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Médecine

Autopsie numérique

Un nouvel injecteur de produit de contraste et l’achat d’un appareil à résonance magnétique de haute puissance facilitent la compréhension des causes de décès

Publié en juin 2013

Images du 
corps entier de cadavres obtenues par tomographie 
et colorées 
par ordinateur

Faculté de Médecine / USPImages du 
corps entier de cadavres obtenues par tomographie 
et colorées 
par ordinateurFaculté de Médecine / USP

La représentation la plus fameuse d’une dissection humaine se trouve dans un tableau du peintre hollandais Rembrandt peint en 1632. Connu sous le nom de la leçon d’anatomie du Dr. Nicolaes Tulp, ce tableau montre un groupe de chirurgiens regardant d’un air circonspect le corps d’un criminel étendu sur une table avec la partie interne d’un de ses bras ouverte. Au cours des siècles, la médecine a usé de ce type de procédé décrit par Rembrandt, pour comprendre le fonctionnement du corps humain et de ses maladies, pour l’apprentissage médical et également, quand cela est nécessaire, pour déterminer les cause de la mort d’une personne. La tendance mondiale actuelle est d’utiliser des équipements médicaux déjà éprouvés comme les instruments de tomographie et de résonnance magnétique pour «voir» la cause de la mort d’une personne sans qu’il soit nécessaire de disséquer son corps. Mais il manque encore une base scientifique. L’une des études les plus ambitieuses dans ce domaine est menée à la Faculté de Médecine de l’Université de São Paulo (FMUSP) sous la coordination du professeur Paulo Saldiva. C’est là que le professeur et un groupe de chercheurs testent un équipement tomographique qui réalise des autopsies par imagerie. Pour cela, ils ont développé avec l’entreprise Braile Biomédica, de São José do Rio Preto, dans l’intérieur pauliste, une pompe à injection de produit de contraste qui injecte le produit dans l’aine du cadavre et qui se répand dans tout le corps, garantissant des images de haute qualité.

Les chercheurs espèrent progresser davantage dans les études à partir de 2014 grâce à l’acquisition d’un équipement à résonnance magnétique de champ magnétique élevé, le premier dans l’hémisphère sud, et qui a été acheté grâce à un financement de la FAPESP, du Secrétariat à la Santé de l’état et de l’USP, pour un montant de 7 millions de dollars US . «Avec l’évolution de la médecine et l’adoption de méthodes biochimiques, de la biologie cellulaire, moléculaire et de l’imagerie médicale, l’autopsie appartient à une autre époque, même dans la spécialisation des médecins», déclare Paulo Saldiva, qui est aussi chef du département de pathologie de la FMUSP. «L’autopsie est laborieuse, elle peut mettre trois jours avant d’être conclue et elle est mal rémunérée», affirme-t-il. Il explique que l’autopsie médicale, qui décroit dans le monde, concerne les morts naturelles et non pas les morts criminelles. Elle diffère de la médecine légale qui s’occupe des morts violentes par arme à feu ou arme blanche, par exemple. Dans ce cas il faut que le corps passe par l’Institut Médico-légal (IML) pour que le médecin légiste, normalement formé dans des académies de police, puisse faire son rapport destiné à l’enquête criminelle et au procès. «L’autopsie médicale s’occupe de personnes trouvées mortes chez elles ou dans la rue, ou qui arrivent déjà mortes aux services d’urgence, par exemple, et les médecins n’en connaissent pas la cause pour remplir le certificat de décès», explique Paulo Saldiva.

Reconstruction tridimensionnelle réalisée à partir d’une tomographie. Les organes en 
rouge et les os en tons blanc et gris et le produit de contraste injecté dans les vaisseaux sanguins

Faculté de Médecine / USP Reconstruction tridimensionnelle réalisée à partir d’une tomographie. Les organes en 
rouge et les os en tons blanc et gris et le produit de contraste injecté dans les vaisseaux sanguinsFaculté de Médecine / USP

Les études sur l’autopsie numérique sont ambitieuses, non seulement en raison des nouveaux appareils qui équiperont la Faculté de Médecine, mais également parce que l’USP est responsable du Service de Vérification des Décès de la capitale (Svoc) rattaché à l’université depuis 1939 par décret de l’état de São Paulo. C’est ce service qui reçoit tout les cas pour des autopsies médicales de la commune de São Paulo. «C’est le plus grand service d’autopsie médicale au monde. Il n’en existe aucun qui soit rattaché à une université et le Svoc est un organisme comme le Musée Pauliste ou l’Institut de Médecine Tropicale, tous rattachés à l’USP. Les personnes qui décèdent à São Paulo et qui n’ont pas de certificat de décès sont donc amenées ici». Plus de 13 mille autopsies sont réalisées par an au Svoc et de nombreuses études y sont menées, toujours avec l’approbation de la famille, sur des indigents ou des corps non réclamés par les familles qui l’année dernière, par exemple, étaient au nombre de 194. « Nous avons donc toutes ces autopsies à portée de la main et nous pouvons ainsi avancer dans nos études et acquérir de nouvelles connaissances, outre le fait de compter sur la collaboration de tous les départements de la Faculté de Médecine. Il y a encore aujourd’hui des incertitudes sur le rôle de l’autopsie en tant que base scientifique. Nous voulons prouver, grâce aux nouvelles techniques adoptées, que l’autopsie sera très utile», déclare Paulo Saldiva.

Découvrir des discordances
Dans un article scientifique publié par la revue The Lancet en 2012, un groupe de l’Université d’Oxford, en Angleterre, a présenté une étude dans laquelle ont été analysés 182 cas à l’aide de tomographes, d’appareils à résonance magnétique et sans réaliser de biopsie. « Nous avons les moyens, avec le soutien du Svoc, de réaliser mille autopsies avec imagerie et biopsies par an. Nous pouvons réaliser des autopsies peu invasives et des autopsies conventionnelles sur un même corps. Nous pensons que l’autopsie peu invasive est meilleure que la conventionnelle dans certaines situations et dans d’autres non. Nous pouvons définir les différents cas et savoir ce qui fonctionne dans chaque cas».

Les bases scientifiques de l’étude par imagerie ne sont pas établies pour les morts violentes. Les autopsies avec imagerie sont apparues dans la médecine légale et la Suisse a été un centre de développement dans ce domaine. «Il est possible de montrer des lésions, des hématomes, des fractures et où la balle a pénétrée et quelle a été sa trajectoire sans disséquer le patient et montrer ensuite ces images au juge et aux jurés».

L’autopsie médicale, selon Paulo Saldiva, sert tout d’abord à déterminer la cause du décès d’une personne. Après l’avoir découverte, il est possible de déterminer la maladie et comprendre ce qui a provoqué le décès. Il est également possible de savoir si le traitement a été approprié et s’il y a eu des complications thérapeutiques. «Il y a un espace pour le contrôle de la qualité hospitalière», déclare-t-il. Paulo Saldiva se remémore une étude réalisée au Massachusetts General Hospital, aux États-Unis, qui a analysés les autopsies en comparant les concordances et les discordances de décès depuis ces trente dernières années, et qui a constaté que de graves erreurs ont été commises dans 10% des cas, interférant dans le décès de ces personnes. «11% d’erreurs ont été constatées à l’hôpital de l’Université de Harvard et 15% à l’Hôpital des Cliniques de São Paulo. Ce résultat est évidemment biaisée par les autopsies de cas plus compliqués et il indique peut-être plus d’erreurs que la normale», déclare-t-il.

« Du point de vue de la recherche, l’apport de l’autopsie est inimaginable. Pour l’analyse du cerveau et dans le cas de maladies liées à la vieillesse comme la maladie d’Alzheimer, elle est absolument importante car il est impossible de réaliser une biopsie de cet organe sur une personne vivante». Il estime que ce nouvel appareil à résonnance magnétique va contribuer au choix et à l’analyse de tissus cérébraux destinés à la banque de cerveaux qui est en train d’être montée à l’USP. Mais Paulo Saldiva veut aller encore plus loin. Il veut montrer et comparer les décès qui ont lieu dans chaque région de la ville de São Paulo. «S’il y a une concentration de jeunes femmes atteintes du cancer du sein dans une région précise de la ville, il sera possible de le détecter. C’est une manière d’évaluer la relation entre le génome et l’environnement», dit-il. Il envisage de collecter les données de 13 mille décès et d’étudier les habitudes de chacun d’entre eux, pour connaître leurs habitudes alimentaires et cartographier les maladies liées principalement à la pollution l’air.

Images du cœur

Faculté de Médecine / USP Images du cœurFaculté de Médecine / USP

Dans la pratique, les études de la Faculté de Médecine ont atteint un niveau d’excellence grâce à la pompe à injection de produit de contraste à base d’iode et de polyéthylène glycol, un produit visqueux. «Nous savions qu’il y avait une machine en Suisse qui coûtait 100 mille euros, mais cette solution était très onéreuse et l’équipement devait être importé. Nous en avons alors parlé à Domingo Braile (médecin chirurgien et l’un des propriétaires de Braile Biomédica) qui a mis son équipe à notre disposition», déclare Paulo Saldiva. «Nous avons adapté la machine de circulation extra corporelle que nous avions créée pour les chirurgies cardiaques ou pulmonaires pour qu’elle puisse injecter la solution de contraste. Nous y avons ajouté quelques contrôles, principalement en ce qui concerne le flux du liquide qui doit être bien dosé pour ne pas rompre accidentellement certains vaisseaux sanguins», explique Marcos Vinicius, ingénieur électronique et responsables des tests de l’entreprise Braile.

Blindage spécial
L’injection du produit de contraste permet non seulement d’obtenir de meilleures images mais également de voir s’il y a une rupture des veines et des artères. «L’équipement permet de développer des fonctionnalités requises par nos projets qui demandent beaucoup d’habilité et de flexibilité», déclare le professeur Luiz Fernando Ferraz da Silva, du groupe de Paulo Saldiva. La technologie brésilienne possède un autre atout grâce à la création d’un logiciel personnalisé destiné à la recherche. L’entreprise et l’USP analysent la possibilité de demande d’un dépôt de brevet pour l’équipement qui, quand il sera finalisé, devrait coûter entre 100 mille et 150 mille reais.

La pompe à injection est également en train d’être adaptée pour fonctionner avec l’appareil à résonnance magnétique qui sera installé dans les salles du sous-sol de la Faculté de Médecine. La gestion quotidienne de l’installation des salles et des équipements incombe au professeur Silva, qui explique qu’il est nécessaire d’installer un blindage en fer de 400 tonnes autour de la salle contenant l’équipement de résonnance magnétique pour contenir les émissions élevées du champ magnétique. Ce blindage est nécessaire car les personnes porteuses de prothèses métalliques et de pacemakers pourraient être affectées à proximité de l’équipement. L’appareil émet un champ magnétique de 7 teslas (T). «Les équipements cliniques utilisés dans les hôpitaux, par exemple, émettent 3 teslas», affirme-t-il. «Nous allions acheter un équipement de 3 teslas, mais suite à la demande du personnel de la radiologie nous en avons acheté un plus approprié pour la recherche», déclare Paulo Saldiva. «Seuls l’Allemagne, les États-Unis, l’Angleterre, le Japon, la Suisse et la France possèdent ce type d’appareil à résonnance magnétique qui n’a pas encore été autorisé pour être utilisé dans des examens cliniques», explique Silva.

Projet
Plateforme d’imagerie dans la salle d’autopsie (nº 2009/ 54323-0); Modalité Programme Équipements Multi-usages; Coordination Paulo Hilário Nascimento Saldiva/USP; Investissement 3 000 000,00 dollars US (FAPESP), 3 000 000,00 dollars US (USP), 1 500 000,00 dollars US (Fondation Faculté de Médecine) et 3 000 000,00 de reais (USP).

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