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climat

L’Amazonie produit 8 % du méthane de la planète

Les zones inondées libèrent encore la plus grande partie du gaz du biome, mais l’avancée de l’élevage et des brûlis stimule les émissions associées à l’occupation humaine

D’après une étude de l’Inpe, les zones inondées émettent près de 75 % du méthane libéré par l’Amazonie

Fabio Colombini

La production de méthane (CH4) en Amazonie a représenté 8 % des émissions mondiales de ce gaz à effet de serre, le deuxième plus important après le dioxyde de carbone (CO2), et elle s’est maintenue à des niveaux stables entre 2010 et 2018. Près de trois quarts du méthane émis dans la région – qui traverse neuf pays et concentre 60 % de sa superficie au Brésil – viennent d’un processus naturel de décomposition de la biomasse, en particulier des arbres et de la végétation, dans des zones partiellement ou totalement inondées pendant l’année. Le reste est le sous-produit de deux activités favorisées par l’occupation humaine : les brûlis (16 % du total) et l’élevage du bétail (11 %).

Ces estimations sont présentes dans un article publié en décembre 2021 dans la revue scientifique Communications Earth & Environment. Pour Luana Santamaria Basso, auteure principale de l’étude, biologiste en stage postdoctoral au Laboratoire des gaz à effet de serre (Lagee) de l’Institut national de la recherche spatiale (Inpe), « l’Amazonie est une source mondiale importante de méthane, mais nos données indiquent que la région n’a pas contribué de manière significative à l’augmentation récente des émissions de ce gaz ». D’après l’article, l’Amazonie a émis environ 46 millions de tonnes de méthane par an entre 2010 et 2018.

Si près de 60 % des émissions de méthane en Amazonie ont été attribuées au Brésil (conformément à la participation du territoire du pays à l’étendue totale du biome sud-américain), la partie nationale de la forêt tropicale libère environ 29 millions de tonnes de ce gaz par an. Ce chiffre équivaut à 5 % de toutes les émissions de méthane de la planète. La chimiste Luciana Vanni Gatti, coordinatrice du Lagee et coauteure de l’étude, précise : « Si l’Amazonie ne peut pas être considérée comme une vilaine dans la question des émissions mondiales de méthane, l’article signale que la libération de ce gaz due aux activités anthropiques [humaines] dans la région est plus importante dans les zones les plus déboisées que dans celles qui sont les plus préservées ». La chercheuse dirige un projet thématique dans le cadre du programme de recherche de la FAPESP sur les changements climatiques globaux (PFPMCG), qui surveille le bilan de ce gaz en Amazonie.

Mauro Pimentel / AFP / Getty ImagesLes activités humaines, brûlis…Mauro Pimentel / AFP / Getty Images

Au cours des deux dernières décennies, au moins sept études menées par des groupes internationaux, avec des méthodologies différentes et même des données de satellites, ont obtenu des chiffres très différents sur la production de méthane en Amazonie. Selon l’article choisi, la quantité de CH4 libérée par la forêt tropicale peut varier entre moins de 10 et près de 50 millions de tonnes par an. En plus des différences méthodologiques, un autre point rend difficile la comparaison des résultats : les études n’ont pas toujours considéré la même extension territoriale pour l’Amazonie. L’article de Basso, Gatti et collaborateurs a estimé les émissions pour une zone amazonienne de 7,2 millions de kilomètres carrés (km2), la taille la plus acceptée et qui inclut les neuf pays de la région. Les études qui ont considéré des extensions territoriales un peu plus petites ou plus grandes, soit entre 6 et 8 millions de km2, ont obtenu des résultats d’un ordre de grandeur similaire : entre 30 et 47 millions de tonnes de méthane produites annuellement. Par contre, l’étude qui n’a considéré que 3,7 millions de km2 a estimé à un peu plus de 9 millions de tonnes/an la quantité de CH4 libérée par le biome.

Appelé autrefois gaz des marais, le méthane est produit par la détérioration ou la décomposition de la matière organique dans des processus d’origine géologique ou biologique. Ceux du premier type font partie de la production de pétrole, de charbon et de gaz naturel. Ceux du deuxième type proviennent de la fermentation de la végétation dans les zones inondées, de la combustion incomplète de la biomasse, de la putréfaction des déchets organiques dans les décharges et, surtout, des activités d’agriculture et d’élevage, comme celles issues de la digestion des aliments par les troupeaux de ruminants et, dans une moindre mesure, de la culture du riz dans les zones inondées.

D’après un relevé international publié en juillet 2020 dans la revue Earth System Science Data, 62 % des 580 millions de tonnes de CH4 émises chaque année sur la planète sont le fruit des activités humaines et notamment de l’élevage de ruminants, comme les bœufs, les moutons et les chèvres. Durant le processus de digestion, les micro-organismes présents dans l’estomac des animaux fermentent l’aliment et produisent du méthane. En libérant les gaz stomacaux par la bouche, les ruminants expulsent le CH4 dans l’atmosphère. « Ce n’est pas la flatulence du bœuf qui libère le gaz. C’est le rot », explique l’ingénieur agronome Jean Ometto, de l’Inpe, qui n’a pas participé à l’étude de ses collègues Basso et Gatti. « Investir dans l’amélioration de la qualité des pâturages pour le troupeau est un moyen de diminuer la production de gaz par fermentation entérique ».

Alexandre Affonso / Revue Pesquisa Fapesp

Dans le nouvel article, la quantité de méthane libérée en Amazonie a été calculée à partir d’une base de données de mesures de concentration de CH₄ provenant de 590 échantillons d’air obtenus pendant toute la période de l’étude. Des profils verticaux de l’atmosphère ont été recueillis deux fois par mois avec un petit avion, entre 300 mètres (m) et 4,4 kilomètres (km) d’altitude, dans quatre régions d’Amazonie : à 100 km au nord d’Alta Floresta (État du Mato Grosso sud-est de la région) ; à 40 km au sud de Santarém (État du Pará, au nord-est) ; à 300 km à l’est de Rio Branco (État de l’Acre, au sud-ouest) ; et à Tabatinga et Tefé (État d’Amazonas, au nord-ouest). Ces mêmes profils ont aussi été utilisés dans d’autres études du groupe de Gatti pour calculer l’émission de CO₂ en Amazonie pendant cette période (voir Pesquisa FAPESP nº 306).

De l’avis du biologiste Philip Fearnside de l’Institut national de recherche sur l’Amazonie (Inpa), qui n’a pas participé à l’étude coordonnée par l’Inpe, « la production élevée de méthane dans les zones inondées d’Amazonie n’est pas une surprise. […] Ces estimations ont augmenté récemment, avec la découverte, par exemple, d’émissions substantielles par les arbres de forêts inondées ». Le chercheur rappelle qu’il y a une libération importante de méthane dans les réservoirs créés par les grandes centrales hydroélectriques construites en Amazonie, comme Balbina (Amazonas) et Belo Monte (Pará), qui ont inondé de grandes étendues de forêt. Les fleuves de ces régions, dont le débit est contrôlé par les barrages, sont également des sources de ce gaz à effet de serre. Des études indiquent qu’au Brésil, la plus grande partie du méthane produit par la fermentation entérique des ruminants provient de zones situées en dehors de l’Amazonie, qui concentrent plus de la moitié des 220 millions de têtes de bétail du pays, le plus grand troupeau de la planète. « Mais actuellement, près de 40 % du bétail brésilien est déjà créé en Amazonie et ce pourcentage ne cesse d’augmenter », souligne Gatti.

Si le poids des feux de forêt et de l’élevage dans la production de méthane est encore relativement modeste en Amazonie, ces activités deviennent des sources chaque fois plus importantes au fur et à mesure de l’augmentation de la déforestation dans un secteur du biome. Dans le sud-est de la région, qui est plus touché par l’occupation humaine, la production de CH₄ issue de l’élevage et des brûlis représente 48 % du total des émissions du gaz. Dans les zones inondables du nord-est de l’Amazonie, la libération naturelle de méthane est jusqu’à trois fois plus importante que prévu.

Mauro Pimentel / AFP / Getty Images…et élevage de bétail réunis, produisent ensemble un quart du méthane qui sort de la grande forêt tropicale sud-américaineMauro Pimentel / AFP / Getty Images

Le réchauffement climatique mondial est provoqué par l’augmentation de la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère terrestre par rapport au taux qui prévalait pendant ladite période préindustrielle, au milieu du XIXe siècle. L’augmentation de ce paramètre entraîne un réchauffement de la planète. Ces gaz absorbent l’énergie et retiennent la chaleur dans la couche d’air qui entoure le globe. Depuis la révolution industrielle, la température moyenne de l’atmosphère de la planète a augmenté d’environ 1,1 degré Celsius (ºC). Au cours des 150 dernières années, la contribution cumulée du méthane à l’augmentation de la température moyenne de la planète a été environ un tiers inférieure à celle du dioxyde de carbone.

C’est pour cette raison, en plus d’autres particularités du CH4, comme sa courte durée de vie dans l’atmosphère (environ 12 ans, alors que celle du CO2 atteint 120 ans), que les discussions sur la lutte contre les changements climatiques se sont excessivement concentrées sur les objectifs de réduction des émissions de dioxyde de carbone. Mais cette situation a changé récemment et les études sur le méthane occupent désormais de plus en plus de place dans les articles scientifiques et dans les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Lors de la dernière conférence des Nations unies sur le changement climatique, la COP 26 en novembre 2021, le Brésil faisait partie d’un groupe d’un peu plus de 100 pays qui se sont engagés à réduire les émissions de méthane de 30 % d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 2020. Chaque année, le pays est le cinquième émetteur de méthane de la planète, derrière la Chine, la Russie, les États-Unis et l’Inde.

Ometto estime qu’« investir dans la réduction des émissions de méthane peut avoir des impacts plus rapides sur la lutte contre le réchauffement de la planète et les changements climatiques ». L’explication est simple. Sur une courte période, par exemple deux décennies, 1 kg de méthane génère 80 fois plus de chaleur dans l’atmosphère que la même quantité de dioxyde de carbone. « Le CH4 a un impact énorme dans les premières années suivant l’émission, mais il reste peu de temps dans l’atmosphère. Le CO2, quant à lui, a un léger effet chaque année, mais il dure environ 10 fois plus longtemps », explique Fearnside. Le problème est qu’après avoir connu une période de stabilité entre 1999 et 2006, les émissions mondiales de méthane sont reparties à la hausse. En septembre 2021, elles ont atteint la plus grande concentration de l’histoire, soit
1 900 parties par milliard. « En plus des sources connues, il doit y avoir des processus pas très bien compris associés à la production de méthane. Dans notre étude, nous avons vu, par exemple, qu’il doit y avoir une importante source encore non identifiée de méthane dans le nord-est de l’Amazonie. Mais nous n’avons toujours pas découvert de quoi il s’agit », précise Basso.

Projet
Variation interannuelle du bilan de gaz à effet de serre dans le bassin amazonien et contrôles dans un monde touché par le réchauffement et les changements climatiques – Carbam : Étude à long terme du bilan de carbone de l’Amazonie (nº16/02018-2) ; Modalité Projet thématique ; Programme Recherches sur les changements climatiques mondiaux ; Chercheuse responsable Luciana Vanni Gatti (Inpe) ; Investissement 4 436 420,43 reais BRL.

Articles scientifiques
BASSO, L. S. et al. « Amazon methane budget derived from multi-year airborne observations highlights regional variations in emissions ». Communications Earth & Environment. 29 nov. 2021.
SAUNOIS, M. et al. « The Global Methane Budget 2000-2017 ». Earth System Science Data. v. 12, n. 3. juill. 2020.

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