Après 30 ans passés à l’Institut Pasteur de Paris, Paola Minoprio, biomédecin originaire de São Paulo et spécialiste des maladies causées par les protozoaires, s’est vu confier en 2014 la mission d’accroître la collaboration entre l’institution française centenaire et le Brésil. Quelques années plus tôt, elle avait déjà créé un réseau de coopération entre l’institut et des universités et institutions de recherche en Argentine, en Uruguay, au Paraguay, au Chili et au Brésil. Elle est parvenue en un an à formaliser un accord entre Pasteur, l’Université de São Paulo (USP) et la Fondation Oswaldo Cruz (Fiocruz), qui prévoyait la mise en place d’une plateforme scientifique entre l’institut français et l’Université de São Paulo. Inaugurée en 2019, à la veille de la pandémie, la plateforme a permis de séquencer des variétés du nouveau coronavirus et de développer des tests de diagnostic. Forte de son succès, la plateforme est devenue en 2023 l’Institut Pasteur de São Paulo (IPSP), inauguré l’année suivante.
L’IPSP a ouvert ses portes il y a un an. Qu’avez-vous gagné avec cette nouvelle phase ?
Nous avons gagné en visibilité. Et nous avons rejoint le réseau international de l’Institut Pasteur en France, ce qui permet d’obtenir des financements du groupe pour envoyer des étudiants en formation à l’étranger ou faire venir des chercheurs de l’extérieur pour passer un temps dans notre unité. En installant la plateforme puis l’unité Pasteur sur son campus, l’USP a fait avancer les collaborations internationales. En mars 2024, lorsque le président Emmanuel Macron est venu à São Paulo pour inaugurer l’unité de l’Institut Pasteur, le recteur de l’USP, Carlos Carlotti, a signé un accord pour faire venir le bureau sud-américain du CNRS [Centre national de la recherche scientifique, la plus grande agence française de recherche fondamentale] à l’université. Comme Pasteur et le CNRS interagissent déjà en France, il est possible de créer des chaires et des laboratoires mixtes à l’IPSP.
Cela facilitera la coopération scientifique.
Absolument. Avec le passage de la plateforme scientifique à l’institut, nous ne dépendons plus de l’USP pour régler les questions administratives. Désormais, notre équipe doit faire face aux obstacles bureaucratiques, passer des accords avec des agences de développement et obtenir les autorisations de l’Anvisa [l’Agence nationale de surveillance sanitaire] et du ministère de l’Agriculture et de l’Élevage pour fonctionner. Nous avons également dû mettre en place le conseil d’administration et les comités d’éthique et de recherche. Comme l’Institut Pasteur de São Paulo est une association privée d’intérêt public à but non lucratif, nous devons toujours rechercher des fonds pour fonctionner et mener à bien nos recherches.
Comment sont organisés les équipes et les laboratoires ?
Nous disposons d’une surface de 2 000 m² (mètres carrés), qui peut accueillir jusqu’à 10 équipes. Elle est équipée à 75 %. Les laboratoires et les appareils sont multi-utilisateurs. Nous avons sept chefs de groupe, dont quatre sont également professeurs à l’USP. Dans le cadre de l’accord, ils ont monté une équipe de recherche à l’IPSP et y consacrent 30 à 50 % de leur temps tout en conservant leur laboratoire d’origine. En 2021, l’USP et l’Institut Pasteur ont signé un accord avec la FAPESP pour financer quatre jeunes chercheurs pendant quatre ans. Au terme de cette période, ils pourront concourir pour un poste permanent à l’Institut Pasteur de São Paulo. Deux sont en activité et nous sommes en train d’en recruter un troisième. En ajoutant les techniciens, les doctorants et les stagiaires postdoctoraux, nous sommes presque 45 personnes. Je souhaite atteindre les 80 personnes.
Quels ont été les résultats les plus importants pendant ces six années ?
Durant la pandémie, nous avons séquencé les variantes du coronavirus (dont l’une pour la première fois dans le pays) et mis au point des tests de diagnostic. Nous avons aussi créé des modèles biologiques pour étudier des maladies. Nous allons publier quelque chose d’important sur la trypanosomiase africaine, la maladie du sommeil courante en Afrique qui est également présente au Brésil. Comme elle touche aussi le bétail, c’est un problème important dans l’élevage. La vache maigrit, produit moins de lait et fait des fausses couches. Nous n’avions pas de modèle pour travailler in vitro et étudier l’effet de la maladie sur le cerveau. La neuroscientifique Patrícia Beltrão Braga et moi-même avons obtenu des échantillons de cellules souches bovines auprès de la faculté de médecine vétérinaire et de zootechnie du campus de Pirassununga de l’USP, avec la chercheuse Fabiana Fernandes Bressan. Nous avons créé des mini-cerveaux bovins en laboratoire, quelque chose d’inédit dans le monde. Mais un problème s’est posé. Comment infecter les mini-cerveaux si le parasite n’envahit pas les cellules, s’il ne circule qu’à l’intérieur des vaisseaux sanguins et si nos mini-cerveaux n’ont pas de vaisseaux sanguins ?
Comment avez-vous résolu le problème ?
J’ai envoyé une chercheuse de mon groupe, qui fait un postdoctorat avec le soutien de la FAPESP, suivre un cours sur la néovascularisation en Espagne. Elle est revenue deux semaines plus tard en sachant comment fabriquer des organoïdes de vaisseaux. Elle a ensuite fusionné les organoïdes vasculaires avec les mini-cerveaux bovins. Aujourd’hui, nous avons des mini-cerveaux bovins vascularisés. Nous devons publier dans les prochains mois. J’essaie d’établir à l’IPSP une culture commune en Europe. Quand on ne sait pas comment faire, on apprend avec ceux qui savent. Comme cela on ne perd pas de temps à essayer de répondre à des questions scientifiques. Nous incitons également des personnes qui n’ont jamais collaboré auparavant à travailler ensemble pour résoudre des problèmes spécifiques.
Vous avez obtenu des résultats ?
Sergio Costa, spécialiste en vaccins, et Luís Carlos de Souza Ferreira, qui travaille également sur les vaccins, ont testé des formulations de nouveaux immunisants contre le Sars-CoV-2 sur des animaux dans nos laboratoires. Ils ont très bien fonctionné.
Comment se passent les échanges avec les autres unités du Pasteur ?
Très bien. Le fait d’appartenir au réseau nous permet de participer à des appels internationaux pour les pays à moyens et faibles revenus. Nous venons de soumettre un projet à l’ANRS-MIE (Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales – maladies infectieuses émergentes) en partenariat avec un postdoctorant qui a travaillé avec moi et qui est devenu chercheur permanent à l’Institut Pasteur de Paris, Guilherme Dias de Melo. Nous voulons étudier le rôle des co-infections par le virus Sars-CoV-2 et le virus de la grippe dans le développement de problèmes neurologiques tels que les maladies d’Alzheimer et de Parkinson. Vont participer à la recherche l’équipe d’Anna Pepe, de l’Institut Pasteur de Paris, qui travaille sur la cryomicroscopie électronique, et l’équipe de Luiz Roberto Giorgetti de Britto, de l’USP, qui étudie la neurophysiologie. Pendant la pandémie, nous avons collaboré avec les groupes d’immunité et vaccination et neurosciences de l’Institut Pasteur de Paris. En octobre, nous emmenons 15 étudiants collecter des échantillons d’eau et d’animaux sauvages en Amazonie. Ils viendront ensuite à l’IPSP pour les analyser à la recherche de virus émergents. Nous organiserons ensuite un forum sur la santé mondiale à São Paulo avec des chercheurs de l’Institut Pasteur de Paris, du Cameroun, du Sénégal, de la Guyane française, de la Guadeloupe et de l’université de Guyane.
Quels sont les défis pour l’avenir ?
Faire progresser deux de nos nouveaux laboratoires, le laboratoire d’éco-épidémiologie, diversité et évolution des virus émergents et le laboratoire de surveillance génomique et innovation en matière de vaccins. Dans le premier, Luiz Bentim Góes étudie les virus chez les chauves-souris et les rongeurs de la forêt atlantique brésilienne, à la recherche de variétés susceptibles de se propager à l’espèce humaine. Dans le deuxième, Rúbens Alves dos Santos travaille au développement de nouveaux vaccins à ARNm contre la grippe. En collaboration avec les hôpitaux, nous voulons développer la médecine translationnelle et transformer les résultats de la recherche fondamentale en nouveaux traitements.
