Le virus Zika est arrivé dans le Nordeste brésilien un an et demi avant d’être déclaré ennemi public numéro un selon deux articles publiés par 2 groupes de recherche le 24 juin dans la revue Nature. Le virus s’est répandu rapidement, tirant parti des moustiques Aedes aegypti et d’une population humaine immunologiquement démunie contre celui-ci, et dont les symptômes se confondaient avec ceux de la dengue et du chikungunya. Les chercheurs ont travaillé en parallèle, avec des moyens différents et l’objectif commun d’accompagner l’évolution du génome viral, autant pour le comprendre que pour prédire les épidémies et actualiser constamment les méthodes de diagnostic.
Une partie des résultats a été obtenue dans le cadre du projet ZiBRA (Zika au Brésil Analyse en Temps Réel). Un groupe international mène des recherches sur la trajectoire du virus Zika depuis qu’il est apparu au Brésil et a commencé à se répandre dans les Amériques à bord d’un laboratoire mobile équipé d’une technologie de séquençage génétique qui tient dans la paume de la main. Le séquençage complet du génome a été mis à la disposition d’autres groupes de recherche, élargissant ainsi la portée de leur travail. « La combinaison de données épidémiologiques et génétiques nous a permis de découvrir que le virus Zika s’est répandu de manière silencieuse pendant plus d’un an dans les Amériques avant d’être identifié pour la première fois en mai 2015 », déclare le médecin biologiste portugais Nuno Faria, de l’Université d’Oxford, au Royaume-Uni, et premier auteur de l’article qui décrit les résultats du contrôle épidémiologique réalisé en 2016.
D’après Nuno Faria, le virus a été introduit dans le Nordeste brésilien en février 2014. Il est probable qu’il y ait eu cette année-là une transmission à partir de cette région, mais de manière peu accentuée. « La grande épidémie s’est déclarée probablement en 2015, simultanément à celle de la dengue. Le Zika se serait en premier lieu répandu du Nordeste vers la région Sudeste du Brésil (tout d’abord Rio de Janeiro) et également vers les Caraïbes et d’autres pays d’Amérique du Sud et d’Amérique Centrale, pour ensuite arriver en Floride », raconte-t-il.
Un laboratoire installé dans un autobus s’est rendu dans les états du Rio Grande do Norte, de Paraíba, du Pernambouc et d’Alagoas en 2016
Les conclusions du Projet ZiBRA se basent sur l’analyse de 254 génomes complets du pathogène (54 de ceux-ci séquencés dans l’étude publiée par la revue Nature). La plupart de ces nouvelles données génétiques ont été obtenues à l’aide d’un séquenceur portable qui pèse moins de 100 grammes, appelé MinION et fabriqué par Oxford Nanopore Technologies. Les protocoles utilisés pour le séquençage du virus Zika ont été développés dans le cadre du projet ZiBRA et ont fait l’objet d’un second article publié le même jour dans la revue Nature Protocols. Cette méthode a été appliquée à l’Institut de Médecine Tropicale de São Paulo de l’Université de São Paulo (IMT-USP), sous la coordination de l’épidémiologiste Ester Sabino en partenariat avec des collaborateurs de l’Université de Birmingham, au Royaume-Uni. « Notre stagiaire Ingra Claro testait les échantillons conformément aux instructions de Joshua Quick, premier auteur de l’article sur cette méthode, pour obtenir une quantité suffisante d’ARN du virus », explique Ester Sabino.
Plus le nombre de séquences générées est grand, plus il est facile de comprendre à quel moment le virus est entré dans le pays, sa distribution sur le continent, et principalement comment il a évolué. Cette analyse a été rendue possible grâce à une technique appelée horloge moléculaire qui analyse le nombre de modifications dans certains gènes. Le taux de ces modifications est relativement constant et les gènes fonctionnent comme des chronomètres en indiquant le temps de divergence entre des isolats viraux.
Laboratoire itinérant
« L’idée du projet est apparue en 2016, quand une partie du groupe a publié dans la revue Science les premières découvertes épidémiologiques et génétiques du virus Zika dans les Amériques. Nous avions séquencé sept isolats viraux, mais le nombre d’échantillons était insuffisant pour avoir une meilleure notion de la diversité du virus sur le continent », déclare le généticien Luiz Carlos Alcântara, de la Fondation Oswaldo Cruz (Fiocruz) à Bahia.
Le projet ZiBRA a été approuvé dans un appel à propositions lancé conjointement par les agences de développement britanniques Medical Research Council, Newton Fund et Wellcome Trust. Les chercheurs qui y ont participé émanaient d’institutions comme la Fiocruz, l’Institut Evandro Chagas, le ministère de la Santé, l’USP et les universités de Birmingham et d’Oxford.
Un laboratoire installé dans un autobus s’est rendu dans les Laboratoires Centraux de Santé Publique (Lacen) des états du Rio Grande do Norte, de Paraíba, de Pernambouc et d’Alagoas au cours de l’année 2016. Carlos Alcântara, Nuno Faria et Ester Cerdeira Sabino ont également coordonné les travaux des chercheurs Nicholas Loman, de l’Université de Birmingham, Oliver Pybus, de l’Université d’Oxford, et Marcio Nunes, de l’Institut Evandro Chagas dans l’état du Pará. « Dans chaque Lacen, nous avons analysé entre 300 et 400 échantillons de sang de patients soupçonnés d’avoir contracté le virus Zika, effectuant un total de 1 330 examens. Nous avons réalisé le diagnostic en temps réel et quand les analyses étaient positives, nous avons séquencé le matériel génétique du vi-rus », déclare Carlos Alcântara.
Le groupe a également analysé des échantillons des régions Sudeste et du Tocantins avec le soutien des laboratoires fixes de la Fiocruz de Bahia, à Salvador, et de l’IMT, de São Paulo. Des Chercheurs ont séquencé aux États-Unis les génomes de quatre isolats viraux mexicains et cinq colombiens. « Les analyses ont révélé que le virus découvert dans les différentes régions brésiliennes et les voisins latino-américains ne présentait pas encore une grande diversité jusqu’en 2016 », explique Carlos Alcântara.
Les risques de surprise diminuent pour les chercheurs grâce à la veille génétique et aux réseaux collaboratifs
D’après le chercheur, le virus originaire d’Afrique est arrivé en Asie peu avant 2017 quand il a causé la première épidémie en Micronésie. D’autres épidémies ont ensuite été enregistrées aux Philippines en 2012 et en Polynésie Française en 2013 et 2014. Il est ensuite arrivé au Brésil où, jusqu’à présent, le plus grand nombre de cas a été enregistré (plus de 200 mille en décembre 2016). «, Le virus s’est énormément modifié après être sorti du continent africain. La diversité du virus sera probablement beaucoup plus grande dans les Amériques d’ici 7 à 10 ans. Il nous faut effectuer une veille génomique afin d’être prêt si une nouvelle épidémie se manifestait », recommande Carlos Alcântara.
Les chercheurs du ZiBRA, outre l’assistance apportée aux Lacen dans le diagnostic de centaines de cas suspects, ont formé des équipes pour effectuer une veille génomique avec le MinION. La deuxième étape du projet qui vient de commencer consistera à surveiller le virus de la dengue, du chikungunya et de la fièvre jaune, outre le virus Zika. « Nous avons monté un laboratoire fixe à Manaus pour analyser les échantillons des Lacen des états de l’Amapá, de l’Acre, d’Amazonie, de Roraima et de Rondônia. Un laboratoire mobile se rendra au mois d’octobre dans la région Centre-Ouest et en mars 2018 dans la région Sudeste », déclare Carlos Alcântara.
Suivi en Laboratoire
Le suivi en temps réel est également le principal objectif d’un autre groupe international bien que les analyses génétiques soient faites dans des laboratoires fixes. Certaines procédures d’analyse sont identiques aux protocoles développés pour le MinION en utilisant des équipements plus puissants. « Il s’agissait d’une approche complémentaire », explique la généticienne Bronwyn MacInnis, de l’Institut Broad, aux États-Unis. Le travail qu’elle coordonne en partenariat avec son collègue Pardis Sabeti, porte sur le séquençage de 110 génomes du virus Zika prélevés dans 10 pays. Les conclusions similaires obtenues par des voies différentes ont renforcé les interprétations des deux équipes et permis de valider les nouvelles techniques de séquençage, ouvrant de nouvelles possibilités en matière de contrôle épidémiologique.
La faible charge virale (virémie), typique de l’infection par le virus Zika a été l’une des principales difficultés rencontrées par les 2 groupes. « Quand le patient vient chercher de l’aide l’infection a déjà diminué », explique Bronwyn MacInnis. Lors d’une précédente expérience durant l’épidémie du virus Ébola en Afrique en 2015, il a découvert entre mille et 10 mille copies virales supplémentaires dans les échantillons prélevés chez les malades. Bien que cette épidémie soit différente, ce fut une première étape pour approfondir davantage l’étude de l’épidémie sans qu’ils n’aient le temps de reprendre leur souffle ». « C’était la première fois qu’un contrôle génétique en temps réel d’une épidémie était réalisé », raconte-t-il. Avant il fallait prélever les échantillons du patient et les cultiver en laboratoire pour obtenir une quantité suffisante de virus. Le problème est que certains éléments ne prolifèrent pas dans ces cultures et on perd beaucoup de diversité durant ce processus. La nouveauté réside dans des analyses génétiques faites directement à partir du sang prélevé chez les malades en utilisant des techniques pour extraire le matériel génétique de l’échantillon (ARN, dans le cas du virus Zika).
Bronwyn MacInnis s’est lancé à la recherche de partenaires pour unir leurs connaissances, face à la situation d’urgence causée par l’épidémie au Brésil et dans d’autres pays d’Amérique du Sud et des Caraïbes. Une collaboration fructueuse a ainsi vu le jour avec Fernando Bozza, Thiago Souza et Patricia Bozza, de la Fiocruz de Rio. « Ils ont réussi à comprendre la progression de la maladie et son interaction avec les virus de la dengue et du chikungunya », raconte-t-il.
Le groupe carioca avait déjà acquis une bonne connaissance épidémiologique de la dengue en travaillant dans des hôpitaux et en effectuant une surveillance systématique de la maladie. Au début, le virus Zika nous a donné beaucoup de travail à cause de sa faible virémie », se souvient Fernando Bozza. Après avoir découvert un test rapide pour réaliser le diagnostic, son groupe a commencé à prélever des échantillons, cherchant à améliorer l’extraction de l’ARN par davantage de rigueur lors du prélèvement et du stockage du matériel.
« La détection tardive du virus après son entrée au Brésil renforce l’importance d’un suivi génétique de maladies graves déjà connues sur d’autres continents. Quand nous identifiions le problème, l’épidémie était déjà là », déclare Fernando Bozza. Connaître l’évolution du virus et bénéficier de techniques de surveillance peuvent permettre aux chercheurs de développer des stratégies pour détecter les maladies plus rapidement.
Les données génétiques indiquent que plusieurs mois se sont passés entre l’arrivée du virus et la détection des premiers cas à Porto Rico, au Honduras, en Colombie et dans la zone qui inclut les Caraïbes et les États-Unis. La propagation discrète a permis au virus Zika d’arriver aux États-Unis à partir des Caraïbes, comme le montre un quatrième article publié le même jour dans la revue Nature. Dans ce pays, seule la Floride possédait les conditions climatiques favorables à l’Aedes aegypti durant toute l’année, permettant ainsi sa dissémination. C’est pour cela que la maladie s’est limitée à cet état, surtout dans la région de Miami qui est la destination d’un grand nombre de visiteurs étrangers. « Le virus a été introduit plusieurs fois, cela n’a pas été un évènement isolé », affirme Bronwyn MacInnis, coauteure du travail. « Savoir comment cela s’est produit est important pour que nous puissions coordonner nos efforts pour contrôler le vecteur et protéger les points d’entrée ».
Elle sait bien que d’autres épidémies surgiront malgré la trêve avant le début de l’été en Floride. Pour le moment le virus Zika garde une part de mystère et sa propagation a été plus faible que prévue l’été dernier au Brésil. « Nous allons continuer notre surveillance pour comprendre comment le virus progresse », affirme Ester Sabino, dont le groupe a réalisé un suivi d’échantillons de sang fournis par quatre grands centres de transfusion sanguine de São Paulo. « Nous sommes en train d’apprendre à créer des groupes de recherche capables de répondre rapidement à une situation d’urgence ». « Pour les chercheurs, les risques d’être pris de surprise diminuent grâce aux connaissances acquises en matière de veille génétique et aux réseaux collaboratifs. Les publications concomitantes soulignent que ce partenariat entre spécialistes dans des domaines divers est essentiel pour faire face aux épidémies. C’est pour cette raison que les deux groupes qui travaillent en parallèle sont toujours à pieds d’œuvre. « Nous restons en contact et nous comparons nos résultats durant le processus de recherche », déclare Bronwyn MacInnis.
Projet
Caractérisation du virus de la dengue par l’analyse du génome viral complet dans des échantillons de donneurs et de récepteurs de sang dans les états du Pernambouc et Rio de Janeiro (nº 12/03417-7) ; Modalité Bourse de Doctorat ; Chercheur Responsable Ester Cerdeira Sabino (USP) ; Boursier Antonio Charlys da Costa ; Investissement 145 246,14 R$
Articles Scientifiques
FARIA, N. R. et al. Establishment and cryptic transmission of Zika virus in Brazil and the Americas. Nature. 24 mai 2017.
GRUBAUGH, N. D. et al. Genomic epidemiology reveals multiple introductions of Zika virus into the United States. Nature. 24 mai 2017.
METSKY, H. C. et al. Zika virus evolution and spread in the Americas. Nature. 24 mai 2017.
QUICK, J. et al. Multiplex PCR method for MinION and Illumina sequencing of Zika and other virus genomes directly from clinical samples. Nature Protocols. v. 12, n. 6, p. 1261-76. 24 mai 2017.