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PHYSIQUE

Le long voyage des rayons cosmiques

et des scientifiques en quête d’informations sur leur provenance

Publié en décembre 2007

Le doute qui planait jusqu’à présent sur les rayons cosmiques a peut-être été résolu. Il y a près de 70 ans, le physicien français Pierre Auger a identifié les particules les plus énergétiques de l’Univers qui, lorsqu’elles entrent en collision avec l’atmosphère terrestre, se désintègrent en milliards d’autres. Mais deux éléments d’apparence simples étaient restés sans réponse : la provenance de ces rayons et ce qu’ils sont exactement. Actuellement, une équipe de 370 chercheurs de 17 pays – dont le Brésil – est en mesure de répondre à la première question (la seconde reste encore en suspens). Comme l’indique l’article paru dans la revue Science du 9 novembre, les rayons cosmiques les plus énergétiques doivent se former à proximité de trous noirs – gouffres de matière et d’énergie – rencontrés sur les noyaux galactiques actifs proches de notre propre galaxie, la Voie Lactée.

Les rayons cosmiques d’ultra-haute énergie naissent au milieu d’un mélange de particules électriquement chargées libérées par les trous noirs les plus actifs qui ont absorbé en grande quantité des gaz, de la poussière cosmique et des étoiles. Cette situation dantesque se passe sur des galaxies actives comme la galaxie Centaure A (la plus proche, située à 12 millions d’années-lumière de la Voie Lactée) ou sur d’autres qui peuvent se trouver jusqu’à 300 millions d’années-lumière – une distance relative quand l’on sait que l’Univers s’étend sur 13 milliards d’années-lumière. Les rayons cosmiques les plus énergétiques qui atteignent aujourd’hui la Terre peuvent s’être formés à la veille de la gigantesque extinction qui a fait disparaître 95 % des formes de vie sur notre planète (il y a 250 millions d’année), ou alors quand sont apparus les dinosaures (il y a près de 230 millions d’années).

Les physiciens de ce domaine s’intéressent peu aux rayons cosmiques de basse énergie. Ils sont plus ordinaires et d’origine encore plus incertaine, même s’ils peuvent interrompre la conversation sur un téléphone portable ou le film qui passe à la télévision quand ils se forment dans des explosions solaires plus intenses. Les rayons de ultra-haute énergie sont plus intéressants pour trois raisons : premièrement, ils sont chargés d’une énergie quasiment inconcevable, jusqu’à 60 x 1018 électron-volts (1 électron-volt, ou unité d’énergie des particules, correspond à l’énergie de l’électron, la plus petite particule élémentaire). Deuxièmement, ils sont très rares : un seul atteint la Terre par siècle et par kilomètre carré (si le nom de ces particules suggère qu’elles arrivent en faisceau, elles sont en réalité des voyageuses solitaires). Troisièmement, ils peuvent permettre de voir le ciel d’une autre manière.

D’après Carlos Escobar, physicien, professeur de l’Université d’état de Campinas (Unicamp) et coordinateur de l’équipe brésilienne, « cet article de la revue Science ouvre aussi la voie à des études sur les objets célestes du point de vue des rayons cosmiques ». Depuis Galilée, les astrophysiciens ne se basaient que sur la lumière – d’abord seulement la lumière visible puis sur des longueurs d’onde variée, de l’infrarouge jusqu’aux rayons gamma – pour observer l’Univers. Les rayons cosmiques pourraient aider à étudier dans un premier temps les phénomènes qui se produisent sur les centaines de galaxies actives, dont les noyaux émettent une quantité d’énergie mille fois supérieure à celle produite dans toute la Voie Lactée. Les noyaux de ces galaxies abritent très souvent des trous noirs de grande masse (des millions de fois supérieure à celle du Soleil), qui absorbent tout ce qui se trouve aux alentours. Les rayons cosmiques d’ultra-haute énergie sont le fruit de cette voracité insatiable, un peu comme les miettes d’un pain mangé à la va-vite, avant d’être propulsés par les turbulences des champs magnétiques de l’espace.

Dans un travail publié récemment dans Nature, des physiciens du Japon, d’Irlande, d’Allemagne et des États-Unis ont signalé que les rayons cosmiques d’une énergie 10 000 fois plus basse que ceux présentés dans Science pouvaient être accélérés par des explosions connues sous le nom d’étoiles supernovas, capables de libérer en peu de temps la même énergie émise par le Soleil en 10 billions d’années. Cette étude a confirmé un phénomène prévu il y a plusieurs décennies par le physicien italien Enrico Fermi, mais qui ne répondait pas à la question de la provenance de ces particules.

L’équipe dont le Brésil a fait partie a réussi à découvrir l’origine des rayons cosmiques les plus énergétiques grâce au monumental Observatoire de Rayons Cosmiques Pierre Auger. L’observatoire s’étend sur 3 000 km², soit le double de la ville de São Paulo, dans une région semi-désertique à l’ouest de l’Argentine, près de la ville de Malargüe (20 000 habitants). Aujourd’hui considéré comme le plus grand observatoire mondial en la matière, il a été imaginé en 1992 par le physicien nord-américain James Cronin, professeur de l’Université de Chicago lauréat du prix Nobel de Physique en 1980, et par l’écossais Alan Watson, de l’Université de Leeds (Angleterre). Devant la nécessité d’une coopération internationale au vu des proportions que prenait le projet initial, ils invitèrent quelques collègues intéressés et chevronnés dans le domaine de la physique nucléaire à se joindre à eux pour en discuter en juin 1995. L’un des participants était le physicien Escobar, à l’époque professeur de l’Université de São Paulo (USP).

Lors d’une réunion qui s’est tenue au siège parisien de l’Unesco en novembre 1995, Escobar, Ronald Shellard (Centre Brésilien de Recherches Physiques, CBRF), Armando Turtelli (Unicamp) et les Argentins Alberto Etchegoyen et Alberto Filevivch ont ardemment soutenu la possibilité de construire le nouvel observatoire en Argentine. « Ce fut un moment crucial », raconte le physicien Marcelo Leigui, alors participant à la recherche dans le cadre de son post-doctorat (Unicamp) et aujourd’hui professeur de l’Université Fédérale de l’ABC (UFBAC). « La participation brésilienne aurait été plus faible si l’Afrique du Sud ou l’Australie, les deux autres pays candidats, avaient été choisis ». Officialisée le 17 juillet 2000 à l’Unicamp, la participation brésilienne s’est traduite par des investissements de près de 4 millions de dollars, sous la forme d’équipements achetés à des industries brésiliennes, de bourses de 3e cycle universitaire et de frais de voyage.

Les lecteurs de la revue ont pu accompagner les principaux moments de la construction lente et laborieuse de l’observatoire Pierre Auger. En août 2000, l’article principal de la revue Pesquisa FAPESP révélait déjà les coulisses des négociations et le début de la construction. En avril 2002, un autre article décrivait la cadence des travaux : « À ce moment, dans un lieu qui rappelle très souvent la complexité d’une navette spatiale et la puissante structure d’une centrale hydroélectrique, des dizaines d’ouvriers, de techniciens et de chercheurs travaillent intensément au montage des équipements de mesure des rayons cosmiques ».

40 des 1 600 détecteurs de surface Cerenkov étaient déjà opérationnels. Ces cuves, remplies de 11 000 litres d’eau ultra pure, captent le rayonnement bleuté produit quand un rayon cosmique entre en collision avec l’eau. Elles fonctionnent conjointement avec 24 télescopes à fluorescence, qui enregistrent la lumière produite lorsque les rayons cosmiques se heurtent à l’atmosphère. L’observatoire Pierre Auger a été le premier à intégrer les deux méthodes d’observation, jusqu’alors utilisées isolément dans des observatoires américains et japonais plus petits.

L’ingéniosité de cette construction, déjà relatée dans un reportage d’août 2003, est également le fruit de la collaboration d’entreprises de 19 pays. Du Brésil ont participé : Alpina et Rotoplastyc, qui ont fabriqué les cuves Cerenkov ; Schwantz, pour les lentilles correctrices des télescopes ; Moura, pour les batteries des panneaux solaires des détecteurs de surface. Le physicien Vitor de Souza raconte qu’il a appris « à dépasser les barrières de l’entendement entre la pensée universitaire et la pensée industrielle » au fur et à mesure qu’il participait à la construction et à l’installation des équipements.

La revue Pesquisa FAPESP a également accompagné l’arrivée des rayons cosmiques. Un article d’octobre 2005 faisait état de l’enregistrement de 3 000 particules, dont 20 étaient précieuses parce que situées dans le faisceau d’énergie le plus élevé. Cette année, les physiciens ont réuni les 27 particules d’une énergie supérieure à 57 x 1018 électron-volts enregistrées entre 2004 et 2007, et ils ont constaté qu’elles provenaient d’endroits spécifiques, liés aux noyaux galactiques actifs proches de la Voie Lactée. L’hypothèse selon laquelle elles viendraient de la propre Voie Lactée ou de régions plus distantes (dans ce cas elles se répartiraient de manière homogène dans le ciel au lieu de se regrouper conformément aux origines probables) a été écartée.

D’après Escobar, « nous avons montré qu’il est possible de mener un projet de grande ampleur avec un budget inférieur à celui prévu initialement ». Les investissements des 17 pays ont été de 54 millions de dollars, soit 6 millions de moins que ce qui était prévu et malgré les imprévus de toute sorte. « Nous avons beaucoup appris en termes de gestion de projets ». Les Brésiliens ont eux aussi réduit les dépenses. Il y a deux ans, Escobar a notamment décidé que tous les membres de l’équipe brésilienne cesseraient de prendre deux avions pour se rendre à l’observatoire Pierre Auger. Désormais, ils prennent un avion jusqu’à Buenos Aires puis un bus pour Malargüe, l’équivalent de 16 heures de voyage.

« Outre la connaissance acquise, nous apprenons à cohabiter avec différents rythmes et formes de travail », observe Sérgio Carmelo Barroso. Aujourd’hui professeur de l’Université d’état du Sud-Ouest de Bahia (UESB), il s’est rendu dix fois sur place en un an pour monter et tester les équipements. Et Souza d’ajouter : « J’ai appris comment on projette, construit et teste un équipement, comment on analyse les données et finalement comment sont extraits les résultats scientifiques importants ». Ce dernier travaille depuis janvier dernier à l’Université allemande de Karlsruhe.

« Nous n’avons pas encore atteint nos objectifs », s’inquiète Leigui. Il faut encore confirmer si les rayons cosmiques de ultra-haute énergie sont vraiment des protons (un des composants du noyau atomique, presque 2 000 fois supérieur aux électrons) ou des noyaux d’oxygène, de carbone ou d’autre chose. « Nos résultats corroborent l’idée que les rayons cosmiques sont réellement des protons, de faible charge électrique », affirme Escobar. Avec ce travail, les physiciens testent la validité de certaines théories. En arrivant sur la Terre, Les rayons cosmiques pourraient présenter une limite maximale d’énergie, ladite coupure GZK, proche de 60 x 1018 électron-volts, mais il faut encore confirmer cette donnée. Selon Escobar, le seul fait d’avoir obtenu des corrélations avec des objets extragalactiques proches indique déjà que la coupure GZK fonctionne.

Comme la fin d’un voyage peut marquer le début d’autres encore plus longs, l’équipe de l’observatoire Auger prévoit également de construire aux États-Unis une version similaire de l’observatoire argentin, qui pourra révéler d’autres secrets du ciel de l’hémisphère nord. Dès qu’il entrera en fonctionnement, certes, c’est-à-dire d’ici à une dizaine d’années au moins.

Les rayons perdentde l’énergie avant d’atteindre la Terre
En 2008, les physiciens de l’Observatoire Pierre Auger ont montré que les rayons cosmiques perdaient de l’énergie avant d’atteindre la Terre, en raison de leur interaction avec le rayonnement cosmique de fond – un résidu du Big Bang, la première explosion produite par l’Univers il y a 13,7 milliards d’années. Dans un article de la revue scientifi que Physical Review Letters du 8 août, les chercheurs ont pratiquement confirmé l’existence de ladite coupure GZK. Selon cette théorie, en arrivant sur Terre les rayons cosmiques peuvent présenter une limite maximale d’énergie d’environ 5 x 1019 électron-volts (eV).
Les rayons d’une énergie supérieure à cette valeur deviennent moins puissants avant d’arriver sur terre à cause de l’action du rayonnement cosmique. Ces données sont le résultat des mesures effectuées par l’équipe de l’observatoire, qui a enregistré très peu d’événements avec une énergie supérieure à 5,8 x 1019 eV.

LE PROJET Observatoire Pierre Auger MODALITÉ Projet thématique COORDONNATEUR CARLOS OURÍVIO ESCOBAR – Unicamp INVESTISSEMENT R$ 6.034.341,71 (FAPESP)

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