Publié en janvier 2003
La ville de São Paulo compte 1 million d’exclus supplémentaires depuis ces dix dernières années. Actuellement, près de 8,9 millions de personnes sur les 10 millions habitant à São Paulo vivent en dessous d’un niveau de vie approprié, accèdent difficilement à l’éducation, aux services d’assainissement et au logement, entre autres services. Cette détérioration de la qualité de vie dans 76 des 96 districts de la ville est due à l’absence ou à l’inadéquation de politiques publiques et au manque d’équipements sociaux. La situation s’est aggravée car le manque de planification a accru les inégalités intra-urbaines. Vila Jacuí, par exemple, enregistre un déficit de plus de 27 mille places dans les crèches, ce qui est loin d’être le cas pour les districts de Jaguaré, Brás ou Bom Retiro. Pour chaque nouvel emploi créé à Aricanduva, 1 114 postes sont créés à Sé. Pour chaque SDF de Morumbi, il y en a 1 061 à Mooca, et le taux moyen des homicides du district du Jardim Ângela est 28 fois plus élevé que celui de Moema.
Cette topographie sociale perverse apparaît sur la Carte de l’Exclusion/Inclusion sociale de la Ville de São Paulo, point central du projet de recherche Dynamique Sociale, Qualité Environnementale et Espaces Intra-Urbains à São Paulo. Il s’agit d’une analyse Socio-spatiale développée dans le cadre du programme de Recherches en Politiques Publiques de la FAPESP.
Cette carte est le fruit d’un partenariat entre l’Université Pontificale Catholique de São Paulo (PUC-SP), l’Institut National de Recherches Spatiales (Inpe) et l’Institut Polis. Elle en est à sa troisième édition et a été élaborée au moyen d’une comparaison des recensements réalisés par l’Institut Brésilien de Géographie et de Statistique (IBGE) en 1991, 1996 et 2000, les statistiques communales et les données de la recherche Origine/Destination de la Compagnie du Métro de São Paulo qui découpe la ville en 270 régions. La recherche utilise une méthode d’analyse géospatiale et un traitement mathématique informatisé appartenant au Système d’Information Géo référenciée (SIG), qui permet d’identifier le lieu exact des données recensées dans les différentes zones de la ville et d’élaborer d’un Indice d’Exclusion (IEX) permettant de classer les divers niveaux de qualité de vie des districts de São Paulo.”Les informations générées par la carte sont stratégiques pour définir des politiques publiques adaptées aux nécessités de chaque région “, déclare Aldaíza Sposati, coordinatrice du projet et assistante sociale de la commune de São Paulo.
L’Indice d’Exclusion/Inclusion sociale (IEX), élaboré par les chercheurs du projet, ressemble à l’Indice de Développement Humain (IDH) utilisé par l’Organisation des Nations Unies (ONU) pour recenser la qualité de vie dans différents pays, mais d’une manière plus élargie. Alors que l’IDH utilise quatre indicateurs pour évaluer la situation économique de différentes nations, l’indice d’exclusion utilise 47 indicateurs baptisés “utopies” par les chercheurs et qui sont regroupés dans quatre grands domaines: l’autonomie, la qualité de vie, le développement humain et l’égalité.
Les chercheurs du projet ont développé une méthodologie d’analyse comparable à celle de Santo André dans l’ABC pauliste (ceinture industrielle de São Paulo) et commencent à cartographier les inégalités intra-urbaines dans les communes de Campinas, Guarulhos, Piracicaba et Goiânia. “Les principales données proviennent de l’IBGE et il est fondamental de les inclure aux informations transmises par les mairies”, explique Dirce Koga, chercheur à la PUC-SP et membre de l’équipe.
Qualité de vie
L’indicateur Autonomie évalue le revenu des chefs de famille ainsi que les offres d’emploi dans les différents districts. L’indicateur Qualité de Vie mesure l’accès à certains services, comme l’assainissement, la santé, l’éducation, le nombre de logement et le confort résidentiel. L’indicateur Développement Humain considère le niveau scolaire des chefs de famille, la longévité, la mortalité infantile et juvénile et la violence. L’indice Égalité considère le degré de concentration des femmes chefs de famille. Des notes positives et négatives ont été attribuées à chacun de ces indicateurs, variant de -1 à 1, le chiffre zéro étant définit comme le niveau de base de l’inclusion sociale. Les districts ont été classés en fonction de leur éloignement positif ou négatif de ce niveau.
Selon ce critère, le pire endroit pour vivre à São Paulo se trouve au district Jardim Ângela, avec un indice -1; et le meilleur à Moema, avec un indice +1. Avec un indice 0, Vila Jaguara se situe à un bon niveau. Selon cette évaluation, 76 des 96 districts de la ville ont été considérés comme étant des zones d’exclusion sociale. Succédant à la Zone Est, la Zone Sud est désormais la région la plus démunie de la ville. “Nous avons constaté que les niveaux d’exclusion sociale de la zone Est n’avaient pas évolué depuis la dernière décennie car la région s’est améliorée dans le domaine collectif. Par contre dans le Sud, l’exclusion sociale s’est intensifiée. Nous devons maintenant essayer d’en comprendre les causes” déclare Aldaíza.
La situation est également grave dans la région située à la limite de la Serra da Cantareira, au nord-ouest de la ville, où se concentrent un grand nombre de districts exclus. Le fait le plus pervers est qu’il s’agit de régions où naissent des sources et qui sont des zones environnementales protégées, mais qui ont été “congelées”, selon les propres dires d’Aldaíza, tant du point de vue des investissements que des améliorations. Ces zones dévalorisées sont maintenant envahies et dégradées. “Les indices d’exclusion compromettent l’avenir de la ville. Aucune mesure n’est prise en matière de politique environnementale ou de protection humaine” alerte Aldaíza.
Planification urbaine
La carte de l’exclusion/Inclusion sociale permet de réaliser une radiographie détaillée de la topographie sociale de São Paulo et c’est un excellent outil de planification urbaine. La première carte, comparant les données du recensement de 1991 et les données de 1996, a été utilisée par le Secrétariat Municipal de l’Éducation durant le mandat du maire Celso Pitta afin d’évaluer la demande éducationnelle des différentes régions. La deuxième carte publiée en 2000, dans le cadre du programme de Politiques Publiques promu par la FAPESP, a été un outil stratégique pour définir des zones de mise en oeuvre de programmes sociaux durant le mandat de Marta Suplicy. “L’accent est mis sur les zones présentant un plus grand indice d’exclusion “, déclare Aldaíza.
La troisième version qui inclut les données du recensement de 2000 n’est pas encore terminée mais les résultats préliminaires sont déjà utilisés dans les discussions menées sur le Budget Participatif de la mairie et la planification de programmes de santé.
“Les politiques publiques profitent de cette spatialisation des données. Cette méthode d’analyse permet de comprendre les différences existantes entre les différents territoires d’une même commune”, déclare Gilberto Câmara, coordinateur général de l’Observation de la Terre de l’INPE et coordinateur adjoint du projet. “Les pauvres d’Itaim Paulista sont différents des pauvres du Jardim Ângela”. L’utilisation de la statistique spatiale est très sensible à l’analyse et elle complète les évaluations qualitatives. Elle augmente les chances d’identifier et de choisir “une cible” pour la définition de politiques publiques, augmentant ainsi les chances de succès de projets et de programme sociaux en évitant également le gaspillage des fonds publics. “La carte de l’exclusion sociale est un outil visant à améliorer la capacité de décision du maire”, déclare Câmara.
À titre d’exemple, la méthode d’analyse utilisée dans le projet révèle qu’entre 1996 et 2001, la population de la ville a enregistré une croissance de 2%. Le nombre d’habitants du district d’Anhangüera a augmenté de 129,96%, alors que celui de Pari a diminué de 27,54%. Ces chiffres indiquent une grande migration intra-urbaine des districts du centre de la ville comme celui de Pari, vers la périphérie comme ceux d’Anhangüera, Grajaú et Cidade Tiradentes, entre autres. Cette migration est motivée par le manque d’équipements et de services publics qui ne répondent plus aux demandes d’une population croissante.
Ce mouvement migratoire a compromis la qualité de vie des différents districts paulistes. L’indicateur Autonomie, par exemple, a révélé une impressionnante inégalité en ce qui concerne les offres d’emploi parmi les différents districts paulistes. Celui de Sé, d’une faible densité populationnelle, concentre le plus grand taux avec 6,80 emplois par habitants. La région d’Anhangüera, malgré l’explosion démographique de cette dernière décennie, conserve un taux de croissance stable en termes d’offres d’emploi, 0,18 emploi par habitant. Le manque de travail oblige les travailleurs/habitants à se déplacer quotidiennement vers d’autres zones plus favorables en matière d’emploi. “Cette situation devrait interpeller davantage les pouvoirs publics locaux, principalement en matière de transports en commun “, déclare Dirce Koga.
Le cadre occupationnel s’aggrave quand on compare le nombre d’emplois offert à la population économiquement active (PEA) comprise entre 14 et 69 ans. Il n’y a que 64 % d’emplois disponibles par rapport à la PEA de la ville. Selon les statistiques, les 36% restants ne font pas partie du marché du travail. La situation la plus critique est celle de Cidade Tiradentes où moins de deux habitants (1,8) sur 10 ont un emploi dans le même district.
Le plus faible revenu familial, correspondant à 4,64 salaires minimums, se trouve dans le district de José Bonifácio, et le plus élevé, environ 41 salaires minimums, à Moema. Le niveau de base de l’Indice d’ Exclusion du revenu familial correspond à 14 salaires minimums, comme à Bom Retiro. En utilisant ce critère, 20 districts ont reçu des notes positives et 54 des notes négatives.
Services déficitaires
Le manque de place dans les crèches publiques et privées de São Paulo a augmenté de 34% depuis 1995. Il est vrai que durant cette période, la population comprise dans une tranche d’âge se situant entre 0 e 4 ans a chuté de 12%, cependant le nombre de places est toujours insuffisant. Le problème est particulièrement grave à Vila Jacuí où ce déficit est passé de 540 à 10.014 places, situation 2 mille fois plus grave que celle de Jaguaré. Il manque également des places dans les écoles maternelles pour les enfants âgés entre 5 et 6 ans dans 85 des 96 districts paulistes. Dans certaines zones comme Pari, qui a vu sa population diminuer, on enregistre 83,49% de places excédentaires. Les écoles d’enseignement primaire ne répondent également pas aux demandes dans au moins 13 régions de la ville. Dans les écoles publiques du district de República, il n’y a que 868 places disponibles pour 3.646 enfants, ce qui représente un déficit de 76,19%.
Dix districts ne possèdent pas de dispensaires médicaux. Dans les zones centrales, le déficit est de 100%. Dans les 76 autres districts, la couverture médicale se situe en dessous du niveau de base avec un dispensaire pour 20 mille habitants. La situation la plus grave est celle de Campo Limpo, alors que l’on enregistre des places excédentaires à Jaguara ou Ponte Rasa.
Toutefois la recherche indique un point positif. En 1996, le pourcentage des chefs de famille sans instruction est passé de 9,47% à 6,45%, une réduction de 3,2%. Cependant, le pourcentage de chefs de famille analphabètes dépasse la moyenne des communes brésiliennes dans 47 districts, atteignant 20,08% dans certains cas. La plus grande concentration d’analphabètes se trouve à Grajaú et la plus faible à Barra Funda. Le pourcentage de chefs de famille ayant 8 à 14 ans d’études a augmenté de 32,20%, principalement à Lajeado. Une autre bonne nouvelle est que le nombre d’individus possédant un niveau universitaire a augmenté de 13,85% pour l’ensemble de la ville durant la même période. Seuls dix districts n’ont pas enregistré de croissance. Le plus grand nombre de diplômes d’études supérieures obtenus a été enregistré dans le district d’Iguatemi.
Les indices d’espérance de vie sont également positifs dans 23 des 96 districts. Ces indices sont calculés par la différence entre l’année de décès et l’espérance de vie de la population. Cependant, le pourcentage d’homicides a augmenté de 11,33%, entre 1996 et 1999. Dans le district Jardim Ângela, le nombre d’homicides est de 94,42 pour 100 mille habitants. Dans l’arrondissement de Sé, ce taux est passé de 37,52 à 93,47.
Nouveaux indicateurs
Le projet entre dans la phase II du Programme de Recherches en Politiques Publiques. Les objectifs poursuivis concernent l’élaboration de nouvelles cartes, l’amélioration des indicateurs, la révision du contenu de l’indicateur d’égalité et le rajout de nouveaux indicateurs dans l’Indice d’Exclusion/Inclusion comme démocratie, citoyenneté et bonheur. “Nous travaillons sur l’idée que l’exclusion est un motif de souffrance et que le bonheur est un droit public “, explique Dirce. Les plans d’action concernent également le futur fonctionnement du Centre d’Études sur les Inégalités Socio territoriales (Cedest), lancé en janvier 2002 et qui fonctionnera à l’Institut Pólis.
“Il faut suivre la volonté de Dieu”
Perchée sur les hauteurs du district de Jardim Ângela, Copacabana ressemble à une ville fantôme. Le lundi à 13h30, les rues sont désertes et les maisons fermées. Toutes les portes et les fenêtres des maisons sont protégées par des grilles pointues en aluminium. Les bars sont également fermés et le silence est absolu. À un coin de rue, un groupe d’enfants joue au ballon sur un terrain vague rempli d’ordures. Deux cent mètres plus loin, sur une dalle en ciment qui surmonte Vila Tupi, cinq enfants lâchent un cerf-volant. C’est là dit-on, que les chefs du trafic imposent aux habitants un couvre-feu à toute heure du jour et de la nuit.
Le district de Jardim Ângela qui compte 250 mille habitants est une sorte de couloir isolé dans la zone Sud de la ville, un type de “trou urbain” qui se termine dans la Serra do Mar. Ce district, peuplé récemment, abrite une population sans aucune qualification professionnelle et attire une grande partie des émigrés intra-urbains. Il enregistre le taux d’homicide le plus élevé et le pire indice (-1) d’exclusion sociale de la ville de São Paulo. “Je pense qu’il y a une part d’exagération quand on dit que cette région est très violente”, déclare Helena dos Santos, âgée de 54 ans, et vivant depuis 36 ans dans le district de Jardim Ângela. “La violence est partout.” C’est là qu’elle a connu et épousé João qui avant possédait son propre camion mais qui aujourd’hui conduit le camion des autres”.
C’est grâce à l’argent qu’il gagnait sur la route et le salaire de couturière de sa femme qui travaillait dans une boutique de confection de la rue José Paulino, située dans la région centrale, qu’ils ont élevé leurs deux enfants. “J’ai décidé d’arrêter la confection et aujourd’hui je fais des gâteaux pour des fêtes et parfois je couds ”, raconte Helena. C’est ainsi qu’elle élève ses cinq petits-enfants car son fils a été assassiné il y a deux ans. “Il était policier militaire, mais ce jour là il n’était pas en service. C’était un dimanche et il venait de dîner avec sa femme chez moi. Il a été tué à quelques mètres d’ici et nous ne savons toujours pas ce qui s’est passé ” dit-elle, en ne cachant pas qu’elle n’aime pas aborder ce sujet. Elle n’attribue pas sa tragédie personnelle à la violence qui règne dans le district de Jardim Ângela. Mais elle avoue: “à l’époque j’ai eu envie de retourner à la campagne, mais j’ai ensuite pensé qu’il fallait suivre la volonté de Dieu. J’ai donc décidé de rester et je me sens bien ici ”.
Regina Eugênia, âgée de 34 ans et mère de trois filles, défend également l’endroit où elle habite depuis 11 ans. “Ce ne sont pas les écoles qui manquent pour les enfants.” Elle ne sait pas qu’il manque des places dans les crèches du quartier. “Je n’en ai jamais eu besoin. Je ne travaillais pas et je restais chez moi avec les enfants.” Regina reconnaît qu’il y a des problèmes dans la région en matière de santé. “Quand quelqu’un a besoin d’un médecin, nous allons dans un hôpital à Campo Limpo, en fin de compte c’est à ça que servent les assurances de santé privées ”, dit-elle. Campo Limpo est le district voisin et possède un indice d’exclusion sociale de -0,61, occupant la 27ème place au classement de l’exclusion. Elle avoue que sa plus grande difficulté est de continuer à payer son assurance médicale privée. Son mari était contrôleur de la qualité dans une grande entreprise mais il est au chômage depuis trois mois et elle fait de petits boulots au noir pour subvenir aux besoins de sa famille comme du repassage, du nettoyage et la cuisine. “Nous devons couper certaines dépenses, y compris l’assurance médicale privée” dit-elle.
De l’autre côté la route du M’Boi Mirim, Maria do Socorro Pereira, âgée de 47 ans, frite des beignets sous sa baraque en toile. “J’ai cette baraque depuis 8 ans et je n’ai jamais été attaquée”, dit-elle avec fierté. La proximité d’un poste de la police militaire est également dissuasive. Mais elle déclare qu’elle a un pacte avec ceux qui ont une “gueule de bandit”. “Je leur offre un beignet gratuitement et je gagne leur sympathie.” Elle attend impatiemment que la mairie tienne sa promesse et transforme le M’Boi Mirim en couloirs d’autobus. “Cela va certainement augmenter la circulation et je vendrai ainsi davantage de beignets”, prévoit-elle.
Le projet
Dynamique Sociale, Qualité Environnementale et Espaces Intra-Urbains à São Paulo: Une Analyse Sociologique et Spatiale; Modalité Programme de Recherches en Politiques Publiques;Coordinatrice Aldaíza de Oliveira Spozati – Faculté de Service Social de l’Université Pontificale Catholique de São Paulo (PUC-SP); Investissement 88.600,00 réaux