Publié en septembre 2009
Lee Rybeck Lynd, 52 ans, est un pionnier dans l’utilisation de la biomasse pour produire de l’énergie. Il a commencé à s’y intéresser à la fin des années 70 quand la possibilité de convertir la cellulose en biocarburant a inspiré son mémoire universitaire. Cet intérêt ne l’a plus jamais quitté. Le professeur d’ingénierie biologique dirige depuis 22 ans un groupe de recherche à la Thayer School of Engineering, au Dartmouth College, institution d’enseignement supérieur qui existe depuis 240 ans et qui se trouve à Hanover, dans l’état du New Hampshire. Son équipe a déjà produit plus d’une centaine d’articles scientifiques et une dizaine de brevets. Elle est à l’origine d’une partie fondamentale de la recherche nord-américaine sur l’éthanol de deuxième génération extrait de la cellulose et qui permettra de produire des biocarburants à partir du bois, de déchets agricoles et de différents types de plantes sans pour autant rivaliser avec la production d’aliments.
Alors que la majorité des études biologiques sur le traitement de la biomasse cellulosique se focalisaient sur la seule production d’enzymes dans un processus comportant plusieurs étapes, le groupe de Lee Lynd a découvert une autre technique plus simple et moins chère pour parvenir au même résultat. Il s’agit du bio-traitement consolidé (CBP), dans lequel les quatre transformations nécessaires à la production de bioéthanol (production d’enzymes, fermentation d’hexoses, fermentation de pentoses et saccarification) se déroulent en une seule phase. Dans ce procédé, des microorganismes produisent en mode anaérobique complexe des enzymatiques ayant une meilleure activité que les enzymes utilisées dans d’autres procédés. Le groupe de Lee Lynd est l’un des plus actifs au monde dans ce domaine.
En 2005, le chercheur s’est allié au groupe d’investisseurs venture capital pour créer Mascoma, une entreprise de recherche en biocarburants. Il a également fermentabénéficié d’un financement émanant de Vinod Khosla, fondateur de l’entreprise Sun Microsystems. L’entreprise détient des brevets sur des microbes capables de produire ces enzymes et, selon Lee Lynd, ce procédé serait prochainement en voie d’être commercialisé.
Lee Lynd est un conseiller recherché dans le milieu politique, outre ses activités de chercheur et d’entrepreneur. Il a présenté les biocarburants au sénat nord-américain et a participé à un comité à ce sujet dans le gouvernement Clinton. Il est aussi coauteur de rapports avec des ONG, comme Natural Resources Defense Council. Il est également depuis peu l’un des chefs de file du projet Global Sustainable Bioenergy: Feasibility and Implementation Paths, composé d’une équipe internationale de scientifiques à la recherche d’un consensus et d’une possible utilisation des biocarburants à l’échelle internationale. Les réunions du groupe auront lieu dans cinq pays (États-Unis, Afrique du Sud, Malaisie, Hollande et Brésil (voir Pesquisa FAPESP no 162). Les physiciens José Goldemberg, recteur de l’USP entre 1986 et 1990, et Carlos Henrique de Brito Cruz, directeur scientifique de la FAPESP, sont membres du comité organisateur des réunions du projet. Cette étude est importante pour le Brésil qui aura la chance d’examiner les découvertes scientifiques pour la production de biocarburants à grande échelle, tant pour l’éthanol de canne à sucre, dont il est le principal producteur mondial, que pour l’éthanol de cellulose qui pourrait permettre à d’autre pays de produire des biocarburants.
Lee Lynd qui était le principal conférencier d’un workshop promu par le programme FAPESP de Recherche en Bioénergie, le 10 septembre, nous a accordé l’entretien suivant:
Sommes-nous près de produire de l’éthanol cellulosique à une grande échelle ? Quels sont les défis technologiques à surmonter ?
Le prix d’achat de la biomasse de cellulose sur le marché futur, qui est d’environ 60 dollars US la tonne est compétitif par rapport au prix du baril de pétrole à 20 dollars US. Le problème c’est le prix du traitement et non pas celui de la matière première. La conversion de sucres en éthanol est actuellement obtenue à bas prix grâce à une technologie éprouvée et une grande production, tant au Brésil qu’aux États-Unis. Le problème est ailleurs. L’industrie de l’éthanol cellulosique existerait déjà si nous n’avions pas de problèmes en matière de production d’intermédiaires réactifs, principalement les sucres, malgré le faible coût de la matière première. La question clé est de pouvoir surmonter les résistances de la biomasse de cellulose avec une technologie à bas prix car le prix des enzymes cellulases est encore très élevé. L’entreprise Mascoma Corporation a récemment montré que le besoin en enzymes cellulases peut être réduit et même éliminé pour certaines sources de cellulose en utilisant une approche appelée bio-traitement consolidé ou CBP. De nombreux problèmes seront ainsi résolus grâce à cette découverte, viabilisant commercialement l’industrie des biocarburants de cellulose. Il est possible d’accélérer ce processus mais il exigera une convergence d’intérêts et de ressources impliquant de nombreux acteurs.
Quelles sont les sources les plus viables pour la conversion de la cellulose ? Comment évaluez-vous le potentiel de la bagasse de canne à sucre ?
Un large éventail de sources de lignocellulose est potentiellement attractif pour la conversion de l’éthanol, y compris les graminées, les plantes herbacées, les arbres et les déchets issus de divers processus. La bagasse est l’une des matières premières les plus attractives car elle se trouve en grande quantité et peut être traitée dans une infrastructure déjà existante, comme une usine d’éthanol de canne à sucre et/ou de sucre. La bagasse possède déjà une valeur ajoutée en tant que source de chaleur et chaque fois plus, d’électricité. Pour l’introduire dans la production de biocarburants, il faudra la valoriser et la traiter autrement. Je n’ai pas analysée la question de manière détaillée mais ceci est possible selon l’évaluation préliminaire de différents spécialistes. La conversion de la paille de canne à sucre représente également une grande opportunité de transformation à partir de la lignocellulose et elle mérité d’être étudiée.
Quels sont les avantages du bio-traitement consolidé (CBP) par rapport à d’autres procédés visant à obtenir de l’éthanol cellulosique ?
La stratégie du CBP présente des coûts financiers et opérationnels réduits grâce à la simplification du procédé et à l’élimination des enzymes qui sont onéreuses. Un groupe d’experts, convoqués par le Département d’Énergie étasunien, le DOE Joint Task Force – 2006, affirme que le CBP est «considéré comme étant la meilleure option à bas prix pour l’hydrolyse et la fermentation de la cellulose». Bien qu’il y ait un large consensus à ce sujet, les opinions diffèrent sur les perspectives à court ou à long terme de cette technologie. Dans le procédé CBP, les enzymes cellulases sont produites par les mêmes microorganismes qui fermentent les sucres et les convertissent en éthanol. Les processus biologiques se déroulent ainsi en une seule phase. Comme le CBP est réalisé dans des conditions anaérobiques, on évite les coûts liés à l’aération, et l’énergie métabolique nécessaire à la production de cellulases est fournie par la fermentation qui produit l’éthanol. La production d’éthanol de lignocellulose du CBP est très similaire à la production d’éthanol de canne à sucre, à la seule différence que la lignocellulose prétraitée reçoit des microbes fermentateurs de cellulose alors que le sirop de la canne reçoit des microbes fermentateurs de sucre. Les autres procédés biologiques alternatifs de production d’éthanol de cellulose impliquent plusieurs étapes et l’une d’entre elles requiert la production aérobique de cellulases dans laquelle l’énergie métabolique nécessaire à sa production est fournie par la respiration, résultant en CO2, eau et perte de la valeur calorifique de la matière première. Il y a également d’autres manières non biologiques de contrecarrer la cellulose réfractaire, comme l’hydrolyse acide ou la gazéification. Le procédé CBP est devenu possible grâce aux avancées biotechnologiques testées dans un environnement industriel. Quant à l’hydrolyse acide et la gazéification, elles sont testées depuis des décennies mais je n’ai jamais vu d’avancées dans ce domaine ou d’impacts comparables au CBP.
Est-il vrai que votre monographie universitaire, il y a 30 ans, suggérait cette solution ?
Le CBP a été l’axe central de mon mémoire conclu en 1979, bien que cette stratégie de traitement avait un autre nom. J’y travaille depuis lors et je suis heureux de voir que ce long chemin est en voie de se transformer en réalité.
Quelles sont les perspectives de la technologie brevetée par l’entreprise Mascoma? Le capital-risque est-il en train de financer les recherches sur l’éthanol cellulosique ?
Le procédé CBP de Mascoma qui inclut tant d’avancées et de futures découvertes, viabilisera prochainement, sur le plan commercial, le fonctionnement d’usines productrices d’éthanol cellulosique. Ce procédé représentera une source de valeur ajoutée pour les agriculteurs et créera une plateforme à partir de laquelle il sera possible de produire une diversité de produits provenant de matières premières lignocellulosiques. Il est important de comprendre que l’approche du CBP tend vers la production de tous les types de carburant et d’autres produits issus de la biomasse cellulosique et pas seulement de l’éthanol. Le capital-risque a été crucial pour que Mascoma parvienne à ce stade et j’espère que les premiers investisseurs seront justement récompensés. Je prévois de plus gros investissements pour l’entreprise venant de partenaires stratégiques et d’investisseurs institutionnels ainsi que du capital-risque. L’entreprise Mascoma a adopté un modèle de «franchise» qui nous permet d’avoir une participation actionnaire dans une usine qui appartient à nos partenaires, contrairement au modèle «construit, possède et dirige». Les partenariats stratégiques constituent une issue naturelle et prometteuse pour parvenir à un impact rapide sur le marché.
La canne à sucre possède un équilibre énergétique et sa production pourrait s’étendre à des zones dégradées ou des pâturages au Brésil et en Afrique. La productivité a augmenté de 4% par an ces 30 dernières années au Brésil. Quel sera selon vous le futur de l’éthanol de canne à sucre ? Pourquoi ne pas continuer à investir dans la recherche sur l’éthanol de première génération ?
La croissante demande mondiale en carburants renouvelables à faible émission de gaz à effet de serre exige l’étude et le développement de diverses matières, tant celles d’où on extrait plus facilement des sucres simples que les plus compliquées. La diversification des matières premières permettra une prévisibilité commerciale globale pour les producteurs d’éthanol, réduisant ainsi l’impact des fluctuations du prix des matières premières, comme pour la canne à sucre qui possède des marchés alternatifs (nous avons vécu récemment un doublement du prix du sucre mondial). L’éthanol de canne à sucre possède des vertus que les autres carburants n’ont pas, comme de faibles émissions de gaz à effet de serre, un rendement élevé à l’hectare et de moindres impacts sur la pollution de l’eau. C’est donc l’une des principales options choisies par les pays qui cherchent à augmenter leur production de biocarburants. L’éthanol de canne à sucre et l’expérience acquise sont importants pour les technologies émergentes qui produisent des carburants à partir de la lignocellulose. La bagasse de canne à sucre est un départ logique et éprouvé pour de tels procédés. Le Miscanthus est un parent proche de la canne à sucre et il possède un fort potentiel (sans porter préjudices aux autres cultures) en tant que matière première pour la conversion de la lignocellulose. Il peut être également cultivé dans des climats tempérés où la canne à sucre ne pousse pas. Les biocarburants cellulosiques proposent également des alternatives pour répondre aux préoccupations sur la disponibilité en terre. Cependant, le traitement de la lignocellulose doit progresser pour que son coût devienne compétitif par rapport à la production d’éthanol de canne à sucre. À court terme, l’éthanol de cellulose et celui de la canne à sucre promettent d’être plus complémentaires que concurrents. À long terme, la transition de l’éthanol de canne vers le cellulosique se fera probablement de manière douce, non brutale, et ne concernera que les procédés et les matières premières qui amélioreront les pratiques habituelles. Quant à la recherche, il nous faut évidemment améliorer les bonnes choses que nous sommes en train de faire mais également viabiliser celles que nous ne sommes pas encore capables de réaliser. Il nous faut donc poursuivre la recherche sur l’éthanol de canne à sucre et adopter une ligne de recherche agressive sur l’éthanol cellulosique maintenant que l’application commerciale est à notre portée.
Dans un article que vous avez coécrit avec Nathanael Greene, vous déclarez que «les biocarburants n’ont qu’un faible impact sur le prix des aliments, ne consommant à peine que 4% des grains du monde et qu’il n’est pas évident que le prix des aliments serait moins élevé sans la production de biocarburants». Quel est le risque réel en matière de sécurité alimentaire ?
Bien que les questions concernant la sécurité alimentaire, les biocarburants et leurs interactions soient complexes, certaines observations importantes peuvent être faites. Il y a de fortes évidences confirmant une déclaration récente d’un groupe de chercheurs dans la revue Science, selon laquelle nous ne pouvons pas nous permettre de perdre les gains obtenus avec des biocarburants produits correctement, tant pour lutter contre les effets de serre que pour les bénéfices environnementaux et sociaux. Mais nous ne devons pas non plus accepter les impacts indésirables des biocarburants obtenus de manière incorrecte. Il est particulièrement important de comprendre deux points dans ce contexte. En premier lieu, les risques environnementaux liés à l’utilisation de la terre pour les biocarburants obtenus de manière incorrecte sont évitables et ne sont pas nécessairement une conséquence logique de la production des biocarburants. Deuxièmement, le fait de négliger la recherche sur les biocarburants pourrait être un risque pour l’environnement et pour d’autres éléments importants associés. Ne pas poursuivre les recherches sur les biocarburants, nous amènera probablement à augmenter la production de pétrole à partir de l’huile de schiste et de sables bitumineux ou de perdre des opportunités en matière de développement rural et de sécurité énergétique. Comme nous manquons d’alternatives en termes de carburants liquides pour les véhicules lourds, il sera plus facile de développer un secteur de transport durable grâce aux biocarburants que sans eux.
Quelles sont vos attentes en ce qui concerne le projet Global Sustainable Bioenergy (GSB) ? Quelles pourraient être les contributions des chercheurs invités ?
Il y a actuellement une grande confusion et de nombreux doutes sur certains aspects. L’un d’entre eux est le suivant: vaut-il la peine de miser sur le fait que la bioénergie jouera un rôle important dans l’avenir ? Si oui, quelles politiques sont nécessaires pour garantir un résultat durable ? Cette incertitude est très mauvaise. D’un côté cela peut signifier que nous nous dévions de notre objectif à cause d’une vision distordue sur le potentiel bioénergétique. D’un autre côté, cette ambivalence nous amène à investir moins dans son potentiel qu’il ne serait recommandable de la faire. Ou au pire, les deux choses en même temps. J’espère que le projet GSB nous éclairera à ce sujet, et nous amènera à un consensus. Un des objectifs clés du projet et de sa phase 2 en particulier, est la recherche active de scénarios pour l’utilisation future de la terre, indépendamment des tendances actuelles. Aujourd’hui ces scénarios sont, par définition, improbables. Nous devons cependant étudier les improbabilités actuelles car nous ne pourrons pas créer un monde sûr et durable en poursuivant les pratiques actuelles qui se sont avérées insoutenables et dangereuses. L’analyse des possibilités d’utilisation intensive de la bioénergie qui sera réalisée dans la phase 2, nous encouragera et nous fournira les informations nécessaires à la phase 3 du projet qui reconsidèrera le présent, les voies alternatives, les politiques de transition, les questions éthiques et financières ainsi qu’une analyse d’échelle locale. Il est nécessaire que ce projet compte sur la participation d’analystes et de décideurs du monde entier pour qu’il se concrétise, gagne de l’importance et ait un impact global.
Attend-t-on une contribution spécifique des chercheurs brésiliens ?
La participation brésilienne dans ce projet est importante pour plusieurs raisons. En premier lieu, le Brésil a beaucoup à enseigner au monde sur sa stratégie dans le domaine des biocarburants. La part des carburants issus de la biomasse dans sa matrice énergétique est supérieure à tout autre pays du monde. Deuxièmement, au cours des discussions informelles liées à la planification du projet GSB, des spécialistes brésiliens ont rappelé que les préoccupations exprimés par les États- Unis et l’Europe sur le changement d’utilisation de la terre sont vues sous une perspective bien différente en Amérique du Sud ou en Afrique. Ces perspectives sont primordiales pour que les objectifs du projet GSB se réalisent. Le Brésil possède une grande industrie des biocarburants, une infrastructure moderne, une grande partie de la population vivant dans la pauvreté et se trouve dans une situation privilégié pour aider à comprendre l’impact des biocarburants dans le monde en développement et pour lutter contre la pauvreté.
Le groupe va-t-il seulement analyser les technologies de deuxième génération ou va-t-il également évaluer les progrès technologiques de la première génération ? Quelles sont les matières premières qui seront choisies ?
Le projet débutera avec une approche neutre sur les matières premières, tenant compte des performances de chacune, considérant les sources de la première génération quand elles coïncideront aux objectifs. Nous n’avons pas pris de décisions en ce qui concerne des matières premières spécifiques.
Le groupe évalue-t-il les émissions de gaz ainsi que d’autres problèmes liés au changement de l’utilisation de la terre ?
Contrairement aux autres études, notre principal objectif est d’éviter les impacts néfastes des changements indirects d’utilisation de la terre en essayant d’en comprendre les causes, au lieu de quantifier simplement de tels changements sans en étudier les causes.
Quelles sont vos attentes en termes d’investissements et sur les avancées des technologies vertes, comme l’éthanol cellulosique, dans le gouvernement du président Obama ?
Le président Obama, le secrétaire de l’Énergie, Steven Chu et d’autres membres du gouvernement ont davantage priorisé les technologies vertes que les administrations précédentes, grâce à une approche différente et à cause du moment que nous traversons. Nous ne savons pas encore comment les faits vont se traduire dans la pratique. Mais j’ai de l’espoir car la prise de conscience de l’administration sur l’importance des énergies renouvelables et certains pas initiaux sont des éléments positifs, au même titre que le financement de 2 milliards de dollars US destinés à soutenir la recherche pour une production énergétique durable et sa conservation. J’estime que les États-Unis et d’autres pays développés ont l’obligation morale et pragmatique de modifier notre utilisation des ressources prenant comme exemple les pratiques adoptées par le monde en développement.
Quel est votre avis sur les nouvelles approches en matière de biocarburants comme l’essence verte produite à partir de sucres dérivés de la biomasse ?
Nous devons examiner tous les procédés de conversion capables de produire des carburants acceptables pour les transports, du moment qu’ils se révèlent rentables et passibles d’être produits à grande échelle. Différents acteurs, y compris les entreprises multinationales de pétrole, sont clairement intéressés dans le développement de biocarburants pour tout type de véhicules. Je pense qu’à long terme, les besoins en biocarburants pour les véhicules lourds seront plus grands que pour les véhicules de tourisme. La compatibilité avec l’infrastructure pétrolière de production de carburants est nécessaire, mais les prix et les performances seront des facteurs déterminants à long terme. En allant plus loin, je pense qu’une approche en 3 étapes serait judicieuse pour les nouvelles technologies énergétiques. Le premier pas est un test appelé sniff test, pour évaluer la rentabilité d’un projet et savoir s’il peut être produit à grande échelle. Nous souhaitons que les procédés se soumettent à test car nous avons besoin de toutes les voies possibles pour réussir. Nous ne devons pas perdre notre temps avec des idées qui n’ont aucune chance d’avoir un impact significatif. À mon avis, la plupart des procédés énergétiques développés, tant par les gouvernements que par le secteur privé, ne se soumettent pas à ce test. Dans un deuxième temps, il faut soutenir des activités basées sur l’innovation pour explorer un vaste éventail de procédés qui passeront ce test. Outre le capitalrisque, nous avons besoin d’un portefeuille diversifié d’une dizaine d’investissements, sachant que 5 peuvent échouer complètement, trois peuvent avoir un succès mitigé, mais deux doivent absolument se concrétiser pour financer tout le reste. Miser sur des solutions uniques n’est pas la meilleure manière de réussir une transition durable. Les solutions retenues sur une grande échelle, après un grand investissement en innovation, viendront des consommateurs et dépendront de la performance des produits, de leur prix, de leur coût de production et des valeurs sociales non prises en compte par le marché.
En ce qui concerne la capacité de transition vers une économie durable, vous avez déclaré que dans quelques centaines d’années, quand les personnes regarderont en arrière et analyseront notre époque, un des élément-clés qui sera jugé, sera notre habilité à réaliser ou non cette transition. Sommes-nous sur la bonne voie ? Êtes-vous optimiste ?
Je pense que la situation actuelle est encore dangereuse en termes absolus, mais la tendance observée, en termes de prise de conscience et de sens de l’urgence, est positive. Les trajectoires actuelles ne sont pas durables et nous devons donc regarder plus loin pour trouver des solutions viables. Dans ce contexte, il est nécessaire d’admettre que le business as usual est en vérité une fantaisie et non pas un niveau en soi à atteindre. Le premier pas à faire pour concrétiser de futurs scénarios sera de montrer qu’ils sont possibles. Je consacre ma carrière à développer cette approche, tant sur le plan technologique que sur le plan des ressources et des questions environnementales.