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BIOLOGIE CELLULAIRE

Scènes d’un parasite

Un biomédecin brésilien découvre à Paris comment se propage le protozoaire de la malaria dans le corps

Publié en février 2006

Comme un tire-bouchon: le Plasmodium se déplace en cercle sur une lame en verre et perfore la peau de rats

ROGERIO AMINO/ UNIFESPComme un tire-bouchon: le Plasmodium se déplace en cercle sur une lame en verre et perfore la peau de ratsROGERIO AMINO/ UNIFESP

Lorsque la femelle du moustique anophèle entreprend sa recherche assoiffée de sang, les troubles occasionnés peuvent aller au-delà de la douleur et de la démangeaison. Très souvent, elle laisse sur le corps de ses victimes quelques dizaines d’exemplaires du parasite responsable de la malaria. La malaria est l’une des maladies infectieuses les plus communes dans le monde, avec près de 300 millions de cas par an et un million de morts. Connue de l’humanité depuis longtemps – le Grec Hippocrate, considéré comme le père de la médecine, l’a décrite il y a environ 2500 ans –, la malaria a commencé à être mieux comprise à la fin du XIXe siècle, avec le chirurgien français Charles Luis Alphonse Laveran qui a identifié le microorganisme responsable, à savoir les protozoaires du genre Plasmodium. Plus d’un siècle après cette découverte qui a donné le Prix Nobel de Physiologie à Laveran en 1907, des expérimentations réalisées à l’Institut Pasteur de Paris par le biomédecin brésilien Rogerio Amino et le parasitologue allemand Friedrich Frischnknecht ont révélé des détails sur le comportement de ce parasite, susceptibles de réorienter le développement de vaccins contre la malaria.

Invité par Frischknecht à suivre un post-doctorat de deux ans à l’Unité de Biologie et Génétique de la Malaria de l’Institut Pasteur – dirigée par Robert Ménard –, Amino décida de vérifier la manière dont le Plasmodium infectait les organismes vivants. Depuis Laveran, on sait que le parasite est injecté dans le corps des mammifères au moment de la piqûre de l’insecte.Par contre, on n’a jamais observé le trajet du protozoaire jusqu’aux cellules du foie, où il se loge et se multiplie rapidement avant d’envahir les globules rouges du sang. Amino et le parasitologue allemand contaminèrent plusieurs exemplaires du moustique Anopheles stephensi, l’agent responsable de la transmission de la malaria humaine en Asie, avec le protozoaire Plasmodium berghei généti- quement modifié pour produire une protéine verte fluorescente. Puis ils laissèrent les insectes piquer les oreilles de rats et de souris anesthésiés.Avec l’aide d’un microscope confocal à balayage laser, qui permet d’observer des structures sous la peau sur des êtres vivants et de reconstruire les images en trois dimensions, ils purent suivre pas à pas ce qui se passait.

D’emblée apparurent des informations nouvelles.Au moment de la piqûre, l’insecte n’injecte pas les exemplaires du protozoaire à l’intérieur des vaisseaux sanguins, comme on supposait jusqu’alors.La majorité des moustiques lance de 10 à 20 parasites mélangés à la salive sur une couche plus profonde de la peau – à 50 millièmes de millimètres de la superficie, près de la zone où naissent les poils. Selon Amino, également professeur à l’Université Fédérale de São Paulo (Unifesp),“ce résultat a confirmé un soupçon ancien”.

Avant de faire des recherches sur la malaria, Amino étudiait la transmission d’un autre protozoaire – le Trypanosoma cruzi, en cause dans la maladie de Chagas, transmise par l’insecte hématophage communément appelé “barbeiro”. Il savait que la salive était inoculée dans la peau, et pas directement dans les vaisseaux sanguins. Comme elle contient des composés pharmacologiquement actifs, la salive du barbeiro faciliterait l’accès de l’insecte au sang. Si cela se passait ainsi avec le barbeiro, Amino imagina qu’il pouvait en être de même avec l’anophèle.

Néanmoins, le plus important se produisit par la suite. L’étude publiée le 22 janvier dans l’édition online de Nature Medicine montra qu’il y avait encore, sept heures après que l’insecte se soit nourri sur les oreilles des rongeurs, des protozoaires à l’endroit de la piqûre. Près de la moitié des parasites ne se déplace pas et meurt là où ils ont été déposés. Le reste peut prendre deux chemins, avec des destinations très diverses. Sur 10 exemplaires du Plasmodium, sept se déplacent en effectuant des mouvements qui rappellent ceux du tire-bouchon; ils perforent les cellules qui se trouvent sur leur passage, à une vitesse d’1 micromètre par seconde. Cela semble insignifiant, pourtant c’est assez pour atteindre le courant sanguin quelques minutes après la piqûre.

Entre la vie et la mort
Une fois dans le sang, chaque parasite – qui était jusqu’à présent au stade de sporozoïte, avec une forme allongée à l’image d’une banane – peut envahir le foie. Là, il se reproduit rapidement et génère 30 000 copies du protozoaire. Désormais sous forme de poire, c’est-à-dire mézoroïte, le parasite quitte le foie et revient dans le sang, où il infecte les globules rouges. Une autre étape de multiplication se met en place, qui s’achève par l’explosion des globules rouges et des fièvres pouvant atteindre 40°C. Toute personne infectée se retrouve alors au lit, claquant des dents et victime d’anémie.

Les autres copies du Plasmodium qui s’échappent du local de la piqûre suivent un itinéraire suicide inouï: elles traversent les cellules de la peau jusqu’à atteindre les vaisseaux lymphatiques.Proches des vaisseaux sanguins, les vaisseaux lymphatiques ne transportent pas le sang mais la lymphe, un liquide blanchâtre riche en graisses, protéines et cellules de défense de l’organisme. Menés par la lymphe jusqu’aux noeuds lymphatiques, de petits ganglions avec une grande concentration de cellules de défense appelées lymphocytes, ces protozoaires rencontrent leur destination finale. Presque tous sont détruits dans les quatre heures qui suivent. Quelques exemplaires survivent jusqu’à 24 heures et mûrissent, prenant la forme similaire à celle qu’ils ont dans le foie, avant de mourir. D’après Amino, “cette découverte est importante parce que c’est dans le système lymphatique qu’est produite la réponse immunologique de l’organisme”. Pour Victor et Ruth Nussenzweig, un couple de chercheurs brésiliens qui travaille sur le développement d’un vaccin contre la malaria à l’Université de New York (États-Unis), “à chaque fois qu’on progresse en biologie, une application finit tôt ou tard par apparaître”.

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