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Nouveaux matériaux

Des fibres pour tous les usages

Les feuilles séchées de curauá possèdent de nombreuses utilités comme la fabrication de pièces automobiles, de vêtements et de remèdes

La transformation des fibres du curauá: de cordes à des tissus sophistiquées

miguel boyayan La transformation des fibres du curauá: de cordes à des tissus sophistiquéesmiguel boyayan

La fibre séchée du curauá (Ananas erectifolius), plante amazonienne de la même famille que l’ananas ressemble en apparence au sisal. Mais la ressemblance s’arrête là. Cette fibre, très douce au toucher, possède une grande résistance mécanique lui permettant de supporter des tensions élevées même sur une faible épaisseur. Cette propriété en fait une remplaçante naturelle de la fibre de verre. Quand elle est mélangée à d’autres matériaux à base de polypropylène, comme des restes de couvertures et de moquettes inutilisées par l’industrie textile, elle se transforme en un matériel déjà adopté par l’industrie automobile. “Certaines voitures en circulation comme, les modèles Fox et Polo de Volkswagen utilisent déjà ce nouveau matériel sur le toit des voitures, dans la partie interne des portes, et dans la porte du coffre”, déclare le professeur Alcides Lopes Leão, membre de la Faculté de Sciences Agronomiques de l’Université Publique Pauliste (Unesp) à Botucatu, qui étudie les diverses applications de cette plante depuis 8 ans. L’intérêt suscité par le curauá (Ananas erectifolius) est né de l’observation des indiens qui utilisent ce matériel pour fabriquer des cordes, des hamacs et des lignes de pêche, démontrant ainsi les qualités de résistance et de légèreté de cette fibre. Les nouveaux matériaux issus de la fibre végétale sont encore peu nombreux car la matière première disponible ne répond pas à la demande. “Pour répondre à la seule demande de Volkswagen il faudrait produire 100 tonnes de fibres par jours. La production actuelle ne représente que 10 tonnes par mois”, calcule Lopes.

Pour introduire la fibre de curauá sur le marché, l’Unesp a établi un partenariat avec l’entreprise Pematec-Triangel, située à São Bernardo do Campo, qui fabrique les pièces structurelles sous la forme de composites. Ce partenariat a débuté en 2000, quand l’entreprise a été sollicitée par Volkswagen afin de développer des pièces automobiles avec de nouvelles fibres. Les constructeurs automobiles cherchent chaque fois plus à remplacer certaines pièces qui ne sont pas recyclables et également pour diminuer le poids des véhicules. Pematec a tout d’abord commencé à mener des recherches sur le jute, qui était très utilisé en Europe pour des applications de même type. Mais lors d’une visite en Allemagne, Gilson Romanato directeur de l’entreprise, a appris des propres allemands qu’il y avait au Brésil une fibre végétale bien meilleure que la jute. De retour au Brésil, l’entrepreneur s’est informé sur ces fibres et a fait la connaissance du professeur Lopes Leão qui avait déjà publié certaines études dans ce domaine.

Dans une de ces études le professeur avait testé différentes fibres brésiliennes et étrangères afin d’en comparer les propriétés mécaniques. Le curauá s’est révélé imbattable pour sa résistance par rapport à l’étoupe, la banane, la bagasse de canne à sucre, le chanvre, la ramie, le sisal, le jute, la mauve et le bois. L’autre étude concernait un projet de recherche financé par la FAPESP, faisant partie du Programme Partenariat pour l’Innovation Technologique (PITE), coordonné par Lopes Leão, et qui avait pour thème la production de matériaux composites à base de fibres végétales comme le curauá, appliqués à l’industrie automobile. L’entreprise Toro de Diadema, qui était à l’époque partenaire de ce projet, a dû abandonner ses plans d’investissement dans ces composites suite à de nombreux problèmes financiers. L’accord passé entre l’Unesp et Toro a donc été annulé et Pematec s’est engagée à produire les pièces sollicitées par le constructeur automobile.

Le curauá: feuilles  fibreuses et fruit plus petit que l’ananas.

miguel boyayan Le curauá: feuilles fibreuses et fruit plus petit que l’ananasmiguel boyayan

Dans le projet initial, développé par l’université pour l’entreprise Pematec, un endroit appelé Vale do Ribeira avait été choisi pour cultiver la plante, mais les études concernant l’adaptation de la plante à cette région étaient encore incomplètes. Pematec a donc acheté une ferme à Santarém, dans l’état du Pará, et a commencé à encourager les agriculteurs à augmenter leurs cultures. “Quand nous sommes arrivés ici, 150 à 200 familles travaillaient dans ces cultures, mais nous pensons qu’elles seront au nombre de 400 à la fin de l’année 2005 ”, déclare Romanato. L’approvisionnement en fibres de la ferme est assuré. “S’il manque des fibres ou si nous avons des problèmes de séchage durant la saison des pluies, nous utilisons les fibres de notre plantation.” Une usine expérimentale de traitement de la fibre employant 50 personnes a commencé à fonctionner au mois de juillet de cette année à Santarém sous la direction de Gilmar Lazarini, ancien élève de l’Unesp. Les fibres végétales qui mesurent près de 1,20 mètres de long sont découpées en morceau de 5 à 7 centimètres et mélangées dans une proportion de 50 % avec des fibres textiles de polypropylène.

Pièces injectées
Le matériel composite est ensuite pilé et acheminé au siège de l’entreprise à São Bernardo où sont fabriquées les pièces en plastique lors d’un processus appelé thermoformage. Le matériel est ensuite placé dans un moule qui est chauffé pour obtenir la forme finale qui sera refroidie à température ambiante. L’autre technique est le moulage par injection. La fibre moulue mélangée aux granulés de plastique passe par un processus appelé extrusion qui synthétise les deux matériaux. Le mélange passe ensuite dans un appareil injecteur pour mouler la pièce. Plusieurs résines plastiques ont été testées à cet effet depuis 1995 comme le polypropylène, le polyéthylène de haute et basse densité ainsi que d’autres. Le processus par injection permet de remplacer partiellement les résines plastiques. L’entreprise General Motors au Brésil, par exemple, a passé un contrat de recherche avec l’Unesp pour mettre au point des pièces injectées renforcées avec des fibres naturelles. Le BMC (sigle de Bulk Molding Compound), est un troisième procédé qui n’est pas utilisé par manque de matière première. Il s’agit d’un procédé de fabrication qui utilise la fibre pure transformée en petits granulés et sans ajout de polypropylène pour fabriquer des pièces externes de véhicules comme les pare-chocs avec une base en époxy ou en polyester afin de remplacer la fibre de verre difficilement recyclable.

La flexibilité et la douceur de la fibre amazonienne ont amené les chercheurs à l’utiliser comme matière première pour la confection de vêtements. Ainsi, selon la taille de la fibre, elle peut être autant utilisée par l’industrie textile que pour le moulage par injection. Aux Philippines, les fibres de l’ananas provenant de feuilles écartées par l’industrie des jus de fruit sont transformées en vêtements fins utilisés durant les mariages. Par manque de technologies et de machines nécessaires pour fabriquer les fils, l’Unesp a dû faire appel à l’Institut des Fibres Naturelles de Poznan en Pologne qui est partenaire de l’université depuis 1994. C’est ainsi que 500 kilos de fibres ont été envoyés en Pologne par Lopes Leão. Le mélange curauá, polyester et laine, en trames ouvertes et fermées s’est transformé en chemises, jupes, pulls, chaussettes et même des rideaux. Pour s’assurer que la fibre ne provoquerait pas d’allergies au contact de la peau, de nombreux tests ont été réalisés sur des volontaires de jour et de nuit afin d’évaluer également le repos des personnes durant leur sommeil.

Ci-dessus, pièce composite utilisée sur le toit des voitures

miguel boyayan Ci-dessus, pièce composite utilisée sur le toit des voituresmiguel boyayan

Cette plante est versatile car elle permet également l’exploitation de la bromélaïne, un enzyme utilisé pour fabriquer des médicaments qui facilitent la digestion, ainsi que pour la fabrication d’antiacides utilisés dans l’industrie alimentaire pour attendrir la viande, pour produire des biscuits et des oeufs déshydratés et également pour traiter le cuir. La bromélaïne est principalement extraite de l’ananas. Mais la quantité produite est encore faible par rapport aux besoins du marché, ce qui en fait un produit commercial cher. L’étude de l’activité de cet enzyme dans le curauá indique que les feuilles en possèdent moins que les fruits (qui ressemblent à de petits ananas), mais la grande quantité de pulpe verte (mucilage) retirée pour obtenir les fibres et inutilisée par l’industrie, pourrait viabiliser économiquement son extraction.

L’objectif de Pematec est de traiter 100 tonnes de fibres par jour, ce qui indique une grande quantité de résidus en fin de traitement. Afin d’éviter de futurs problèmes environnementaux, l’Unesp a développé un projet qui utilise le mucilage pour produire un biogaz qui fait fonctionner les machines qui sèchent les fibres. Ce résidu peut également servir à alimenter le bétail et c’est une autre application actuellement développée par l’université. “En fonction de sa teneur élevée en protéines et en vitamines, nous nous sommes aperçu qu’il était possible de l’utiliser pour enrichir les rations animales ”, déclare Lopes Leão.

Cultures dans le Sud-est
Pour exploiter toutes les possibilités offertes par le curauá, il faut augmenter la production et probablement le cultiver ailleurs qu’en Amazonie, principalement dans le Sud-est du pays qui est plus proche du marché de consommation. L’Unesp développe également pour Pematec une étude sur l’adaptation des plantes au climat et au sol de cette région depuis 2000. Plusieurs pousses ont été importées du Pará et plantées dans le campus de Lajeado ainsi que dans une ferme de l’Unesp à São Manuel, ville proche de Botucatu. Les pousses appartiennent à deux variétés : violette et blanche. “Nous pensons que la variété violette s’adapte mieux au climat de la région de São Paulo ”, déclare Lopes Leão. La plante a déjà supporté sans problèmes trois hivers dont le dernier avec des températures atteignant – 3,5ºC. Ainsi la crainte qu’elle ne s’adapte pas à la région Sud-est s’est vite dissipée. “Nous savons qu’elle ne meurt pas facilement, qu’elle est résistante, sans maladies connues et qu’elle répond bien à la fertilisation.”

Z-1.0miguel boyayanLa multiplication des pousses est réalisée par clonage des bourgeons qui se situent entre la base et les feuilles de la plante. Les bourgeons sont placés dans une culture gélatineuse où se trouvent tous les sels minéraux, les macros et micros nutriments ainsi que des vitamines et des phytohormones (régulateurs de la croissance végétale) nécessaires à la plante. Avec un seul bourgeon il est possible d’en obtenir quatre en 45 jours, ce qui correspond à la période de sous-culture. Ces quatre bourgeons en produisent 16, suivant ainsi une progression géométrique. “Avec dix bourgeons issus d’une même plante, nous pouvons obtenir plus de 10 mille plantes identiques en seulement quatre sous-cultures”, déclare le professeur Isaac Stringueta Machado, membre du projet et travaillant dans le domaine de la biotechnologie environnementale à la Faculté de Sciences Agronomiques de l’Unesp. Deux ou trois mois plus tard, les premières plantes vont dans une serre et au bout de quatre mois elles mesurent déjà près de 20 centimètres et sont prêtes à être plantées dans les champs.

Il faut ensuite attendre 1 an, période nécessaire pour que les feuilles atteignent près de 1,20 mètres et phase idéale pour faire la première récolte. Six mois plus tard, quand les feuilles ont atteint la même taille, on fait une nouvelle récolte. On peut faire quatre récoltes avant de recommencer le cycle qui peut être réalisée avec des pousses produites par la plante mère ou par clonage. La deuxième option est plus intéressante car outre une réduction de temps et d’espace nécessaires à cette multiplication, deux aspects positifs se détachent dans cette micro-propagation in vitro. Le premier est la propreté clonale. Comme le clone est obtenu à partir d’une portion jeune de la plante (méristèmes) qui ne possède pas encore de vaisseaux conducteurs définis (xylème et e phloème), tout les phytopathogènes, bactéries ou champignons existants peuvent être éliminés. L’autre aspect positif concerne la fidélité génétique qui permet de faire des copies exactes des meilleures plantes sélectionnées pour s’adapter aux conditions de la région Sud-est.

“Nous nous sommes aperçus que les plantes clonées ont un potentiel multiplicateur plus important que la plante sylvestre. L’induction provoquée par ces régulateurs de croissance est enregistrée dans la mémoire (génotype) de la plante et elles continuent à se développer à un rythme supérieur à celui constaté dans les cultures traditionnelles”, déclare Machado. Selon Lopes Leão, la croissance de la production dépend du clonage pour pouvoir répondre à la demande de l’industrie automobile. “C’est pour cette raison que nous sommes en train de monter une structure de reproduction de 5 à 8 millions de plantes par an, au sein de l’Unesp, pour répondre à une demande croissante de pousses de curauá qui seront transportées en camion vers l’État du Pará pour y être plantées.”

Vêtements variés produits avec des fibres de curauá mélangées à  d’autres matériaux

miguel boyayan Vêtements variés produits avec des fibres de curauá mélangées à d’autres matériauxmiguel boyayan

Le potentiel du curauá intéresse déjà les européens qui ont déjà fait des propositions au groupe de recherche pour envoyer des pousses de curauá à Ceylan, en Malaisie et en Indonésie. Pour que la fibre amazonienne ne subisse pas le même destin tragique que le caoutchouc qui, produit à la fin du XIXe et début du XXe siècle, était la plus grande source de revenu du Brésil avant que les colonies britanniques d’Asie ne le cultivent et provoquent une chute dramatique des exportation brésiliennes, la recette de Lopes Leão est d’investir dans des technologies qui permettront au produit brésilien d’être toujours en avance sur ses concurrents. Outre la compétence irréfutable de l’équipe de l’Unesp et des chercheurs de la Faculté de Sciences Agronomiques, les résultats obtenus sont également dus à une équipe multidisciplinaire composée d’Elisabete Frollini de l’Institut de Chimie de l’Université de São Paulo (USP) à São Carlos et de Luiz Mattoso de l’Embrapa Instrumentation Agricole, également à São Carlos. Les essais pour évaluer l’interaction des fibres avec le plastique sont réalisés à l’Embrapa . Les composites sont testés à l’IQSC. “Notre travail doit être hautement technique car l’industrie est très exigeante”, déclare Lopes Leão. “Nous savons comment réagissent les pièces utilisées en Sibérie à une température de moins 50 °C, ainsi que dans la chaleur de Teresina, dans l’état du Piauí.”

L’organisme Financier d’Études et de Projets (Finep), à travers le programme Fonds Verde-Amarelo qui soutien l’innovation et encourage les échanges entre les universités et les entreprises, a signé un accord en 2002 avec l’entreprise Pematec et l’Unesp pour un montant d’environ 800 mille réaux, à fonds perdus et valide pour deux ans. Ce financement est destiné à viabiliser le projet dans toutes ses étapes comme l’étude de la plante dans les champs, son adaptation dans la région sud est, le clonage et le transport des pousses ainsi que les applications de la fibre dans l’industrie automobile et l’utilisation des résidus de la plante. La moitié de ce montant, financé par la Finep, est destiné aux boursiers, aux équipements et aux tests. L’accord se termine en décembre mais sera renouvelé pour un an. L’entreprise Pematec qui a financé l’autre moitié du budget total consacré au projet, peut déduire fiscalement son investissement dans le cadre du programme de soutien à la recherche.

Le groupe de recherche commence à revoir certains concepts adoptés au début du projet. L’un d’eux concerne le nombre de plantes à l’hectare. Au début de l’étude ce nombre était de 10 mille et il est passé à 60 mille par hectare. L’autre concerne l’utilisation de la bromélaïne qui auparavant n’était considérée que comme un sous-produit, Aujourd’hui l’enzyme, dont la valeur de marché dépasse celle de la fibre, est considéré comme un produit pleinement associé à l’exploitation du curauá. En outre, les chercheurs savent maintenant que la plante peut être cultivée dans n’importe quel endroit de l’État de São Paulo et qu’il s’agit d’une culture rentable. Actuellement le kilo de fibre séchée coûte environ 3 réaux, alors qu’il y a deux il ne valait que 1 réal. Mais le changement le plus visible est l’utilisation de toutes les possibilités offertes par la plante, tant pour l’industrie automobile que pour l’industrie pharmaceutique et textile.

Les projets
Production de composites à base de fibres naturelles pour l’industrie automobile; Modalité Programme partenariat pour l’innovation technologique (pite); Coordinateurs Alcides lopes leão – unesp; Investissement 728.350,00 réaux (toro) et 145.750,00 réaux (fapesp)

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