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Génétique

Ascension et déclin des Tupi

La population parlant la langue tupi a compté entre 4 et 5 millions d’individus il y a mille ans et a commencé à décliner rapidement avant l’arrivée des Européens

Peuple amérindien de l’ethnie Guarani-Kaiowá, l’un des peuples parlant la langue tupi

Romerito Pontes

Pendant une période de presque 10 siècles, les peuples autochtones d’Amérique du Sud parlant les langues tupi ont prospéré et se sont dispersés sur de vastes régions du continent. Dans un événement démographique et migratoire qui a commencé il y a près de 3 000 ans, ils ont quitté le sud-ouest de l’Amazonie, traversé des rivières et des terres pour occuper la côte atlantique jusqu’au pied des Andes, et atteint également des territoires au sud du Río de la Plata – certaines de ces régions sont à plus de 5 000 kilomètres (km) l’une de l’autre. Connue sous le nom d’expansion Tupi, cette diaspora a duré plus d’un millénaire et trouve probablement un seul parallélisme avec la dissémination des peuples de langue bantoue de l’ouest vers l’Afrique centrale et australe, qui s’est produite plus ou moins au cours de la même période.

Les analyses des caractéristiques génétiques de 75 individus appartenant aux 13 peuples actuels de langue tupi suggèrent désormais que cette expansion territoriale a pu s’accompagner d’une croissance démographique importante, qui a multiplié la population tupi par 100. En comparant l’étendue des extraits du génome partagés par les membres de ces groupes ethniques, l’équipe coordonnée par la généticienne Tábita Hünemeier, de l’Université de São Paulo (USP), a conclu que cette augmentation de la population aurait commencé il y a environ 2 100 ans et atteint son apogée vers l’an 1000, lorsque, selon les calculs, la population Tupi aurait pu totaliser entre 4 millions et 5 millions d’individus, un contingent presque comparable à celui qui intégrera la population de l’Empire Inca dans la Cordillère des Andes quelques siècles plus tard.

Immédiatement après son apogée, la vaste nation Tupi serait entrée dans un déclin considérable pendant les cinq siècles suivants, aggravé après l’arrivée du colonisateur européen, selon des estimations présentées dans un article paru le 7 décembre 2021 dans la revue Molecular Biology and Evolution. « Personne ne se doutait à quel point la réduction de la population des Tupi avait été dévastatrice. Les estimations précédentes suggéraient une diminution de 90 % de cette population. Nos données indiquent qu’il était de l’ordre de 99 %, inférieur seulement à l’effondrement auquel les Aztèques ont été confrontés après l’arrivée des conquérants espagnols », affirme Hünemeier.

« Ce travail est une référence pour l’archéologue intéressé par l’expansion des Tupi, car il apporte des informations génétiques à un débat qui, jusque-là, était basé sur des données archéologiques et linguistiques », commente l’archéologue Adriana Schmidt Dias, de l’Université fédérale de Rio Grande do Sul (UFRGS), spécialiste de l’histoire et de l’archéologie indigènes de la période précoloniale.

L’augmentation expressive de la population suggérée par la génétique renforce l’hypothèse présentée en 1984 par l’archéologue José Proenza Brochado, de l’État du Rio Grande do Sul. Sur la base des évidences prouvant que les ancêtres des peuples de langue tupi produisaient déjà des objets en céramique et pratiquaient une forme précoce d’agriculture, Brochado pense que cette dispersion des Tupi serait née de l’augmentation continue de la population et du besoin de chercher de nouvelles terres pour produire des aliments, et pas seulement une conséquence des changements climatiques. Dans une première hypothèse, formulée dans les années 1920, des anthropologues et linguistes suggéraient que la réduction des surfaces forestières, due aux changements climatiques à cette époque, aurait contraint les ancêtres des locuteurs de la langue tupi – qui vivaient de la chasse, de la pêche et de la cueillette de fruits -, à migrer à la recherche de nourriture (voir Revista Pesquisa FAPESP nº 288).

Une preuve de l’impact que cette expansion a pu causer à l’époque est l’assimilation culturelle probable du peuple Kokama, originaire de la partie péruvienne de l’Amazonie. Les membres de ce peuple parlent tupi depuis de nombreuses générations, mais l’équipe de l’USP a maintenant constaté qu’ils sont génétiquement beaucoup plus proches des Chamicuro, leurs voisins de langue arawak, que d’autres groupes de langue tupi. « Cela pourrait être une première confirmation de l’assimilation culturelle résultant de l’expansion Tupi, aspect déjà suggéré par les études linguistiques mais qui n’avait pas encore été démontré par d’autres outils », dit Hünemeier.

Une estimation de ce qu’a pu vivre la population Tupi au long de presque 100 générations intègre une analyse plus large menée par l’équipe de l’USP, qui aide à comprendre comment les groupes ethniques autochtones ont interagi avant l’arrivée des Européens sur le continent sud-américain et comment l’influence de la relation réciproque qu’ils exerçaient les uns sur les autres a contribué à former les groupes autochtones d’aujourd’hui. Dans le travail publié dans Molecular Biology and Evolution, qui rassemble l’un des plus grands échantillons jamais étudiés de matériel génétique de populations indigènes de l’Amérique du Sud, le généticien Marcos Araújo Castro e Silva, premier auteur de l’article, a également comparé les caractéristiques génétiques des groupes de locuteurs de langues tupi avec ceux de 229 autres individus de 39 populations autochtones parlant d’autres langues et qui sont répartis dans le centre-ouest du Brésil, l’Amazonie, les hauts plateaux des Andes et aussi dans la région côtière de l’océan Pacifique.

À partir de cette comparaison, qui fait partie du doctorat de Castro e Silva réalisé sous la direction de Hünemeier, une conclusion contredit une ancienne vision de l’archéologie et de l’anthropologie qui affirmait que, en raison de l’influence d’une séparation physique imposée par la Cordillère des Andes, les peuples des hautes terres andines et de la côte pacifique, à l’extrême ouest du continent, gardaient d’importantes distinctions génétiques des habitants des vastes étendues de basses terres et de plaines couvertes de forêts et de savanes de la partie orientale de l’Amérique du Sud. Le travail actuel n’a pas trouvé de différences marquantes.

Peut-être influencée par le récit historique des conquérants espagnols des terres andines, qui, comme les Incas, considéraient la forêt amazonienne comme redoutable et impénétrable, cette idée – ladite division Andes-Amazonie – n’a commencé à être vraiment remise en question au cours des quinze dernières années. Pendant longtemps, les spécialistes de la formation des peuples autochtones d’Amérique du Sud ont vu la transition drastique et soudaine du paysage entre les sommets des Andes et les basses terres de l’Amazonie (peut-être sans précédent dans d’autres régions du monde) comme une barrière physique presque insurmontable. Pour cette raison, après leur arrivée en Amérique du Sud, il y a au moins 15 000 ans, les populations qui se sont installées à l’ouest et à l’est du continent auraient peu interagi entre elles. Cette interprétation était corroborée par des preuves historiques et même par des données génétiques initiales indiquant que les Andes et la côte du Pacifique abritaient des sociétés vastes et complexes, connectées les unes aux autres, tandis qu’en Amazonie, des petits groupes isolés de population prédominaient.

Dans l’étude actuelle, l’équipe de l’USP n’observe pas de division génétique marquante entre les peuples actuels de l’ouest et de l’est, ce qui serait le cas si la division Andes-Amazonie était notoire. Au contraire, les données montrent une transition graduelle de l’ouest vers l’est, avec une diminution légère, mais perceptible, de la diversité génétique. Cette réduction de la variabilité s’explique par le fait que la chaîne de montagnes et la côte pacifique abritaient des populations à certaines époques très importantes et très connectées, ce qui explique qu’au fil des générations elles soient devenues plus homogènes entre elles sans perdre en diversité. D’autre part, les populations les plus petites avec moins d’interactions, comme celles des basses terres de l’Amazonie, ont tendance à montrer une réduction de la variabilité et à devenir intérieurement homogènes (il y a une plus grande homogénéité intrapopulation) et plus distinctes par rapport aux autres populations. « L’Amazonie est peut-être la région des Amériques où les peuples autochtones ont la plus faible diversité génétique, probablement l’une des plus faibles au monde », déclare Castro e Silva. Malgré la réduction de la diversité, il n’y a pas d’isolement génétique entre l’ouest et l’est. Les populations de l’ouest de l’Amazonie et du versant oriental des Andes maintiennent un niveau de connexion génétique avec celles des hautes terres et de la côte pacifique similaire à celui observé entre elles et celles des basses terres de l’Amazonie. Pour cette raison, les Kokama et Chamicuro, au Pérou, et les Suruí, Karitiana, Munduruku et Gavião, dans l’ouest de l’Amazonie, fonctionnent comme des populations de suture entre celles de l’est et de l’ouest du continent. Si l’interaction – et l’échange de matériel génétique qui en découle – entre les peuples des basses terres de l’Amazonie et ceux des Andes et de la côte pacifique a diminué après le contact avec les colonisateurs européens, elle a été beaucoup plus élevée à l’époque précolombienne, révèlent des segments identiques du génome partagés par différentes populations actuelles.

« Le mélange génétique des lignées andines et amazoniennes dans les populations du versant oriental des Andes élimine les fausses idées sur une division stricte entre les Andes et l’Amazonie, mais nous devons encore concilier ce caractère génétique avec les découvertes culturelles sur le commerce et les échanges dans la direction opposée de l’Amazonie aux Andes », a déclaré à la revue Pesquisa FAPESP l’anthropologue moléculaire italienne Chiara Barbieri, de l’Université de Zurich, qui est venu il y a quelques années en Amérique du Sud pour recueillir des échantillons de matériel génétique de peuples andins au Pérou, en Colombie et en Bolivie.

Projet
Diversité génomique des indigènes américains (nº 15/26875-9); Modalité Jeune Chercheur; Chercheuse responsable Tábita Hünemeier (IB-USP); Investissement 1.362.808,03 reais BRL.

Article scientifique
CASTRO E SILVA, M. A. et aliiPopulation histories and genomic diversity of South American nativesMolecular Biology and Evolution. 7 déc. 2021.

Livre
PEARCE, A. J. et alii. Rethinking the Andes-Amazonia divide. UCL Press, 2020.

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