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COLLABORATION

Pour sortir de l’oubli

Des chercheurs réfléchissent à des partenariats en quête de traitements de maladies qui intéressent peu les industries pharmaceutiques

Des enfants jouent  dans un cours d’eau  de Rondônia en fin d’après-midi, la période la plus propice aux piqûres du moustique du paludisme

EDUARDO CESARDes enfants jouent dans un cours d’eau de Rondônia en fin d’après-midi, la période la plus propice aux piqûres du moustique du paludismeEDUARDO CESAR

Publié en décembre 2014

Des chercheurs de plusieurs pays se sont réunis les 13 et 14 novembre dernier au siège de la FAPESP afin de discuter des possibilités de coopération en matière de développement et d’offre de nouveaux traitements contre les « maladies tropicales négligées », celles qui intéressent peu les industries pharmaceutiques parce qu’elles touchent surtout des populations et des pays pauvres. À titre d’exemples, la maladie de Chagas, la leishmaniose viscérale, le paludisme et la trypanosomiase africaine (ou maladie du sommeil). Organisée avec la Royal Society of Chemistry (RSC) du Royaume Uni et les organisations internationales Drugs for Neglected Diseases initiative (DNDi) et Medicines for Malaria Venture (MMV), la rencontre a montré que le Brésil possède des compétences particulières dans les domaines de la chimie organique et de la biologie moléculaire pour aider à trouver de nouveaux médicaments – et ce même si l’articulation entre les groupes de recherche et les incitations à des collaborations internationales est encore rare dans ce domaine. De l’avis d’Alejandra Palermo, responsable innovation de la RSC, « la rencontre a permis de comprendre comment le Brésil peut être inclus dans de grandes études sur les maladies négligées. Nous souhaitons approfondir cette relation parce que le pays possède une forte communauté dans le domaine de la chimie, et beaucoup de maladies évoquées pendant la réunion sont ici endémiques ».

D’après les données de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les maladies tropicales négligées atteignent près d’1 milliard de personnes dans le monde. Sur les 17 maladies de ce type enregistrées par l’OMS, 14 sont présentes au Brésil. L’an dernier, la RSC a signé un accord avec les deux entités internationales (dont le siège est en Suisse) dans l’objectif de développer de nouveaux médicaments. L’entité britannique a offert l’accès à un réseau de collaboration dans le domaine de la chimie organique et à des logiciels qui facilitent l’échange de connaissances. Pour Palermo, beaucoup de travaux présentés par des chercheurs brésiliens peuvent être poursuivis sous l’orientation et en partenariat avec les deux organisations internationales, dont la mission est de développer des médicaments accessibles aux plus pauvres.

Une initiative déjà en cours compte sur la participation du Laboratoire de Chimie Organique Synthétique de l’Université d’État de Campinas (Unicamp), avec lequel DNDi développe un programme inédit en Amérique latine: le Lead Optimization Latin America (Lola). Luiz Carlos Diaz, coordonnateur du laboratoire, explique que « le but est de perfectionner et de tester des composés chimiques in vivo contre la maladie de Chagas et la leishmaniose ». Selon lui, le travail en réseau promu par l’organisation internationale permet de tester une même molécule sous différents aspects dans d’autres pays, et donc d’accélérer le processus de production d’un médicament. Au cours de la dernière décennie, l’entité mondiale a réussi à lancer deux nouveaux traitements contre le paludisme, un contre la maladie du sommeil, un contre la leishmaniose viscérale, une combinaison de médicaments contre la leishmaniose viscérale spécifique pour l’Asie et un traitement pédiatrique avec dose adaptée contre la maladie de Chagas.

En ce moment par exemple, l’analyse et la préparation d’un nouveau composé pour la maladie de Chagas ont été réparties entre le laboratoire de l’Unicamp, le Centre de Biotechnologie Moléculaire Structurelle de l’USP, coordonné par le professeur Adriano Adricopulo, et l’Institut de Physique de l’USP à São Carlos. À ce projet participent également des entreprises pharmaceutiques – dont Abbvie et Pfizer – et des instituts de recherches internationaux, comme le Swiss Tropical Institute (Suisse) et le Drug Discovery Unit de l’Université de Dundeee (Australie), entre autres.

Le moustique anopheles gambiae, vecteur du paludisme

CDC/James GathanyLe moustique anopheles gambiae, vecteur du paludismeCDC/James Gathany

Une autre initiative inédite en Amérique latine réunit l’équipe de Dias et le MMV dans le programme nommé Brazil Heterocycles, qui a déjà synthétisé deux molécules prometteuses pour le traitement du paludisme. Ce projet compte sur des collaborations avec des centres internationaux, parmi lesquels Imperial College London, Monash University (Australie), Glaxo Smith Kline (Espagne), Astra Zeneca et Syngene (Inde).

Obstacles
Pour Glaucius Oliva, « les étapes les plus chères du développement de nouveaux médicaments sont la découverte de la molécule et les tests précliniques et de toxicité » . Oliva est coordonnateur du Centre de Recherche et Innovation en Biodiversité et Médicaments (CIBFar), un des Centres de Recherche, Innovation et Diffusion (Cepid) de la FAPESP qui participe à l’un des projets de synthèse moléculaire coordonnées par l’équipe de Carlos Dias à l’Unicamp: « Avec le soutien financier de grandes organisations mondiales à cette étape précise, l’industrie pharmaceutique peut entrer postérieurement dans les étapes d’essais cliniques et de production à grande échelle. Du coup, l’industrie pharmaceutique commence à s’intéresser aux maladies tropicales négligées » . Président du Conseil National de Développement Scientifique et Technologique jusqu‘a  février 2015 (CNPq), Oliva pense que le partenariat entre la DNDi, le MMV et l’Unicamp doit servir d’exemple pour d’autres initiatives.

Mais il estime également que la recherche brésilienne doit surmonter certains obstacles pour pouvoir contribuer davantage aux études sur les maladies tropicales négligées. L’un d’eux est relié à la pharmacocinétique, qui est le chemin parcouru par une molécule dans l’organisme après son administration. Pour Walter Colli, biochimiste, professeur de l’Université de São Paulo (USP) et coordonnateur adjoint de la FAPESP en sciences de la vie, « les chercheurs en toxicologie et en chimie synthétique et médicinale qui travaillent à la création de nouvelles molécules sont encore peu nombreux au Brésil ».

Un groupe de chercheurs de l’USP a notamment montré qu’il était possible d’améliorer l’action de médicaments déjà existants par le biais de la synthèse chimique de composés naturels, au moins tant que de nouveaux médicaments ne sont pas prêts. Ils ont réussi à synthétiser une molécule à partir des bétalaïnes, les pigments présents dans des fleurs fluorescentes et dans les betteraves. Le composé parvient à traverser facilement des membranes de cellules animales et à servir de sondes et de marqueurs fluorescents pour la biologie cellulaire. Selon le chercheur de l’Institut de Chimie de l’USP et coordonnateur de la recherche, Erik Bastos, « la molécule fluorescente pourra être fonctionnelle et agir comme un taxi, qui n’éteindra sa lumière rouge que lorsqu’il aura laissé le médicament au bon endroit et au bon moment ».

La nouvelle molécule est encore en phase de tests. Comme le développement d’un nouveau médicament et les analyses pharmacologiques sont chers, le groupe de Bastos pense que le composé peut initialement être utilisé pour améliorer l’action de médicaments pour le paludisme déjà disponibles sur le marché: « Nous avons prouvé avec des tests in vitro que les bétalaïnes synthétisées en laboratoire pouvaient aller au-delà des membranes du parasite du paludisme. Avec cette technique, la dose du médicament habituel peut être réduite. L’efficacité du traitement est meilleure parce que le traçage du médicament permettra de trouver de nouveaux chemins pour conduire la drogue jusqu’au parasite ».

Des recherches de ce type peuvent jouer un rôle important dans le processus d’éradication de certaines maladies. « En améliorant ce qui existe déjà, il est possible, à court terme, d’augmenter l’efficacité d’un traitement » , affirme Carolina Batista, directrice médicale de la DNDi en Amérique latine. Elle cite comme exemple le traitement de la maladie de Chagas, dont le médicament le plus utilisé est le benznidazole, créé dans les années 1970.

Entre 2012 et 2013, la DNDi a commandé une vaste étude chargée de comparer le benznidazole et l’E1224, une nouvelle molécule prometteuse dans la lutte contre la maladie de Chagas. Les tests in vitro ont donné de bons résultats, par contre il n’en a pas été de même dans les tests cliniques avec des patients. Malgré tout, une partie de l’étude a révélé l’efficacité du traitement à base de benznidazole chez des patients chroniques. Une autre étude publiée cette année par des institutions de recherche espagnoles a prouvé que le benznidazole reste le composé le plus efficace pour le traitement de la maladie de Chagas. Mais Carolina Batista rappelle que le problème du benznidazole reste ses « effets secondaires compliqués, comme des allergies et des maux de tête. Cela montre que même un médicament ancien et largement utilisé a encore besoin d’être amélioré et étudié ».

L’une des études qui évaluent actuellement l’action du benznidazole est menée par l’Institut Dante Pazzanese de São Paulo et des institutions du Canada et d’Argentine. Plus de 3 000 patients de différents pays ont été recrutés et les premiers résultats doivent être diffusés en 2015. Sergio Sosa-Estani, directeur de l’Institut National de Diagnostic et Recherche sur la Maladie de Chagas de Buenos Aires et membre de la DNDi en Argentine, précise: « Nous avons déjà réussi à analyser l’action du médicament chez des enfants atteints de la maladie de Chagas, ce qui nous a permis d’en conclure qu’il serait possible de diminuer leurs doses de benznidazole ».

Sur des images traitées numériquement,  un composé extrait  de fleurs fluorescentes traverse des membranes de  deux érythrocytes,  l’un d’eux infecté  avec un plasmodium de paludisme

Archives erick bastos (iq-usp) - Images publiées dans la revue Plos One Sur des images traitées numériquement, un composé extrait de fleurs fluorescentes traverse des membranes de deux érythrocytes, l’un d’eux infecté avec un plasmodium de paludismeArchives erick bastos (iq-usp) - Images publiées dans la revue Plos One

Expansion de la recherche
Les participants de la rencontre ont mis l’accent sur la nécessité de découvrir de nouvelles molécules capables de renforcer la lutte contre les maladies tropicales négligées. En 2012, l’OMS a lancé de nouvelles directives sur le contrôle et l’élimination de ces maladies jusqu’en 2020. D’après l’organisation, les défis sont énormes en ce qui concerne la maladie de Chagas et la leishmaniose. Actuellement, près de 7,6 millions de personnes sont infectées par la maladie de Chagas dans le monde. Mais si l’on tient compte des facteurs de risque (dont les logements précaires dans les régions les plus pauvres), le nombre de personnes qui risque d’attraper la maladie est environ de 100 millions de personnes rien qu’en Amérique latine – conformément aux données de la DNDi. L’OMS ajoute que seul 4,3 % du total des financements pour des recherches sur les maladies tropicales négligées est consacré à la maladie de Chagas et à la leishmaniose.

Pour combler cette lacune, le MMV et la DNDi ont signé à Londres un accord destiné à élargir les recherches dans ce domaine. Les institutions reçoivent des donations de gouvernements, d’entreprises et de fondations (comme celle de Bill et Melinda Gates). Chef du département de la découverte de médicaments du MMV, Jeremy Burrows explique que l’objectif de l’entité est d’élaborer de nouveaux composés pour traiter le paludisme, qui atteint annuellement de 80 à 100 millions de personnes dans le monde: « Nous collaborons déjà avec plus de 300 partenaires, et avec l’aide de la science brésilienne nous pouvons contribuer de manière importante à la lutte contre le paludisme ».

La DNDi est le fruit d’un partenariat entre des institutions publiques de recherche et une partie de l’industrie pharmaceutique. L’entité est née avec l’argent gagné par l’organisation humanitaire Médecins Sans Frontières à l’occasion du Prix Nobel de la Paix en 1999, et aujourd’hui elle administre un réseau de 350 collaborations dans 43 pays. Robert Don, directeur des découvertes et du développement préclinique de la DNDi, dit que l’entité « met en contact des universités et l’industrie, qui n’arriveraient pas à développer de nouveaux produits si elles travaillaient seules ».

Pour le chimiste britannique Simon Campbell, membre de la RSC et consultant des deux entités dans les projets en collaboration avec l’équipe de l’Unicamp, la communauté scientifique brésilienne est reconnue parmi celles qui font des recherches sur les maladies tropicales négligées. En outre, elle possède de bons laboratoires et un financement adapté. Ce nonobstant, il pense que le pays doit investir davantage dans les domaines de la chimie synthétique et médicinale pour transformer la connaissance de la biologie en nouveaux traitements: « Nous avons besoin de traitements plus efficaces et avec moins d’effets secondaires. Une manière d’accélérer ce processus est de travailler en collaboration, et pour cela nous comptons sur le soutien des scientifiques brésiliens » .

Cette vision est partagée par Vanderlan Bolzani, professeur de l’Institut de Chimie de l’Université d’État Paulista (Unesp): « Nous avons besoin de former une grande masse critique dans le domaine de la chimie synthétique, d’encourager des chercheurs plus jeunes à travailler la préparation à la mise au point de molécules qui puissent contribuer à l’éradication de maladies comme le paludisme et la maladie de Chagas ». Lors de l’ouverture de la rencontre, le directeur scientifique de la FAPESP, Carlos Henrique de Brito Cruz, a déclaré qu’un tel événement était l’opportunité de rapprocher directement des chercheurs de São Paulo avec d’autres chercheurs du monde et deux fondations scientifiques importantes, la FAPESP et la Royal Society of Chemistry: « Les institutions concernées souhaitent partager des informations de recherche pour aboutir plus rapidement à des résultats ».

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