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Bioénergie

Les enjeux de changement d’échelle

Un rapport montre que l’expansion des biocarburants nécessite un soutien des politiques publiques pour se maintenir à un niveau mondial

Canne à sucre: l’efficacité de la plante en matière de production bioénergétique au Brésil est reconnue sur le plan international; la prochaine étape concernera la mise au point de nouveaux procédés afin d’augmenter la production d’éthanol

EDUARDO CESARCanne à sucre: l’efficacité de la plante en matière de production bioénergétique au Brésil est reconnue sur le plan international; la prochaine étape concernera la mise au point de nouveaux procédés afin d’augmenter la production d’éthanolEDUARDO CESAR

Publié en novembre 2014

Le niveau actuel de développement scientifique et technologique des bioénergies leur permet déjà d’être produites à une grande échelle dans le monde. Mais pour ce faire, il est nécessaire d’adopter des politiques publiques tenant compte de l’ensemble de la chaîne de production d’énergies renouvelables, y compris la question de l’usage de la terre et l’efficacité des technologies de conversion de la biomasse en énergie, jusqu’aux enjeux environnementaux, économiques et sociaux. C’est l’une des principales conclusions d’un rapport sur l’implantation de systèmes bioénergétiques dans le monde qui a été partiellement présenté lors de l’ouverture de la deuxième édition du Brazilian Bio Energy Science and Technology Conference (BBest), qui s’est tenue du 20 au 24 octobre à Campos do Jordão (SP). Le rapport, intitulé Processus Rapide d’Évaluation sur les Biocarburants et leur Développement Durable, a été élaboré par des chercheurs liés aux programmes spéciaux de la FAPESP en Recherche Bioénergétique (Bioen), en Recherches de Caractérisation, Préservation, Restauration et Utilisation Durable de la Biodiversité (Biota) et en Recherche sur les Changements Climatiques Globaux.

« Les politiques publiques mondiales indiquent qu’il sera nécessaire de tripler la production bioénergétique moderne d’ici 2030 », affirme Glaucia Mendes Souza, chercheuse à l’Institut de Chimie de l’Université de São Paulo (USP) et coordonnatrice du Bioen. Elle a été chargée de l’organisation du rapport rédigé en collaboration avec des scientifiques de 24 pays, sous la tutelle du Comité Scientifique pour les Problèmes Environnementaux (Scope, sigle anglais), partenaire de l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, les Sciences et la Culture (Unesco). Le document final a été présenté les 14 et 15 avril 2015 au cours d’un séminaire tenu à la FAPESP qui a inclus également le lancement d’un guide résumé, destiné à orienter les politiques publiques.

Le rapport souligne le rôle de la bioénergie dans le domaine de la sécurité alimentaire. Selon le document, la bioénergie moderne pourrait permettre d’augmenter la productivité de la terre en intégrant à l’agriculture alimentaire la production de maïs et de canne à sucre pour produire de l’éthanol, ou de soja et de palmier à huile pour le biodiesel. « La production de bioénergie dans les zones rurales plus pauvres peut également favoriser l’essor de l’économie locale en créant des emplois et un marché », explique Glaucia Souza.

Des spécialistes venant de différentes parties du monde se sont réunis à Campos do Jordão (SP) lors de la deuxième édition du BBest qui abordait les défis à relever en termes d’articulations politiques pour le secteur bioénergétique Des turbines éoliennes à Parnaíba, dans l’état du Piauí: l’avenir des énergies renouvelables a été abordé durant la conférence

wikimedia commonsDes spécialistes venant de différentes parties du monde se sont réunis à Campos do Jordão (SP) lors de la deuxième édition du BBest qui abordait les défis à relever en termes d’articulations politiques pour le secteur bioénergétiquewikimedia commons

Le rapport souligne cependant qu’il faut avoir une meilleure compréhension des impacts causés par les mesures adoptées en ce qui concerne l’usage de la terre dans la production de bioénergie. Un même type de biomasse comme celle de la canne à sucre peut avoir différentes utilisations comme le chauffage, son usage en tant que carburant liquide, la fourniture d’électricité mais peut également avoir différents impacts. Le contrôle de ces impacts est essentiel. « Le dépôt de tonnes d’azote dans le sol pour planter de la canne à sucre pourrait augmenter les émissions de gaz à effet de serre, à l’instar du protoxyde d’azote. Il faut être très prudent avec les technologies employées » , estime Reynaldo Victoria, professeur à l’USP et membre de la Coordination du Programme FAPESP de Recherche sur les Changements Climatiques Globaux.

Une étude liée au Bioen montre que les émissions directes de gaz à effet de serre dues à la culture de la canne à sucre au Brésil sont inférieures à celles estimées par la littérature scientifique internationale. « Les conditions dans lesquelles nous produisons la canne à sucre au Brésil ne génèrent pas de grandes émissions de protoxyde d’azote », déclare Heitor Cantarella, chercheur à l’Institut Agronomique (IAC) et coordonnateur de l’étude. Cependant, dit-il, l’idéal serait que les champs de canne à sucre adoptent des solutions visant à réduire ou à atténuer les émissions du gaz. Certaines stratégies commencent à être étudiées par le groupe de recherche d’Heitor Cantarella dans la province de São Paulo. L’une d’entre elles est de ne pas appliquer en même temps l’engrais et la vinasse (résidus du traitement industriel de l’alcool), car l’association de ces deux éléments accroît la production de protoxyde d’azote dans le sol. « Les usines ont pour pratique de les appliquer simultanément pour accélérer le processus. Il faut changer cette mentalité », déclare Heitor Cantarella. La canne à sucre est encore une production durable. Notre objectif actuel est d’améliorer ses indicateurs par rapport aux émissions de gaz à effet de serre », dit-il.

Versatilité de l’éthanol
La production de bioénergie à partir de la biomasse peut également contribuer à la récupération et à l’augmentation de ressources environnementales au profit de la faune des sols dégradés. « Dans certains cas, quand les pâturages sont dégradés, ils sont remplacés par la culture de la canne à sucre ou de l’eucalyptus et ceci peut favoriser la récupération du sol et augmenter les ressources au profit de la faune de cette zone », déclare Luciano Verdade, professeur à l’USP et membre de la Coordination du Programme Biota-FAPESP, qui a également participé à ce rapport.

Des cas concrets illustrant le potentiel d’exploitation de la biomasse ont été présentés au BBest par des spécialistes durant toute la semaine. L’un d’entre eux concerne l’utilisation de l’éthanol de la canne à sucre pour obtenir de l’hydrogène qui pourra à son tour alimenter des véhicules à piles à combustible. Le projet est en cours d’étude au Laboratoire d’Hydrogène de l’Université Publique de Campinas (Unicamp), qui, en partenariat avec l’entreprise Hytron, cherche à développer de petites stations d’extraction de l’hydrogène à partir de l’éthanol commercialisé dans les stations-service. « L’idée est de montrer que l’éthanol est versatile et qu’il pourrait être employé de manière plus efficace que sa commercialisation actuelle dans les stations-service », explique Carla Cavaliero, professeur à l’Université Publique de Campinas (Unicamp) et chercheur au laboratoire.

Certains constructeurs automobiles, comme Honda, Toyota et Hyundai, ont récemment lancé de nouveaux modèles de véhicules équipés de piles à combustible. Le coût de production de ces véhicules est cependant très élevé. Dans les pays européens et aux États-Unis, l’extraction de l’hydrogène se fait directement dans certaines stations-service, non pas à partir de l’éthanol, mais par électrolyse (décomposition de l’eau). « L’avantage d’utiliser l’éthanol pour obtenir de l’hydrogène est que le Brésil est déjà compétitif dans la production du carburant à partir de la canne à sucre, ce qui rend ce processus bon marché », déclare la chercheuse.

La production probable de biocarburants liquides avancés a également été discutée au cours du BBest. Les participants ont ainsi eu la possibilité de découvrir les progrès réalisés dans le domaine de la production d’éthanol de cellulose obtenue à partir de déchets agroindustriels comme la bagasse de canne à sucre au Brésil. Cette année, deux entreprises ont commencé à produire à une échelle commerciale de l’éthanol de deuxième génération, appelé également éthanol cellulosique. L’une d’entre elles, l’entreprise GranBio, a lancé une unité de production dans l’état d’Alagoas. GranBio a investi environ 190 millions dollars US dans la partie industrielle, auxquels s’ajoutent 300 millions reais financés par la BNDES. L’usine a une capacité de production de 82 millions de litres d’éthanol anhydre par an et fonctionnera à plein régime à partir de 2015. Le Centre de Technologie de la Canne à Sucre (CTC), créé en 1969 par Copersucar, a lancé une autre initiative à travers la mise en service d’une usine de démonstration d’éthanol de deuxième génération à São Manoel, dans l’état de São Paulo. L’usine peut traiter 100 tonnes de biomasse de canne à sucre par jour. L’objectif de cette unité est de montrer le potentiel de ce procédé développé par le centre qui peut accroître la production d’éthanol sans augmenter la zone plantée de canne à sucre.

 Des turbines éoliennes à Parnaíba, dans l’état du Piauí: l’avenir des énergies renouvelables a été abordé durant la conférence

wikimedia commonsDes turbines éoliennes à Parnaíba, dans l’état du Piauí: l’avenir des énergies renouvelables a été abordé durant la conférencewikimedia commons

Le procédé mis au point par le CTC pour obtenir de l’éthanol cellulosique à partir de la canne à sucre a été breveté en 2008 car il représente un atout stratégique par rapport aux méthodes adoptées par d’autres entreprises dans cette course de la recherche en matière d’éthanol de deuxième génération au Brésil. Le processus d’hydrolyse enzymatique de la cellulose présente dans la bagasse et dans la paille sera totalement intégré à la structure actuelle de l’usine.

Enzymes
Il y a cependant encore certains obstacles qui freinent le développement de la production d’éthanol de deuxième génération à une échelle industrielle. « Le principal obstacle est lié aux enzymes », déclare Jaime Finguerut, conseiller technique de la présidence du CTC. La production d’éthanol de deuxième génération dépend d’enzymes utilisées pour rompre la lignine, dépend des hémicelluloses des cellules de la canne pour obtenir la cellulose et ensuite du glucose pour permettre la fermentation du sucre et obtenir de l’éthanol. « Il y a très peu d’entreprises qui fournissent cette enzyme et elle est très chère, ce qui augmente le coût de production de l’éthanol cellulosique », explique Jaime Finguerut. Le CTC, en partenariat avec l’Embrapa et le Laboratoire National de Sciences et Technologie du Bioéthanol (CTBE), est actuellement à la recherche de nouveaux intrants pour développer ce procédé.

La programmation du BBest ne s’est pas limitée à une discussion autour des biocarburants, comme l’éthanol. L’accent a également été mis sur l’avenir des énergies renouvelables comme l’éolien et le solaire. L’idée était de montrer qu’outre la production de bioénergie à partir des biomasses, il y avait d’autres manières de produire de l’électricité. « Les films photovoltaïques, par exemple, sont flexibles et peuvent être associés à la construction de maisons et de bâtiments ou adaptés aux fenêtres, réduisant ou augmentant la luminosité », déclare Helena Li Chum, Brésilienne installée depuis 30 ans aux États-Unis et chercheuse au Laboratoire National en Énergie Renouvelable du Département d’Énergie nord-américain. Selon Helena Li Chum, le procédé visant à individualiser la captation et la distribution de l’énergie est une manière de répondre aux demandes spécifiques émanant de différents secteurs de l’industrie.

Un exemple de cette interaction des énergies renouvelables a été présenté par Danny Krautz, du Berlin Partner for Business and Technology, agence allemande de soutien à l’innovation. Il a ainsi montré les avantages des cellules photovoltaïques cristallines, technologie utilisée dans la fabrication de films de polymères ultrafins qui peuvent convertir la lumière solaire en énergie électrique de manière plus efficace que les panneaux solaires à base de silicium. « Les cellules photovoltaïques cristallines sont déjà utilisées en Asie, principalement dans les zones rurales. Elles sont légères et faciles à installer », explique Danny Krautz.

Tout comme les films photovoltaïques, les mini-usines éoliennes sont de bonnes alternatives pour la production d’électricité de manière décentralisée. Constituées de petites hélices de cinq mètres de haut, elles pèsent environ 800 kilos et peuvent être installées auprès de maisons, de fabriques ou dans de petites communautés. Jon Samseth, de l’Oslo and Akershus University College of Applied Sciences, en Norvège, explique que ces projets, la plupart encore en phase d’élaboration, visent à proposer une alternative au modèle de distribution électrique centralisé que nous connaissons aujourd’hui. «La production décentralisée d’électricité cherche à répondre à des besoins spécifiques, évitant le gaspillage et les coûts élevés», dit-il. Jon Samseth cite l’exemple du NuScale SMR, un petit réacteur nucléaire mis au point par l’entreprise américaine NuScale Power. L’équipement qui devrait être commercialisé à partir de 2020 pourra être transporté en camion ou en train pour répondre ponctuellement à différents clients comme les industries et les hôpitaux. Ce mini-réacteur d’une puissance de 540 mégawatts et d’une autonomie de 60 ans, peut être rapidement construit et, en cas d’accident, les dommages environnementaux et économiques seront plus faciles à contrôler.

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