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Paléoécologie

500 000 ans d’histoire environnementale

La coopération franco-brésilienne révèle des transformations environnementales dans la dépression de Colônia et forme de nouvelles générations de chercheurs

Les assemblages de diatomées aident à la reconstruction de l'écologie ancienne de Colônia

Gisele Marquardt / UFPR

Le Brésil était encore sur le chemin du retour à un régime démocratique lorsque la paléoécologue française Marie-Pierre Ledru y est venue pour la première fois. En 1985, alors qu’elle était encore étudiante de master à Paris, elle a été invitée par un professeur français à participer à des fouilles archéologiques. L’expérience a éveillé son intérêt pour la paléoécologie (l’étude des écosystèmes du passé à partir des preuves conservées dans les sédiments, les fossiles et autres archives naturelles) et l’histoire climatique des paysages tropicaux.

Depuis, elle est venue au Brésil à de nombreuses reprises. Pour donner des conférences, participer à des événements et, surtout, pour du travail de terrain. « Nous n’avons plus ce rapport à la recherche de terrain comme les Brésiliens. En France, il y a moins de nature, tout est urbanisé et on reste beaucoup dans les laboratoires. Or, quand je suis à la campagne, j’aime aller voir la végétation, l’espace, les communautés », explique la chercheuse sénior de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), actuellement basé à Montpellier.

Au cours des 40 dernières années, Marie-Pierre Ledru a travaillé dans les universités de São Paulo, Brasília et Fortaleza ; elle a établi un réseau de coopération qui a donné lieu à plus de 200 articles universitaires. L’un d’entre eux, publié en décembre 2024 dans la revue Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology, étudie les changements environnementaux survenus au cours de centaines de milliers d’années dans la dépression de Colônia, située au sud de la ville de São Paulo. Il s’agit d’un cratère circulaire de 3,6 kilomètres (km) de diamètre qui s’est formé entre 30 et 5 millions d’années auparavant, probablement après l’impact d’une météorite.

« Nous avons découvert que la transformation du lac en tourbière dans la dépression de Colônia s’est déroulée en plusieurs phases, en commençant par le bord et en atteignant ensuite le centre », explique Gisele Marquardt, biologiste et première auteure de l’article, de l’Université fédérale du Paraná (UFPR). « Cela indique qu’il s’agit d’un processus plus ancien que ce que nous pensions – les données remontent à 500 000 ans – et plus complexe qu’une simple réponse aux changements climatiques ».

Le passage de lac à tourbière, un terrain détrempé semblable à un marais, aurait été influencé par des facteurs locaux tels que la géologie, les sédiments et la végétation, indiquant par là que les écosystèmes tropicaux peuvent réagir de manière variée aux changements climatiques. D’après la chercheuse, cela serait crucial pour identifier les changements futurs dans les zones inondées, ainsi que pour renforcer l’importance de la gestion adéquate de ces environnements.

Marquardt et Ledru travaillent ensemble depuis cinq ans, lorsque la Brésilienne faisait une recherche postdoctorale à l’Institut botanique de São Paulo, qui a été intégré en 2021 à l’Institut de recherches environnementales (IPA). Financé par la FAPESP, le projet visait à évaluer les changements des assemblages de diatomées (micro-algues unicellulaires à paroi cellulaire siliceuse) et à les utiliser comme marqueurs biologiques pour la reconstruction paléoenvironnementale dans la dépression de Colônia. C’est la botaniste Denise Bicudo, de l’IPA, qui a fait le lien entre les deux.

Actuellement à la retraite, Denise Bicudo a beaucoup travaillé sur l’étude des lacs et des milieux aquatiques anciens à partir des sédiments accumulés au fond de ces plans d’eau, un domaine universitaire appelé paléolimnologie. En 2017, alors qu’elle participait à un projet thématique également financé par la FAPESP sur la reconstruction environnementale des milieux aquatiques, elle a été invitée par un collègue de l’Institut des géosciences de l’Université de São Paulo (IGc-USP), l’hydrogéologue André Oliveira Sawakuchi, à participer à un travail à Colônia avec Ledru.

Selon Bicudo, « la possibilité d’analyser une carotte de sédiments de 50 mètres et de plus de 1,5 million d’années est une opportunité rare ». La principale contribution de son équipe à l’époque a été d’introduire un front de recherche qui n’avait pas encore été envisagé, en utilisant les diatomées comme bioindicateurs. Le groupe a pu identifier les changements d’alcalinité, d’acidité et de salinité de l’eau, ainsi que des variations du régime hydrologique et de la qualité de l’eau au fil du temps.

L’approche a permis d’envisager le lac de la dépression de Colônia comme un capteur de ce système environnemental, capable de refléter les changements dans l’environnement terrestre, l’atmosphère et les conditions écologiques du plan d’eau lui-même. « Les données étant nombreuses et complexes, nous avons dû procéder à une interprétation conjointe. Et la coopération entre notre équipe et celle de Madame Ledru s’est très bien déroulée, ce qui nous a permis d’avancer dans les analyses », explique Bicudo.

La collègue française souligne que dans les études de reconstruction environnementale, il est nécessaire de rassembler tous les indicateurs possibles. Et le travail sur les diatomées mené par l’équipe brésilienne a été fondamental pour comprendre les étapes de transformation du lac en tourbière dans le cas de Colônia : « C’est important pour nous aider à comprendre l’avenir. Avec le changement climatique actuel et l’utilisation intensive de l’eau pour l’irrigation, de nombreux lacs s’évaporent.

En plus d’aboutir à des publications significatives et de faire avancer le domaine de la paléoécologie, le partenariat entre les chercheuses a également joué un rôle décisif dans la formation de nouveaux scientifiques, comme Gisele Marquardt. « Le projet de Colônia m’a donné une base solide », souligne-t-elle. L’impact sur la formation de jeunes chercheurs souligne l’importance des initiatives de coopération telles que les projets franco-brésiliens, en particulier dans des domaines hautement spécialisés. Dans le cas de la paléolimnologie – un domaine multidisciplinaire qui nécessite des connaissances en chimie, climatologie, taxonomie et écologie -, les possibilités d’emploi au Brésil sont encore très limitées.

Bicudo regrette qu’ « il y [ait] très peu de spécialistes et [qu’ils soient] de moins en moins nombreux, presque en voie d’extinction. […] Depuis que j’ai commencé la paléoécologie, j’ai formé des professionnels qui sont devenus très compétents. Le problème, c’est qu’ils ne trouvent pas toujours de travail. C’est aussi pour cette raison que ces coopérations sont importantes ».

Projets
1. Modifications des assemblages de diatomées face aux changements climatiques et environnementaux pendant les cycles glaciaires et interglaciaires dans la région de la forêt atlantique brésilienne située en zone urbaine (nº 18/23399-0); Modalité Bourse de postdoctorat; Chercheur responsable Carlos Eduardo de Mattos Bicudo (Instituto de Botânica); Bénéficiaire Gisele Carolina Marquardt; Investissement 177 857,36 reais BRL.
2. Défis pour la conservation de la biodiversité face aux changements climatiques, la pollution, l’utilisation et l’occupation du sol (PDIp) (nº 17/50341-0); Modalité Programme de modernisation des instituts étatiques de recherche; Chercheur responsable Luiz Mauro Barbosa (Ipa); Investissement 9 612 432,65 reais BRL (pour tous les projets).
3. Dimensions US-Biota São Paulo: Intégration de disciplines pour la prédiction de la biodiversité de la forêt atlantique au Brésil (nº 13/50297-0); Modalité Programme Biota; Accord National Science Foundation (NSF); Chercheuse responsable Cristina Yumi Miyaki (USP); Investissement 4 517 876,44 reais BRL.
4. Reconstruction paléolimnologique du barrage Guarapiranga et diagnostic de la qualité actuelle de l’eau et des sédiments de sources d’eau de la région métropolitaine de São Paulo en vue de la gestion de l’approvisionnement (nº 09/53898-9); Modalité Projet Thématique; Chercheur responsable Carlos Eduardo de Mattos Bicudo (Instituto de Botânica); Investissement 1 725 042,01 reais BRL.

Article scientifique
MARQUARDT, G. C. et alii. From paleolake to peatland: Paleo environmental changes over glacial and interglacial cycles (Mid-Pleistocene) in the Colônia Basin, Brazil. Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology. Vol. 655, déc. 2024.

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