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Astronomie

Archéologied’étoiles

Un relevé identifie trois modèles d’évolution des galaxies

Publié en juin 2013

MASSE ÉLEVÉE: des galaxies d'une masse supérieure à 70 milliards de soleils, comme la NGC 6411, forment la plupart de leurs étoiles en 5 milliards d'années, à partir du centre

Enrique Pérez et André Luiz de AmorimMASSE ÉLEVÉE: des galaxies d’une masse supérieure à 70 milliards de soleils, comme la NGC 6411, forment la plupart de leurs étoiles en 5 milliards d’années, à partir du centreEnrique Pérez et André Luiz de Amorim

Une étude pionnière commence à retracer l’histoire évolutive des galaxies. Dirigé par l’Espagnol Enrique Pérez de l’Institut d’Astrophysique d’Andalousie, ce travail a identifié le lieu et la date de formation des étoiles d’une centaine de galaxies qui sont apparues au cours des dix derniers milliards d’années et sont relativement proches de la Voie lactée, qui abrite le Soleil et la Terre. Publié en janvier 2013 dans la revue Astrophysical Journal Letters, l’étude a comparé différents types de galaxies et permis de comprendre comment leur masse affecte le rythme de formation de leurs étoiles. Ont participé à cette étude les astrophysiciens brésiliens Roberto Cid Fernandes, de l’Université Fédérale de Santa Catarina, et son étudiant de doctorat André Luiz de Amorim. Roberto Cid Fernandes a développé en 2005 le Starlight, un logiciel qui analyse la lumière émise par les galaxies pour reconstruire l’histoire de leurs populations stellaires et procéder à une sorte d’archéologie stellaire.

La recherche a confirmé que les galaxies composées de centaines de milliards d’étoiles et d’une masse très élevée ont formé la plupart d’entre elles il y a plus de 5 milliards d’années, d’abord au centre puis à la périphérie, et aujourd’hui ce sont de véritables maisons de retraite stellaires. Quant aux galaxies plus petites, de quelques milliards d’étoiles, elles continuent à produire des étoiles dans toutes leurs régions y compris après leur croissance.

L’étude s’est basée sur les données de Califa (Calar Alto Legacy Integral Field Area Survey), un programme de recherche réunissant 80 chercheurs de 13 pays. Débuté en 2010, le projet observe en détail la formation d’étoiles de près de 600 galaxies avec un télescope de l’Observatoire de Calo Alto, en Andalousie.

MASSE CRITIQUE: Des galaxies d'une masse d'environ 70 milliards de soleils, comme la NGC 4047, produisent leurs étoiles en moins de 3 milliards d'années, à partir du centre

Enrique Pérez et André Luiz de AmorimMASSE CRITIQUE: Des galaxies d’une masse d’environ 70 milliards de soleils, comme la NGC 4047, produisent leurs étoiles en moins de 3 milliards d’années, à partir du centreEnrique Pérez et André Luiz de Amorim

L’échantillon de 105 galaxies décrit dans Astrophysical Journal Letters est infinitésimal si on le compare aux milliards de galaxies qui existent dans l’Univers visible. Il est également petit si on le compare au nombre total de galaxies – presque 1 million – déjà observées par le plus grand relevé astronomique, le Sloan Digital Sky Survey (SDSS), résultat d’une autre collaboration internationale qui utilise un télescope aux États-Unis. Mais tandis que le SDSS a analysé la lumière des galaxies comme si chacune était un point dans le ciel, le Califa utilise une technique plus chère et plus complexe, qui divise chaque galaxie en mille morceaux et analyse leur lumière séparément. Le résultat est une carte qui révèle des différences dans les propriétés chimiques et physiques des nombreuses parties de la galaxie.

Le Califa observe des galaxies situées à des distances relativement proches de la Voie lactée: entre 70 millions et 400 millions d’années-lumière. Elles ne sont pas si loin au point d’être observées comment elles étaient dans le passé lointain de l’Univers, ni suffisamment proches pour pouvoir identifier leurs étoiles individuellement.

Masse critique
Mais le critère de sélection le plus important a été d’observer des galaxies aux couleurs et aux luminosités les plus variées. Vues plus ou moins à la même distance, les jeunes galaxies sont bleutées et les plus âgées, rougeâtres. La luminosité, elle, fonctionne comme un indicateur de la masse de la galaxie: plus elle brille, plus elle possède d’étoiles. Fernandes précise que « l’objectif était de garantir la diversité de galaxies pour en avoir une vision globale ».

En analysant les données du Califa avec le Starlight, les chercheurs ont déterminé la combinaison d’étoiles jeunes et vieilles qui contribuait à la lumière de chaque morceau de galaxies. Ils ont identifié quand et avec quelle fréquence les étoiles se sont formées dans les nombreuses régions galactiques.

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faible masse, inférieures à quelques dizaines de milliards de soleils comme l’UGC 9476, génèrent des étoiles de manière continue sur toute leur étendue

Enrique Pérez et André Luiz de AmorimFAIBLE MASSE: es galaxies de 
faible masse, inférieures à quelques dizaines de milliards de soleils comme l’UGC 9476, génèrent des étoiles de manière continue sur toute leur étendueEnrique Pérez et André Luiz de Amorim

La première différence confirmée par l’étude se réfère au rythme de production d’étoiles. Des galaxies d’une masse supérieure à 70 milliards de soleils ont condensé tout leur gaz dans des étoiles rapidement dans leur jeunesse et produit la majorité de leurs étoiles il y a plus de 5 milliards d’années. Par contre, les galaxies de même âge mais de moins de 10 milliards de masses solaires dépensent leur gaz avec parcimonie. D’après Fernandes, « les galaxies dont la masse est plus petite continuent de former un taux respectable d’étoiles, alors que pour celles de masse élevée la fête est déjà finie ».

Une autre différence réside dans l’ordre de formation des étoiles. Les galaxies de faible masse ont produit des étoiles plus ou moins en même temps sur toute leur étendue, en commençant juste un petit peu plus tôt sur les parties plus externes. Dans les galaxies de grande masse, on observe le contraire: la formation stellaire a commencé plus tôt au centre avant d’avancer vers la périphérie. Ce modèle de formation semble d’ailleurs être celui de la Voie lactée, une galaxie de près de 60 milliards de masses solaires. « Les régions plus éloignées du centre de la Voie lactée sont plus pauvres en éléments chimiques lourds que la partie interne », explique l’astrophysicien Hélio J. Rocha-Pinto de l’Université Fédérale de Rio de Janeiro, qui étudie les vestiges de la collision entre la Voie lactée et des galaxies naines. « C’est là une évidence indirecte que les étoiles de la partie interne se sont formées en premier et qu’elles ont enrichi chimiquement cette partie de la galaxie plus vite ».

Mais cette différence entre le centre et le bord n’augmente pas toujours avec la masse de la galaxie. Elle atteint son maximum dans les galaxies d’une masse de près de 70 milliards de masses solaires, où les étoiles de la région centrale se sont formées plus de deux fois plus vite que celles du bord.

Pour Fernandes, « cette masse critique a quelque chose de spécial ». Mais personne ne sait exactement ce qui se cache derrière ce « quelque chose de spécial ». Rocha-Pinto suggère que la masse critique représente la masse à partir de laquelle les galaxies ne grandissent pas isolément. On pense que les galaxies plus grandes sont nées de la fusion de galaxies plus petites, des événements au cours desquels la formation stellaire augmente dans la partie centrale de la galaxie récemment formée.

066-067_CensoGalaxias_FRAFernandes, lui, envisage une autre possibilité. Les grandes galaxies ont des trous noirs tellement énormes au centre qu’ils gêneraient la formation stellaire. Pour ce qui est des petites galaxies, moins d’étoiles se forment parce qu’une partie du gaz est rejetée de la galaxie pendant les explosions de supernovas. Les deux effets pourraient être moindres dans les galaxies de masse critique et augmenter la formation stellaire. Comme le signale Rocha-Pinto, « la question est de prouver que les effets que nous proposons sont suffisamment importants pour expliquer ce que nous observons ».

En 2014, les astronomes du SDSS espèrent débuter un relevé similaire: le MaNGA, qui cartographiera 10 000 galaxies. Le coordonnateur du MaNGA est l’astrophysicien Kevin Bundy, de l’Université de Tokyo, Japon: « L’augmentation de 100 fois de l’échantillon sera transformationnel. […] Nous allons tester les conclusions du Califa et bien plus encore ».

Article scientifique
PÉREZ, E. et al. « The evolution of galaxies resolved in space and time: an inside-out growth view ». The Astrophysical Journal Letters. vol. 763. janv. 2013.

 

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