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Anthropologie

Au nom de Dieu

Une étude rétablit la véritable relation existante entre les missionnaires et les indigènes

2079_BRABRÉSIL - PANNEAU DE PORTINARI - MAQUETE POUR PEINTURE MURALE RÉALISÉE À RIO DE JANEIRO (1935 - 1961) IMAGES CÉDÉES PAR LE PROJET PORTINARI

Ils s’assoient sur le trône de Saint Pierre mais leurs préoccupations sont celles de Paul, premier “missionnaire” s’étant rendu auprès des “païens” pour transmettre le message chrétien. Ainsi de manière symptomatique, les missionnaires ont fait partie des dernières préoccupations de Jean Paul II et ont été le premier souci du nouveau pape. “Les missionnaires représentent le partage du pain dans la vie du monde, leurs actions font résonner les mots du rédempteur et ils ne doutent jamais quand ils donnent vie à l’Evangile”, déclarait Jean Paul II dans un document posthume révélé récemment par le Vatican. “Nous devons être des missionnaires animés par un souci légitime de transmettre à tous le don de la foi. L’amour de Dieu nous a été donné pour qu’il soit transmis aux autres. Nous recevons la foi pour la donner aux autres”, déclarait Benoît XVI lors de sa première homélie devant les cardinaux, un jour après son élection. Loin des subtilités théologiques, les missionnaires influencent même la société laïque. C’est ainsi qu’en raison de disputes foncières, une religieuse nord-américaine a été assassinée en Amazonie.

L’action missionnaire est un problème complexe, tout particulièrement celle initiée au XVIe siècle par les jésuites auprès des natifs dans l’Amérique portugaise récemment découverte, et qui continue encore à soucier l’Église. “Jean Paul II s’est efforcé d’être un grand missionnaire”, déclare Paula Montero, coordinatrice du projet thématique Missionnaires chrétiens en Amazonie brésilienne : une étude de médiation culturelle, soutenu par la FAPESP. Mais malgré le travail symbolique du Vatican depuis les années 70, l’intervention missionnaire auprès des peuples indigènes est vue de manière manichéenne, tel un choc culturel entre vainqueurs et vaincus (ou acculturés). Selon le chercheur, “cette rencontre n’a pas été que dévastatrice, car elle a favorisé l’établissement de relations entre cultures. “La grande question qui se pose aujourd’hui est de comprendre le processus subtil par lequel les différences, condamnées à disparaître en fonction de la mondialisation, sont recréées et réinventées. Ce qui nous intéresse surtout dans notre recherche c’est de comprendre le processus dynamique de réélaboration culturelle par l’entremise d’un acteur social particulier qui est le missionnaire chrétien”, déclare Marco Rufino, membre de l’équipe du projet, dont les résultats seront publiés dans un livre édité par la Maison d’édition Globo.

“Ainsi le point central de la réflexion se déplace, car du point de vue des sociétés indigènes et pour se situer dans les espaces de production des relations interactives, il s’agit de comprendre comment deux (ou plusieurs) points de vue interagissent pour produire des significations partagées à des niveaux chaque fois plus généralisants”, explique la coordinatrice. “Un motif de plus pour parler de l’histoire des missions, comme histoire emblématique de la structure pluriculturelle de la modernité. En effet les missions présentent la première ethnographie de l’altérité dont la valeur historique transcende la dimension religieuse et elles représentent également une archéologie de toutes les sciences humaines qui, à travers les chocs entre différentes civilisations, continuent de narrer le chemin des hommes et le ‘sens’ qu’ils s’efforcent de donner à leurs vies ”, déclare Nicola Gasbarro, membre de l’équipe, qui ajoute: “de droit et de fait, ils sont les premiers anthropologues de la modernité”.

3151_ CATCATEQUESE - PEINTURE À HUILE DE PORTINARI (1941), COLLECTION PRIVÉEMalgré les idées reçues, le mouvement missionnaire qui s’est beaucoup modifié tout au long de l’histoire n’était pas uniquement un prolongement de l’État colonisateur (bien que leurs intérêts puissent parfois se rejoindre). Il était doté de volonté propre provenant d’un désir d’universalité du christianisme comme “véritable culte du véritable Dieu”. Dans ce mouvement l’Église est structurellement missionnaire, note Gasbarro. “Les missions sont une pratique d’évangélisation qui permet de passer de l’universalité potentielle à l’universalité actuelle et historique.” La base de cet édifice est le concept de salvation, organisateur des différences en réunissant la pluralité sous sa “grandeur spirituelle”. Tous, même les indiens, sont des hommes et ont besoin d’être sauvés. “Le grand projet missionnaire de la Contre réforme naît d’une urgence culturelle, car l’Occident essaye de comprendre les autres cultures en termes de ‘civilisation’ et de ‘religion’ qui sont les structures fondamentales de la vie sociale ”, déclare le chercheur. La religion devient constructrice du réel.

La découverte des peuples du Nouveau monde a été une grande chance pour que l’Église puisse mettre en pratique son nouveau concept de “ salvation” universelle. Cependant, de la théorie à la pratique, un immense fossé séparait les jésuites des natifs. Le modèle monothéiste chrétien existait en opposition à l’ancien paganisme classique. Le Dieu unique avait besoin de rivaux pour pouvoir exhiber son plus grand pouvoir. Le problème est que la religiosité des indiens était différente, car ils ne croyaient effectivement pas aux grandes forces supérieures. Ce fut le début d’une longue et peineuse “traduction” de la religion et d’un échange difficile entre les deux cultures, car avant d’enseigner le catéchisme il a fallu traduire la grammaire des natifs. En même temps, il fallait transformer l’indien en “civil” pour qu’il puisse recevoir le don spirituel. “Avant de convertir les indiens, l’idée était donc de les transformer en ‘hommes’ (ou civils) pour qu’ils deviennent ensuite chrétiens. C’est cette idée qui accompagne tout le processus d’évangélisation du Brésil colonial”, déclare Cristina Pompa, également membre de ce projet. Ainsi, on ne peut plus donc parler de cette rencontre entre missionnaires et indigènes comme d’un choc entre deux blocs monolithiques, l’un imposant ses schémas culturels et religieux et l’autre les absorbant en étant détruit (ou acculturé) ou en résistant accroché à son immuable tradition”, ajoute l’auteur.

Cela signifie la création d’un consensus négocié. “Il y a également un calcul de l’indien dans ses relations avec le missionnaire, et on ne peut pas simplement parler de fusion de cultures mais d’un ensemble de relations qui s’accordent autour d’intérêts communs et qui finissent par produire des relations interculturelles ”, explique Paula Montero. Tupã devient l’équivalent du Dieu monothéiste chrétien, la Vierge se transforme en Tupansy et les pajés (chaman) deviennent les diables. “L’imaginaire européen a construit l’altérité à partir d’une révision et d’une nouvelle articulation de certaines catégories religieuses comme la foi, la prophétie, la sphère démoniaque. C’est sur cela que s’est construit le projet missionnaire. Parallèlement, l’indigène faisait sa propre lecture de l’altérité colonisatrice et missionnaire, essayant de l’absorber et de la modeler selon ses propres catégories comme le symbolisme mythique rituel”, déclare Cristina. Depuis le début donc, on n’observait pas de polarités irréductibles, mais un jeu, une “traduction”, à la recherche d’un niveau commun, d’une dimension de transit symbolique qui a trouvé dans le “religieux” son langage de médiation.

Sans nier les traitements cruels infligés aux natifs, cette étude révèle que même “l’adhésion à l’utilisation de symboles chrétiens traduit la dynamique historique par laquelle les indigènes recherchaient des instruments d’affirmation politique dans le monde colonial, construisant un univers symbolique partagé par les autres acteurs sociaux et reconstruisant avec ces derniers une nouvelle hiérarchie de relations sociales et de pouvoir. Mais de nouveaux temps sont apparus et une nouvelle Église réclamait un nouveau missionnaire. À partir du XIXe siècle le processus s’inverse. La civilisation devient alors le nouveau code généralisateur du monde à l’instar de la “salvation”. “Durant le XXe siècle, une nouvelle notion de culture va se renforcer, réifiée par les luttes politiques des XIXe et XXe siècle comme un ensemble de traits héréditaires particuliers ”, déclare Paula. Après les années 70, les missionnaires sont devenus des agents culturalistes. “Le domaine religieux vu comme domaine légitime de la traduction a été relativement neutralisé et la culture native comprise comme rite, cérémonie et traditions, était déjà perçue par ces acteurs. Le domaine de la traduction peut ainsi abandonner la grammaire du religieux et adopter le domaine de la ‘culture’ (de l’identité ethnique ou ethnicité) comme langage de négociation ”, déclare la coordinatrice.

3767_CATPEINTURE MURALE CATEQUESE, DE PORTINARI - 1941 FAITE À WASHINGTON“Après les années 70, le code de salvation des missionnaires se déplace du spirituel (l’âme qui doit être convertie) vers le culturel (la tradition à sauvegarder), sans perdre sa capacité organisatrice de sens.” Ce renversement se renforce dans les années 60 avec le Concile Vatican II qui essaye d’incorporer de nombreux archevêques non européens à une institution européanisante. L’Église assume le concept anthropologique de culture dans son vocabulaire. Dans un premier temps d’une manière extrême dans les années 70, en particulier par les idéologues de la Théologie de la Libération qui “ réunissent symboliquement les groupes indigènes du continent aux ouvriers de l’industrie, aux paysans et aux agriculteurs sans terres, aux noirs victimes de préjugés, aux marginalisés des centres urbains et tout ceux faisant partie du vaste monde des exclus”déclare Rufino

Le modèle religieux de conversion a décliné et la nouvelle idée pour convertir l’indien est de le soutenir dans ses luttes politiques. Le missionnaire est maintenant le converti, pour des questions de survivance de l’indien”, note Paula. Le pontificat de Jean Paul II a marqué un point d’inflexion dans ce mouvement “correctif” de réunion de foi et de pratiques. En critique sévère (aux côtés du cardinal Ratzinger), Jean Paul II a défendu un nouvel idéal missionnaire sous la forme d’une “inculturation”, une plongée non pas dans les problèmes sociaux mais dans l’altérité. Le missionnaire est réinventé et l’Église prétend être absorbée dans les nombreuses diversités. “Jean Paul II a placé la question culturelle au coeur de son pontificat, d’où l’importance de ses voyages qui ont permis à l’Église de s’immerger dans les différences afin d’essayer de rencontrer un dénominateur commun. Ses pérégrinations sont devenues un élément d’unification des diversités”, déclare le chercheur. De cette manière, Jean Paul II a véritablement été un grand missionnaire.

Spirale
De nos jours, le dilemme du religieux est de renverser le passé, dans une curieuse et inusitée spirale du temps. Pour que l’indien puisse être sauvé il faut qu’il récupère ses traits qui lui rendront son altérité d’indien. Ainsi, les nouveaux missionnaires cheminent dans le sens inverse de leurs prédécesseurs qui ont apporté la civilisation aux indiens. Maintenant il faut à nouveau leur apprendre ce qu’est d’être indigène. C’est le nouveau discours du moment. Mais le reflux du catholicisme a favorisé l’entrée en scène de nouvelles religions (protestants, église universelle, baptistes, Assemblée de Dieu etc.) qui ont également décidé de “s’occuper” de l’indien. Ce sont ce que l’on appelle les “missions transculturelles”, qui, selon Ronaldo de Almeida, “annoncent l’Évangile aux cultures en remodelant leur valeurs, leurs rituels et leurs comportements selon les paramètres de la religion évangélique fondamentaliste”. Ces nouvelles religions interventionnistes finissent par se rapprocher du modèle jésuite colonial et, à l’inverse de l’inculturation catholique, ne soutiennent pas les luttes politiques des indigènes et ne s’intéressent qu’à l’aspect religieux en lui-même.

3015_CATÉTUDE POUR PEINTURE MURALE CATEQUESE, DE PORTINARI - 1941 FAITE À WASHINGTON“De nombreux missionnaires tendent à se transformer en assistants sociaux, en employés d’organisations humanitaires, et même peut-être en apôtres de révolutions politiques. Ils ne parlent pas de l’Évangile comme de l’annonce d’une espérance de vie éternelle, ni du besoin du baptême pour participer à cette promesse. Nous n’encourageons plus les conversions au christianisme, inversant ainsi le rôle du missionnaire” déclarait Joseph Ratzinger quand il était encore Cardinal. “Je pense que l’arrivée de Benoît XVI coïncide avec la fin du cycle des possibilités offertes par le Concile Vatican II. C’est un théologien et il a déjà annoncé qu’il n’avait pas l’intention de courir le monde comme l’ancien pape. Le développement de la question culturelle est toujours à l’ordre du jour du nouveau pontife mais uniquement sur le plan de la réflexion, de la doctrine et non du rituel comme Jean-paul II qui est allé à la rencontre des autres cultures”, déclare Paula. Le pape est disposé à s’ouvrir à l’autre mais il déclare qu’il “recherche une universalité éthique de la condition humaine allant au-delà des diversités culturelles ”. Rien ne laisse présager le contraire de la part d’un homme qui dans Dominus Iesus, document écrit par lui-même en 2000 alors qu’il était Chef de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, niait le fait que les autres religions du monde, non chrétiennes, puissent offrir la salvation. “Convertir les peuples au catholicisme est un devoir urgent ”, proclamait-il alors.

Le projet
Missionnaires chrétiens en Amazonie brésilienne; Modalité Projet thématique; Coordinatrice Paula Montero – Département D’Anthropologie de l’USP; Investissement 274.968,00 réaux

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