Imprimir PDF Republish

Génétique

Pari sur les cafés sauvages

Des biologues séquencent le génome de 33 espèces de ce genre en quête de gènes pouvant aider à faire face au réchauffement climatique prévu pour les années à venir

Coffea heterocalyx est un exemple de format peu commun de fruits parmi les variétés sauvages de café

Wild Coffea Species Database

Des groupes de recherche de São Paulo et de France ont travaillé ensemble pour séquencer le génome de Coffea arabica, l’espèce de café la plus consommée au monde ; l’étude a été décrite en avril 2024 dans Nature Genetics. Désormais, ils se consacrent ensemble à une étude complémentaire : le séquençage et la comparaison des génomes de 33 espèces sauvages dans un premier temps, à la recherche de gènes pouvant être utilisés, par croisement avec des variétés commerciales, pour augmenter la résistance à un climat de plus en plus chaud et sec.

Romain Guyot, généticien de l’Institut français de recherche pour le développement (IRD) a déclaré à la revue Pesquisa FAPESP : « Les deux espèces cultivées de café, C. arabica et C. canephora, sont de plus en plus affectées par le changement climatique ». Le chercheur est responsable de la partie française du projet Bridges Coffea, un projet qui a pu voir le jour grâce à un accord de coopération entre la FAPESP et l’Agence nationale de la recherche (ANR). « On estime qu’au cours des 30 prochaines années, jusqu’à 50 % des zones actuelles de culture du café pourront devenir impropres à la plantation ».

Grâce à ce travail conjoint, le coordinateur du projet au Brésil, le généticien Douglas Silva Domingues de l’École supérieure d’agriculture Luiz de Queiroz de l’Université de São Paulo (Esalq-USP), a reçu en octobre 2024 les données des partenaires français et a commencé à analyser les génomes de trois espèces sauvages. Les échantillons proviennent d’Afrique parce que la législation permet un prélèvement plus facile qu’au Brésil. L’Institut agronomique de Campinas (IAC), qui participe à la recherche, conserve des spécimens de ces espèces qui n’ont pas encore été séquencées et les utilise depuis les années 1950 dans des programmes classiques d’amélioration génétique, en croisant différentes espèces – un travail qui, pour chaque nouvelle variété, peut prendre des décennies. « Ce que nous voulons savoir, c’est quels gènes ont été ou pourraient être utilisés pour améliorer la qualité et la résistance aux maladies », explique Domingues.

Wild Coffea Species DatabaseC. liberica (à gauche) et C. humblotiana (à droite): des variétés sauvages à séquencerWild Coffea Species Database

L’une de ces espèces, C. racemosa, résiste à l’un des principaux fléaux des caféiers, l’insecte connu sous le nom de mineuse des feuilles de caféier (Leucoptera coffeella) ; elle a été utilisée à l’IAC pour produire un hybride capable de survivre à la maladie. La C. ramosa est également intéressante pour une autre raison : elle contient moins de la moitié des teneurs en caféine de la C. arabica et un quart de celle de la C. canephora. Une autre espèce, C. liberica, est résistante à la rouille, une maladie dévastatrice causée par le champignon Hemileia vastatrix. Elle produit de gros grains, de la taille d’une cerise, et a fait l’objet d’une attention particulière dans les programmes d’amélioration en Asie parce qu’elle nécessite peu de soins une fois plantée.

À l’inverse, la troisième espèce, C. stenophylla, produit des grains petits et en faible quantité, mais elle résiste bien aux températures élevées et à la sécheresse. Domingues pense que la C. stenophylla pourrait aussi être utilisée parce que son goût est plus proche de celui de la C. arabica de haute qualité : « Le groupe français analyse également d’autres espèces qui ne sont pas présentes au Brésil, comme celles de Madagascar, qui poussent dans des sols sablonneux à des températures supérieures à 35 degrés Celsius ».

Dans son laboratoire, Domingues et la pharmacienne Daisy Sotero Chacon, parcourent 18 fichiers sur l’écran de l’ordinateur. Ils sélectionnent et regroupent les gènes pour savoir d’abord, en fonction de la proportion dans laquelle ils apparaissent, si les génomes sont complets ou s’ils doivent demander plus de lectures.

Ensuite, la comparaison des génomes ne sera pas simple en raison des différences de taille entre eux, qui vont de 470 millions de paires de bases (mpb) à 900 mpb. Utilisée comme support pour les comparaisons parce qu’elle cumule des gènes de deux espèces, la C. arabica a 1 276 mpb. Le genre Coffea comprend environ 140 espèces, dont 66 sont originaires des îles du sud de l’Afrique. Les espèces sauvages peuvent aussi être consommées ou utilisées dans des programmes d’amélioration génétique.

Wild Coffea Species DatabaseLes fruits de l’esp. Coffea racemosa, avec une faible teneur en caféineWild Coffea Species Database

D’après Domingues, « la comparaison des génomes devrait prendre au moins six mois ». Le généticien est allé étudier en France pour la première fois en 2006, dans le cadre de son doctorat en génétique de la canne à sucre au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) de Montpellier. En 2011, il a reçu un courriel de Guyot l’invitant à participer à des projets de recherche sur la génétique du café. L’année suivante, ils ont obtenu leur premier financement de recherche commune grâce à un appel d’offres du gouvernement fédéral.

« Notre point de départ est toujours basé sur des défis réels au Brésil, tels que le changement climatique et son impact sur la production de café », explique Guyot. « À partir de là, nous formulons des hypothèses et produisons les données nécessaires pour les tester en collaboration avec des instituts agronomiques. La clé de la réussite d’un projet quel qu’il soit consiste à comprendre les défis spécifiques au Brésil et à les aligner avec les besoins scientifiques de nos partenaires ».

Guyot est venu au Brésil en mars dernier. À l’Esalq, il a participé à des analyses de données sur les génomes avec Domingues et son équipe, et il a visité des zones expérimentales telles que l’IAC. Il s’est également rendu à Botucatu et a rencontré le généticien Celso Luís Marino, de l’Université de l’État de São Paulo (Unesp), avec lequel il collabore à un projet de recherche sur la diversité génétique de l’arbre aroeira (Myracrodruon urundeuva) et ses mécanismes d’adaptation à différents environnements naturels au Brésil. Le généticien français s’est félicité des « échanges […] très enrichissants pour les deux parties. […] Ce transfert de connaissances et de formation est extrêmement important pour moi ».

Projets
1.
Combler les lacunes entre les ressources biologiques du genre Coffea et les nouveaux défis de l’amélioration face aux changements climatiques mondiaux: Bridges-coffea (no 23/03353-3); Modalité Soutien à la recherche – régulier; Accord de coopération ANR ; Chercheur responsable Douglas Silva Domingues (USP) ; Investissement 424 748,94 reais BRL.
2. Ressources génomiques pour le Myracrodruon urundeuva et applications pour la conservation ex-situ et la structure génétique dans les biomes d’occurrence (nº 22/03320-5); Modalité Soutien à la recherche – régulier; Chercheur responsable Celso Luis Marino (Unesp); Investissement 248 525,99 reais BRL.

Article scientifique
SALOJÄRVI, J. et al. The genome and population genomics of allopolyploid Coffea arabica reveal the diversification history of modern coffee cultivars. Nature Genetics. v. 56, pp. 721-31. 15 avril 2024.

Republier