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Histoire

Sans peur de lutter

L’absence de droits politiques n’a pas empêché la participation des femmes au processus d’indépendance du Brésil

L’impératrice Marie-Léopoldine sur la toile Acclamation de Pierre I Empereur du Brésil à Campo de Santana, à Rio de Janeiro (1839) par le Français Jean-Baptiste Debret

New York Public Library

Le 13 mai 1822, un groupe de 186 femmes a envoyé à Marie-Léopoldine (1797-1826) la Lettre des dames bahianaises à Son Altesse Royale Marie-Léopoldine, la félicitant pour la part quelle avait prise dans les résolutions patriotiques de son mari le Prince Régent Pierre. Le document reconnaissait la contribution de la princesse d’alors et future impératrice au séjour de son mari au Brésil, un facteur important dans la compréhension des signataires pour que l’indépendance du Portugal se concrétise. « Bien plus qu’une lettre, c’est un manifeste politique », observe l’historienne Maria de Lourdes Viana Lyra, de l’Université fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ) et auteure d’ouvrages comme A utopia do poderoso império. Portugal e Brasil: Bastidores da política, 1798-1822 (Éditions Sete Letras, 1994). « Au Brésil, à l’époque, les femmes étaient déléguées à un rôle subalterne, cantonné à l’ambiance privé et lié à la famille. La présence féminine était rendue invisible, mais les femmes n’ont jamais cessé de se mobiliser politiquement par rapport à l’Indépendance, dans laquelle elles ont agi de différentes manières », informe-t-elle.

Dans un article sur le sujet, Lyra nous attire l’attention sur le fait qu’au-delà des actions isolées, menées par des personnalités notoires comme Marie-Léopoldine elle-même, il en existe d’autres « beaucoup plus expressives » mais encore peu connues du grand public. En l’occurrence, des mobilisations collectives de femmes ayant agi sur la scène publique pendant la période de l’Indépendance. L’historienne Andréa Slemian, de l’Université fédérale de São Paulo (Unifesp), va dans le même sens. « Tout au long de ce processus, de nombreuses femmes se sont exprimées à travers les lettres, les manifestes, entre autres textes. La presse naissante au Brésil a joué un rôle important à cet égard, non seulement en diffusant les idées de ces femmes sur l’Indépendance dans la rubrique des lettres des journaux, par exemple, mais aussi en servant de porte-parole et de soutien pour les questions liées au genre féminin et à leurs droits », note Slemian, qui étudie depuis 20 ans l’histoire de l’Amérique portugaise et du Brésil entre les XVIIIe et XIXe siècles.

New York Public LibraryUne illustration sur la marche des femmes vers Versailles, pendant la Révolution françaiseNew York Public Library

La mobilisation des femmes n’était pas nouvelle au Brésil, selon Lyra: « Il existe des archives de mouvements collectifs de femmes dans l’État du Pernambuco aux XVIIe et XVIIIe siècles, par exemple. Lors de l’invasion hollandaise, une propriétaire foncière a été arrêtée et un groupe de femmes a demandé l’intervention du gouverneur João Maurício de Nassau [1604-1679] afin que la prisonnière puisse être libérée ». Cependant, pendant la période de l’Indépendance, cette attitude s’est renforcée grâce aux vents révolutionnaires qui soufflaient à l’époque. « Les femmes ont participé activement à la Révolution française [1789-1799], qui a engendré la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenneté [1791]. Tout ce bouleversement a eu un fort impact sur la société de l’époque dans plusieurs parties du monde à des degrés divers », explique Lyra.

La participation des femmes au processus d’indépendance du Brésil ne s’est pas limitée à l’écrit. « Il y avait des femmes qui dirigeaient des propriétés et des entreprises, suivaient ce qui se passait sur la scène publique », observe Slemian. C’est le cas de la propriétaire d’une plantation de canne à sucre, Barbara Pereira de Alencar (1760-1832), qui a participé à la Révolution républicaine de 1817 au Ceará. « La province de Pernambouc était obligée de verser des sommes mensuelles importantes pour maintenir la Cour portugaise installée à Rio de Janeiro depuis 1808. De plus, la présence royale faisait gonfler les prix dans la Colonie. Tout cela a généré du mécontentement, de l’élite aux couches populaires, et fonctionné comme un déclencheur de la révolution », explique l’historien Flavio José Gomes Cabral, de l’Université catholique de l’État de Pernambouc (Unicap), qui prépare un livre sur l’épisode. «Le soulèvement a commencé au Pernambouc et s’est étendu au Ceará, dans le Rio Grande do Norte et au Paraíba.»

Bibliothèque Nationale Un livre sur la vie de Barbara de AlencarBibliothèque Nationale 

Née dans le Pernambuco, Bárbara Alencar a déménagé après son mariage au Ceará, où, en tant que veuve, elle a commencé à commander le moulin de Pau Seco, dans la région de Crato. « Du côté de sa mère, elle avait une ascendance indigène et, du côté de son père, elle était portugaise », rapporte Cabral. Deux de ses enfants ont fréquenté le séminaire épiscopal de Nossa Senhora da Graça à Olinda, lié au diocèse de Pernambouc et à un noyau révolutionnaire féroce dans la province. L’un d’eux était José Martiniano Pereira de Alencar (1794-1860), qui allait devenir plus tard le père du romancier José de Alencar (1829-1877). « José Martiniano avait le soutien de sa mère pour diffuser des idées en faveur de la révolution à Crato, notamment dans l’organisation de réunions qui attiraient les membres de la famille et les amis », poursuit le chercheur.

Avec le démantèlement de la révolution, Barbara de Alencar est arrêtée le 13 juin 1817 et emmenée dans la ville de Fortaleza. « Avant, elle a été exposée à l’exécration publique dans les rues de Crato », dit Cabral. Elle ne récupérera sa liberté qu’environ trois ans plus tard, en novembre 1820, après des séjours dans les prisons de Recife et de Salvador. « L’histoire de Barbara de Alencar est encore peu connue », observe Lyra. L’une des raisons, selon la spécialiste, est que tout au long des XIXe et XXe siècles, l’historiographie brésilienne a traité l’Indépendance du Brésil en se concentrant sur le 7 septembre 1822 et sur les articulations engendrées par les hommes dans les États de Minas Gerais, Rio de Janeiro et São Paulo.

Anne S. K. Brown Collection, Brown University, ProvidencePortraits de Maria Quitéria de JesusAnne S. K. Brown Collection, Brown University, Providence

Selon Slemian, cette image est en train de changer au cours des deux dernières décennies avec l’émergence d’études guidées par la diversité dans les universités brésiliennes. « Mais il reste encore beaucoup à faire », observe-t-elle. L’une des grandes difficultés pour faire avancer les nouvelles recherches concerne les sources officielles de l’époque, selon Sérgio Armando Diniz Guerra Filho, de l’Université fédérale du Recôncavo da Bahia (UFRB). « Ces documents ont été écrits par des hommes blancs d’élite et, en général, excluent la participation d’autres segments de la société, tels que les pauvres, les femmes, les Noirs et les peuples autochtones », explique l’historien, qui a enquêté sur la participation populaire dans la Guerre d’Indépendance à Bahia (1822-1823) pour son master.

Cependant, des indices de la présence féminine peuvent être observés dans les manifestations populaires, soutient le chercheur. « Depuis le XIXe siècle, les parades civiques de l’Indépendance à Bahia, célébrées le 2 juillet, honorent la figure du caboclo1. Ces symboles de la participation populaire à la guerre contre les Portugais sont souvent féminins, comme c’est le cas dans la municipalité de Santo Amaro da Purificação », rapporte Guerra Filho. Une autre indication est la procession connue sous le nom de Careta do Mingau, qui a lieu en juillet dans les rues de Saubara, également dans le Recôncavo Baiano. « Les femmes se couvrent d’un drap pour rappeler leurs compatriotes autrefois déguisées en fantômes pour apporter de la nourriture à l’aube aux combattants retranchés. S’occuper de la nourriture et des uniformes, en plus des malades dans les infirmeries, est une autre dimension de la participation féminine au processus d’Indépendance », explique le chercheur.

Mais toutes les femmes n’étaient pas à l’arrière-garde, à l’exemple de Maria Quitéria de Jesus (c.1792-1853), qui s’est déguisée en homme et a adopté le surnom de soldat Medeiros pour lutter contre les Portugais à Bahia. « Elle a été reconnue parmi les troupes pour sa bonne précision et sa véritable identité n’a été révélée que lorsque son père est allé la chercher à Cachoeira, alors capitale intérimaire de Bahia. Quitéria de Jesus a refusé de rentrer chez elle et a continué à se battre », raconte Guerra Filho. En 1823, la combattante a reçu de Pierre I le grade de chevalier de l’Ordre Impérial du Cruzeiro, à Rio de Janeiro.

L’image de Maria Quitéria de Jesus en tant qu’héroïne de la guerre d’indépendance a commencé à se construire au début du XIXe siècle, observe l’historien d’art Nathan Gomes dans son mémoire de maîtrise « Théâtre de la mémoire, théâtre de la guerre: Maria Quitéria de Jesus dans la formation de l’imaginaire national (1823-1979) ». Soutenue en avril à l’Institut d’études brésiliennes (IEB) de l’Université de São Paulo (USP), la recherche a été financée par la FAPESP. Selon Gomes, l’histoire de la femme bahianaise a pris de l’importance lorsqu’elle a été racontée dans le livre Journal of a voyage to Brazil and residence there during parts of the years 1821, 1822 and 1823 [Journal dun voyage au Brésil et résidence pendant quelques périodes au cours des années 1821, 1822 et 1823]. Il s’agit du récit de voyage de l’artiste et écrivaine anglaise Maria Graham. (1785 -1842), qui a notamment travaillé comme préceptrice pour les enfants de Pierre I et Marie-Léopoldine à Rio de Janeiro.

IpacLa procession Careta do Mingau, une manifestation qui fait référence au rôle des femmes dans le processus de l’Indépendance, dans les images de BahiaIpac

Lancée en 1824 par l’éditeur britannique Longmann & Co., la publication présentait également un portrait de la femme bahianaise, dont la recherche attribue la paternité aux Anglais Augustus Earle (1793-1838) et Denis Dighton (1792-1827), en plus du graveur Edward Finden (1791 -1857). « Quitéria de Jesus apparaît en entier, avec un jupon par-dessus son uniforme. C’est l’image qui est restée d’elle », souligne Gomes. Entre 1840 et 1930, une série d’actions développées principalement par l’Institut historique et géographique brésilien (IHGB), l’Institut géographique et historique de Bahia (IGHB) et le Musée Paulista (MP) ont contribué à répandre la renommée de la combattante bahianaise dans la mémoire collective. « L’apogée de la consécration à cette époque s’est produite lors du centenaire de l’Indépendance, en 1922 », précise le chercheur. À l’époque, le Musée Paulista, aujourd’hui propriété de l’USP, a commencé à exposer dans sa salle principale un portrait de Maria Quitéria peint en 1920 par l’Italien Domenico Failutti (1872-1923) ainsi que des toiles comme Independência ou morte! (1888), de Pedro America (1843-1905).

Le processus d’appropriation de l’image de Maria Quitéria a évolué dans le temps, comme le montre la recherche. En 1953, l’année du centenaire de sa mort, la combattante bahianaise remporte sa première biographie: sur un ton romantisé, elle est signée par Manuel Pereira Reis Júnior, historien bahianais à la tête des commémorations de l’événement. Cette même année, l’armée brésilienne rend obligatoire la présence d’un portrait de la combattante dans ses bureaux et crée la mention Maria Quitéria. Bien plus tard, en 1996, elle deviendra la patronne du Conseil complémentaire des officiers de l’armée brésilienne. « Dans les années 1980, la corporation a commencé à accepter des femmes officiers », souligne Gomes.

NYPLPortrait de Marie-LéopoldineNYPL

La recherche remonte aux années 1970, lorsque le Mouvement Féminin pour l’Amnistie (MFPA) a fait de Maria Quitéria de Jesus un symbole contre l’autoritarisme pendant la dictature militaire (1964-1985). Créé en 1975 par un groupe de femmes de São Paulo, le MFPA s’est rapidement répandu dans tout le pays. À la tête de l’initiative se trouvait la maîtresse de maison et militante Therezinha Zerbini (1928-2015), dont le mari, militaire, avait été destitué par le coup d’État. « Le combat de Therezinha contre la dictature était ancien. Elle a été l’une des organisatrices du congrès clandestin de l’UNE [Union nationale des étudiants] qui s’est tenu à Ibiúna [SP], en 1968, par exemple », raconte Gomes.

Quant au MFPA, le choix de Maria Quitéria de Jesus comme symbole s’inscrivait dans une stratégie délibérée du mouvement de s’associer à un personnage déjà important du panthéon des Forces armées, mais dont la signification dépassait le domaine strictement militaire. « Cela pourrait représenter, par exemple, la défense de la participation des femmes en politique », souligne Gomes. « Elles croyaient qu’avec cela, elles pourraient agir avec plus de liberté ». La stratégie a partiellement fonctionné. En 1977, la première édition du bulletin Maria Quitéria, en plus d’affiches et de pamphlets à son image, a été saisie par le SNI (Service national d’information), qui a également infiltré un photographe lors d’une manifestation à laquelle le mouvement participait à Salvador.

Alternative modérée
Dans la salle principale du Musée Paulista, celui-là même qui abrite le portrait de Maria Quitéria, se trouve une toile en l’honneur de l’impératrice Marie-Léopoldine, également peinte par Failutti dans les années 1920. « Née à Vienne, Marie-Léopoldine était la fille de François II, empereur d’Autriche, ayant été élevée pour régner. En épousant le prince héritier du Royaume-Uni luso-brésilien, le futur empereur Pierre I, elle s’installe au Brésil avec la conviction que le renforcement de la monarchie sous les tropiques sera bénéfique pour le maintien des régimes absolutistes en décadence en Europe depuis la Révolution française », dit Lyra (UFRJ), auteure de la biographie sur l’Autrichienne qui est incluse dans le livre Queens of Portugal in the new world: Carlota Joaquina, Leopoldina de Habsburgo, publié par l’éditeur portugais Círculo de Leitores, en 2011.

D’après Slemian, l’activité politique de Marie-Léopoldine à la Cour portugaise s’est déroulée principalement au début des années 1820. « Elle a joué un rôle important dans le processus d’indépendance, qu’elle a exercé avec une extrême rationalité et de manière plus prudente que son mari », observe le spécialiste, auteur de l’article sur Marie-Léopoldine dans le Dictionnaire de lIndépendance: Histoire, mémoire et historiographie, qui devrait être lancé au second semestre. « Cependant, il n’est pas possible de falsifier sa performance. Marie-Léopoldine était conservatrice, terrifiée par les bouleversements sociaux, se battant pour une alternative d’indépendance modérée, qui garderait le prince sur le trône. Ce fut d’ailleurs le projet concrétisé en 1822 », conclut-elle.

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