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Histoire de la science

Des documents qui valent de l’or

Des chercheuses brésiliennes rencontrent une recette de la pierre philosophale à la Royal Society

Publié en avril 2011

Peinture de Jan van der Straet de 1570, représentant un alchimiste dans son laboratoire

Alchemist / Etching, 1625 / Album / akg-images / LatinstockPeinture de Jan van der Straet de 1570, représentant un alchimiste dans son laboratoireAlchemist / Etching, 1625 / Album / akg-images / Latinstock

C’est en prenant au pied de la lettre la devise de la Royal Society, Nullius in verba (« ne croire personne sur parole », c’est-à-dire qu’il est essentiel de « mettre la main à la pâte » en science) que les chercheuses Ana Maria Alfonso-Goldfarb et Márcia Ferraz, du Centre Simão Mathias d’Études en Histoire de la Science (Cesima) de l’Université Catholique Pontificale de São Paulo (PUC-SP), ont fait une découverte surprenante en 2008. Après avoir épluché des montagnes de documents de l’institution anglaise, elles ont trouvé la « recette » de l’alkahest, un prétendu « dissolvant universel » alchimique qui pourrait dissoudre toute substance en la réduisant à ses composants primaires. Il manquait cependant quelques éléments pour « clore le dossier », et plus particulièrement le nom de l’auteur de la copie de la recette retrouvée. En se replongeant dans les archives, les chercheuses ont finalement mis fin à un mystère pour en révéler un autre, encore plus étonnant : la découverte d’une recette de la fameuse pierre philosophale qui, selon la croyance, transmuterait des métaux « vils » en or.

Ana Maria Alfonso-Goldfarb déclare : « Ce fut une grande surprise, presque embarrassante parce qu’en tant qu’historiennes de la science il est de plus en plus difficile de vérifier combien l’alchimie a joué un rôle majeur dans la consolidation de la nouvelle science en plein XVIIIe siècle. Mais il est important de souligner que cette permanence de la quête pour la transmutation était plus pensée à partir de son caractère chimique, surtout comme un instrument d’avancée de la médecine, que de son caractère ésotérique. Cela apparaît clairement dans les propos d’hommes de renom comme Boyle ou Newton, par exemple, qui croyaient en l’existence de la pierre philosophale ». Les chercheuses considèrent que les travaux sur la pierre philosophale étaient réalisés dans le cadre de la science de l’époque, même s’il existe d’autres points de vue. D’après l’historien Theodore Hoppen, professeur de l’University of Hull et auteur de l’étude The nature of the early Royal Society, « le baconisme est entré à la Royal Society distordu par la perspective d’un groupe lié à Samuel Hartlib, un des fondateurs de l’institution. Ce cercle poussait à l’extrême les préceptes de Bacon sur l’étude ‘du nouveau, du rare et de l’étrange’ et les unissait à un intérêt tenace pour la découverte d’inventions ‘utiles’, sans laisser de côté les idées hermétiques en reprenant des travaux de Paracelso et Helmont. Il suffit de voir combien Boyle entretenait un intérêt pour le moins délicat pour des questions de philosophie naturelle ; il était disposé à accepter tout type de phénomène du moment qu’il pouvait être expliqué selon des principes mécaniques. Cela incluait la pierre philosophale. Dans une lettre à Henry Oldenburg, secrétaire de la Royal Society, Newton en vient à se plaindre de son collègue, qui devrait selon lui ‘se taire’ et ne pas diffuser des ‘secrets d’un véritable philosophe hermétique’ ».

Latin
Henry Oldenburg est d’ailleurs au centre du nouveau mystère révélé par les chercheuses brésiliennes. Après plusieurs tentatives d’identification de l’écriture de la recette de l’alkahest, elles ont rencontré un document écrit en latin qui contenait en marge des observations en français. « L’écriture nous a semblé connue et nous avons vu qu’elle était d’Oldenburg, qui écrivait ses annotations personnelles en français. Le mystère était alors résolu : c’est lui qui avait retranscrit la recette de l’alkahest. Mais quand nous avons lu le texte en latin écrit d’une autre écriture, nous avons vu qu’il s’agissait d’une recette de la pierre philosophale », raconte les chercheuses. Le titre du texte, qui daterait selon elles de 1659, était : Processus de bois. Au départ, elles ont cru qu’il s’agissait d’expérimentations sur le brûlage de bois, mais en vérifiant la présence d’éléments de la pierre philosophale elles ont compris qu’il s’agissait du nom d’une personne. En France, elles ont recherché un Du Bois qui aurait travaillé sur la célèbre transmutation et découvert, après un véritable travail de détective, l’histoire de Noël Picard, dit Du Bois, pendu à la Bastille en 1637 sur l’ordre du cardinal Richelieu. La raison ? Il avait tenté de tromper le puissant ministre de Louis XIII en affirmant être capable de produire de l’or à partir du plomb. Après une vie rocambolesque de voyages et de conversions de père capucin à luthérien, Du Bois rentre à Paris et s’attire la sympathie du père Joseph, confesseur de Richelieu. D’après Márcia Ferraz, « le cardinal y a vu là la chance d’augmenter la richesse de la France et de résoudre les problèmes financiers que connaissait le royaume. Il a alors fait appel à Du Bois pour qu’il fabrique de l’or avec sa ‘poudre de projection’, et ce en présence du roi, de la reine et d’autres notables, parmi lesquels Richelieu ». Muni d’une coupelle et d’un creuset, Du Bois est allé au Louvre et s’est mis à travailler en demandant aux gardes de lui apporter des balles de mousquet. Après les avoir chauffées et aspergées d’une poudre, il les a recouvertes avec des cendres. Enthousiaste, le roi a tenu à souffler personnellement sur le mélange, couvrant ainsi sa royale figure, celle de la reine et des membres présents. Mais l’émotion compensait tout dans la mesure où on pouvait voir de l’or au fond du récipient. Louis XIII à étreint le pauvre Du Bois, lui a donné le titre de noble sur-le-champ et même concédé le privilège de chasser sur les terres royales. Richelieu, ravi, a entraîné le père Joseph dans un coin et l’a salué comme s’il tenait entre les mains un futur chapeau cardinalice. L’entrain général n’a pas été affecté par les orfèvres de la cour, qui ont vérifié qu’il s’agissait d’un or à 22 carats. Du Bois leur a répondu que c’était seulement un échantillon des possibilités.

Vision ironique de la tentative de faire la « grande œuvre »

Artwork of an alchemist creating life / Jean-Loup Charmet / Science Photo Library / SPL DC / LatinstockVision ironique de la tentative de faire la « grande œuvre »Artwork of an alchemist creating life / Jean-Loup Charmet / Science Photo Library / SPL DC / Latinstock

Richelieu lui a dit que le roi avait « seulement » besoin de 800 000 francs hebdomadaires en or, et il lui a donné 20 jours pour débuter la production. Il avisa le roi que cela allait permettre de ne plus faire payer d’impôts au peuple et de devenir le monarque au pouvoir le plus puissant d’Europe. Toutefois, Du Bois a utilisé le délai pour chasser avec ses amis. Soupçonneux, le cardinal a ordonné qu’on le surveille ; et irrité par le retard, il a fait construire un laboratoire pour que le prétendu alchimiste réalise, cette fois en tant que prisonnier, la « grande œuvre » au château de Vincennes. Mais ce fut un nouvel échec, qui conduisit le « noble » à la Bastille où il fut torturé et finalement tué pour ne pas avoir fourni la recette de la pierre philosophale. En dépit des événements, ses bourreaux pensaient qu’il était réellement capable de produire de l’or mais qu’il essayait d’en cacher le secret. Vingt ans plus tard, en 1659, Oldenburg se trouvait en France et il a fini par tomber sur la recette de Du Bois ; il l’a envoyée en Angleterre où elle a semble-t-il été reçue de manière exaltante. Et Ana M. Alfonso-Goldfarb d’ajouter : « À la Royal Society, en plein XVIIe siècle, ces hommes brillants étaient persuadés que Du Bois avait vraiment réussi à ‘ouvrir l’or’, c’est-à-dire à le dissoudre pour préparer d’autres matériaux, une fonction attribuée à la pierre philosophale ».

Pierres 
De l’avis d’Ana M. Alfonso-Goldfarb, « au centre de tout cela se trouvait le souci de résoudre des problèmes de santé, en particulier la dissolution de pierres de l’organisme – l’une des principales causes de décès à cette époque. On pensait que la solution idéale était de les dissoudre avec des acides minéraux, mais sans porter atteint à la vie du patient. Il fallait trouver quelque chose qui ait le pouvoir de l’acide et pas ses problèmes. Et c’est alors que sont apparus l’alkahest et la pierre philosophale qui, réunis, seraient le médicament idéal ». Le premier allait réduire les effets négatifs de l’acide et la pierre constituait le complément parfait parce qu’elle était suffisamment puissante pour dissoudre un métal noble et résistant comme l’or et en même temps « faible » contre l’organisme. « Bien sûr, cela n’empêchait pas de penser à la pierre comme un élément capable de produire de l’or pour des raisons financières, mais les raisons pécuniaires n’étaient pas les seules ni même les plus importantes » observe Márcia Ferraz. Tout était relié. Si la pierre avait le pouvoir de « perfectionner » des métaux en les changeant en or – conséquence de la croyance des alchimistes en l’unité de la matière –, cette « médecine » des métaux pourrait être étendue à la médecine des hommes, qui serait alors « perfectionnée » à son tour. Partant de là, beaucoup évoquèrent la pierre comme l’élixir de la vie ou le grand élixir, une panacée pour toutes les maladies et capables de prolonger la vie. Puisque l’or en tant que métal ne rouillait pas, on a commencé à le voir comme symbole de l’immortalité. La conséquence fut de penser à son utilisation dans la médecine des anciens et dans l’alchimie chinoise qui recherchait l’élixir de la longévité.

Pour Paulo Alves Porto, historien de la chimie et professeur de l’Institut de Chimie de l’Université de São Paulo, « les travaux de Paracelso et de Van Helmont, entre autres, se sont développés à un moment où l’on reconsidérerait la médecine galénique. Il y avait également de nouvelles maladies qui exigeaient d’autres solutions plus efficaces. Leur recherche pour l’alkahest, par exemple, révèle cette préoccupation médicinale ». Dans son article Alchimy and iatrochemistry, l’historien américain Allen Debus écrit qu’« entre les XVIe et XVIIIe siècles, la signification de la chimie doit être recherchée au niveau de sa relation avec la médecine, même si la transmutation est restée une constante jusqu’au siècle des Lumières, y compris quand on opérait déjà la séparation entre la chimie et la médecine ». Selon lui, la relation s’établit au départ à partir de la rivalité avec les galénistes pour progresser au niveau des explications chimiques de processus physiologiques – la base de l’œuvre de Van Helmont –, ce qui a fini par entraîner la séparation entre la chimie et la médecine pour d’autres objectifs non pharmaceutiques : « le travail de Lavoisier n’a pa eu besoin de s’adresser à une chimie basée sur la médecine à cause de ce long processus. L’importance qu’a eu la médecine dans l’ascension de la science moderne était quelque chose de peu évoqué ». Ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle que la transmutation a perdu un peu de sa force. Du point de vue de l’historien Lawrence Principe, de la Jons Hopkins University et auteur de Alchemy tried in the fire, « un mouvement est parti de l’Académie Royale des Sciences de Paris pour laisser de côté la pratique et domestiquer la chimie dans une discipline professionnelle qui est entrée à l’académie. Il fallait rompre une fois pour toutes avec le passé alchimique et tout recommencer de zéro pour donner à la chimie une nouvelle identité et un statut. Néanmoins, la démarche n’a pas été totalement un succès ». Ana M. Alfonso-Goldfarb pense que « le réseau de documents et de personnes intimement liés à la transmutation et mis en avant dans notre recherche s’enrichit chaque jour de nouvelles ramifications et de nouvelles données. Cela peut être la pointe d’un grand iceberg documentaire.

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