Publié en avril 2006
Lun des défis actuels du Brésil est d’augmenter l’offre d’alcool combustible. Les solutions vont de la création de nouvelles variétés de canne à sucre – dont des plantes transgéniques –, en passant par l’expansion de la surface agricole, jusqu’aux innovations dans la ligne de production des usines. Synonyme de combustible renouvelable, moins polluant que les dérivés du pétrole, l’éthanol occupe à nouveau une place importante sur la scène énergétique brésilienne, et intéresse plusieurs autres nations.Au Brésil, les responsables de la renaissance de l’alcool sont les voitures bicombustibles, ou flex fuel, qui peuvent fonctionner à l’alcool, à l’essence ou aux deux à la fois dans n’importe quelle proportion. Au cours des derniers mois, plusieurs entreprises et gouvernements étrangers ont fait part de leur intérêt, confirmant par là le potentiel du marché et de la technologie de production d’éthanol.
Le président nord-américain George Bush, des éditoriaux dans le New York Times et des articles dans le journal anglais Financial Times en ont fait l’éloge et considèrent la démarche brésilienne comme un exemple à suivre. Le millionnaire Bill Gates, un des propriétaires de Microsoft, est lui aussi intéressé à produire de l’éthanol. De plus, deux chefs d’entreprise non moins fortunés – Larry Page et Sergei Brin, propriétaires du site Google –, sont venus au Brésil pour visiter des usines d’éthanol.
Cet intérêt international pour l’éthanol a attisé encore plus le secteur du sucre et de l’alcool du pays.Parallèlement, selon les industriels du sucre, la récolte a fini et l’alcool est devenu plus rare et donc plus cher. Une situation analogue à celle de la fin des années 1980, lorsque le manque d’approvisionnement a entraîné la perte de confiance du consommateur vis-à-vis des voitures à alcool. Avec la demande croissante, gouvernement, industriels du sucre et entrepreneurs du secteur veulent absolument augmenter la production d’alcool. Selon les spécialistes, cette augmentation ne sera possible à court terme qu’avec l’expansion agricole de la culture et la création de nouvelles usines. Dans peu de temps, la demande va croître avec l’augmentation de la vente de voitures bicombustibles. En 2005, elles représentaient 54% du total d’automobiles et de véhicules commerciaux légers produits. En février de cette année, le pourcentage de ventes atteignait déjà 76%.
Actuellement, le Brésil produit 15 milliards de litres d’alcool mais n’en exporte que 3 milliards. La demande du marché externe va surtout augmenter à cause du prix élevé du baril de pétrole et pour répondre aux prérogatives du Protocole de Kyoto: les nations développées devront en effet réduire de 5% les émissions de dioxyde de carbone (CO2), gaz provenant essentiellement du brûlage de dérivés de pétrole. Sans oublier le déclin des réserves mondiales de pétrole. D’après Antônio de Pádua Rodrigues, directeur technique de l’Union de l’Industrie Agroalimentaire de Canne à Sucre de São Paulo (Única), entité réunissant les producteurs de canne à sucre, d’alcool et de sucre de l’État de São Paulo: “On ne pourra répondre à la demande d’alcool pour les marchés interne et externe que s’il y a une expansion de la surface plantée de canne à sucre, dans des régions traditionnelles ou dans de nouvelles frontières”.
Dans l’État de São Paulo, l’expansion commence par la municipalité d’Araçatuba, une zone traditionnellement tournée vers l’élevage, qui fournit déjà 20% de la production de canne à sucre de l’État. D’autres surfaces d’expansion se trouvent dans les États de Minas Gerais (Triângulo Mineiro), de Goiás,Mato Grosso et Mato Grosso do Sul. Entre 2006 et 2010, l’installation de 89 nouvelles usines est prévue au Brésil. À l’heure actuelle, il y en a 300.
Mais y aura-t-il assez de terres pour planter autant de canne à sucre et alimenter toutes ces usines ? La réponse à cette question peut venir d’une étude menée par le professeur José Antônio Scaramucci, du Centre Interdisciplinaire de Planification Énergétique (Nipe) de l’Université Publique de Campinas (Unicamp) – sous la coordination du professeur Rogério Cerqueira Leite –, et réalisée pour le Centre de Gestion et d’Études Stratégiques (CGEE) et pour le Ministère de la Science et de la Technologie. Pour Scaramucci,“il existe au Brésil plus de 90 millions d’hectares (ha) culti-vables, sans compter les destructions de zones de préservation de l’Amazonie,du Cerrado, du Pantanal et de la Forêt Atlantique”. En 2004,la surface cultivée a atteint 58 millions d’hectares sur les 851 millions que possède le Brésil. La même année, la canne à sucre a représenté la troisième culture, avec 5,63 millions d’hectares, loin derrière le maïs (12,34 millions) et le soja (21,54 millions).“Il existe une bande entre les États de Mato Grosso do Sul, Mato Grosso,Goiás,Tocantins, Piauí, l’est de Bahia et le nord-ouest de Minas Gerais où la canne à sucre pourrait avoir une bonne productivité”,observe le professeur.
Scaramucci avance que le Brésil peut augmenter en 20 ans la production de canne à sucre sur 35 millions d’hectares et produire 100 milliards de litres par an. “Une grande partie serait destinée à l’exportation”. Selon cette étude, ces nombres permettraient de créer 5,3 millions d’emplois au bout de 20 ans, et un revenu de 153 milliards de réaux, une valeur similaire au Produit Interne Brut (PIB) de l’État de Rio de Janeiro.
La seule région à ne pas apparaître sur la carte de l’expansion de la culture de canne à sucre est le Nord-Est, même s’il s’agit d’une zone productrice traditionnelle – principalement dans les États de Pernambouc et Alagoas, ladite Zona da Mata. Cette surface est responsable de 15% de la production du pays et sa productivité est de 55 tonnes par hectare (t/ha). La région Centre-Sud, qui englobe les États de São Paulo, Rio de Janeiro, Espírito Santo,Minas Gerais, Paraná et Mato Grosso do Sul, concentre quant à elle 85% de la production de sucre et d’alcool et produit 82 t/ha. “Ces dernières années, la sécheresse a été très fréquente, supérieure au seuil historique”, observe Luiz José Oliveira Tavares de Melo.Chercheur à l’Université Fédérale Rurale de l’État de Pernambouc (UFR-PE), il est responsable du développement de nouvelles variétés de canne à sucre. L’UFR-PE participe au Réseau Interuni- versitaire pour le Développement du Secteur du Sucre et de l’Alcool (Ridesa), composé de sept autres universités fédérales: Ufal (Alagoas), UFG (Goiás), UFSCar (São Carlos),UFV (Viçosa),UFPR (Paraná), UFRRJ (Rurale de l’État de Rio de Janeiro) et UFS (Sergipe).
D’après Melo, “un autre problème dans la Zona da Mata est le relief de la région, qui empêche l’utilisation de moissonneuses”. Dans l’État de Pernambouc, 75% des champs de canne à sucre ont une inclinaison de terrain de plus de 12%, ce qui rend impossible la cueillette avec des machines. La récolte 2005- 2006 de l’État, qui se termine ce mois-ci, devrait atteindre 13,5 millions de tonnes, soit 20% de moins que la récolte précédente. Ces raisons ont conduit les producteurs à rechercher des terres dans la région Centre-Sud du pays pour investir dans de nouvelles plantations.
Gènes sur le terrain
Tandis que de nouvelles usines sont construites, d’autres innovations voient le jour dans le cadre de la recherche technologique. Les nouveautés proviennent surtout des études génétiques, avec de nouvelles variétés et plantes génétiquement modifiées. L’information la plus récente est le dépôt d’un brevet de 200 gènes identifiés dans diverses variétés de canne à sucre et liés à la production de saccharose. Substance essentielle pour la fabrication du sucre et indispensable dans le processus de fermentation, le saccharose sert d’aliment au levain pour produire de l’alcool. Par conséquent, plus il y a de saccharose, plus il y aura d’alcool.
L’identification des 200 gènes producteurs de sucre est le fruit d’un projet qui réunit le Centre de Technologie sur la Canne à Sucre (CTC), l’Usine Centrale d’Alcool Lucélia et des chercheurs de l’Université de São Paulo (USP) et de l’Unicamp, financés par la FAPESP. Le CTC est une association civile qui compte 101 usines indépendantes et 15 associations de producteurs. “Nous avons déposé le brevet sur les 200 gènes en mars aux États-Unis”, souligne Glaucia Mendes Souza, chercheuse de l’Institut de Chimie de l’USP et coordinatrice du projet. L’identification de ces gènes a été réalisée à partir du matériel provenant du séquençage Sucest – ou Sugar Cane EST (étiquettes de séquences exprimées, correspondant au génome exprimé ou actif d’un organisme), plus connu sous le nom de Génome de la Canne à Sucre –, entre 1999 et 2003 par plusieurs universités (des États de São Paulo, Pernambouc et Rio de Janeiro). Grâce à cela, les chercheurs ont découvert près de 90% des gènes de la canne à sucre, soit 43 000 séquences exprimées de gènes.“ Nous avons analysé 2 000 gènes et rencontré ces 200 cibles liées à l’accumulation de saccharose dans la plante”, observe Mendes Souza.
La recherche de ces 200 gènes s’est faite sur des plantes issues de variétés commerciales et sur des résultats de croispécifisement entre elles.D’autre part, le groupe de chercheurs analyse des gènes ancestraux de canne à sucre. Sur ce point, la coordinatrice observe:“Vu que les variétés actuelles de canne à sucre sont hybrides, formées il y a très longtemps par les espèces Saccharum spontaneum et Saccharum officinarum, nous cherchons également des gènes présentant un intérêt économique dans ces espèces ancestrales”. Quelques-uns des 200 gènes sont déjà utilisés pour la production de plantes transgéniques plus productives en saccharose. Glaucia M. Souza poursuit:“Au cours des croisements traditionnels effectués sur le terrain (où le pollen de deux variétés est croisé pour produire une troisième variété), les chercheurs cherchent à sélectionner des plantes aux caractéristiques présentant de l’intérêt sans connaissance des gènes.
Ce travail est très long.Avec la connaissance des processus moléculaires associés aux caractéristiques génétiques, nous pouvons choisir des variétés très productives de saccharose et introduire des gènes liés à la production de cette substance qu’elles ne possèdent pas”. Une autre possibilité est d’introduire ces gènes dans des variétés résistantes à la sécheresse ou aux maladies, mais qui ne présentent pas de bonnes productions de sucre.
Les plantes transgéniques peuvent également avoir d’autres capacités, comme la résistance à certaines maladies et insectes.Mais tout cela doit être testé sur le terrain afin de voir si elles vont réellement hériter de toutes les potentialités des gènes. Des milliers de plantes se trouvent déjà dans des serres et des salles de culture des laboratoires du CTC. La prochaine étape consiste à faire des expérimentations sur le terrain, avec l’autorisation de la Commission Nationale de Biosécurité (CTNbio). Glaucia M. Souza pense qu’il sera possible d’obtenir les premiers résultats dans les trois années à venir.
Une autre facette de la recherche biotechnologique sur la canne à sucre est l’identification de marqueurs moléculaires à partir des séquences du Sucest, celles de courtes répétitions du génome. Utiles dans les études de variation génétique et d’identification de lignées, elles contribuent aussi au séquençage des gènes. Selon Anete Pereira de Souza, chercheuse de l’Institut de Biologie de l’Unicamp: “Certains de ces marqueurs sont liés à des caractéristiques d’intérêt commercial de la canne à sucre”. Ces marqueurs peuvent également être utilisés dans l’identification d’un gène spécifique, lié par exemple à la production de saccharose. “Nous avons notamment identifié ces marqueurs et produit la première carte fonctionnelle (de gènes) pour la canne à sucre, en analysant le génome de plantes qui sont les filles d’un croisement entre deux variétés”, ajoute Pereira de Souza. Cette carte de gènes de la canne à sucre, dont la première partie sera disponible en août, servira de support aux programmes de perfectionnement de la canne à sucre du CTC.
D’après Eugênio César Ulian, ingénieur agronome et responsable du Programme de Biotechnologie du CTC: “Pour le domaine de biotechnologie du secteur du sucre et de l’alcool, le Projet Génome de la Canne à Sucre a été une ligne de partage. En plus du séquençage et de l’identification de gènes, certains groupes de chercheurs universitaires qui ne s’intéressaient pas à la canne à sucre se sont penchés sur l’étude de cette plante. […] En plus des études universitaires de base, ils nous aident à produire de nouvelles variétés dans le laboratoire”. Entre 1999 et 2000, alors que le CTC disposait de plantes transgéniques prêtes à être transplantées sur le terrain, les activités du CNTbio se sont trouvées paralysées par de nouvelles études sur ses attributions. Ulian souligne: “Nous avions des plantes résistantes aux herbicides, aux insectes nuisibles et aux maladies.Mais nous sommes restés paralysés pendant presque cinq ans.Maintenant nous avons des informations qui montrent que certaines de nos plantes transgéniques peuvent augmenter la production de saccharose de 20%.Mais nous avons encore besoin de planter sur le terrain pour confirmer cette donnée”.Une plante qui produit plus de saccharose fournira plus d’alcool, et ce sur une même surface de culture de canne à sucre.“Nous espérons pouvoir produire une plante transgénique totalement développée au Brésil”, ajoute Ulian.
Pour augmenter la production, le pays doit, à court terme, investir dans le programme de perfectionnement de variétés. Le problème est que la création d’une variété ne dure pas moins de dix ans. Il faut choisir des lignées et des individus aux caractéristiques désirées, les croiser et les tester sur le terrain pendant quelques années, pour vérifier si ces caractéristiques se perpétuent sur les descendants.L’augmentation de la diversité génétique des cannaies est importante parce qu’elle permet de protéger davantage la culture contre les maladies et les nuisances.Lorsque la variabilité génétique est faible, les plantes sont plus facilement exposées à ces problèmes.
Pour éviter de telles situations, le Brésil compte sur trois grands programmes de perfectionnement génétique de la canne à sucre. Ces programmes sont promus par le CTC, l’Institut Agronomique de Campinas (IAC) et le Ridesa, réseau responsable du patrimoine génétique (variétés, recherches, laboratoire) du Programme National de Perfectionnement de la Canne à Sucre de l’Institut du Sucre et de l’Alcool, après son extinction au début des années 1990. Responsable de près de 60% de la production totale du pays, le Ridesa a lancé en mars dernier quatre nouvelles variétés de canne à sucre.Toutes portent le sigle d’identification des variétés du Ridesa, RB, qui signifie République du Brésil. L’unité responsable du développement a été l’UFSCar. L’une d’elles, la RB925211, possède une maturation précoce avec une forte teneur en saccharose, une grande productivité et une résistance aux principales maladies de la canne à sucre. Au total, le Ridesa a déjà lancé en plus de dix ans 17 variétés pour la région Centre-Sud et 13 pour la région Nord-Nord-est.
Ces dernières années, l’IAC a lancé 13 nouvelles variétés de canne à sucre, dont quatre types à vocation régionale. Il s’agit de variétés adaptées pour les environnements spécifiques des États de São Paulo, Goiás et Minas Gerais. Grâce à cette adéquation, la réponse de la culture peut être plus grande. L’agronome Marcos Landell, directeur du Centre sur la Canne à Sucre de l’IAC affirme que “nous pouvons créer des stratégies pour chaque environnement, en respectant les caractéristiques du sol et les conditions climatiques”. Plus récemment, l’Institut a lancé quatre autres variétés répondant aux conditions climatiques et du sol du Centre-Sud du pays. Ces variétés sont à cueillir au milieu et à la fin de la récolte, périodes où la production est la plus grande.
En plus des centres traditionnels, l’entreprise Canavialis s’est engagée dans ce domaine en 2003, pour développer des variétés très précoces et des plantes transgéniques de canne à sucre. Hideto Arizono, directeur technique de Canavialis, déclare: “Nous sommes dans la phase de sélection de variétés à être cueillies en avril et avec une teneur élevée en saccharose. […] Actuellement, il n’existe qu’une seule option pour la récolte d’avril dans le Centre-Sud”. Avec la demande croissante d’alcool, certaines usines utilisent un produit facilitant la maturation pour cueillir la canne à sucre en mars (normalement, la récolte commence en avril et va jusqu’en novembre dans le Centre- Sud). Il s’agit d’un produit chimique appliqué sur la plante pour interrompre la période végétative et concentrer le saccharose. L’entreprise développe également des plantes transgéniques en partenariat avec Alellyx, une entreprise de biotechnologie du même groupe, Votorantim Novos Negócios. La première plante transgénique est déjà en phase de test dans une propriété agricole de l’État du Paraná. Cette canne à sucre possède un gène extrait du virus responsable de la maladie de la mosaïque, l’une des maladies attaquant cette culture. Le gène manipulé par Alellyx a montré une résistance à la maladie en laboratoire. Désormais, les tests – déjà approuvés par le CNTbio – sont réalisés sur le terrain.
Selon Paduá, d’Única,“le Brésil comptait il y a 30 ans cinq ou six variétés commerciales ; aujourd’hui il y en a près de 500 (en comptant aussi celles qui existent dans le pays depuis la découverte), ce qui représente un patrimoine génétique inégalable. Avec cela, la culture de canne à sucre devient plus sûre, avec des plantes moins exposées aux nuisances et aux maladies”. Le travail de perfectionnement de la canne à sucre est aussi responsable de l’augmentation de la production de canne à sucre des trente dernières années. Dans les années 1970, la récolte était de 47 t/ha, en 2005 elle a atteint 82 t/ha.
Investir dans la mécanisation et dans l’adoption de techniques d’agriculture de précision représentent d’autres alternatives pour augmenter la production brésilienne d’alcool. Suleiman José Hassuani, ingénieur et chercheur au CTC, affirme que “le taux de mécanisation de la cueillette de canne à sucre à São Paulo est de 35%, tandis que certaines cultures, comme celle du soja, atteignent 100%”. Pour lui, le processus de mécanisation – mis en place au début des années 1990 – apporte de grands bénéfices au secteur, même si certains obstacles doivent encore être franchis: c’est notamment le cas de la densité du sol et des dégâts causés par les machines sur les touffes (racine de la canne à sucre qui reste en terre pour germer à nouveau). D’après le chercheur, la mécanisation du secteur est irréversible car un décret du gouvernement brésilien interdit le brûlis des cannaies à partir de 2018. “Il y a un coût social à prendre en compte, avec la réduction de la main-d’oeuvre, mais les nouveaux postes de travail sont beaucoup plus qualifiés”.
Progrès dans l’industrie
En plus des progrès réalisés sur le terrain, des chercheurs travaillent au développement de processus industriels de distillation et de fermentation plus efficaces. L’équipe du généticien Gonzalo Amarante Guimarães Pereira, de l’Institut de Biologie de l’Unicamp, a créé un ferment génétiquement modifié capable de simplifier le processus de production et de baisser les coûts des usines. Les ferments sont les organismes responsables de la transformation du sucre en alcool, dans un processus connu comme fermentation. Le ferment modifié de l’Unicamp rend obsolète le centrifugeage, une des étapes de fermentation qui augmente les coûts et étend le processus.“Nous avons fait des altérations génétiques sur le ferment qui ont très bien fonctionné dans la fermentation”, observe Pereira.“Nous avons travaillé avec du ferment de laboratoire. Maintenant notre défi est d’arriver à faire une modification génétique sur des ferments industriels, utilisés par les industriels du sucre”.
Toujours à l’Unicamp, une autre recherche sur le perfectionnement du processus de fermentation est réalisée dans les laboratoires de la Faculté d’Ingénierie d’Aliments. Le chercheur Francisco Maugeri Filho et l’étudiant de doctorat qu’il dirige ont créé une technique qui permet d’extraire à vide l’éthanol déjà dans les cuves de fermentation.Maugeri Filho explique: “La méthode conventionnelle est limitée à cause de la concentration élevée d’éthanol dans le milieu, qui inhibe l’action du ferment.Avec l’extraction à vide, l’éthanol reste toujours faiblement concentré dans les cuves de fermentation, et le microorganisme agit de manière plus efficace”. L’une des conséquences directes de la réduction de l’éthanol est la possibilité d’élever la concentration de sucre dans le moût. Selon le chercheur,“si on élève la teneur en sucre, on réussit à doubler voire tripler la productivité du système et à réduire la production de vinasse, un résidu du processus.Maintenant nous sommes en phase de négociation pour démarrer un test pilote dans les usines pour cette récolte. Des simulations du coût de l’alcool par ce processus indiquent une réduction finale de 10 à 15%”.
Dans le domaine de la distillation, une nouveauté développée au Brésil est déjà responsable de presqu’un tiers de la production. Il s’agit d’un processus de déshydratation de l’éthanol, ou distillation extractive. Une méthode pour la production d’alcool anhydre, qui est additionné à l’essence.Après l’étape de distillation, où est séparé un mélange liquide de composants en fonction de la différence de volatilité entre eux – celui de plus grande volatilité se concentrant sur la vapeur et celui de plus faible volatilité sur le liquide – l’éthanol déshydraté possède encore environ 4% d’eau.
Pour Antonio José de Almeida Meirelles, professeur de la Faculté d’Ingénierie d’Aliments de l’Unicamp, “la technique de distillation extractive permet d’additionner un troisième composant, le monoéthylène glycol (MEG), qui réduit la volatilité de l’eau, permettant la vaporisation de l’éthanol. Ensuite l’alcool est condensé, produisant l’éthanol anhydre. Quant au monoéthylène glycol, il est purifié et retourne à la première phase du processus”.Meirelles a étudié le processus et participé au transfert de la technologie vers le secteur industriel. Face à la méthode conven-tionnelle, la distillation avec le MEG réduit de moitié la consommation de vapeur pour distiller l’éthanol déshydraté. Introduite dans le secteur productif en 2001, la nouvelle distillation a déjà été adoptée par 28 usines et est responsable de la productionde plus de 2,5 milliards de litres d’alcool anhydre par an, soit près de 30% du total produit dans le pays.
Un autre système promet d’apporter des gains de productivité élevés dans les usines, avec l’utilisation de la bagasse et de la paille. Il est développé par le CTC et le groupe Dedini, un des plus grands fabricants d’équipements pour le secteur du sucre et de l’alcool. Baptisée Dedini Hydrólisa Rápida [Hydrolyse Rapide Dedini] (DHR), la technologie est déjà brevetée au Brésil et dans d’autres pays; elle prévoit de transformer la bagasse et la paille en alcool en quelques minutes, au moyen d’un processus d’hydrolyse (réaction chimique avec de l’eau). Une unité de démons- tration fonctionne depuis début 2004 à l’usine São Luiz de Pirassununga (État de São Paulo).Carlos Eduardo Vaz Rossel, coordinateur du projet au CTC et ingénieur chimique,souligne:“Nous sommes en train de l’analyser pour voir s’il faut encore le perfectionner. […] Le plus grand avantage de la nouvelle méthode est d’augmenter la production d’éthanol jusqu’à 30%, sans augmenter la surface plantée”. L’ensemble de ces facteurs et nouvelles technologies dans la production de l’alcool démarreront l’expansion de la culture et l’amélioration de la productivité pour les prochaines années. La production brésilienne de la récolte 2005- 2006 a atteint 386 millions de tonnes de canne à sucre, et les études indiquent qu’elle sera de 535 millions en 2010. Selon Pádua, “Pour la récolte 2013-2014, 670 millions seraient prévus, mais pour 2006-2007 420 millions devront déjà être cueillis pour produire 17 milliards de litres d’alcool et quasiment 29 millions de tonnes de sucre”. La récolte 2005-2006 doit atteindre 15,7 milliards de litres d’alcool, alors que la récolte antérieure était de 15,1 milliards de litres.
Une histoire de succès et de polémiques
Le secteur du sucre et de l’alcool est responsable de 2% du Produit Interne Brut (PIB) du Brésil, soit 39 milliards de réaux par an. Il est vu comme un système agroalimentaire exemplaire pour la production de combustible renouvelable.Pour preuve, les visites constantes de délégations étrangères pour connaître les usines productrices de sucre et d’alcool. C’est également le secteur le plus ancien de notre économie. La canne à sucre est arrivée au Brésil avec les Portugais, dès le début de la colonisation. Probablement originaire du sud-est asiatique, la plante s’est surtout développée dans la région Nord- Est du pays. Elle a rapidement bénéficié d’une projection économique, avec la production de sucre envoyée au Portugal.
En 1600 il existait déjà 200 fazendas de canne à sucre, qui ont également servi à la formation d’un segment importantde l’élite brésilienne: les maîtres de moulins. Elles s’agrandirent en fabriquant du sucre et de la cachaça (eau-devie de canne à sucre), et ne diversifièrent leurs activités qu’en 1931, lorsque le président Getúlio Vargas décréta l’ajout de 5% d’alcool à l’essence. Cette proportion varia considérablement au cours des années, y compris au début de l’année 2006 quand le gouvernement baissa de 25 à 20% l’addition d’alcool dans l’essence à cause de l’augmentation des prix.
Selon le professeur Walter Blick de l’Institut d’Économie de l’Unicamp,”cette crise a montré au gouvernement qu’il n’est pas possible de faire totalement confiance aux entreprises. Il faut, à l’exemple d’autres produits agricoles comme les haricots noirs ou le blé, maintenir des stocks régulateurs, en réduisant les pressions haussières de prix dans les périodes situées entre les récoltes”. Il rappelle que la situation était très différente il y a quelques années:” En 1942, le gouvernement Getúlio Vargas a lancé le Statut de la Culture de Canne à Sucre, qui attribuait à l’Institut du Sucre et de l’Alcool (IA) la réglementation du secteur. L’IAA fut chargé de veiller à l’équilibre de pouvoir entre les agriculteurs, les industriels et les travailleurs. Le statut établissait, par exemple, que ceux qui possédaient une usine ne pouvaient pas planter plus de 40% de leur besoin”.
La déréglementation du secteur commença en 1990 et marqua la fin du Programme National de l’Alcool (Proálcool). Né en 1975, le Proálcool a reçu d’importantes aides financières et a atteint son apogée au milieu des années 1980, lorsque quasiment 100% des automobiles fabriquées fonctionnaient à l’alcool. À cette époque, la culture de la canne à sucre gagna un nouvel élan dans l’État de São Paulo. Selon Belik,”l’industrie de la canne à sucre a commencé à croître à São Paulo dans la seconde moitié des années 1950, quand elle a devancé le Nord-Est avec des usines modernes et des terres mieux adaptées pour la culture de la canne à sucre”.
Avec les bénéfices fiscaux et les investissements privés à l’époque du Proálcool, le secteur est devenu une industrie agroalimentaire moderne, avec l’incorporation d’une technologie dans la plantation et dans les usines.Mais son image s’est ternie à la fin des années 1980, quand le prix élevé du sucre sur le marché interne a amené les industriels du sucre à produire de l’édulcorant à la place de l’alcool. Le manque de combustible et les queues aux stations services ont provoqué la perte de confiance du consommateur.
La situation favorable et la bonne image du secteur sont réapparues en 2002, lorsque les usines de montage de véhicules décidèrent d’adopter la technologie Flex Fuel, ou bicombustible. Cette technologie a initialement été développée au milieu des années 1990 par l’entreprise Bosch, dans sa filiale de la ville de Campinas. Grâce à ce travail, l’entreprise a reçu le Prix Finep d’Innovation Technologique dans la catégorie produit en 2005.
Toutefois, le succès du système bicombustible a rapidement dérangé les consommateurs, qui ont vu le prix de l’alcool augmenter considérablement et donc être moins avantageux que l’essence.”Aujourd’hui il existe une certaine absence de contrôle, c’est le producteur qui décide seul où il va installer l’usine et acheter la terre autour pour planter de la canne à sucre. Cela entraîne la concentration agraire et montre la nécessité de planification stratégique pour l’industrie de la canne à sucre à long terme”. Pour le professeur José Antonio Scaramucci, du Centre Interdis- ciplinaire de Planification Énergétique (Nipe) de l’Unicamp, une forte concentration industrielle a également lieu:”Le secteur est dominé par cinq grands groupes. C’est un oligopole (c’est-à-dire que peu d’entreprises possèdent le contrôle d’une grande partie du marché), dans lequel les plus grandes usines transforment la cannaie en une structure industrielle concentrée”.
E n plus de la concentration, le secteur se modernise aussi et devient multinational, même si une partie de ce secteur connaît encore des problèmes de législation liés aux travailleurs saisonniers. En général, il s’agit de migrants qui viennent du nordest du pays et de l’État des Minas Gerais pour se rendre dans l’État de São Paulo. Très souvent, ces travailleurs sont embauchés par des intermédiaires peu scrupuleux, et leurs conditions de travail et de logement sont très précaires.
Pour Maria Aparecida de Moraes Silva, sociologue, professeur de troisième cycle de géographie de l’Université de São Paulo et collaboratrice de l’Université d’État de São Paulo à Presidente Prudente:” Le plus grand problème est qu’entre 2004 et 2005, 13 travailleurs saisonniers sont morts à cause d’un excès de travail. Ils sont payés par rapport à la production journalière, dont l’objectif est de couper 12 tonnes de canne à sucre par jour. […] Le Ministère Public a déjà procédé à six audiences publiques sur les morts. […] En dehors de cela, les travailleurs sont très souvent lésés au moment du pesage parce qu’ils coupent par mètre et reçoivent par tonne”. Le Ministère Public souhaite la fin du travail payé par rapport à la production en 2007.Mais les usines, qui veulent donner un salaire de 410,00 réaux par mois aux travailleurs, ne veulent pas de ce système.Les syndicats et les travailleurs non plus.”Un bon coupeur réussit à gagner jusqu’à 800,00 réaux par mois”, rappelle Moraes Silva.
Du point de vue d’Antônio de Pádua Rodrigues, directeur technique à Única, l’Union de l’Industrie Agroalimentaire de Canne à Sucre de São Paulo, prône que les unités n’ayant pas respecté les législations sur le travail, l’environnement ou le transport subissent les conséquences du non-respect. Quant à la mort des travailleurs pour excès de travail, il n’y a aucune preuve. Le système de rémunération pour productivité est le plus adapté selon la classe patronale et les travailleurs. Le point à revoir est la transparence au niveau du système d’étalonnage de paiement”. Selon des études du Nipe, au Brésil le secteur du sucre et de l’alcool emploie près de 450 00 travailleurs dans la phase agricole.
LES PROJETS Transcriptome de la canne à sucre MODALITÉ Partenariat pour l’Innovation Technologique (Pite) COORDINATRICE GLAUCIA MENDES SOUZA — USP INVESTISSEMENT 555 693,00 réaux – 82 867,00 dollars (FAPESP) et 800 000 réaux (CTC et Central de Álcool) Développement de marqueurs moléculaires à partir d’EST de canne à sucre MODALITÉ Partenariat pour l’Innovation Technologique (Pite) COORDINATRICE ANETE PEREIRA DE SOUZA — Unicamp INVESTISSEMENT 172 403,00 réaux et 45 495,22 dollars (FAPESP) 103 675,30 réaux (CTC).
Republier