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Écologie

La nuit, dans le sertão

Des botanistes de Pernambouc apportent de la lumière sur les particularités de la pollinisation dans la Caatinga

La chauve-souris Glossophaga  soricina visite le cactus  Pilosocereus catinguicola:  gains réciproques

ISABEL MACHADO La chauve-souris Glossophaga soricina visite le cactus Pilosocereus catinguicola: gains réciproquesISABEL MACHADO

Publié en février 2005

Dès qu’il fait nuit, les chauves-souris envahissent le ciel de la Caatinga. Elles ne sont pas à la recherche de sang – les espèces hématophages sont la minorité parmi ces mammifères – mais de nectar, particulièrement celui des fleurs des cactus, blanches ou verdâtres, qui s’épanouissent au crépuscule, et ressortent dans l’obscurité. Moins nombreux parmi les pollinisateurs d’autres écosystèmes brésiliens, les chauves-souris correspondent à 13% des animaux qui, en transportant du pollen, garantissent la reproduction des plantes de la région du semi-aride brésilien. Elles ne perdent que pour les abeilles et les colibris, suivant une étude réalisée par l’Université Fédérale de Pernambouc (UFPE) qui évalua les particularités et la fréquence de la pollinisation parmi 147 espèces végétales de la Caatinga – incluant les arbres jusqu’aux plantes rampantes. Dans le Cerrado, dans les langues de sables (restingas) et dans les forêts humides, les chauves-souris se retrouvent normalement au bout de la liste des pollinisateurs, avec un pourcentage jusqu’à dix fois inférieur aux autres animaux, bien après les guêpes, les scarabés, les papillons de nuit, les papillons et les mouches.

Attirés probablement par l’abondance de cactus ou par les cavernes, ces animaux impressionnants assument le rôle de cupidons angélicaux parmi la flore du sertão. Dans ce cas, la flèche est un museau prolongé, et le but, le stigmate – la structure de la fleur qui reçoit le pollen, une fine poudre formée par des cellules reproductrices masculines, libéré pas de minces tiges, les anthères. À la recherche du nectar, liquide riche en sucres qui leur sert d’aliment, les chauves-souris nectarivores étirent leur langue étroite, cylindrique et rougeâtre, à la pointe de laquelle se trouvent des touffes de poils courts, les papilles. Elles touchent le pollen également avec leur museau ou d’autres parties de leur corps. Adhérant ainsi à la peau de la chauve-souris, le pollen est transporté jusqu’à l’organe reproductif féminin des fleurs. Le pollen dépend presque toujours d’un agent externe – vent, animal ou eau – pour atteindre le stigmate de la même ou d’une autre fleur : c’est quand les cellules masculines et féminines se rencontrent et la fertilisation a lieu.

C’est de cette façon que la chauve-souris entre dans le cycle de vie des cactus, qui appartiennent à l’une des trois familles des plantes les plus abondantes de la Caatinga, avec 41 espèces endémiques ou uniques à cet écosystème, le seul exclusivement brésilien, qui s’étend sur 800 mil kilomètres à l’intérieur de la région du Nordeste. Tout entre eux– chauves-souris et cactus – semble s’emboîter, dans un complexe casse-tête évolutif. Les fleurs des plusieurs espèces de cactus sont nocturnes, ainsi comme les chauves-souris, et leurs couleurs sont claires, puisque, dans l’obscurité, le rouge et l’orange feraient peu de différence pour ces animaux, qui voient mal.

L’odeur est, elle, le grand attractif. “L’odorat des chauves-souris est plus développé que leur vision, c’est pour ça que l’odeur forte et sucrée des fleurs des cactus qui, pour nous, est écœurant, fait plus de différence que les couleurs”, affirme la biologiste Isabel Cristina Machado, coordinatrice de l’étude développée conjointement avec Ariadna Lopes, également de l’UFPE, et qui a été publiée dans la revue britânica Annals of Botany. Ces mammifères volants possèdent également les dents incisives atrophiées, ce qui facilite le passage de la longue langue avec laquelle elles collectent le doux nectar. C’est le cas de la Glossophaga soricina, une petite chauve-souris – elle pèse environ 10 grammes – qui possède un pelage marron foncé et près de 20 centimètres d’envergure. Elle ressemble à une souris ailée.

Rencontres sous le soleil : en haut,  l’Angelonia pubescens à l’attente de l’abeille pollinisatrice...

ISABEL MACHADO Rencontres sous le soleil : en haut,
l’Angelonia pubescens à l’attente de l’abeille pollinisatrice…ISABEL MACHADO

Peur et froid
Prendre des photos pour faire le registre et identifier les chauves-souris a été une épreuve de feu pour Isabel, qui ne cache pas la peur qu’elle ressentait parfois à leur égard : “Par moments, elles étaient si proches que je pensai qu’elles allaient me toucher”. D’autres moments difficiles pour elle et pour Ariadna ont été les longues heures d’observation, la nuit, quand il fait froid dans le sertão. “Nous avions le torticolis de tant fixer attentivement les fleurs, pour ne pas rater la photo au cas d’une visite, qui ne dure qu’une fraction de secondes ”, raconte Isabel. Ariadna et elle ont confirmé les processus de pollinisation de 99 espèces de plantes dans trois zones de la Caatinga à Pernambouc : les alentours de la commune d’Alagoinha, à 200 kilomètres du littoral ; le Parc National de la Vallée du Catimbau, à Buíque, à 285 kilomètres de la côte ; et une réserve de la station expérimentale de l’Entreprise Pernamboucaine de Recherche Agro-pastorale à Serra Talhada, à 700 kilomètres de Recife.

Une seule fleur de xiquexique (Pilosocereus gounellei) ou de facheiro (Pilosocereus pentaedrophorus), espèces exclusives de la Caatinga, ou de tout autre cactus chiroptèrophile – qui est pollinisé par les chauves-souris –, produit jusqu’à 200 microlitres de nectar par jour, un volume 50 à plus de 100 fois plus important que celui libéré par d’autres plantes qui, plus parcimonieuses, offrent à ses pollinisateurs à peine de 3 à 5 microlitres du doux aliment. “Cette quantité de nectar des fleurs de cactus est une récompense à la visite d’une chauve-souris, un pollinisateur qui est bien plus grand et a besoin de plus d’aliment qu’une abeille”, explique Isabel.

La gourmande chauve-souris ne fait concurrence qu’au colibri, un autre pollinisateur de la flore de la région du semi-aride, qui compense l’effort de vol en ingérant beaucoup de nectar. C’est le cas du colibri connu sous le nom de rabo-branco-de-cauda-larga (queue-blanche-à-la-large-traîne, Phaethornis gounellei), une espèce au bec long et recourbé, endémique au Nordeste, que l’on retrouve dans des zones de Caatinga du Piauí à Bahia, et qui a l’habitude de rendre visite aux bromélias pendant le jour. Avec les colibris, le rapport est différent : à la place de l’odeur, comme il arrive avec les chauves-souris, ce qui attire ces oiseaux est la couleur des fleurs. Le rouge est la couleur préférée non seulement des colibris mais des oiseaux en général. Les abeilles, par contre, sont moins exigeantes : elles rendent visite aux fleurs lilas, bleus, jaunes, violettes et orange.

Mais les deux botanistes de Pernambouc alertent qu’il n’est pas possible de déduire, uniquement par la couleur de la fleur, quel est le pollinisateur. Les analyses plus détaillées prennent en compte une série d’autres caractéristiques des fleurs, comme la forme, l’odeur, la taille, le moment de la journée où elles s’épanouissent et les récompenses qu’elles offrent aux animaux qui transportent le pollen au stigmate – certaines offrent aussi des huiles florales, en outre du nectar. “Une variable peut en exclure une autre ”, dit Isabel. “La fleur rouge d’une broméliacée ou d’un cactus, généralement sans parfum, est associée à la pollinisation par les colibris et par d’autres oiseaux, qui n’ont pas d’odorat développé. Les abeilles, à leur tour, ne voient pas bien le rouge, mais sentent l’odeur.”

...à côté, le colibri mâle Chlorostilbon  aureoventris et  le cactus Opuntia palmadora...

ISABEL MACHADO …à côté, le colibri mâle Chlorostilbon
aureoventris et le cactus Opuntia palmadoraISABEL MACHADO

Avec les jambes
Les abeilles moyennes et grandes, avec 1, 2 à 3 centimètres de longueur, sont en tête de la pollinisation dans la Caatinga, où elles aident à la fertilisation de 30% des plantes. Elles sont le principal groupe de pollinisateurs également dans le Cerrado (65%), dans les langues de sables (restingas) (41%) et dans les forêts humides, comme l’Amazonienne ou la Forêt Atlantique (25%). C’est aussi l’animal qui utilise le plus les ressources offertes par les fleurs à l’intérieur de la région Nordeste. Il y a des abeilles qui collectent de tout : du nectar, un aliment calorique ; du pollen, riche en protéines ; des huiles florales, aliment pour les larves ; et les résines utilisées dans la construction des nids.

Il existe, même ainsi, des particularités. “Ni la chauve-souris, ni le colibri, ni la mouche, ni aucun autre pollinisateur ne collecte des huiles florales ”, affirme Isabel. Si une plante n’offre que des huiles, on peut conclure qu’il s’agit d’une plante dont la pollinisation est limitée aux abeilles. Mais pas à n’importe quelle abeille : uniquement aux abeilles de certaines familles, telle l’Anthophoridae, avec des espèces marrons et d’autres presque noires, dont les pattes antérieures et médianes possèdent des poils rigides qui forment une espèce de peigne qui facilite la collecte des huiles produites par les fleurs.

Suite à des dizaines d’observations, de plus de quatre heures d’affilé, et qui ont résulté en de nombreuses piqûres d’insectes, Isabel a découvert que les abeilles qui se posaient sur les fleurs lilas, bleutées ou même violettes d’un petit arbuste appelé Angelonia pubescens pratiquaient la pollinisation de la plante, tandis qu’elles collectaient des huiles de la fleur dans deux cavités placées dans les pétales. “Le nectar, les abeilles le récoltent avec la langue, mais pour les huiles, cela doit être fait avec les pattes ”, observe la chercheuse de Pernambouc. “Dans les deux cas, la collecte du pollen sur les fleurs est passive, non intentionnelle.”

L’abeille Centris hyptides s’emboîte littéralement dans la fleur lors de la récolte du nectar. Marron, avec environ 1,5 centimètre, cette espèce unique du sertão du Nordeste brésilien se pose sur la fleur lorsqu’elle récolte l’huile, qui se trouve sur les pétales inférieurs. C’est comme si elle attrapait la fleur avec les pattes. Le dos de l’insecte touche l’étamine – la structure masculine de la fleur – et conduit le pollen vers le stigmate. Cette espèce possède les pattes antérieures allongées, une particularité qui lui confère plus d’efficacité dans la collecte des huiles des fleurs de l’Angelonia. Le plus commun c’est que, des trois pattes que les abeilles possèdent de chaque côté du corps, les plus longues soient celles du milieu.

Une autre abeille exclusive de la Caatinga adaptée à la pollinisation d’une petite plante herbacée, est la Tapinotaspis nordestina, qui mesure presque un centimètre et qui, elle, possède les pattes médianes plus allongées. Cette espèce a été identifiée par le groupe d’Isabel en 2002, à partir d’exemplaires collectés à Buíque. Ça n’a pas été la seule. Au cours de ces deux dernières années, des spécialistes en classification d’abeilles ont nommé les autres quatre espèces, jusqu’à lors inconnues, grâce aux exemplaires qu’Isabel et son groupe ont collecté dans la Caatinga.

...et la Ruellia asperula et une abeille  volant le nectar

ISABEL MACHADO …et la Ruellia asperula et une abeille
volant le nectarISABEL MACHADO

C’est la Tapinotaspis nordestina qui garanti la pollinisation de l’Angelonia cornigera, une des plantes rampantes étudiées, en se posant sur la fleur pour collecter les huiles, comme par une espèce d’accolade. C’est avec cette huile, riche en lipides (matière grasse), que ces insectes alimentent leurs larves. À cause de situations comme celle-ci, raconte Isabel, la pollinisation, dans plusieurs cas, assure non seulement la reproduction d’une plante, mais aussi celle des propres pollinisateurs.

Cette dépendance d’une fleur déterminée par rapport à une espèce animale et vice-versa, constitue, néanmoins, une exception à la règle. Ce qui prédomine est une relation généraliste. C’est-à-dire : une plante est ornitophile (pollinisée par les oiseaux), mais ses fleurs ne sont visitées que par une seule espèce d’oiseau. “Dans la plupart des cas”, explique le chercheur, “la dépendance ne sera pas de l’un par rapport à l’autre, mais d’un groupe d’animaux pour une plante ou un groupe de plantes. Des colibris, par exemple, ne sont généralement pas pollinisateurs uniquement d’une espèce, mais de plusieurs”. Dans la plupart des cas, la propre structure de reproduction des plantes, particulièrement quand les fleurs sont plus ouvertes, permet la pollinisation par plus d’un groupe d’animaux. Il s’agit d’une stratégie de survie, car, d’autant plus spécifique est le pollinisateur, d’autant moins de chances aura la plante de se reproduire s’il vient à disparaître.

Les orchidées sont une exception, car elles sont pollinisées par des groupes spécifiques d’abeilles et maintiennent les fleurs ouvertes jusqu’à un mois, quand d’habitude les fleurs durent une matinée ou une nuit. Par rapport à un aspect, les orchidées sont, néanmoins, identiques à presque mille espèces de plantes connues de la Caatinga, à celles des autres écosystèmes et à celles de nos jardins : après avoir reçu la visite du pollinisateur, elles fanent et laissent tomber les pétales. Maintenir une fleur ouverte et attractive pendant des jours et des nuits d’affilé requiert beaucoup d’énergie.

Si cette dose extra d’énergie exige déjà beaucoup des plantes dans les environnements humides, que dire dans la Caatinga, où il ne pleut que de 500 à 900 millimètres par an, moins de la moitié de ce qui tombe annuellement dans la Forêt Atlantique. Pendant la période sèche, qui s’étend sur près de six mois, de juillet à décembre, plusieurs plantes perdent leurs feuilles de façon à réduire la transpiration et à résister au manque d’eau. Mais c’est justement à cette époque que la floraison peut être la plus exubérante. Le résultat est un spectacle de points rouges, jaunes et lilas au milieu du gris des branches et des troncs secs des arbres.

Les projets
Syndromes de pollinisation, systèmes sexuels et ressources florales d’espèces de la Caatinga à Pernambouc et Systèmes de Pollinisation d’espèces existantes dans la végétation de la Caatinga :ornithophilie et chiropterophilie; Modalité Aide à la Recherche (Facepe) et Bourse de Productivité pour la Recherche/CNPq; Coordinatricea Isabel Cristina Machado – UFPE; Investissement 11.023,00 réaux (Facepe) et 24.000,00 réaux (CNPq)

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