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INGÉNIERIE

Bien-être dans l’air

Le constructeur aéronautique Embraer s’associe à des universités pour améliorer le confort dans les avions

Publié en Avril 2012

EDUARDO CESARDes espaces trop réduits, du bruit et des vibrations outremesure, une température et un éclairage désagréables, une qualité de l’air précaire et peu d’options de divertissement : des désagréments capables de transformer n’importe quel voyage aérien en une expérience stressante, y compris quand le vol est de courte durée et sans turbulences. Dans le cas des vols longue distance, jouir ou non d’un certain confort fait toute la différence quand l’avion arrive à destination et que le passager va directement travailler, faire du tourisme ou bien poursuivre son voyage. Les compagnies aériennes savent que pour rendre plus agréable le temps confiné dans l’avion, il faut améliorer les conditions de l’environnement, établir des diagnostics et des études détaillées pour chaque problème. Au Brésil, le résultat le plus visible de cette tentative de perfectionnement des nouvelles générations d’avions est l’ouverture du Centre d’Ingénierie du Confort (CEC). Inauguré en avril, il est le fruit d’un projet de l’Embraer en partenariat avec l’Université de São Paulo (USP), l’Université Fédérale de Santa Catarina (UFSC) et l’Université Fédérale de São Carlos (UFSCar), avec le soutien de la FAPESP et de l’agence de financement d’études et de projets (Finesp).

Plus connu sous le nom de ‘laboratoire du confort’, il occupe près de 300 m2 du Laboratoire d’Ingénierie Thermique et Environnementale (Lete) de l’École Polytechnique de l’USP, à São Paulo, et reproduit une salle d’embarquement avec une passerelle d’embarquement (finger). La partie principale de la structure représente la cabine d’un avion Embraer 170 ou 190, équipée de 30 sièges et installée dans une cabine pressurisée qui reproduit les conditions de vol. L’installation est unique au Brésil et l’une des rares au monde ; elle est similaire à celle de l’Institute for Building Physics du Fraunhofer Institutes, près de Munich. Coordonnateur du Lete et du projet Confort en cabine, Jurandir Itizo Yanagihara explique : « Nous allons y faire des tests intégrés pour vérifier de quelle manière les paramètres de pressurisation de la cabine, bruit, vibration, ergonomie, température et éclairage influencent la perception qu’a le passager sur le confort. D’après Jorge Ramos, directeur du Développement Technique d’Embraer, « l’objectif est d’améliorer l’intérieur des avions et d’augmenter le bien-être des passagers ».

Le bien-être à bord est devenu depuis quelques années l’une des priorités des compagnies aériennes. Au début de l’aviation commerciale, l’important était d’éviter le crash – et les appareils n’étaient pas particulièrement confortables. Puis l’intérêt s’est porté sur l’économie. Au cours des dix dernières années, d’autres attributs ont rejoint le devant de la scène : le confort est devenu un différentiel sur le marché de l’aviation civile, et aujourd’hui il participe de la compétitivité dans le secteur. En tant que troisième plus grand fabricant mondial d’avions commerciaux avec une recette nette de 5,8 milliards USD en 2011, Embraer ne pouvait rester en marge et ne pas investir sur ce point. Embraer se situe derrière Airbus (recette nette de 140,5 milliards USD) et Boeing (68 milliards USD). Jorge Ramos indique que « toutes les grandes compagnies du secteur ont le regard tourné au même endroit, au niveau des particularités de chaque segment ». Pour André Gasparotti, administrateur en chef du projet dans l’entreprise, « la recherche auprès de passagers de différents vols menée au Brésil en 2009 par l’UFSCar et l’Agence Nationale de l’Aviation Civile a montré que les principales plaintes sur la cabine concernaient l’espace personnel, les repose-pieds et les accoudoirs, l’inclinaison du siège, le bruit, les vibrations et la taille du compartiment à bagages ».

Le nouveau laboratoire est aujourd’hui totalement prêt, mais la collaboration entre les chercheurs des trois universités et Embraer n’est pas nouvelle. En effet, ils travaillent depuis plusieurs années sur les éléments signalés par la recherche de l’UFSCar et sur d’autres tout aussi, voire plus, importants. Jurandir Yanagihara (USP) a par exemple travaillé en partenariat avec l’entreprise en 2003 et 2004 au développement d’un modèle informatique du système respiratoire pour étudier l’effet de la dépressurisation sur le corps humain à haute altitude : « La réussite de ce logiciel allié à un autre projet sur la prévision du stress thermique en utilisant un modèle de système thermique humain a permis d’approfondir la coopération avec Embraer et donné lieu au projet actuel ». D’autres membres de l’équipe participent du projet Confort en cabine, à l’image de Mauricio Silva Ferreira, professeur de l’École Polytechnique (Poli) de l’USP.

Lorsque l’entreprise a décidé de mettre en place un grand projet sur le confort, elle a consulté les équipes de l’USP, de l’UFSCar et de l’UFSC. Toutes ont accepté ce partenariat multidisciplinaire et se sont réparties entre elles les différentes domaines de recherche – globalement, la pression de cabine, l’ergonomie, la vibroacoustique et l’environnement thermique – conformément à leurs spécialités. Yanagihara s’est également fait le porte-parole de l’USP et d’Embraer pour solliciter un soutien financier à la FAPESP dans le cadre du Programme de Soutien à la Recherche en Partenariat pour l’Innovation Technologique (Pite). Le financement a été accordé en 2008. La même démarche a été faite postérieurement auprès de la Finep.

Les chercheurs utilisent des simulateurs de vol, partie intégrante du projet

EDUARDO CESARLes chercheurs utilisent
des simulateurs de vol, partie intégrante du projetEDUARDO CESAR

Études is olées
Dans la première phase du projet, les différentsb facteurs qui composent le confort de l’avion ont été étudiés isolément. Dans la deuxième phase qui commence en mai, le nouveau laboratoire avec la cabine de l’avion dans la cabine pressurisée (appelée mock-up) sera utilisé pour des tests intégrant tous les sous-projets, et ce afin d’obtenir des paramètres meilleurs que ceux dont on dispose actuellement. Un bon exemple est le modèle pour l’évaluation du confort de la pression. Aujourd’hui, on sait que pour garantir la sécurité des passagers les avions civils maintiennent une altitude cabine à une valeur maximale de 8 000 pieds (2 400 mètres) au-dessus du niveau de la mer. Étant donné que les appareils peuvent monter facilement jusqu’à 40 000 pieds (12 100 mètres), l’air dans la cabine est pressurisé. Le modèle réalisé par l’équipe de Yanagihara prend en compte l’échange de gaz qui a lieu dans l’oreille moyenne (la partie intérieure, reliée au labyrinthe) et permet de prévoir à quels taux de variation d’altitude (pression) dans la cabine le passager ressent ou non un inconfort. D’après le chercheur, le « travail expérimental effectué dans ce domaine » par son équipe « va changer certains de ces paramètres ». Les modèles encore utilisés aujourd’hui dans l’industrie aéronautique datent de 1937, 1958 et 1967, et sont conservateurs. « Dans nos études, encore en cours, nous trouvons des seuils très différents de ceux rencontrés dans la littérature scientifique ».

Habituellement réalisés séparément, les tests sur les vibrations et le bruit à l’intérieur de l’avion ont été réunis. Le chercheur en charge du sousprojet sur la vibroacoustique est Samir Gerges, ingénieur aéronautique égyptien de nationalité brésilienne et professeur de l’UFSC. Gerges est l’un des plus anciens collaborateurs d’Embraer. Avant la privatisation de l’entreprise, il donnait déjà des cours et des conseils aux employés. Sa participation au projet Confort en cabine avec l’USP et l’UFSCar s’inscrit dans la continuité de ses recherches sur la diminution du bruit jusqu’au niveau acceptable pour le passager : « Réduire excessivement le bruit et les vibrations n’est pas recommandable, y compris du point de vue de la sécurité. […] Les personnes doivent percevoir qu’elles sont dans un milieu différent de leur lit ».

L’équipe dirigée par Gerges s’attache à quantifier la situation réelle de bruit et de vibrations dans la cabine, et élabore un logiciel de prédiction. Grâce à cet outil, il sera possible d’obtenir des résultats plus rapides et moins chers pour éviter les bruits et les vibrations inconfortables. Le modèle peut être utilisé pour faire des modifications sur le schéma de futures cabines, ainsi que pour indiquer de nouveaux matériaux et dispositifs capables d’atténuer le problème. Les plus grandes sources de bruit viennent des turbines, du flux d’air autour du fuselage et des systèmes de climatisation, hydraulique et pneumatique.

Le sous-projet sur l’ergonomie est parti d’un modèle conceptuel (au même titre que les autres sous-projets). Pour comprendre les problèmes principaux, l’équipe de Nilton Menegon – du département d’ingénierie de production du Centre des Sciences Exactes et de la Technologie de l’UFSCar – a réalisé des entretiens dans 36 aéroports brésiliens. Un questionnaire a été élaboré pour pouvoir analyser ce que les chercheurs nomment le « prévol », avec des questions sur le degré de confort dans l’avion. 377 passagers y ont répondu. Menegon explique que « s’ils ont des problèmes avant d’embarquer, du style overbooking ou beaucoup de temps passé à faire la queue, cela finit par avoir une influence sur la sensation de confort qui sera ressentie dans l’avion ». Au cours de la seconde étape de la recherche, 291 entretiens ont été réalisés au cours du vol pour connaître (entre autres) le degré de difficulté à effectuer des activités dans la cabine, telles que lire, écrire, interagir avec le personnel de bord, se nourrir, se reposer et aller aux toilettes.

Les chercheurs ont également observé la manière dont les passagers agissaient – d’abord en prenant des notes, puis en filmant. « L’objectif était d’établir le déroulement des activités réalisées pendant l’embarquement, le vol et le débarquement, d’identifier la distribution de ces activités pendant le vol et de quantifier toutes ces actions. […] Les observations systématiques ont également visé à identifier les comportements visibles des passagers à l’exemple des gestes, des postures, des actions sur les dispositifs ou encore des communications ». C’est ce que souligne Marina Greghi, membre de l’équipe de Menegon, psychologue spécialisée en ergonomie et auteur d’une thèse de doctorat sur le confort des passagers aériens.

Les filmages ont été postés sur un site Internet pour être vus par les passagers ayant accepté de participer au processus de reconstitution des données : un entretien par téléphone ou via Internet pour approfondir les analyses et comparer les points de vue du chercheur et du passager. L’ensemble du matériel obtenu a permis de créer une banque d’images et de statistiques mais aussi de développer un logiciel destiné à l’analyse des activités des personnes dans un environnement restreint, à partir de l’enregistrement et de l’analyse posturale basée sur un protocole d’observation. Avec ce logiciel, il est possible de reconstruire numériquement les actions du passager et de produire les « enveloppes de postures » [Note de traduction : figures qui superposent toutes les postures adoptées par le passager], qui aident à déterminer la surface et le volume occupés par la personne pour réaliser les activités. D’après Marina Greghi, « les enveloppes peuvent être utilisées dans le projet pour analyser l’espace dans la cabine et l’action de ses occupants, et ainsi identifier s’il est possible ou non de faire telle ou telle activité dans ce lieu ». Baptisé Ilios Pose, le logiciel en question a donné lieu à un brevet. Nilton Menegon raconte que la prochaine étape se fera dans le mock-up du laboratoire du confort, où les procédures réalisées seront cette fois répétées dans un milieu contrôlé et intégré à d’autres sous-projets.

Vision extérieure de la cabine pressurisée qui compose le laboratoire de confort

EDUARDO CESARVision extérieure de
la cabine pressurisée qui compose le laboratoire de confortEDUARDO CESAR

La cerise sur le gâteau
Il en sera de même pour tous les sous-projets. Pour Renata Ramos, les études en matière de psychophysiologie permettront de mieux saisir la relation entre la perception du bien-être mental et physiologique du passager et le manque de confort en cabine. Renata Ramos est psychiatre de l’Institut de Psychiatrie de l’Hôpital des Cliniques de la Faculté de Médecine de l’USP et donne des cours au troisième cycle en psychologie de la santé de l’Université Méthodiste de São Paulo. Pratiquer une activité mentale peut diminuer la sensation d’inconfort et aller jusqu’à modifier l’expérience de passage du temps pendant le voyage – mesurer objectivement cet effet est l’un des objectifs du projet. « Un peu comme si le passager était si occupé par un livre qu’en arrivant à destination il dise ‘je n’ai pas vu le temps passer’ », précise Ramos. Une partie du projet a été réalisée avec des volontaires via la réalité virtuelle pour évaluer le degré d’implication de l’individu dans une tâche donnée. Dans les tests déjà effectués, on contrôle notamment sa fréquence cardiaque et la façon dont il exploite visuellement l’environnement. Dans la deuxième phase, les expérimentations auront aussi lieu dans le mock-up pour voir ce qui pourra être réutilisé pour améliorer le confort.

Dans le sous-projet sur le microclimat, le passager devra pouvoir rechercher la meilleure sensation thermique dans la cabine. Installés au plafond au-dessus du siège, les dispositifs distribuant individuellement de l’air devront être multipliés et mieux contrôlés, mais sans gêner le voisin. De plus, les sièges pourront avoir des systèmes de refroidissement ou de réchauffement internes. Dans la première partie des études, l’équipe du professeur Arlindo Tribess (Poli-USP) a utilisé des mannequins dotés de capteurs de température et de flux de chaleur. Un modèle du système thermique humain intégré au logiciel de mécanique des fluides informatiques permettra de faire des prévisions sur la réaction du corps humain avant des changements d’environnement sans avoir besoin d’effectuer des tests sur des personnes. De l’avis de Mauricio Silva Ferreira (Poli-USP), l’inventeur de l’instrument, l’initiative est inédite dans le monde.

Le contrôle de l’éclairage dans la cabine sera analysé pour connaître l’influence réelle de la couleur sur le confort. D’après Yanagihara, « il y a des rapports dans la littérature scientifique qui indiquent que la lumière chaude, proche du rouge, serait appropriée pour des activités telles que manger, tandis que la lumière froide aurait un effet relaxant, bon pour se reposer ». On saura si les lumières colorées fonctionnent vraiment seulement après les tests dans le mock-up. « Si cette hypothèse est prouvée, nous pourrons même aller jusqu’à suggérer de nouvelles couleurs suivant les activités dans la cabine ».

La cerise sur le gâteau du projet est la répétition des études décrites ci-dessus dans le laboratoire du confort. Les tests vont se faire de manière intégrée et débuteront en mai prochain avec près de 1000 volontaires. Pour y participer, il suffit d’être en bonne santé, d’avoir déjà voyagé au moins une fois en avion et d’habiter São Paulo ou ses environs. Pour s’inscrire, rendez vous à l’adresse www.lete.poli.usp.br/confortodecabine. Un pilote, représenté par un chercheur, sera là pour souhaiter la bienvenue et donner les instructions, comme dans la vie réelle. En outre, une hôtesse de l’air ou un steward sera embauché pour travailler en cabine. Les volontaires/ passagers procéderont à une évaluation du confort local à trois moments du vol simulé. La construction du laboratoire a été nécessaire parce qu’il n’est pas possible de faire les expériences en utilisant les avions d’Embraer. Pour André Gasparotti, recourir à « un vrai avion nécessiterait de faire face à un ensemble de restrictions, sans compter le coût très élevé et la disponibilité limitée ». Il est probable que la nouvelle génération d’avions présentera déjà des modifications dans la cabine pour faire du vol une expérience chaque fois plus agréable.

LE PROJET
Confort en cabine : développement et analyse intégrée de critères de confort – n° 2006/52570-1 MODALITÉ Partenariat pour l’Innovation Technologique (Pite) COORDONNATEUR Jurandir Itizo Yanagihara – Poli/USP INVESTISSEMENT 3,2 millions de reais (FAPESP) et 4,5 millions de reais (Embraer) 4,3 millions de reais (Finep) et 2,9 millions de reais (Embraer)

 

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