Imprimir PDF Republish

FINANCEMENT

Renfort extérieur

Des bureaux de science et de technologie liés aux forces armées des États-Unis appuient des projets de recherche fondamentale au Brésil

Laboratoires et projets scientifiques maintenus et développés par les institutions militaires des États-Unis

U.S. Air Force

Les États-Unis sont parmi les nations qui investissent le plus en science, ils créent des passerelles entre le travail universitaire sans but pratique apparent et la recherche d’innovations technologiques – on estime que près de 50 % des dépenses publiques en recherche et développement (R&D) dans ce pays viennent du département de la défense. Mais ces ressources ne se limitent pas à son territoire. Depuis au moins 10 ans, les États-Unis financent des projets d’institutions brésiliennes par l’intermédiaire de bureaux de science et technologie (S&T) liées à leurs forces armées.

Les investissements se concentrent surtout dans les domaines de l’intelligence artificielle, la robotique, la biotechnologie, l’énergie, les matériaux, la nanotechnologie, l’optoélectronique, entre autres, associés aux technologies dites transversales, capables d’impliquer et de transformer différents secteurs productifs au cours des prochaines décennies (voir Pesquisa FAPESP, nº 306). Pour Kyle Gustafson, représentant dans le pays du Bureau de recherche de la Marine (U.S. Office of Naval Research Global, ONR-G), « le Brésil produit une connaissance scientifique de grande qualité, qui peut compléter les efforts des États-Unis en science et technologie. […] Dans ce sens, les collaborations peuvent être mutuellement bénéfiques ».

L’ONR-G et le Centre international de technologie du commandement du développement des capacités de combat de l’armée des États-Unis (DEVCOM) ont déjà investi un peu plus de 5,3 millions de dollars US dans des projets au Brésil depuis 2014. En février 2022, le Brésil a aussi accueilli le Bureau Sud de Recherche et développement aérospatial (SOARD), une filiale du Laboratoire international de recherche de l’armée de l’air américaine (AFOSR), devenant ainsi l’un des rares pays à abriter des bureaux des trois forces armées ; l’AFOSR finance des travaux au Brésil depuis un certain temps, mais jusqu’à cette année il le faisait depuis sa filiale chilienne de Santiago.

L’investissement dans la science fondamentale est une tradition ancienne aux États-Unis. Selon les données de National Science Foundation publiées en juin, le pays a appliqué – rien qu’en 2019 – 102, 9 milliards de dollars US dans des études qui visent à élargir la connaissance sans se soucier d’obtenir des applications immédiates ; sur ce montant, 33,7 milliards de dollars US (32,7 %) viennent d’entreprises, en particulier dans les domaines des produits pharmaceutiques et des médicaments, et de l’industrie de l’information. Depuis les années 1940, ils encouragent aussi l’ouverture de bureaux de S&T dans les nations partenaires pour former une sorte de groupe de travail scientifique international qui mène des études dans les champs qui les intéressent.

Au Brésil, les ressources accordées sont encore majoritairement concentrées dans des universités et institutions de São Paulo. Au cours des dix dernières années, 1,7 million USD des 4,5 millions envoyés par l’ONR-G dans le pays a été alloué à des institutions de São Paulo, l’Université de São Paulo (USP) étant la principale bénéficiaire. Un des projets soutenus pendant cette période a été celui de ventilateurs pulmonaires d’urgence à faible coût, développés par les ingénieurs Marcelo Zuffo et Raul Gonzalez Lima de l’École Polytechnique (Poli) de l’USP. Dans ce cas, les 200 000 dollars de l’ONR-G se sont ajoutés aux apports d’autres donateurs et ont permis de produire jusqu’à 20 ventilateurs par jour pendant l’un des moments les plus critiques de la pandémie.

Pour les scientifiques brésiliens, cet argent a permis de poursuivre les recherches dans une période où le financement public se fait rare. Dans le cas de l’ingénieur Bojan Marinkovic du Département de génie chimique et de matériaux de l’Université catholique pontificale de Rio de Janeiro (PUC-RJ), ces montants constituent aujourd’hui la principale ressource de financement de ses laboratoires. Depuis 2014, il utilise les ressources du DEVCOM pour développer des projets sur des matériaux céramiques à dilatation thermique négative ou nulle : « Nous cherchons à comprendre comment ils fonctionnent pour, à l’avenir, les intégrer dans la conception de pièces résistantes à des changements brusques de température, une innovation qui intéresse beaucoup l’industrie civile et militaire ». Il en est de même pour la physicienne Isabel Cristina Carvalho du Laboratoire d’optoélectronique du Département de physique de la PUC-RJ. Elle reçoit depuis 2015 un financement de l’ONR-G pour mener des projets sur la résonance de plasmon de surface localisé, un phénomène optique qui a lieu quand la lumière interagit avec des nanoparticules métalliques, induisant une excitation collective des électrons et permettant l’absorption de certaines longueurs d’onde (couleurs).

Alexandre Affonso / Revue Pesquisa Fapesp

Dans le cas de Pierre-Louis de Assis de l’Institut de physique Gleb Wataghin de l’Université d’État de Campinas (Unicamp), ces ressources ont été utilisées pour acheter des équipements et maintenir des bourses de postdoctorat : « Fin 2019, nous avons commencé à recevoir un financement du SOARD pour étudier des émetteurs de photons uniques en utilisant des semi-conducteurs bidimensionnels, dans le but de les intégrer dans des micropuces de traitement d’information quantique ».

Les représentants des bureaux ont l’habitude d’aller à la rencontre des universités et des institutions scientifiques du pays pour leur faire part des opportunités de financement. Pendant ces rencontres, les Brésiliens ont quelques minutes pour présenter leurs projets et souligner leur pertinence. Rosa Santoni, représentante du DEVCOM au Brésil, explique : « Nous assistons aussi à des conférences et réalisons des études indépendantes par le biais d’outils de recherche, comme Web of Science, pour identifier des scientifiques qui travaillent dans des domaines qui nous intéressent. […] Quand quelque chose attire notre attention, nous entrons en contact avec le responsable et lui demandons de nous envoyer un résumé de sa proposition pour évaluer son potentiel innovateur et vérifier si elle fait partie des priorités des forces armées ». Si c’est le cas, le chercheur est autorisé à envoyer la proposition complète, dans laquelle il précise le montant dont il aura besoin pour effectuer le travail et les résultats attendus.

En général, les projets approuvés reçoivent entre 25 000 et 140 000 dollars US par an, mais ce montant peut être plus élevé selon l’intérêt des bureaux. Les Brésiliens reçoivent aussi un montant supplémentaire qui peut être utilisé pour financer leur participation à des conférences nationales et internationales, promouvoir des séminaires et des ateliers, visiter des universités et des institutions des États-Unis ou même des installations scientifiques des forces armées. Ils sont libres d’étudier ce qu’ils veulent et de décider de l’application des ressources. Le succès des entreprises est mesuré par les articles publiés. « Nous encourageons la diffusion des résultats en accès libre au grand facteur d’impact », dit Santoni. Les scientifiques et les universités conservent les droits de propriété intellectuelle des innovations produites dans le cadre des projets financés. « Mais le contrat avec le gouvernement nord-américain autorise les États-Unis à les utiliser ou à les modifier sans restriction dans le futur, conformément à ses intérêts ».

Cet effort d’investissement dans des recherches brésiliennes dans des domaines jugés stratégiques peut étendre le portefeuille d’innovations des États-Unis qui, un jour, pourraient être intégrés à leurs stratégies de sécurité. « C’est aussi une façon pour eux de resserrer les liens de coopération et de renforcer leur influence géopolitique de la région face aux assauts de la Chine et d’autres nations », estime Amâncio Jorge de Oliveira. Il est coordinateur exécutif de l’École de diplomatie scientifique et de l’innovation et professeur du Centre d’Études des négociations internationales de l’Institut des relations internationales de l’USP.

Oliveira rappelle que les Nord-américains utilisent la science dans la politique étrangère depuis longtemps. Dans les années 1970, ils ont eu recours à la diplomatie scientifique pour se rapprocher de la Chine. Plus récemment, ils ont utilisé la même stratégie pour promouvoir des partenariats avec des scientifiques cubains pour des travaux sur le cancer et sur la prévision des ouragans. Pour Gustafson, « les États-Unis reconnaissent l’importance de la collaboration internationale avec des partenaires fiables pour résoudre des problèmes futurs, explorer de nouvelles technologies et construire des relations durables avec des scientifiques étrangers. […] Pour cela, nous pensons qu’il est important de combiner les ressources, diffuser la discipline de la recherche scientifique et promouvoir des expériences et des opportunités ».

Outre le maintien des activités de recherche, un des avantages du partenariat est la possibilité d’échanges – dans certains cas, il est possible d’avoir accès à des installations scientifiques militaires aux États-Unis. « Nous avons envoyé une étudiante en master dans un laboratoire de l’armée dans le Maryland », raconte Marinkovic de la PUC-RJ. Il est aussi courant que les forces armées de ce pays organisent des événements et invitent des Brésiliens à parler de leurs études, à l’exemple de Luís Gustavo Marcassa, professeur de l’Institut de physique de São Carlos (IFSC) de l’USP. Le chercheur développe des recherches sur les atomes de Rydberg – des électrons éloignés du noyau à des distances jusqu’à 10 000 fois supérieures à la normale – avec une application potentielle dans l’informatique quantique et les capteurs à micro-ondes plus précis : « Dans quelques jours, je vais donner une conférence au Laboratoire international de recherche de l’armée de l’air des États-Unis ».

Selon lui, les ressources offertes sont les bienvenues mais elles ne suffisent pas pour maintenir toutes les activités : « Pour nous, à São Paulo, le soutien de la FAPESP reste fondamental, même si les montants accordés par les bureaux de S&T américains représentent un bon complément au budget du laboratoire, en particulier pour les bourses de master et de doctorat et les stages postdoctoraux ». Amâncio Oliveira va plus loin. Il pense que l’accès à ces subventions permet aux scientifiques de produire des connaissances de haut niveau sur des questions mondiales : « Ça peut être stratégique dans le sens où cela favorise l’insertion du Brésil dans les réseaux internationaux de connaissances et élève sa position dans la dynamique mondiale de la production scientifique ».

Republier