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OPTIQUE

En syntonie avec la lumière

Des physiciens utilisent un laser pour synchroniser des oscillateurs microscopiques qui fonctionnent comme les balanciers des pendules

Publié en Février 2013

ANA PAULA CAMPOSEn accrochant côte à côte sur une même planche de bois deux pendules, le célèbre scientifique hollandais Christiaan Huygens a découvert, en 1665, qu’elles avaient rapidement tendance à émettre leur tic tac à l’unisson, même si au départ leurs balanciers n’étaient pas synchronisés. L’expérience impressionne encore de nos jours (faites une recherche avec le mot synchronization sur YouTube pour voir différentes démonstration curieuses du phénomène), bien qu’il n’y ait plus aucun mystère sur le pourquoi de la synchronisation spontanée des horloges. De nos jours, les physiciens savent parfaitement comment les horloges interagissent au moyen des vibrations mécaniques échangées à travers la planche, forçant les deux à osciller de la même manière.

L’expérience de Huygens vient d’être reproduite dans le monde microscopique pratiquement 350 ans après, en utilisant au lieu des pendules deux oscillateurs taillés dans une micropuce de silice. Chaque oscillateur mesure 40 millièmes de millimètre de diamètre ou 40 mille nanomètres. Ils sont si petits et si flexibles qu’ils vibrent balancés par la force de la lumière ténue d’un laser d’une puissance mille fois inférieure à celle d’un pointeur laser commun. Mais il y a plus incroyable encore car la propre lumière échangée entre les oscillateurs joue le rôle de la planche en bois en synchronisant leurs vibrations.

Cette prouesse technique est due au travail d’une équipe de chercheurs de l’Université Cornell, aux États-Unis, dirigée par la physicienne étasunienne Michal Lipson, avec la collaboration du brésilien Gustavo Wiederhecker, qui depuis 2011 est professeur à l’Institut de Physique de l’Université Publique de Campinas (Unicamp). D’autres groupes avaient déjà fabriqués des micro-oscillateurs synchronisés par de petites connexions mécaniques. «Nous avons été les premiers à montrer qu’il est possible de provoquer un synchronisme en utilisant seulement de la lumière», dit Gustavo Wiederhecker. «Nous avions une idée nous poussant à croire que cela pouvait être fait mais nous n’étions pas certains que cela soit possible».

Plus qu’une curiosité, la démonstration présentée dans l’article de couverture de la revue Physical Review Letters du 05 décembre dernier, suggère que les micro-oscillateurs opto-mécaniques pourraient devenir la base d’une nouvelle technologie portable de haute précision pour marquer le temps, nécessaire pour que les ordinateurs, les téléphones mobiles et les systèmes de navigation fonctionnent correctement.

Ces dispositifs portables utilisent en général comme horloge interne la vibration régulière de petits cristaux de quartz actionnés et synchronisés par des signaux électriques. Leur précision est bonne mais l’industrie microélectronique est toujours à la recherche d’alternatives car les cristaux ont besoin d’être fabriqué séparément des micropuces de silice pour y être ensuite soudés, augmentant ainsi le coût de production. Par contre, les micro-oscillateurs développés par l’équipe de Michal Lipson, fait de nitrure de silicium, pourraient être manufacturés avec tout le reste de la structure interne des micropuces, sans coût supplémentaire. «N’importe quelle fabrique au monde serait capable d’exécuter ce projet», affirme Gustavo Wiederhecker.

La recherche a commencé en 2008, quand, intéressé par le fait de savoir comment la lumière pourrait être utilisée pour actionner des parties d’un mécanisme microscopique dans une puce de silicium, il a initié son post-doctorat à Cornell, sous la supervision de Lipson. Le physicien brésilien signait déjà en 2009, en tant que premier auteur, un article dans la revue Nature, montrant pour la première fois qu’il était possible de fabriquer une microstructure qui pourrait vibrer régulièrement actionnée par la force de la lumière d’une longueur d’onde spécifique. En 2011, l’équipe a déposé le brevet d’un filtre basé sur ce dispositif, capable de sélectionner des signaux lumineux de télécommunication envoyés par des fibres optiques de différentes longueurs d’onde.

Pulsars à l’unisson
Dans un travail plus récent, les chercheurs ont fabriqué des doubles oscillateurs. Chaque oscillateur est formé de disques superposés séparés par 0,2 millionième de millimètre ou 200 nanomètres (voir infographie à gauche). Les disques vibrent quand un faisceau laser d’intensité constante envoie de manière continue une lumière avec une longueur d’onde appropriée pour entrer dans l’espace situé entre les disques. Quand ce phénomène se produit, les particules de lumière circulent autour du bord des disques et exercent une pression contre leurs parois pour les faire s’éloigner. Quand l’espace augmente entre les disques, la lumière s’échappe et les bords du disque reprennent leur position originale, plus de lumière émise par le laser entre dans l’espace et le cycle recommence. Le résultat obtenu est une paire de disques oscillant avec une fréquence constante qui émet une lumière qui pulse à la même fréquence.

Les physiciens ont découvert qu’en plaçant côte à côte deux de ces oscillateurs, ils pourraient dans certaines conditions interagir au moyen de ces pulsations de lumière. Avec une fréquence de vibration correcte, la lumière clignotante émise par un oscillateur peut finir par entrer dans l’espace situé entre les disques de l’oscillateur voisin. «Ce clignotement de lumière force la paire de disques de droite à vibrer à la même fréquence que la paire de disques de gauche, et vice-versa», explique Gustavo Wiederhecker. «Parfois, elles entrent en accord et vibrent en synchronie, dans une même fréquence intermédiaire».

Gustavo Wiederhecker a construit la première version de la paire de micro-oscillateurs en 2010. Le physicien Mian Zhang, du groupe de Michal Lipson, a ensuite développé un procédé para enclencher ou couper l’interaction entre les oscillateurs, également par faisceau laser. Pour Paulo Nussenzveig, spécialiste en optique quantique de l’Université de São Paulo, l’avantage de la synchronisation par la lumière est qu’elle permettrait une interaction dans un réseau de micro-oscillateurs aussi éloigné les uns des autres qu’on le souhaite, au moyen de fibres optiques. «J’apprécie énormément la qualité et la créativité de ce travail», dit-il.

Avec un projet Jeune Chercheur de la FAPESP récemment approuvé, Gustavo Wiederhecker espère que son laboratoire à l’Unicamp aura les conditions, d’ici un an, de réaliser ces expériences ainsi que d’autres avec des dispositifs opto-mécaniques. Gustavo Wiederhecker et le physicien Thiago Alegre, son collègue à l’Unicamp, veulent principalement savoir ce qui se passe quand les oscillateurs sont refroidis à des températures proches du zéro absolu (- 273,15 degrés Celsius) et quand leur dynamique est régie par les lois bizarres de la mécanique quantique. «Que signifie synchroniser des objets dans le monde quantique ?», s’interroge Gustavo Wiederhecker. «C’est un phénomène que nous commençons juste à explorer».

Article Scientifique
ZHANG, M. et al. Synchronization of micromechanical oscillators using light. Physical Review Letters. v. 109, p. 233.906-10. 5 dez. 2012.

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