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Génomique

Sur la piste du vaccin

Des brésiliens séquencent le génome de la bactérie qui provoque la leptospirose et demandent le brevetage de 24 protéines

Égout à ciel ouvert:  Le contact avec l’eau contaminée accroît  le risque de transmission de la leptospirose

EDUARDO CESAR Égout à ciel ouvert: Le contact avec l’eau contaminée accroît le risque de transmission de la leptospiroseEDUARDO CESAR

Publié en juin 2003

La renommée revue scientifique anglaise Nature du 24 avril, a annoncé qu’une équipe chinoise appartenant au Centre du Génome Humain à Shanghai avait séquencé le génome complet de la variété Lai de Leptospira interrogans, bactérie de la leptospirose la plus répandue dans ce pays. La leptospirose, transmise à l’homme par l’urine des rongeurs et d’autres animaux infectés par l’agent pathogène, est considérée comme une des zoonoses (maladies transmises aux hommes par les animaux) les plus répandues, principalement dans les zones rurales à climat chaud. Ces recherches, menées par des scientifiques d’un pays en développement se situant hors de l’axe Europe-États-Unis, revêtent sans aucun doute une importance particulière sur le plan international. Cependant, pour les brésiliens, la nouvelle la plus importante concernant la leptospirose ne venait pas d’Extrême-Orient, n’avait jamais été publiée et était maintenue secrète. Une équipe de chercheur de l’Institut Butantan de São Paulo, qui travaillait discrètement sur un projet concurrent du projet chinois en collaboration avec des collègues de la filiale de la Fondation Osvaldo Cruz (Fiocruz) dans l’état de Bahia et avec des universités paulistes, avait également conclu le séquençage intégral du génome d’une autre lignée de L. interrogans, appelée sérovar Copenhageni, et responsable de nombreux cas de cette maladie au Brésil.

Recherche intégrée
En vérité, le groupe brésilien a fait plus que dévoiler la structure moléculaire d’un pathogène identique à celui séquencé par les scientifiques de Shanghai. En effet, il a réalisé un pas important consolidant une ligne de recherche prometteuse visant à développer de meilleures formes de prophylaxie et de diagnostic de la leptospirose humaine, principal objectif du projet. Ceci parce qu’en février 2002, un an et deux mois avant la publication de l’article chinois dans la revue Nature, les scientifiques de l’Institut Butantan ont demandé aux États-Unis le brevetage de 24 gènes (et de leurs protéines respectives) identifiés dans un travail de séquençage et d’analyse du génome du sérovar Copenhageni. Ce travail a été réalisé par l’AEG, réseau public de laboratoires paulistes spécialisé en génomes dans le domaine agronomique et environnemental. “Ces protéines peuvent être utiles à la mise au point d’un vaccin contre la leptospirose humaine (il n’existe aucun vaccin à ce jour) ou pour mettre au point des tests de dépistages plus efficaces afin de diagnostiquer les différentes variétés sérologiques de la maladie ”, déclare Ana Lucia Tabet Oller do Nascimento, membre de l’Institut Butantan et coordinatrice du projet sur L. interrogans, financé par la FAPESP. Cette hypothèse se base sur des tests préliminaires réalisés en laboratoire indiquant que ce groupe de 24 protéines réagit au contact de sérum sanguin humain ou de rats infectés par la leptospirose. La réponse à cette demande de brevet, dont les droits s’étendent au Brésil, devrait parvenir l’année prochaine.

Étude comparative
Les chercheurs de l’Institut Butantan viennent de rédiger un article scientifique dans lequel ils comparent les génomes de deux variétés de L. interrogans. De nombreuses informations relative à ce travail et encore confidentielles ont été soumises à une grande revue internationale et attendent un feu vert avant d’être publiées. Mais certaines informations générales, issues de cette comparaison, peuvent d’ores et déjà être divulguées. Les deux séquences génétiques ont pratiquement la même taille. Le sérovar Lai possède pratiquement 4,7 millions de paires de bases (unités chimiques constituant le code génétique), divisées en deux chromosomes circulaires, un grand et l’autre petit. Le Copenhageni possède une structure quasi identique, avec également deux chromosomes, mais possède 60 mille paires de bases en moins que la souche étudiée par les asiatiques.

La grande différence entre les deux variétés réside dans la quantité probable de gènes et de protéines respectives. Dans leurs travaux menés sur le sérovar Lai, les chinois ont comptabilisé 4.727 gènes et un nombre identique de protéines. Pour le sérovar Copenhageni, les brésiliens ont comptabilisé environ 3.700 gènes ou protéines. C’est une différence considérable pour deux génomes apparemment si proches. “Nous ne pensons pas qu’il y ait autant de protéines supplémentaires dans le Lai par rapport au Copenhageni”, affirme Elizabeth Angélica Leme Martins, biochimiste à l’Institut Butantan, et membre du projet. “Selon nos analyses, ce nombre doit être bien inférieur, environ 200 protéines.” L’équipe de l’Institut Butantan, en collaboration avec Paulo Lee Ho et Luciana Leite, a découvert 250 nouvelles protéines de surface dans le sérovar Copenhageni. Ces protéines se trouvent dans la membrane des cellules du pathogène et en contact direct avec l’hôte, homme ou animal, infecté par L. interrogans. Parmi ces groupes de protéines, il faut souligner un ensemble plus petit composé de 174 lipoprotéines qui peuvent avoir une plus grande implication dans le processus infectieux provoqué par la bactérie. Ana Lucia déclare également :’“avant nos travaux, seules dix lipoprotéines avaient été identifiées dans L. interrogans, les chinois ont très peu décrit des protéines de ce type».

Leptospira interrogans: transmis principalement par l’urine des rongeurs

CDC/NCID/HIP/JANICE CARR Leptospira interrogans: transmis principalement par l’urine des rongeursCDC/NCID/HIP/JANICE CARR

Dans les villes
Contrairement au sérovar Lai, propres aux plantations inondées de riz en Asie, où sont signalés la plupart des cas de la maladie en Chine, la souche Copenhageni est la principale responsable de l’incidence de la leptospirose humaine au Brésil, où plus de 46 mille cas ont été confirmés entre 1987 et 2001, avec un taux annuel de mortalité atteignant 6,5% à 20%. Dans ce cas, il ne s’agit plus d’un problème lié aux campagnes car la maladie a un caractère plus métropolitain. Dans les villes, les gens attrapent normalement la maladie dans des zones ne possédant pas d’installations sanitaires de base, où les déchets s’accumulent (ce qui attire les rats) et les égouts sont à ciel ouvert, ce qui en été durant l’époque des inondations transforme les voies publiques en ruisseaux immondes, augmentant ainsi le risque d’infection au contact de l’eau ou de la terre contaminés par l’urine des rongeurs infectés par la bactérie. Le rat d’égout (Rattus norvegicus), un habitant aussi urbain que l’homme moderne, est le principal hôte du sérovar Copenhageni de L. interrogans.

Un homme infecté peut mettre deux à trente jours avant de développer les symptômes les plus connus et dus à la présence de bactéries dans son organisme et qui se manifestent sous la forme de fièvres, maux de tête, frissons, vomissements, nausées et malaise général. Si le malade n’est pas traité avec des antibiotiques, comme de la pénicilline ou de la doxycycline, L. interrogans peut affecter les reins et le foie et dans certains cas extrêmes provoquer la mort. Comme les symptômes de la maladie différent peu de ceux déclenchés par d’autres maladies connues, comme la dengue et la fièvre jaune, la leptospirose est parfois confondue avec d’autres affections. Pour obtenir un diagnostic fiable, il est nécessaire de faire des analyses de sang et d’urine en laboratoire. “Parfois, même avec ces examens, nous ne parvenons pas à déceler le sérovar responsable de l’infection ”, déclare Ana Lucia.

Déceler le sorovar de L. interrogans responsable de l’infection peut paraître un détail. Mais c’est une fausse impression, car connaître la variété de bactérie qui déclenche la maladie peut aider à prévoir l’évolution de l’infection. En effet, il y a des souches plus ou moins agressives et cette connaissance est fondamentale pour créer un vaccin. Ceci est encore plus vrai dans le cas de ce pathogène, car il y a environ 250 sérovars connus de L. interrogans possédant des degrés variables de caractéristiques communes. Il n’est pas toujours facile de différencier un type d’un autre. En fonction de leur morphologie, de leur apparence externe vue à l’aide d’un microscope électronique, les variétés semblent identiques. Elles sont toutes fines et allongées, en spirale, sans paroi cellulaire rigide. Elizabeth déclare qu’“on ne peut pas distinguer les différentes variétés par leur seule morphologie ”,

Si l’apparence physique ne change pas d’un sérovar à l’autre, d’autres paramètres sont loin d’être identiques en ce qui concerne les différentes variétés de la bactérie. Le degré pathogène, la zone géographique de l’infection, les hôtes les plus répandus et les victimes préférentielles (homme ou autre animal, comme le chien, le boeuf ou les rongeurs) peuvent énormément varier en fonction de la souche de L. interrogans. À titre d’exemple, certains types de bactérie n’infectent que l’homme, d’autres n’infectent que les animaux et certaines infectent les deux. Les bactéries Copenhageni et Lai font partie des variétés les plus virulentes de L. interrogans qui attaquent l’être humain. En comparant le génome de ces deux souches, les chercheurs de l’Institut Butantan pensent avoir identifié deux protéines présentes uniquement dans la variété séquencée au Brésil et impliquées dans la synthèse des polysaccharides (un type de sucre) qui peuvent aider à différentier les sérovars. Ana Lucia prévoit que “si ces informations se confirment, elles pourront être importantes pour la compréhension de la grande variation antigénique des Leptospires”.

Variété brésilienne
La principale implication clinique de cette grande diversité de pathogènes qui provoque la leptospirose est l’existence de nombreux antigènes associés à la maladie, chacun légèrement différent des autres. Toute substance reconnue par l’organisme comme ayant une origine externe ou représentant un danger est appelée antigène. Pour se défendre de cet agresseur potentiel, normalement une ou plusieurs protéines, le système immunologique produit des défenses spécifiques (anticorps) contre l’antigène qui le menace. Dans le cas de la leptospirose, et en fonction du nombre élevé de sérovars de la bactérie, posséder des anticorps contre une variété de L. interrogans n’offre pas nécessairement une protection contre les autres types de pathogènes.

Le vaccin idéal contre la leptospirose serait celui qui offrirait une protection immunologique contre toutes les variétés de la bactérie, ou du moins contre les plus répandues. Cependant, dans de nombreux cas, on n’obtient qu’un produit bien spécifique capable d’empêcher l’infection provoquée par un ou certains types de sérovars et qui se montre inefficace pour d’autres variétés du pathogène. Les quelques pays qui étudient à fond la leptospirose tendent à concentrer leurs travaux sur les variétés les plus répandues sur le plan local.

Outre la Chine et le Brésil, qui ont séquencés des sérovars différents de L. interrogans, les australiens étudient également le matériel génétique d’une autre souche de cette bactérie. “Nous devons mener nos propres recherches sur le sérovar Copenhageni qui est la principale cause de la leptospirose humane au Brésil, car rien ne garantit qu’un vaccin développé à l’étranger contre une autre variété de la bactérie puisse nous être utile”, déclare Ana Lucia. Si les pistes suivies par les chercheurs brésiliens s’avèrent justes et si tout se déroule dans les délais prévus, un vaccin pourrait être crée d’ici cinq ou dix ans. Pour accélérer ce processus, la réalisation de partenariats avec l’industrie pharmaceutique ainsi qu’avec des chercheurs vétérinaires, également intéressés par les nouvelles thérapies contre la leptospirose, est une des priorités de l’équipe de l’Institut Butantan.

Le projet
Séquençage du génome de Leptospira interrogans; Modalité Ligne régulière d’aide à la recherche; Coordonnatrice Ana Lucia Tabet Oller do Nascimento – Institut Butantan; Investissement 776,526,85 réaux

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