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INGÉNIERIE CHIMIQUE

Parfum bois de rose nº5 brésil

Les feuilles d’un arbre d’Amazonie assurent la continuité de la production du parfum Chanel

DSC_1097 verdeEDUARDO CESARPublié en mai 2005

La phrase légendaire, prononcée par l’actrice Marilyn Monroe, suivant laquelle elle ne dormait habillée que de quelques gouttes de Chanel nº 5, conserve – qui l’aurait dit – une touche bien brésilienne. Le principal ingrédient du fameux parfum français, lancé par l’entreprise de mademoiselle Coco Chanel en 1921, est une huile essentielle extraite du bois de rose (le pau-rosa), un arbre originaire d’Amazonie. Des estimatives indiquent qu’environ 500 mille arbres de cette espèce ont déjà été abattus depuis le début de l’exploitation du bois de rose, ce qui a impliqué en son inscription, en avril 1992, par l’Institut Brésilien pour l’Environnement et les Ressources Naturelles Renouvelables (Ibama), sur la liste des espèces en danger d’extinction. Pour préserver ce bois précieux et garantir la livraison de la matière première à l’industrie du parfum, le professeur Lauro Barata, du Laboratoire de Chimie des Produits Naturels de l’Université Publique de Campinas (Unicamp), a commencé à développer, en 1998, un projet d’extraction de l’huile essentielle des feuilles qui résultat en une production et une qualité similaires à celle obtenue à partir du bois. “J’ai appris que l’huile pouvait être extrait des feuilles par des travaux publiés par le professeur Otto Gottlieb”, raconte Barata. Il se réfère à une étude publiée à la fin des années 1960 par le chimiste né en République Tchèque et naturalisé brésilien, professeur retraité de l’Université de São Paulo (USP) et dont le nom a été proposé par la communauté scientifique brésilienne pour concourir au Prix Nobel. “J’ai également appris avec l’expérience de Raul Alencar, un riverain de 80 ans qui a toujours vécu des produits de la forêt et est un producteur traditionnel de l’huile de bois de rose”, dit Barata. Ces deux références ont servit de base pour son projet, financé par la Banque de l’Amazonie (Basa), d’un montant de 25 mille réaux.

L’intérêt du professeur de l’Unicamp d’étudier l’arbre amazonien est apparu en 1997, quand les écologistes français ont commencé une campagne pour boycotter les produits Chanel à cause de l’extraction du bois de rose – dont le nom scientifique est Aniba rosaeodora – et la conséquente dévastation de la forêt. En réponse, l’entreprise française a engagé l’organisation non gouvernementale Pro-Natura, d’origine franco-brésilienne, qui travaille en partenariat avec des entreprises, pour développer des programmes de développement durable. L’objectif était de trouver une solution qui calme les esprits des groupes d’environnementalistes. Barata a alors été appelé par l’ONG pour faire un diagnostique de la situation de l’extraction de l’huile de l’arbre amazonien. Dans son rapport final, il enseignait comment travailler avec la production durable du bois de rose, qui commençait avec la culture et la gestion, en passant par l’extraction des feuilles. “Nous avons fait un inventaire de la situation et l’entreprise s’est engagée à adopter le développement durable proposé dans notre rapport ”, raconte Barata. “La solution indiquée a permis de stopper les manifestations qui étaient programmées.” Mais ils continuent, de nos jours, à acheter l’extrait obtenu des arbres coupés entièrement au milieu de la forêt. La pression internationale a provoqué une reprise des possibilités de gestion durable du bois de rose et, suite à une série de discussions avec la participation des producteurs, l’Ibama a publié, en 1998, un arrêté contenant des directives qui réglementent l’abattage de l’arbre.

Extraction expérimentale
À partir de l’étude commandée par Chanel et avec le financement du projet par la Basa, Barata s’est rendu plusieures fois en Amazonie. Ces voyages ont résulté en un travail de culture du bois de rose en partenariat avec le producteur Raul Alencar. Une zone de capoeira – forêt qui naît suite au déboisement de la forêt originale – dans la commune de Nova Aripuanã, dans l’État de l’Amazone, a été choisie pour abriter les plants de bois de rose. Actuellement, la région possède 10 mille arbres âgés de trois ans et demi et qui sont prêts à être taillés pour commencer l’extraction expérimentale de l’huile. Pour l’exploration commerciale, la coupe peut commencer à cinq ans pour l’extraction du linalol, et, à la 25ème année, l’arbre peut être coupé et l’huile extraite du bois, suivant une gestion durable.

L’huile pure du bois possède une tonalité jaune-dorée. Au début, elle possède un arôme fort, un peu citrique, que se superpose aux autres arômes. Avec le temps, d’autres odeurs s’agrègent à la première, de façon à composer un mélange harmonieux, doux et boisé. Par contre, l’huile obtenue des feuilles est d’un jaune presque transparent, avec un parfum très doux, sans trop de gradations. Pour tester la qualité de l’huile, des feuilles de différents âges, entre cinq et trente cinq ans, ont été collectés aussi bien dans la forêt que dans les champs de culture pendant six mois. La première plantation expérimentale évaluée a été établie en 1990 par des chercheurs de l’Université Fédérale Rurale de l’Amazonie (Ufra), dans la commune de Benfica, à 27 kilomètres de Belém, dans l’État du Pará, en collaboration avec les chercheurs Selma Ohashi et Leonilde Rosa. Une autre plantation étudiée se situe à Curuá Una, dans le Pará, où il existe 300 arbres plantés depuis 1973. L’huile extraite des feuilles a présenté un rendement et une qualité similaires à ceux du bois. En ce qui concerne la qualité de l’huile obtenue des feuilles, la variation a été, en moyenne, de 0,9% à 1,1%, c’est-à-dire, environ 10 kilos d’huile par tonne de feuilles, un rendement semblable à celui correspondant à l’extraction du bois. Par rapport à l’arôme, l’huile des feuilles perd la touche boisée. Cela peut être corrigé en laboratoire. “Il suffit d’un traitement physique et chimique pour que l’on ne sente plus la différence entre les deux”, affirme Barata.

Sans révéler le contenu du traitement fait en laboratoire, et qui peut être reproduit industriellement, il envoya des échantillons des huiles des feuilles et du bois pour être évalués par deux représentants, au Brésil, de maisons internationales de parfum. Ils ont affirmé que les différences entre les deux échantillons étaient minimes, et l’un d’entre eux a affirmé que la fragance de l’huile des feuilles était supérieure à celle du bois.

Actuellement, l’extraction est faite uniquement à partir d’arbres natifs, qui se trouvent dans la forêt, et non à partir de cultures, qui sont peu nombreuses et expérimentales. Pour que l’arbre dans la forêt atteigne son point d’abattage il faut attendre en moyenne de 30 à 35 ans. Et, pour obtenir une tonne de linalol il faut abattre de 25 à 50 arbres. Si la gestion et la culture sont pratiqués correctement, avec le choix de meilleures matrices, ce délai peut être réduit à 25 ans. Actuellement, la production annuelle d’huile de bois de rose correspond à environ 40 tonnes, ce qui représente une petite fraction des 450 tonnes produites dans les années 1950. Le déclin de la demande se doit principalement à l’introduction du linalol synthétique sur le marché dans les années 1980. Mais, même si cela n’avait pas eu lieu, les producteurs, actuellement réduits à six, ne pourraient pas répondre à la demande, car l’arbre, qui auparavant pouvait être rencontré sur toute l’Amazonie, ne se concentre plus que dans les communes de Parintins, Maués, Presidente Figueiredo et Nova Aripuanã, toutes dans l’État de l’Amazone, sur un cercle de 500 kilomètres. L’espèce a déjà disparu de la Guyane Française, où elle a commençé à être exploitée au début de années 1920, et, ensuite, dans les États de l’Amapá et du Pará.

Le linalol synthétique ne substitue pas le naturel, car la fragance est d’une qualité inférieure. Mais il sert de base pour les savonnettes et d’autres produits d’hygiène et de beauté. La facilité de produire de l’huile essentielle était si grande que, quand la savonnette Phebo a été lancée au Brésil, en 1930, elle comptait, dans sa formule, de l’huile essentiel de bois de rose, ce qui est impensable de nos jours, étant donné le prix élevé de la matière première. “Le linalol pouvait également être rencontré dans d’autres sources végétales, telles que le basilic, mais aucune source ne présentait une qualité supérieure à celle du bois de rose. Tandis que, dans le bois de rose, le linalol représente 80% de la composition de l’huile essentielle, dans le basilic, ce pourcentage n’est que de 30%”, explique Barata.

Pour extraire l’huile essentielle il est nécessaire de marcher beaucoup dans la forêt car les arbres se trouvent parsemés dans la nature. Sur une surface de 6 hectares, on n’en trouve qu’un. Pour le trouver, chaque bûcheron s’enfonce solitairement dans la forêt. Quand ils aperçoivent un bois de rose, l’arbre est marqué avec un coutelas avec les initiales du producteur. Ceux qui ne doivent pas être abattus doivent également être identifiés, suivant une exigence de l’Ibama, en vue de préserver les matrices qui sont entrain de produire des graines.

FolhaHauteur de la coupe
En été, une autre équipe pénètre dans la forêt pour couper les arbres qui ont été marqués. “Ne sont abattus que les arbres qui mesurent plus de quatre empans de diamètre”, raconte Barata. La mesure d’un empan de diamètre se fait en étirant les 2 mains ouvertes, unies par les pouces. Les quatres empans correspondent à environ 30 centimètres de diamètre. Après que l’arbre est abattu, le bois est coupé à la scie et transporté jusqu’au bord du fleuve, à dos d’homme, attaché à un sac à dos en liane. Les bûches y restent stockées jusqu’à ce qu’il y en ait suffisamment pour qu’elles soient transportées par bateau à l’usine d’extraction de l’huile. Ce transport n’a lieu qu’en hiver, quand les igarapés deviennent navigables. L’extraction se fait par la méthode d’entraînement à la vapeur, avec un équipement qui ressemble à une gigantesque cocotte minute pouvant contenir 1.500 litres. Par ce processus, la vapeur d’eau passe par la plante aromatique en extrayant, en condensant et en séparant ses essences.

Tout ce processus, qui commence avec le marquage de l’arbre et se termine avec le bois à l’usine, dure environ un an. Et son coût est extrêmement élevé. Les propriétaires des usines – qui sont des riverains qui ont toujours vécu dans la région – n’ont pas d’argent pour assurer ce coût. Ils se voient donc contraints à vendre d’avance leur production à des intermédiaires, qui les revendent en Europe et aux États-Unis. Environ 90% de la production est exportée. L’extrait est vendu en tambours de 200 litres à des maisons de parfums au prix de 300 dollars US le litre. Au Brésil, le producteur vend son produit à l’intermédiaire à 20 dollars US le litre. Peu d’entre eux arrivent à exporter directement aux industries, sans passer par les intermédiaires. Quand cela arrive, le producteur reçoit US$ 60 par litre d’huile. Les maisons de parfums au Brésil achètent directement de la centrale d’achats, car les achats sont centralisés. “C’est une chaîne énorme et complexe, et celui qui sort perdant est le producteur ”, explique Barata.

Le partenariat du chercheur avec les producteurs a résulté en un plan de gestion et d’extraction de l’huile des feuilles qui s’initie avec la culture du bois de rose intégré à d’autres cultures. Comme la plante doit être protégée du soleil au début de son cycle de vie, une des solutions est de planter un arbre tous les 5 mètres, intercalé avec des bananiers. Quand les bananiers sont au point pour la coupe, à deux ans, le bois de rose est à l’état où il a besoin de soleil direct. Les bananes peuvent êtres vendues et une autre série de bananiers peut être plantée et retirée d’ici deux ans. C’est au bout de la cinquième année que le bois de rose commence à rapporter, avec l’extraction de l’huile des feuilles. Le projet teste également la culture du bois de rose intégrée avec d’autres plantes aromatiques d’Amazonie, comme la racine de vétiver, le cumaru, la copaïba et d’autres, telle l’andiroba. Au début, avant que les plants de bois de rose ne soient transplantés sur le sol, ils sont acclimatés dans des serres protégées par une couverture en feuilles de palmier d’açaí. Quand les feuilles du palmier se décomposent, les plantes sont plus structurées et préparées à recevoir la lumière du soleil.

Nouveaux chemins
Pour que le projet puisse rapporter financièrement, il faut planter au moins 10 mille plants de bois de rose sur 30 hectares. Le même nombre de plants qui a été planté sur la zone cultivée dans la commune de Nova Aripuanã. D’autres 10 mille plants sont dans la serre, en attendant d’être transférés directement sur le sol. Cette quantité est presque 30 fois supérieure à ce qui serait nécessaire d’être planté suivant l’arrêté de l’Ibama. Pour chaque tambour de 200 litres exporté, le producteur doit planter 80 pieds de bois de rose. Comme Raul Alencar exporte, en moyenne, dix tambours par an, il n’aurait que 800 plants à planter.

Le projet de développement durable du bois de rose a déjà été présenté dans plusieurs congrès internationaux et a éveillé l’intérêt des entrepreneurs brésiliens qui ne veulent pas, pour l’instant, divulguer leurs noms. Plusieurs de ceux qui plantent d’autres cultures pourraient également avoir des gains avec la production de l’huile de bois de rose. Et, si les arbres venaient à disparaître, le propre marché consommateur serait affecté. Avant que cela n’arrive, les producteurs qui ont toujours vécu des ressources de la forêt cherchent de nouvelles manières d’extraire ce dont ils ont besoin. Le développement durable a été le chemin choisi par les communautés amazoniennes qui vivent des ressources de l’extraction de l’andiroba et de l’açaí, par exemple, qui, auparavant, risquaient de disparaître. Actuellement, l’açaí est important à cause de son fruit et non à cause du cœur de palmier. Et l’huile d’andiroba est la base de bougies qui éloignent les insectes et de plusieurs produits cosmétiques. Ce même chemin peut être suivi pour la production de l’huile des feuilles du bois de rose.

Un classique parmi les parfums

Paru le 5 mai de 1921, Chanel nº 5 est, jusqu’à nos jours, un grand succès. Symbole de raffinement et d’élégance, le parfum a été créé par Ernest Beaux, reconnu comme ayant été un des plus grands parfumeurs de tous temps, à la demande de Gabrielle Chanel, plus connue sous le nom de Coco. La styliste voulait un parfum de femme, mais différent de tous les autres vendus à l’époque, basés sur des arômes floraux. La formule inclue, à part l’huile essentiel de bois de rose, du jasmin de Grasse – une ville dans la région de la Provence, en France – de l’ilang-ilang, du néroli (huile extraite des fleurs du bigaradier), du santal et du vétiver. La composition a été la première du genre à mêler des essences de fleurs avec des aldéhydes, substances obtenues par synthèse chimique. Huit décennies après sa parution, le nº 5 continue à être un parfum classique et en même temps contemporain. Il y a des controverses à propos du choix du numéro 5 pour la fragrance. Certains disent que c’était le numéro de chance de mademoiselle Chanel ; d’autres, qu’il s’agissait de la cinquième formulation présentée par le parfumeur et qui a été choisie par elle. En 1959, le design du flacon, crée par la fabrique de verres de Brosse, est entré au Musée d’Art Moderne de New York, en tant que symbole de l’avant-garde.

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