Publié en février 2011
J. ZBAEREN/EURELIOS / SCIENCE PHOTO LIBRARYLes cellules ont une mémoire. Toutes n’ont pas cette possibilité, mais certaines parviennent à indiquer quelques temps plus tard les conditions de l’organisme et de l’environnement dans lequel elles ont été extraites. Cette capacité de retenir et de transmettre des informations aux descendants n’a pas été, comme on pouvait l’attendre, observée sur les neurones qui sont les cellules cérébrales qui transportent les informations sous la forme de signaux électriques d’un point à l’autre de l’organisme et qui les stockent dans le cerveau. L’équipe de la pharmacologue Regina Pekelmann Markus a identifié cette mémoire cellulaire dans l’endothèle, couche de cellules qui revêt l’intérieur des vaisseaux sanguins.
Ce type de mémoire, observé jusqu’à présent sur des souris et décrit dans un article du mois de novembre de la revue PLoS ONE, devrait susciter un intérêt médical car il pourrait avoir une influence sur les greffes d’organes et le développement de tissus remplaçant les originaux. «Si ces découvertes se confirment sur l’être humain, il faudra dorénavant prêter attention à la mémoire cellulaire afin d’obtenir des cultures de tissus plus homogènes et réduire ainsi le risque de rejet lors de greffes», déclare la chercheuse de l’université de São Paulo (USP).
La mémoire cellulaire a été découverte de manière inattendue dans le laboratoire de Chronopharmacologie de l’Institut de Biosciences (IB) de l’USP. L’équipe de Regina cultivait dans des récipients d’acrylique des cellules endothales de souris saines et d’animaux soumis à un test qui simule une inflammation aiguë, déclenchée par l’injection de molécules (lipopolysaccharides (LPS)) de la paroi cellulaire des bactéries. Après s’être reproduites in vitro durant trois semaines, les cellules descendantes de celles extraites se comportaient encore comme leurs aïeules.
Les cellules extraites d’un rongeur atteint d’inflammation, reproduisaient les processus physiologiques qui se déroulent dans l’endothèle d’une région endommagée, en attirant et en retenant les cellules de défense (principalement les neutrophiles, qui sont les plus abondantes dans l’organisme) et les premières à arriver dans la région enflammée, alors que les cellules endothéliales descendantes de celles extraites des souris sans inflammation agissaient comme si elles se trouvaient dans un environnement sain.
Si ce phénomène se produit chez les souris, modèle expérimental utilisé pour étudier différentes maladies, il est possible qu’il se manifeste également chez l’être humain car la physiologie et la structure des organes des tissus humains et des murins sont très similaires. Si cela se vérifie chez l’être humain, cette mémoire peut expliquer, du moins en partie, le rejet après les greffes. En effet, aussitôt après un infarctus, par exemple, les cellules de l’endothèle produisent et présentent sur leur superficie des molécules qui attirent les neutrophiles. Ces derniers, qui sont normalement transportés à grande vitesse par le courant sanguin, adhèrent aux cellules endothéliales qui les freinent jusqu’à les arrêter.
Les neutrophiles se pressent ensuite entre les cellules de l’endothèle, traversent le vaisseau sanguin et se déplacent entre les tissus jusqu’à atteindre les cellules endommagées. Ce processus, le même qui se produit lors d’une infection par bactéries, provoque des enflures, une augmentation de la température et une douleur localisée. Selon Regina, il laisse également une cicatrice moléculaire dans l’organisme. Il est donc possible qu’un rein retiré d’une personne ayant eu un infarctus porte dans ses cellules la mémoire de ce cadre inflammatoire augmentant ainsi le risque de rejet. «Ce concept est important et peut, en principe, influencer le résultat de greffes, mais il n’est pas encore possible de le savoir», commente l’immunologiste Mauro Teixeira, de l’Université Fédérale de Minas Gérais.
Salvatore Cuzzocrea, chercheur à l’Université de Messine, en Italie, et spécialiste en inflammation, rajoute; «l’idée de contrôler l’état d’activation des cellules du donneur semble un bon départ pour réduire le risque de rejet. Nous ne devons pas oublier que les dommages provoqués dans l’endothèle sont les principales causes d’échec des greffes».
L’hypothèse que des cellules puissent conserver la mémoire d’un état donné durant de longues périodes est apparue en 2008. Le biologiste Eduardo Tamura qui à l’époque était doctorant, travaillait dans le laboratoire de Regina sur une standardisation de tests inflammatoires et cherchait à savoir si la production d’un composé synthétisé par les cellules de l’endothèle durant l’inflammation (l’oxyde nitrique (NO)), qui permet aux vaisseaux sanguins de relaxer en augmentant le flux de sang dans la région endommagée, variait au cours de la journée. Des années auparavant, Regina et la pharmacologue Cristiane Lopes avaient démontré que l’intensité de l’inflammation oscillait en cycles de 24 heures, étant plus forte le jour et plus suave la nuit. L’oscillation est contrôlée par l’hormone mélatonine dont la production augmente après le coucher du soleil. La mélatonine, synthétisée par la glande pinéale (située à la base du cerveau), indique à l’organisme qu’il fait sombre et que ses cellules doivent exécuter les tâches qu’elles réalisent normalement de nuit.
La physiologiste Celina Lotufo, chercheuse à l’Université Fédérale d’Uberlândia et ancienne élève de Regina, a constaté que la mélatonine inhibe l’inflammation en agissant sur l’endothèle. Elle empêche les neutrophiles d’adhérer aux cellules endothéliales et de déclencher la réponse inflammatoire. Mais il fallait encore détailler cette interaction d’un point de vue biochimique. Eduardo Tamura a découvert que la mélatonine bloquait la production d’oxyde nitrique en réduisant la relaxation des vaisseaux sanguins et l’arrivée du sang et des neutrophiles jusqu’à la région endommagée.
En 2008, à cause d’un cours d’hiver offert par le Département de Physiologie de l’IB, Eduardo Tamura a dû changer l’horaire durant lequel il préparait les rongeurs pour ses expériences et a été surpris par le résultat obtenu. Au lieu d’injecter le composé inflammatoire au cours de la journée il s’est mis à le faire également la nuit. En comparant les réponses inflammatoires, il a découvert que les animaux qui recevaient des lipopolysaccharides la nuit produisaient moins d’oxyde nitrique, signe d’inflammation moins intense. L’effet anti-inflammatoire observé résultait de l’action de la mélatonine qui réduit l’oxyde nitrique produit par les neutrophiles et par les cellules endothéliales.
En cultivant des cellules de l’endothèle durant des périodes plus longues, Eduardo Tamura et les biologistes Marina Marçola et Pedro Fernandes ont découvert qu’elles stockaient pendant environ 18 jours la mémoire de l’état de santé des souris. Les cellules retirées des rongeurs atteints d’inflammation se comportaient encore comme si elles vivaient encore dans un organisme enflammé.
Cette mémoire a été effacée par la mélatonine dans certains cas. «Ce type de mémoire n’a pas eu lieu quand la substance a été administrée à l’animal avant de stimuler l’inflammation,» déclare Regina. «Mais nous ignorons encore si l’action de cette hormone sur les cellules endothéliales est directe ou indirecte, ni s’il est possible d’inverser la mémoire de l’inflammation in vitro».
Les projets
1. Glande pinéale et mélatonine – mécanisme de temporisation des réponses neurales et des processus inflammatoires– nº 2002/02957-6 2. Axe immuno-pinéal: production endocrine et paracrine de mélatonine en conditions préjudiciables – nº 2007/07871-6 Modalité 1 et 2. Projet Thématique Coordonatrice 1 et 2. Regina Pekelmann Markus – IB/USP Investissement523.465,57 réaux (FAPESP) 932.222,87 réaux (FAPESP)
Article scientifique
TAMURA, E. K. et al. Long-lasting priming of endothelial cells by plasma melatonin levels. PLoS ONE. v. 5(11). 12 nov. 2010.