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NEUROPHYSIOLOGIE

Effet inattendu

Des corticoïdes actionnent des mécanismes inflammatoires dans certaines zones du cerveau

Publié en avril 2011

art4395img2Nana LahozLa tranche de 1% de la population mondiale vivant avec les terribles douleurs causées par l’arthrite rhumatoïde, inflammation chronique qui provoque une dégénération des articulations, sait combien les corticoïdes sont importants pour améliorer leur qualité de vie. Mais il n’y a pas que cette tranche de la population qui soit concernée car des millions de porteurs d’allergies respiratoires, de maladies de la peau, de victimes de tumeurs cérébrales et de patients souffrants d’autres affections où la réponse inflammatoire du corps devient excessive, ont bénéficié ces dernières décennies de la puissante action anti-inflammatoire de ces composés, en général des dérivés synthétiques de la cortisone, principal corticoïde secrété par les glandes surrénales humaines.

Les corticoïdes, découverts au début du siècle par Edward Calvin Kendall et Philip Showalter Hench, ce qui leur a valu le Prix Nobel de Médecine en 1950, ne fonctionnent cependant pas toujours dans le sens voulu, du moins quand il s’agit d’hormones synthétiques. Ils peuvent provoquer exactement l’effet inverse à celui attendu et accroître l’inflammation dans certaines régions du cerveau. C’est ce que montre une étude des chercheurs Carolina Demarchi Munhoz et Cristoforo Scavone, de l’Université de São Paulo (USP), et de Robert Sapolsky, de l’Université de Stanford, aux États-Unis, et publiée dans la revue Journal of Neuroscience, fin 2010.

Au moyen d’injections intraveineuses de fragments de bactéries, le groupe de chercheurs a provoquée des réponses inflammatoires sur des souris de laboratoire afin d’évaluer le pouvoir des corticoïdes dans la modulation des réactions biochimiques provoquées par des inflammations du cerveau, comme dans le cas de tumeurs ou même d’accidents vasculaires cérébraux (AVC). La réponse naturelle de l’organisme face à une inflammation est, comme on le sait, de secréter des corticoïdes, et l’adrénale des souris produit de la corticostérone, hormone identique à la cortisone humaine.

Avant de provoquer l’inflammation, Carolina a retiré les glandes adrénales des souris (adrénalectomie) et a placé sous leur peau des capsules de corticostérone qui ont libéré lentement la substance. Ainsi, en contrôlant les doses, elle a pu observer si l’action anti-inflammatoire variait avec différents niveaux de corticoïdes dans le sang des animaux, séparés en trois groupes, chacun recevant une dose différente d’hormone. Le premier groupe a reçu un bas niveau de corticostérone, équivalent à celui produit naturellement par les rongeurs. Le second a reçu une dose intermédiaire, identique à celle trouvée dans l’organisme en cas de léger stress, comme une frayeur provoquée par le frappement soudain à une porte, et le dernier a reçu une quantité élevée correspondant à des niveaux modérés de stress, à l’exemple de l’inquiétude provoquée par le souci de ne pas pouvoir payer ses factures à la fin du mois. Un quatrième groupe dont les glandes adrénales n’ont pas été retirées a été utilisé comme groupe de contrôle.

La relation entre le niveau de corticoïdes dans le sang et le degré de stress est importante car cette réaction adaptative de l’organisme à des situations nouvelles ou menaçantes permet également aux adrénales de libérer des corticoïdes. Quelques années auparavant, le groupe de chercheurs avait déjà démontré qu’un stress chronique et imprévisible pouvait provoquer une inflammation cérébrale. La question était maintenant de savoir si l’effet dépendait des corticoïdes et de quelle manière cela se produisait.

À l’aide de procédés immunologiques et de biologie moléculaire, ils ont évalué l’impact des différents niveaux de corticoïdes dans deux régions du cerveau des souris; l’hippocampe, responsable de la mémoire, de l’apprentissage et, dans des cas pathologiques du développement de l’épilepsie et, le cortex frontal, associé aux processus cognitifs élevés comme la prise de décisions. Ils ont ensuite observé un modèle complexe de réponses des gènes analysés.

Selon la dose, certains gènes ont fonctionné de la même manière dans les deux régions (par exemple, ils ont été actionnés ou désactivés dans les deux régions), alors que les autres ont eu un fonctionnement distinct (actifs dans une région et désactivés dans l’autre). Ces modifications dépendent du contrôle de l’activité du facteur nucléaire kappaB (NF-kappaB), molécule de communication intracellulaire centrale dans le processus biochimique qui régule la réponse inflammatoire.

Jusqu’alors, on pensait que le NF-kappaB était toujours bloqué par les corticoïdes qui auraient ainsi un effet anti-inflammatoire. Les corticoïdes ont diminué l’activité du NF-kappaB avec la dose une plus élevée et réduit l’inflammation dans l’hippocampe. Les doses faibles et moyennes ont toutefois augmenté l’action du NF-kappaB et par conséquent le signal qui déclenche l’inflammation. La relation a été différente dans le cortex frontal. La dose élevée de corticostérone a été anti-inflammatoire alors que la dose intermédiaire a aggravé l’inflammation.

Bien qu’il s’agisse de résultats expérimentaux, ils peuvent avoir une importance clinique, principalement pour la neurologie et la psychiatrie qui traitent les inflammations cérébrales et leurs conséquences. Selon Carolina, les doses utilisées dans les tests sur les souris sont proches de celles adoptées dans des études sur l’être humain. Elle propose cependant que les données soient analysées avec prudence. «Nous avons montré que l’action des corticoïdes, même avec des doses appropriées, n’est pas uniquement anti-inflammatoire, mais l’étude a été réalisée sur des souris et en utilisant leur corticoïde naturel», souligne-t-elle.

Ceci peut faire une grande différence car les corticoïdes produits par l’organisme ne fonctionnent pas de la même manière que les corticoïdes synthétiques utilisés comme médicament. Une de ces différences est qu’à peine 10% de la quantité de corticoïdes secrétée par les glandes adrénales est disponible dans le sang, prête à agir, autant dans les tissus périphériques que dans le système nerveux central. Les synthétiques, quant à eux, sont totalement prêts à agir sur les tissus périphériques mais ils sont en bonne partie filtrés en arrivant dans la circulation cérébrale car une barrière spéciale (hémato-encéphalique) revêt les vaisseaux sanguins du cerveau et contrôle le passage des différents composés. C’est pour cette raison que quand il s’agit de traiter des inflammations cérébrales, les médecins augmentent la dose du médicament en espérant qu’une plus grande quantité franchisse la barrière hémato-encéphalique qui fonctionne comme un manteau semi-perméable qui, quand la pluie est faible, évite le passage de l’eau et de se mouiller, mais quand la pluie est forte laisse passer l’eau à travers les mailles du tissu.

En fonction de ce mécanisme, le niveau de corticoïdes synthétiques dans le sang périphérique peut être substantiellement différent de celui qui atteint le cerveau. Ainsi, la dose calculée par les médecins peut sembler en fait élevée à la périphérie mais elle est intermédiaire dans le tissu cérébral. Comme ce sont les doses intermédiaires qui augmentent la signalisation inflammatoire dans l’hippocampe et dans le cortex frontal, les résultats servent d’alerte en qui concerne l’usage médical de ces composés quand la cible est le système nerveux. Des expérimentations supplémentaires sont donc encore nécessaires et Carolina et Cristoforo Scavone ont l’intention de les commencer sous peu afin de voir si les corticoïdes synthétiques agissent sur le cerveau de la même manière que les naturels. «Ces données servent d’alerte pour souligner qu’il y a encore des variables non comprises sur le fonctionnement des corticoïdes»”, déclare Cristoforo Scavone.

Troubles de l’humeur
Cristoforo Scavone a récemment débuté une collaboration avec l’équipe de Beny Lafer, du Département Psychiatrique de la Faculté de Médecine de USP, afin d’identifier la possible influence de processus inflammatoires sur le développement de problèmes psychiatriques. Beny Lafer est principalement intéressé par le fait de savoir si les altérations biochimiques liées à l’inflammation peuvent affecter l’équilibre des cellules et les induire à mourir sur des personnes atteintes de trouble bipolaire, qui se manifestent par des alternances d’épisodes dépressifs et maniaques (euphorie).

Ce trouble mental, décrit il y a pratiquement 2 mille ans par Aretaeus de Cappadoce et auparavant appelé psychose maniaco-dépressive, atteint sous sa forme la plus grave (type 1) environ de 1% de la population et a été traité de manière relativement efficace au cours de ces dernières décennies. Cependant son origine biologique est toujours incertaine. Dans les années 90, des études internationales ont constaté une diminution considérable du nombre de cellules (neurones et cellules gliales) et une réduction des mécanismes de protection cellulaire dans le cerveau de personnes atteintes de trouble bipolaire. Cette perte cellulaire, liée à l’inflammation qui s’intensifie au cours des crises maniacodépressives, affecte le cortex frontal et possiblement l’hippocampe, deux des régions étudiées par Carolina et Cristoforo Scavone. La perte ou la dysfonction de neurones dans le cortex frontal permet peut être d’expliquer pourquoi les patients ont des difficultés à contrôler leurs impulsions et leurs épisodes maniaques.

Dans un travail de révision publié cette année dans la revue Progress in Neuro-Psychopharmacology & Biological Psychiatry, Beny Lafer et Cristoforo Scavone ont proposé un modèle essayant d’expliquer comment les mécanismes inflammatoires peuvent modifier une voie de signalisation intracellulaire actionnée par la protéine Wnt qui régule la prolifération, la migration et la spécialisation des cellules. Tous ces processus semblent être (à un moindre ou plus grand degré) compromis durant les troubles de l’humeur, comme la bipolarité et la dépression. Dans ce type de problèmes psychiatriques, Il y a de fortes évidences montrant que le dysfonctionnement de la chaine de réactions chimiques déclenchée par cette protéine est dû au fait que deux des médicaments les plus utilisés pour traiter le trouble bipolaire (le lithium et le valproate) agissent sur ces voies de communication intracellulaire, rétablissant ce canal de transmission et éventuellement évitent la mort des neurones. «Les découvertes sur les mécanismes d’action des stabilisateurs de l’humeur ont modifié le cours des recherches sur les récepteurs dans les membranes cellulaires et sur les neurotransmetteurs qui se lient à ces récepteurs pour que cela ce produise dans l’univers intracellulaire», explique Beny Lafer.

Cette nouvelle manière d’aborder les problèmes psychiatriques a rapproché les équipes de Cristoforo Scavone et de Beny Lafer et permettra peut être de mettre au point de nouveaux traitements. Parmi les molécules qui dans l’avenir pourront devenir une bonne cible thérapeutique pour le trouble bipolaire, Beny Lafer souligne le facteur neurotrophique dérivé du cerveau (BDNF). Cette molécule, qui a de nombreuses fonctions, régule également la survie et la ramification des neurones ainsi que les fonctions relatives à la signalisation par la protéine Wnt qui, d’une certaine manière, sont déréglées durant les épisodes maniacodépressifs.

Il semble même y avoir un rapport moléculaire entre les troubles de l’humeur, l’action des corticoïdes et l’influence du stress, bien qu’il n’ait pas encore été défini. Les chercheurs supposent que ce rapport est dû au NF-kappaB, autant impliqué dans la réponse cérébrale aux corticoïdes que dans la signalisation de la protéine Wnt, modifiée dans le trouble bipolaire.

À la recherche de solutions et si possible de nouvelles formes de traitement, Beny Lafer et son élève de doctorat Li Wen Hu, en partenariat avec Eliza Kawamoto, mènent des recherches sur les modifications qui se produisent dans la voie de la protéine Wnt. Ils veulent comparer le niveau de protéines de cette chaîne biochimique trouvé dans le sang de personnes atteintes de trouble bipolaire et qui reçoivent une médication (lithium) depuis le début des recherches, avec celui de personnes souffrant de troubles mais n’utilisant pas de lithium et finalement avec celui d’individus sains. Ils ont jusqu’à présent collecté des échantillons de 20 personnes du premier groupe, 17 du second et 36 du troisième. «Nous ne savons pas encore si la dysfonction qui survient dans les processus inflammatoires est la cause ou la conséquence des épisodes de la maladie qui s’améliorent avec l’usage de stabilisateurs d’humeur», affirme Beny Lafer.

Le fait de suspecter que les corticoïdes aggravent l’inflammation cérébrale provient d’une observation clinique. Des patients bipolaires qui prennent des corticoïdes pour combattre les inflammations voient leur cadre psychiatrique s’aggraver. En outre, l’usage de médicaments ayant une action contraire à celle des corticoïdes dans le traitement de la dépression se trouve encore en phase initiale de tests. Bien que le lithium ait un mécanisme d’action différent des corticoïdes, les chercheurs n’écartent pas le fait qu’ils puissent agir sur certaines cibles intracellulaires communes. Mais il est difficile de le savoir. «Il s’agit d’une succession d’évènements chimiques complexes, finement régulés par l’organisme, en réponse au stress et aux processus inflammatoires», déclare Cristoforo Scavone. «Interférer dans ce système pourrait déclencher des conséquences encore ignorées»

Les projets
1. Le stress et la signalisation intracellulaire dans l’inflammation déclenchée par l’lps dans le système nerveux central: participation des glucocorticoïdes et de la voie glutamatergique NO dans la modulation du facteur de transcription nf-kb – nº 2002/02298-2 / 2. Participation des map kinases, protéines de choc thermique et de la voie d’apoptose dans les effets adverses des glucocorticoïdes dans le système nerveux central – nº 2004/11041-0 / 3. Évaluation de l’implication de la voie de signalisation Wnt dans la physiopathologie de troubles affectifs bipolaires – nº 2008/08191-1 Modalité 1, 2 et 3. Soutien régulier au projet de recherche Coordonnateurs 1 et 2. Cristoforo Scavone – ICB/USP 3. Beny Lafer – FM/USP Investissement 1. 191.086,25 réaux / (FAPESP)/ 2. 229.197,46 réaux (FAPESP)/ 3. 57.564,57 réaux (FAPESP)

Articles scientifiques
1. Munhoz, C. D. et al. Glucocorticoids exacerbate lipopolysaccharide-induced signaling in the frontal cortex and hippocampus in a dose-dependent manner. Journal of Neuroscience. v. 30(41), p. 13.690-8, 13 octobre 2010.
2. Hu, L.W. et al. The role of Wnt signaling and its interaction with diverse mechanisms of cellular apoptosis in the pathophysiology of bipolar disorder. Progress in Neuro-Psychopharmacology and Biological Psychiatry. v. 35(1), p. 11-17, 15 jan. 2011.

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