symetrix, créée aux États-Unis il y a 18 ans par le Brésilien Carlos Paz de Araújo, professeur d’ingénierie électrique à l’Université du Colorado. Le centre participera également de manière active au développement de nouvelles mémoires ferroélectriques et de nouveaux matériaux. José Arana Varela, physicien, professeur de l’Institut de Chimie d’Araraquara, recteur adjoint en charge de la recherche de l’Unesp et responsable du secteur innovation du Cepid, observe : « Nous allons orienter la recherche appliquée vers de nouveaux matériaux ferroélectriques, sans pour autant laisser de côté la recherche de base ».

Développé par le centre sur les céramiques selon une nouvelle méthode, assez simple et bon marché, un film mince ferroélectrique – constitué de couches très fines de matériau semi-conducteur – a de grandes chances d’être choisi pour être utilisé postérieurement dans les puces de mémoire fabriquées dans l’usine de São Carlos. « Nous avons réussi à obtenir de nouveaux matériaux dotés d’une capacité de stockage 250 fois supérieure à celle des mémoires conventionnelles », déclare le chimiste Elson Longo, également directeur général du Centre Multidisciplinaire pour le Développement de Matériaux Céramiques (CMDMC). Ces nouveaux matériaux sont produits à partir d’une solution organique obtenue par le mélange d’acides citriques présents dans des fruits tels que l’orange et le citron (cf. Recherche FAPESP nº 52) et de baryum, plomb et titane. Varela explique que « le composé est chauffé dans un four simple à 300ºC afin d’en extraire certains éléments organiques comme le carbone ». Puis on procède à la cristallisation du matériau dans un micro-onde domestique pour obtenir un film mince de titanate de baryum et de plomb. Et Varela de poursuivre : « Au début, nous allons utiliser le procédé de l’entreprise nord-américaine. Plus tard, nous pourrons travailler avec d’autres matériaux que ceux déjà développés pour fabriquer des films (couches très fines de matériau semi-conducteur) moins épais ». Plus le film est mince, plus l’intégration dans le système semi-conducteur sera grande et moins le coût final sera élevé. Comparés aux céramiques magnétiques utilisées pour la mémoire, les films minces ferroélectriques utilisés dans la préparation des dispositifs électroniques ont l’avantage d’être plus petits, moins lourds, plus rapides en termes d’écriture et de lecture et ne requièrent qu’un faible voltage.

Les matériaux ferroélectriques permettent de construire des mémoires électroniques qui n’ont besoin d’aucune énergie pour fonctionner. D’après Longo, « la capacité de stockage des informations est liée à la disposition de ses atomes ». Chaque cellule de mémoire consiste en un unique transistor d’accès branché à un condensateur ferroélectrique, un dispositif qui stocke l’énergie dans un champ électrique. Le transistor agit comme un interrupteur, permettant au circuit de contrôle de lire ou d’écrire les signaux 0 et 1 du système binaire qui seront stockés dans le condensateur. Le principe utilisé est le même que celui des semi-conducteurs magnétiques des cartes de crédit ordinaires et des tickets de transport. « La différence, signale Longo, c’est que les cartes magnétiques ont besoin d’être placées devant un lecteur pour transmettre l’information, tandis que les cartes ferroélectriques peuvent être lues jusqu’à six mètres de distance ». La lecture est faite par radiofréquence. D’une taille et d’une épaisseur d’environ deux millimètres carrés, la puce n’est pas apparente. Intégrée dans les cartes ou les téléphones portables par exemple, elle possède un système de protection contre le piratage.

La puce de mémoire ferroélectrique peut être lue jusqu´à six mètres de distance

EDUARDO CESAR La puce de mémoire ferroélectrique peut être lue jusqu´à six mètres de distanceEDUARDO CESAR

Au Japon, où la technologie développée par Araújo et son équipe a été brevetée par l’entreprise Panasonic, elle est utilisée sur les cartes de métro, de train et sur les permis de conduire. Il est aussi possible de payer ses achats via le téléphone portable, sans recourir aux cartes de crédit. Au Brésil, dès l’annonce de l’installation de l’usine de nombreuses entreprises ont fait part de leur intérêt pour la technologie. Elles veulent remplacer les cartes magnétiques par les ferroélectriques dans diverses applications. Selon Varela, « une grande banque brésilienne, qui ne souhaite pas importer la technologie pour des raisons de sécurité, nous a contactés pour produire des cartes ». Varela préfère ne pas citer le nom de l’institution financière, car les négociations sont encore en cours. Pour le secteur automobile par exemple, un système anti-collision breveté par Symetrix sera développé. « Avec cette mémoire, il est possible d’installer un système de sécurité sur la voiture avec des capteurs infrarouges, qui fonctionneront comme des caméras de vision nocturne pour détecter la présence de personnes, d’animaux ou de voitures à l’arrêt, à une distance de 100 à 200 mètres devant le véhicule ».

Contrôle intégré
Dans les supermarchés, l’utilisation de la mémoire ferroélectrique à la place des codes-barres permettra un contrôle intégré des produits. Des informations telles que la date de validité du produit, le nom du fabricant, le prix, le stock et la quantité achetée seront placées sur un dispositif de la taille d’une pointe d’aiguille. « Ce n’est pas seulement un code-barres, mais une mémoire intelligente », observe Longo. « Chaque étiquette dotée d’une puce coûtera moins de 0,01 réais », ajoute pour sa part Varela. L’acheteur saura à l’avance combien il a dépensé en passant à une distance de trois ou quatre mètres d’un panneau. S’il décide de conclure l’achat, le débit sera fait sur la carte de crédit située dans sa poche. D’après Varela, « alors qu’une carte magnétique (comme les cartes de crédit) dure de quatre à cinq ans, la carte ferroélectrique peut être utilisée jusqu’à un trillion de fois au niveau des fonctions de lecture et d’écriture magnétique (la façon dont les informations sont enregistrées sur la mémoire ferroélectrique), ce qui équivaut à une durée de vie utile moyenne de 2 000 ans ». La durée de vie utile des cartes magnétiques est notamment plus faible à cause de la nécessité du contact direct avec le lecteur.

Les chercheurs du groupe qui a créé le CMDMC ont commencé à étudier les matériaux ferroélectriques en 1992. Les résultats obtenus ont donné lieu à la publication de 112 articles scientifiques dans des revues brésiliennes et internationales. « Nous avons commencé les recherches à la même époque que Carlos Araújo à l’Université du Colorado », observe Longo. « Nous avons depuis travaillé sur les mêmes composés, mais de son côté il a breveté le procédé mis au point par son équipe et a créé une entreprise ». Professeur d’ingénierie électrique, Araújo a créé l’entreprise Symetrix avec les ressources du Small Business Innovation Research (SBIR), un programme nord-américain de soutien aux petites entreprises innovatrices. C’est ce programme qui a inspiré la mise en place du programme de recherche Innovation Technologique dans les Petites et Micro-entreprises (PIPE) de la FAPESP. Aujourd’hui, l’entreprise possède plus de 200 brevets internationaux.

Le partenariat avec les chercheurs brésiliens a débuté lors d’un congrès sur les matériaux semi-conducteurs ferroélectriques qui s’est tenu au Portugal à la fin de l’année 2006. À cette occasion, Araújo a fait part à Varela de son souhait de se rendre au Brésil pour parler de son expérience. Peu de temps après, les chercheurs du centre de céramiques ont organisé un symposium à Natal, dans l’état du Rio Grande do Norte – ville où est né Araújo et où il a passé ses dix-sept premières années, avant de partir aux États-Unis à la fin des années 1960 dans le cadre d’un programme d’échange étudiant. « C’est à partir de la rencontre au Portugal qu’est née l’idée de faire venir une usine de semi-conducteurs ferroélectriques au Brésil », raconte Longo. En plus de l’état de São Paulo, les états du Pernambuco et de Rio de Janeiro avaient posé leur candidature. Finalement c’est São Carlos qui a été choisi en raison des résultats obtenus par le groupe de Longo et de Varela après plusieurs années de recherche. Symetrix, qui possède des brevets au Japon, en Corée du Sud, en Europe et aux États-Unis, a établi au Brésil un partenariat commercial avec le groupe brésilien Emcalso-Damba, un conglomérat d’entreprises de construction lourde et de projets immobiliers existant depuis plus de 40 ans et intervenant dans plusieurs secteurs. D’après Longo, « le consortium international viabilise la production pour le marché interne et l’exportation ». L’entreprise d’Araújo possède trois secteurs : Symetrix Devices, pour le développement des systèmes et des mémoires ; Symetrix Systems, pour les cartes et les étiquettes intelligentes ; Symetrix Development, pour la recherche, le développement et l’innovation, ainsi que l’agrément des technologies de l’entreprise.

Projet allemand
Le Brésil importe chaque année près de 100 millions de dollars en puces, mais aucune d’entre elles avec une mémoire ferroélectrique. La participation brésilienne représente environ 2 % du marché mondial, soit l’équivalent de 52 millions de dollars. Les objectifs du consortium sont dans un premier temps de répondre à toute la demande du marché interne. La technologie de l’entreprise Symetrix est en compétition avec d’autres types de mémoire non-volatiles telle que la mémoire Flash, surtout utilisée dans des cartes de mémoires pour appareils photos, clés USB, lecteurs MP3 et téléphones portables. L’investissement initial pour l’installation de l’usine – qui débutera en 2009 pour s’achever en 2011 – est de 250 millions de dollars. Actuellement, les associés sont en train de structurer le plan d’affaires. « Vu que la taille de l’usine est déjà définie, une entreprise allemande a été engagée pour s’occuper du projet », signale Varela. La fabrication des puces à mémoire ferroélectrique demande un environnement très propre et des professionnels capables de déposer les films minces. « Nous avons un personnel qualifié en matière de dépôt chimique et de traitement thermique nécessaires pour la fabrication des puces ».

Les films minces peuvent être faits aussi bien par dépôt physique que chimique. La technologie brevetée par Symetrix pour le Japon et qui sera employée dans la production de São Carlos utilise un procédé chimique moins cher car il peut être utilisé sur de grands volumes de matériau. Varela explique que « la solution chimique est déposée goutte après goutte sur des galettes de silicium, le semi-conducteur à la base de la puce de mémoire. La taille du film dépend de la viscosité de la goutte ». Plusieurs types de films aux propriétés isolantes, ferroélectriques et conductrices, responsables de la fonctionnalité du dispositif, sont déposés sur les galettes de silicium, ou wafers. « Pour chaque type d’utilisation est créée une architecture sur mesure du matériau », observe Longo. La communication entre les matériaux composant la puce de mémoire est simultanée ». Et Longo de compléter : « Plus la conductivité du matériau est grande, plus la réponse est rapide ».

Le Projet Mémoires ferroélectriques Modalité Centres de Recherche, Innovation et Diffusion (Cepid) Coordonnateur Elson Longo – Centre Multidisciplinaire pour le Développement de Matériaux Céramiques Investissement 1 200 000, 00 réais par an pour tout le CMDMC (FAPESP)

Articles scientifiques
1. Costa, C.E.F. et alii. Influence of strontium concentration on the structural, morphological, and electrical properties of lead zirconate titanate thin films. Applied Physics A: Materials Science & Processing. v. 79, n. 3, pp. 593-597, août 2004.
2. Simões, A.Z. et alii. Electromechanical properties of calcium bismuth titanate films: A potential candidate for lead-free thin-film piezoelectrics. Applied Physics Letters (publication on-line). 17 fév. 2006.

Republier