Imprimir PDF Republish

PHYSIQUE

La danse des métaux

Observé pour la première fois à l’échelle la plus petite possible, un alliage d’or et d’argent révèle un comportement inattendu des atomes

Publié en janvier 2007

Science et art: des simulations montrent comment se forment et se brisent les liaisons entre atomes

FERNANDO SATOScience et art: des simulations montrent comment se forment et se brisent les liaisons entre atomesFERNANDO SATO

Étirée à ses extrémités, une très fine lame d’or et d’argent s’étend et devient plus mince au milieu, jusqu’à atteindre son rétrécissement maximum et se briser. Observée avec un microscope électronique, cette image en mouvement – qui fait penser au fromage fondu qui s’étire entre les dents et le croque monsieur – n’est en rien ordinaire. Elle montre ce qui se produit avec la lame au niveau des atomes, les unités qui composent la matière.Au fur et à mesure que la lame s’étend, les liens entre les atomes se brisent et d’autres se forment dans une danse sinueuse, jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un fil de l’épaisseur d’un seul atome. Cet alignement d’atomes fait penser à un collier de perles – un collier éphémère et minuscule, formé de trois atomes et qui ne dure que trois secondes.

Physicien expérimental de l’Université d’État de Campinas (Unicamp) et du Laboratoire National de Lumière Synchrotron (LNLS) de Campinas, Daniel Ugarte est l’une des rares personnes à avoir eu le privilège d’observer un phénomène aussi exceptionnel et rapide. Sa collaboration avec le groupe de physiciens théoriques dirigé par Douglas Galvão – également de l’Unicamp – est à l’origine de grandes avancées dans l’étude du comportement des métaux à l’échelle nanométrique, au millionième de millimètre. Ce n’est qu’après avoir saisi le fonctionnement des matériaux à cette échelle qu’il sera possible de les utiliser à des fins technologiques.

Ugarte et Galvão savaient déjà que l’or et l’argent à l’état pur se comportaient de manière distincte juste avant de se rompre.Tous deux peuvent former un fil de l’épaisseur d’un atome – ou des chaînes atomiques suspendues – lorsqu’ils sont étirés dans des directions différentes et spécifiques pour chaque métal. Dernièrement, Galvão et l’étudiant de doctorat Fernando Sato ont, avec Pablo Coura et Sócrates Dantas de l’Université Fédérale de Juiz de Fora, exploré de nouvelles frontières en simulant sur ordinateur le comportement d’alliages d’or et d’argent – avec des proportions différentes pour chacun des métaux. En observant les résultats, Ugarte a remarqué quelque chose de curieux: dans plusieurs cas, l’alliage se comportait comme l’or pur.L’équipe de théoriciens décida alors d’analyser à nouveau les animations et constata que les atomes d’or migraient vers la région de plus en plus fine du métal étiré au lieu d’être éparpillées de manière homogène sur la feuille métallique. En conséquence, la chaîne atomique suspendue ne contient quasiment que de l’or pur. D’après Ugarte,“ce n’est que lorsqu’il constitue au moins 80 % de l’alliage que l’argent commence à exprimer ses propriétés”. Le physicien et ses collègues ont relaté ces résultats inattendus dans le numéro de décembre de la revue scientifique Nature Nanotechnology.

Théorie et pratique
La collaboration entre Ugarte et Galvão a débuté en 2001, donnant lieu à une rare conjugaison d’esprits théoriques et expérimentaux. Elle a également permis d’associer des outils pour une investigation complète, tels que les simulateurs informatiques, la microscopie, la cristallographie et la mesure du transport du courant électrique. Chacune de ces techniques peut analyser un aspect différent de ces structures infinitésimales: le microscope montre les atomes en mouvement, mais il ne distingue pas clairement ceux de l’or et ceux de l’argent ; la cristallographie décrit la configuration spatiale des atomes, mais elle ne donne pas d’informations sur les propriétés du transport électrique du matériau. Ainsi, c’est la concordance entre les résultats obtenus par les domaines et les instruments différents qui donne du poids aux découvertes et dévoile ce qu’un regard isolé ne parviendrait pas à distinguer.

Vu que les alliages métalliques ne se comportent pas comme des métaux purs, l’étude des amalgames apporte des nouveautés qui, dans le futur, transformeront l’électronique à l’échelle moléculaire en réalité. Le défi majeur de la production d’alliages est posé par les propriétés atomiques des matériaux. Si elles sont trop différentes, elles empêchent un emboîtement harmonieux entre les atomes. Selon Sato, la bonne relation entre des métaux dépend de la distance entre deux atomes dans le métal pur, spécifique pour chaque élément. Comme les atomes de l’or et ceux de l’argent s’organisent selon des distances similaires, l’alliage qui unit ces deux métaux est stable et plus facile à créer ; et dans certaines proportions – comme trois atomes d’or pour un d’argent –, il peut même exister spontanément dans la nature.

Dans leurs travaux de simulations, Galvão et Sato ont fait une autre observation inattendue au niveau de la structure. Si l’alliage contient moins de 10 % d’or, les atomes d’argent s’organisent en pentagones autour de ceux en or, formant un fil d’or recouvert d’argent qui fonctionnerait comme un fil électronique ordinaire, à une échelle plusieurs millions de fois inférieure.Meilleur conducteur d’électricité que le cuivre des fils ordinaires, l’or est utilisé sur des fils lorsqu’un transport électrique de haute qualité est requis. Dans la mesure où il est plus résistant pour le transport d’électrons, l’argent fonctionnerait comme un isolant dans la structure découverte par les physiciens théoriciens. Pour l’instant, cette structure n’est que théorique ; elle a été perçue à travers les simulations sur ordinateur mais pas encore dans la réalité, toutefois Galvão se montre optimiste: “Vu que jusqu’à présent les résultats expérimentaux confirment les suppositions théoriques, les chances d’avoir une structure en pentagones dans la réalité sont de 95 %”. Si la découverte est confirmée, elle constituera une avancée importante pour l’électronique moléculaire.

Des expérimentations sur le comportement des composants atomiques d’alliages métalliques avaient déjà été réalisées auparavant, mais Jefferson Bettini du LNLS est l’un des premiers à l’avoir observé au microscope en temps réel.D’autre part, les expérimentations ont été faites à température ambiante, une condition rendue possible au cours des dix dernières années grâce à l’appareil conçu par l’étudiant de 3e cycle Varlei Rodrigues. Par ultra-haut vide, l’appareil crée des conditions ultrapropres dans l’environnement où se produisent les ruptures sur les plaques très fines de métal. Le vide est important car l’environnement doit être parfaitement propre, vu que n’importe quel atome intrus peut altérer la composition du matériau étudié. En général, ce degré de propreté est atteint quand sont réalisées des expérimentations à des températures de moins 260 et moins 270º C – et qui, selon Ugarte, ne donnent pas de résultats satisfaisants parce que la température affecte également les propriétés du métal.“À des températures si basses, les matériaux paraissent tous égaux”, ajoute Ugarte.Les vidéos qui enregistrent la rupture du métal à température ambiante et dans du nitrogène liquide montrent que le métal froid ne refait pas ses liaisons de façon aussi dynamique qu’à température ambiante. Dans ces conditions, le processus est plus lent, moins fluide et moins représentatif du quotidien.Ugarte souligne:“ Si un téléphone portable est composé de nanofils, il devra fonctionner à température ambiante”.

Le cas des nanofils métalliques montre bien que la nanoscience est encore en phase d’exploration. De fait, la migration des atomes d’or pur vers le point de rupture et les structures en pentagones qui protègent le fil d’or sont des réactions tout à fait inattendues. De plus, Ugarte observe qu’“à l’échelle atomique les objets sont collants”. Un nanofil est très difficile à manipuler parce qu’il est spontanément attiré par le substrat sur lequel il s’appuie, telle une force de gravité exacerbée.Mais la doctorante Denise Nakabayashi a développé un appareil qui permet de manipuler des fils d’1 micron (un millième de millimètre).

La plus grande partie des applications de la nanotechnologie reste à venir. D’après Galvão, 80 % de ce qui est fait dans ce domaine en est au stade de la compréhension du fonctionnement des métaux à l’échelle nanométrique, et pas encore à celui des applications pratiques. Il estime que dix à quinze années sont nécessaires pour que la nanotechnologie fasse partie du quotidien.Et même si les chaînes atomiques suspendues ne durent normalement que quelques secondes, il présume que construire des nanofils stables ne sera pas un problème: il suffit pour cela d’utiliser un autre matériau comme support. La difficulté est de construire des fils à la composition connue, de manière efficace et contrôlée. Une des possibilités est d’utiliser des molécules synthétiques telles que la Lander, construite en 2002 par des chercheurs danois et français et qui s’appelle ainsi de par sa ressemblance à un module d’exploration lunaire.

Molécules dans le détail: l’ordinateur montre ce qui échappe au microscope

FERNANDO SATOMolécules dans le détail:
l’ordinateur montre ce qui
échappe au microscopeFERNANDO SATO

Elle est composée d’atomes de carbone d’hydrogène – un axe long avec des projections latérales qui fonctionnent comme des pattes. Dans un article publié en 2004 dans la revue Nature Materials, Galvão et Sato ont expliqué par l’intermédiaire de simulations comment la molécule Lander se déplace entre des atomes détachés et laisse derrière elle de petits fragments de nanofils de cuivre. Pour construire d’autres nanomatériaux, des molécules sur mesure peuvent être d’une grande utilité. Toutefois, Galvão souligne qu’une grande partie de ce type de découverte est due au hasard: “La chance favorise, mais le regard doit être prêt à voir”.

Lorsque, et si, les obstacles techniques et en matière de connaissance seront franchis, les nanocircuits pourront changer considérablement l’électronique. Non seulement grâce à leur taille, qui permettra de fabriquer des appareils plus petits, mais aussi grâce à leurs propriétés. À l’échelle nanométrique, la conduction de l’électricité ne suit pas les mêmes règles du monde microscopique. L’énergie qui traverse les nanofils vient par intermittence, elle n’est pas continue comme dans les prises électriques d’une maison. Cependant la transmission est efficace, même si elle n’est pas constante; et selon Galvão elle ne dissipe pas d’énergie, ce qui signifierait que les circuits électriques ne produisent pas de chaleur.

Bien que l’on sache encore assez peu de choses sur le comportement atomique des matériaux, la connaissance jusque- là acquise, alliée à l’imagination humaine, ont déjà permis de créer une grande quantité de produits qui font la joie des férus de technologie. Le site Internet du Projet sur les Nanotechnologies Émergentes (www.nanotechproject. org) fournit une liste de plus de 300 de ces produits, qui vont des nanotubes de carbone pour des écrans plats d’ordinateurs jusqu’aux nanoparticules d’argent qui combattent les bactéries et la moisissure sur les emballages alimentaires.

La haute technologie nécessaire pour étudier des atomes est chère, raison pour laquelle les projets d’Ugarte ont des budgets astronomiques – un microscope électronique peut coûter entre 3 et 7 millions de réaux. Ces travaux exigent des installations spéciales qui ont nécessité la construction d’un nouveau bâtiment – dont la construction est coordonnée par le physicien du LNLS.Mais Ugarte estime que ce sont les ressources humaines qui limitent la progression de la nanoscience expérimentale, et non les ressources financières. Il est fréquent que les années du 3e cycle soient utilisées par les étudiants pour construire ou apprendre à utiliser un équipement, qui sera finalement mis en application lors du doctorat, à l’exemple de Varlei Rodrigues et de Denise Nakabayashi.

“On n’arrive pas à trouver des personnes qui aiment bricoler ; il est nécessaire de comprendre, penser, être patient, se tromper dans les mesures. Les étudiants sont habitués à trouver des réponses immédiates sur Internet”, observe Ugarte, qui tente de changer cette habitude. Ce qu’il inculque à ses étudiants, il l’applique aussi à la maison avec ses enfants.Pedro, 6 ans et Maia, 4 ans, font des pâtes maison, dévalent des pentes sur une carriole à roulements fabriquée artisanalement et ont déjà construit un télescope avec leur père.

LES PROJETS Étude théorique multi-échelle de nanostructures pures et hybrides MODALITÉ Projet Thématique COORDONNATRICE MARÍLIA J. CALDAS – USP INVESTISSEMENT 85 268,00 dollars US et 181 110,54 réaux (FAPESP) Microscope électronique de transmission analytique pour la nanocaractérisation spectroscopique de matériaux MODALITÉ Ligne Régulière d’Aide à la Recherche COORDONNATEUR DANIEL UGARTE – LNLS INVESTISSEMENT 2 500 000,00 dollars US (FAPESP)

Republier