Publié en novembre 2009
L’essor de l’industrialisation de São Paulo aussitôt après la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) – un des chapitres les plus importants l’histoire de l’état – peut désormais être mieux raconté. Beaucoup ignorent que l’un des points-clés de ce processus réside dans l’arrivée en masse d’immigrants qualifiés d’Europe et du Japon, deux régions durement affectées par le conflit. Cependant, le pôle industriel de la région métropolitaine de São Paulo et de sa banlieue n’est pas le seul à avoir intégré un grand nombre de travailleurs. L’agriculture s’est aussi modernisée avec ces « nouveaux migrants » aussi bien spécialisés du point de vue de la technique que de la pratique.
Cette nouvelle vision commence à être délimitée grâce au projet mené par le Centre d’Études sur la Population de l’Université d’état de Campinas (Nepo/ Unicamp) : Les nouveaux migrants – Flux migratoires et industrialisation à São Paulo (1947-1980). Entre 2003 et 2008, le centre a réuni plus de 60 000 documents qui incorporent une banque de données de près de 200 000 registres de migrants venus faire partie du marché du travail. Véritable mine d’or pour les chercheurs brésiliens et même étrangers, ces archives renferment des informations qui peuvent être exploitées de diverses manières : par le nom, la nationalité, la profession, la région d’origine, l’entreprise employeuse, etc.
Mais pas seulement. Il est possible de croiser des données plus détaillées, à l’exemple de tous les mécaniciens automobile de nationalité allemande célibataires, ou de ceux qui possèdent un niveau universitaire – dans ce cas, indépendamment de la nationalité. On peut également élaborer des graphiques, des tableaux et d’autres formes de consolidation des données, d’une grande richesse pour les études démographiques. Et ce ne sont là que quelques-unes des possibilités. La banque de données est déjà disponible au Nepo/Unicamp et au Memorial do Imigrante [Mémorial de l’Immigrant] de São Paulo.
À ce stade, l’équipe du projet a jugé que le travail était achevé en tant que contribution collective pour d’autres chercheurs. Néanmoins, le groupe reste uni pour continuer à traiter les informations et dialoguer avec les personnes intéressées. Les principaux membres de ce projet sont : Maria do Carmo Carvalho Campello de Souza (USP et Idesp, coordonnatrice entre 2003 et 2006), Teresa Sales de Mello Suarez (Nepo/Unicamp), Célia Sakurai (Musée de l’Immigration Japonaise et Nepo/Unicamp), Odair Paiva (Unesp et Mémorial de l’Immigrant), José Renato de Campos Araújo (USP et Idesp) et Maria do Rosário Rolfsen Salles (Unesp et Idesp, coordonnatrice entre 2006 et 2008).
Idéalisatrice du projet aux côtés de Célia Sakurai, la sociologue Maria do Rosário Rolfsen Salles explique que la première étape a été destinée à identifier, organiser, cataloguer, informatiser et archiver les documents du Mémorial de l’Immigrant sur l’arrivée de près de 500 000 étrangers – la plupart ayant été logés au Centre d’Accueil d’Immigrants [Hospedaria de Imigrantes]. La deuxième étape a privilégié le développement de projets thématiques qui ont donné lieu à une série de travaux sur des aspects de cette immigration peu explorés par l’historiographie.
D’après la sociologue, « le grand mérite de notre projet, si l’on peut dire, est de permettre à de nouveaux chercheurs d’avoir accès à un type de documentation, désormais informatisée et susceptible d’orienter un nombre infini de recherches sur la période, les nationalités, les organismes internationaux, les réfugiés, les apatrides, etc. ». Les résultats obtenus montrent notamment le profil de personnes provenant de pays européens traditionnellement fournisseurs d’immigrants au Brésil ainsi que d’autres nationalités d’Europe Centrale et de l’Est, différent du profil moins qualifié des entrées ayant caractérisé la grande immigration de la fin du XIXe siècle et des premières décennies du XXe. « Les origines des immigrants sont également intéressantes », observe Maria Rolfsen Salles. Les Italiens, par exemple, venaient en fait des régions méridionales de l’Italie, des zones moins développées dont la main-d’oeuvre présentait une spécialisation plus technique que formelle.
Pour mieux comprendre le processus, la professeur recommande de revenir en arrière, au XIXe siècle. Certaines régions sont très significatives en termes d’arrivées d’immigrants à partir des années 1870, des moments plus longs et plus intenses sur la croissance de la population brésilienne. Comme l’expansion de la caféiculture dans l’ouest de l’état de São Paulo, le début de la politique de subventions et la venue massive d’immigrants (en particuliers italiens). « Cette période s’est achevée en 1902, avec l’interdiction en Italie de l’immigration subventionnée à travers le décret Prinetti et le début de l’immigration vers les États-Unis ». Le deuxième cycle a été caractérisé par l’Accord de Taubaté (1906), la venue en nombre de Portugais et d’Espagnols et le début (1908) des entrées des Japonais, et ce jusqu’à la Première Guerre mondiale.
La période suivante est marquée par un ralentissement de la venue d’immigrants pour les raisons suivantes : des restrictions en place dès la fin des années 1920, avec la fin de la politique de subventions et la crise du café qui culminera en 1930. On est alors dans une phase caractérisée de période d’entrée de Portugais, de Japonais et d’« autres nationalités » (Polonais, Russes, Roumains, Juifs, etc.). Le dernier cycle migratoire a commencé avec la réouverture de la politique migratoire du Brésil à la fin de la Deuxième Guerre mondiale et l’ouverture politique découlant de la fin de l’État Nouveau ; le nombre d’entrées fut très inférieur au précédent, avec surtout l’arrivée d’Italiens, d’Espagnols et, comme on l’a vu, d’« autres nationalités » (Europe Centrale et de l’Est), sans oublier les Japonais à partir de 1950. D’après Maria Rolfsen Salles, l’une des caractéristiques de ce contingent fut la présence de réfugiés entre 1947 et 1951 et d’apatrides – des personnes ayant, pour des raisons diverses, perdu leur nationalité pendant la guerre et qui ne pouvaient ou ne voulaient rentrer dans leur pays d’origine.
ReproductionsAu cours du travail, les chercheurs ont fait des découvertes surprenantes. C’est le cas notamment du grand nombre d’Italiens, d’Espagnols et de Japonais qui sont venus dans la ville de São Paulo mais aussi dans la province de l’état pour travailler dans des entreprises agricoles. Ces immigrants se sont concentrés dans des quartiers industriels de la Zone Est à la Zone Sud, ainsi que dans d’autres régions de la ville comme le centre, la Zone Nord, Vila Leopoldina, Lapa et la Zone Ouest. Finalement, observe la chercheuse, « il faudra étudier chacune des nationalités pour pouvoir déterminer le chemin parcouru à São Paulo ».
Pour Célia Sakurai, docteur en sciences sociales de l’Unicamp, la banque de données a permis de mieux évaluer le poids des immigrés sur la ville de São Paulo. Elle ignorait l’amplitude de l’immigration post-guerre et le profil des immigrants, très différents de ceux arrivés avant la Seconde Guerre mondiale : « La variété d’occupations a également attiré notre attention, ainsi que le profil des entreprises, des multinationales japonaises qui se sont installées à la fin des années 1950 aux petites entreprises, voire parfois familiales, qui ont accueilli ces immigrants ». En ce qui concerne les Japonais, on retiendra le nombre élevé d’agriculteurs pour des projets de colonisation.
La chercheuse pense que le profil des migrants japonais a changé après la Deuxième Guerre mondiale : ils étaient jeunes, célibataires, doté d’une spécialisation professionnelle qui contrastait avec leurs compatriotes arrivés avant la guerre. Ces nouveaux migrants s’inséraient dans le processus d’industrialisation de São Paulo en occupant des postes qui exigeaient une qualification. Ainsi sont apparus des techniciens de secteurs nouveaux tels que l’électronique, la métallurgie, le dessin de projets de circuits de climatisation, etc. « La contribution de ce type d’information pour l’étude de l’immigration au Brésil donnera la possibilité de présenter une facette nouvelle et très peu connue de ces personnes dans notre pays ».
Le coût total du projet a été d’environ 130 000 réaux, utilisés pour la création du programme pour le développement de la banque de données, la constitution d’équipes chargées de numériser les informations, le traitement des documents, l’achat de matériel permanent et d’une bibliographie nationale et internationale sur les processus migratoires d’après-guerre, la constitution d’organismes internationaux comme l’International Refugees Organization (IRO), le Comité International pour les Migrations Européennes (Cime) et le Japan Migration and Colonization (Jamic). D’après Maria R. Salles, la consolidation du projet a aussi été favorisée par la présence de deux équipes de chercheurs sur le thème : celle de l’Institut de Recherches Économiques, Politiques et Sociales de São Paulo (Idesp) et celle du Mémorial de l’Immigrant, qui a même incorporé dans ses rangs une chercheuse du Nepo/ Unicamp.
Le professeur Odair da Cruz Paiva, docteur en histoire sociale par l’USP, a rejoint le projet lorsqu’il travaillait au Mémorial de l’Immigrant. L’une de ses fonctions était l’organisation des archives. Avant lui, tout ce qui faisait référence à l’immigration d’après-guerre était épars et non organisé, empêchant ainsi d’éventuelles recherches sur le sujet. Il rappelle que l’idée du projet Les nouveaux migrants est née à partir de conversations avec les professeurs Célia Sakurai et Maria R. Salles : « Peu à peu, nous avons défini ce qui deviendrait son plus grand objectif : l’organisation et l’informatisation des données présentes dans cette documentation ». Lors de l’élaboration du projet, l’équipe était déjà formée et certaines discussions sur les chemins à suivre entamées.
Les fonctions ont été divisées en deux noyaux centraux : le premier regroupait les travaux d’organisation des archives et l’insertion des données dans la banque informatisée. « Cette tâche a été confiée à une équipe de stagiaires embauchés par le Mémorial de l’Immigrant ». L’équipe des chercheurs – dont faisait partie Paiva – supervisait et orientait le travail des stagiaires tout en procédant aux corrections de la banque de données et aux relevés des données. Chaque chercheur a élaboré et développé un projet individuel basé sur les données à insérer. « En ce qui me concerne », indique Paiva », « j’ai développé une recherche sur l’insertion de ces migrants sur le marché industriel de São Paulo entre les années 1940 et 1970 ». Célia Sakurai a travaillé sur l’immigration japonaise et Maria R. Salles sur les réfugiés de guerre qui sont arrivés à São Paulo entre 1947 et 1951.
Paiva a conçu la banque de données en collaboration avec Paulo Eduardo de Vicente, technicien informatique. « Au départ, nous voulions insérer les informations de la documentation sur l’immigration à cette période. La plus grande partie est composée de registres individualisés avec des données personnelles, professionnelles et familiales des migrants provenant d’Europe, du Japon et du Moyen-Orient ». Cet objectif principal a été maintenu pendant toute la durée du projet. « Au cours de ces quatre années, il a fallu adapter et modifier la systématique du travail d’insertion des informations, ainsi que la structure de la banque de données ; cela a surtout été dû à la multiplicité des supports documentaires ». Paiva estime que le système ainsi constitué a permis d’obtenir des informations beaucoup plus précises sur ce moment du processus migratoire brésilien : « Dans mon cas par exemple, il est possible de visualiser une cartographie complète des entreprises ayant reçu cette main-d’oeuvre, le profil professionnel de ces travailleurs et leur expérience acquise en Europe ». Un ensemble de données très riche et varié. « Je suis convaincu que le projet pourra aider beaucoup de chercheurs et produire une connaissance fondamentale sur l’immigration de l’époque ».
À l’heure actuelle, les coordonnateurs du projet Les nouveaux migrants souhaitent que leur initiative soit connue par le plus grand nombre, afin d’encourager d’autres chercheurs à travailler avec les informations réunies. D’après Paiva, l’équipe est pleinement consciente que d’autres « regards » sont essentiels pour potentialiser l’infinité de données. Mais quoi qu’il en soit, l’intention est de poursuivre le travail d’analyse des informations pour ensuite les rendre publiques. 2009 a vu paraître le livre Migrações pós-Segunda Guerra Mundial [Migrations après la Deuxième Guerre Mondiale », édité avec l’aide de la FAPESP. « Dans cet ouvrage, certaines des questions qui ont vu le jour pendant la recherche ont été notées, en particulier avec les contributions de spécialistes travaillant sur le thème des migrations de la période ». Il s’agit finalement, conclut le chercheur, d’une documentation quasiment inédite, dotée d’un grand potentiel pour dévoiler plusieurs dimensions de l’immigration vers São Paulo.
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