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ÉCOLOGIE

Amazonie en 
3 dimensions

Des cartes tridimensionnelles détaillent la structure forestière et facilitent le contrôle des impacts 
de la fragmentation sur la végétation native

Publié en Mars 2013

La forêt vue de la Station Spatiale Internationale: 150 kilomètres du fleuve Amazone, ses affluents et les nombreux lacs et terres inondables qui l’entourent

Astronaut photograph ISS 017-E-13856 / Na saLa forêt vue de la Station Spatiale Internationale: 150 kilomètres du fleuve Amazone, ses affluents et les nombreux lacs et terres inondables qui l’entourentAstronaut photograph ISS 017-E-13856 / Na sa

Les arbres apparaissent en rouge, en jaune ainsi que d’autres couleurs vibrantes comme si chacune avait été peinte à la main, sur des cartes affichées aux côtés d’articles scientifiques et d’invitations à des séminaires, dans le couloir du bâtiment hébergeant le Projet Dynamique Biologique de Fragments Forestiers (PDBFF) de l’Institut National de Recherches Amazonien (Inpa), à Manaus. Le procédé utilisé pour créer ces cartes s’appelle LiDAR (Light Detection and Ranging). Il enregistre la variation de la lumière reflétée par les arbres, facilitant grandement les études des chercheurs qui travaillent sur le plus vieux programme de suivi des forêts tropicales brésiliennes et l’un des plus anciens au monde. Ce programme a été lancé en 1979 afin de connaître les impacts de la construction des routes et de l’avancée de l’agro-élevage sur la forêt amazonienne. Ce programme accompagne l’évolution de 11 zones de forêts fragmentées, outre des zones continues adjacentes qui servent de contrôle comparatif, pour un total de mille kilomètres carrés de forêt avec des arbres allant jusqu’à 55 mètres de hauteur.

Il y a encore peu de temps, la seule manière d’obtenir des informations détaillées sur la composition et les changements de la forêt était de voyager de nombreuses heures sur des pistes en terre en affrontant la pluie, la chaleur, les moustiques et les champignons, avant d’arriver dans des zones d’étude parfois situées à 80 kilomètres de Manaus. «Il est évident que cette nouvelle technique ne résoudra pas tous nos problèmes ni ne nous dispensera de visites sur le terrain, mais elle nous aide beaucoup», déclare l’écologue pauliste José Luís Camargo, coordonnateur scientifique du PDBFF, un programme actuellement financé par l’Institut Smithsonian, l’Inpa, et des agences et des fondations de soutien à la recherche au Brésil et aux États-Unis. Alors que les images de satellite sont bidimensionnelles, celles du LiDAR sont tridimensionnelles. Elles sont créées à partir de la lumière reflétée par la cime des arbres et qui est captée par des avions qui survolent les zones d’étude. «Nous pouvons cartographier des clairières, qui ont un rôle important pour le fonctionnement de la forêt, et avoir une bonne notion du relief qui supporte la végétation», dit José Luís Camargo.

Le procédé LiDAR, seul ou combiné avec d’autres techniques de télédétection, peut fournir des informations détaillées sur la hauteur, la concentration, la distribution des arbres et indiquer les groupes d’animaux susceptibles d’y vivre. Plus la forêt est enchevêtrée (ou d’une structure complexe) comme le dit José Luís Camargo, moins elle aura de chances d’abriter des groupes spécifiques d’oiseaux et de chauve-souris, par exemple. Dans une étude achevée récemment dans une des zones du projet, le biologiste brésilien Karl Mokross, de l’Université Publique de Louisiane, aux États-Unis, a démontré que les oiseaux qui vivaient dans le sous-bois, région sous la cime des arbres, cherchaient des insectes pour s’alimenter de préférence dans la forêt primaire et rarement dans la forêt secondaire appelée aussi capoeira au Brésil.

L’équipe de l’Inpa a également emprunté à la chimie une technique d’identification de composés chimiques pour classer les plantes appelée spectrographie proche infrarouge, outre les images tridimensionnelles. Ce procédé se base sur le fait que les liaisons chimiques de certaines molécules possèdent des fréquences de vibration spécifiques qui sont ensuite enregistrées par un appareil et exprimées sous la forme d’un graphique. En utilisant cette méthode, la biologiste Flávia Machado Durgante et d’autres chercheurs de l’Inpa ont examiné 159 feuilles, appartenant à 10 espèces d’arbre, collectées dans une zone de forêt protégée proche de Manaus et dans les zones d’étude du PBDFF. Ces feuilles sont conservées dans la collection du programme qui possède actuellement 54 mille échantillons de feuilles et de structures reproductives (fleurs et fruits) des arbres contrôlés. Ils ont ensuite obtenu ce que l’on appelle la signature spectrale de chaque espèce et ont conclu que cette technique représentait une méthode simple et bon marché pour identifier les espèces de plante et différentier les espèces trop proches, même en l’absence des structures reproductives comme les fleurs et des fruits qui facilitent le travail de reconnaissance des botanistes et des écologues. Dans ce travail qui sera publié au mois de mars dans la revue Forest Ecologyand Management, le taux moyen de réussite a été de 96,6%. La biologiste Carla Lang a commencé à analyser les signatures spectrales de feuilles d’arbre et de plants de la même espèce pour déterminer s’il y a une cohérence entre elles. Si c’est le cas, cela facilitera la tâche ardue d’identifier les plants et de prévoir la distribution des espèces dans la forêt.

Les premières alliances
Les techniques de travail dont disposent maintenant les chercheurs du programme d’études de l’Amazonie leur apportent un confort mérité. Ce programme a commencé à être élaboré dans les années 70 par deux biologistes étasuniens, Thomas Lovejoy et David Conway Oren, les deux ayant déjà de nombreuses années d’expérience en matière de recherche sur le terrain dans la région. À cette époque, le gouvernement encourageait l’occupation des forêts du nord de Manaus avec l’élevage. «C’est moi qui ai prévenu Thomas Lovejoy sur la chance unique que nous avions de discuter avec les propriétaires, d’entrer dans les forêts avant qu’elles ne soient déboisées et de faire des inventaires biologiques, chose qui n’avait pas été faite au Panama», se rappelle Oren, ornithologue qui a travaillé à l’Inpa, au Musée Goeldi et à l’Université fédérale de l’état du Pará (UFPA), à Belém, et actuellement coordonnateur en biodiversité au Ministère des Sciences, de la Technologie et de l’Innovation (MCTI). Les biologistes n’ont pas oublié que la construction du canal de Panamá, qui s’est achevée en 1914, avait isolé des zones d’une forêt tropicale sur laquelle nous savions peu de choses. Thomas Lovejoy a adoré l’idée et m’a dit qu’il trouverait un financement.

Des routes comme celle-ci brisent l’unité de la forêt et créent des fragments qui limitent les déplacements des animaux, réduisent la biodiversité et influencent le climat

Sergio Jorge Brazil / Photononstop Des routes comme celle-ci brisent l’unité de la forêt et créent des fragments qui limitent les déplacements des animaux, réduisent la biodiversité et influencent le climatSergio Jorge Brazil / Photononstop 

Thomas Lovejoy est devenu le porte-parole du programme et l’une des plus grandes autorités mondiales en termes de biodiversité. Il est actuellement professeur de sciences et de politique environnementale à l’Université George Mason, aux États-Unis. Un article découpé d’une page du journal A Província do Pará du 7 janvier 1979 et affiché dans le couloir de l’immeuble du PBDFF présente un projet de cette époque appelé Programme de Taille Minimum Critique de l’Amazonie dont le budget annuel s’élevait à 500 mille dollars US. Ce projet était soutenu par l’Inpa, l’Institut Brésilien de Développement Forestier (IBDF), qui a ensuite donné naissance à l’Ibama, et la Superintendance de la Zone Franche de Manaus (Suframa). Définir une zone minimum pour préserver une forêt de manière effective était une préoccupation du gouvernement brésilien et également «un problème mondial», déclarait Thomas Lovejoy, quand il faisait partie du Fonds Mondial de la Vie Sauvage (WWF), qui fut la première institution internationale à financer ce travail.

Ce fut l’époque dorée de l’Inpa, sous la direction de Warwick Kerr. En seulement un jour ou deux j’ai reçu le feu vert du directeur et du chef du Département d’Écologie de l’Inpa, Herbert Schubart, et de la Suframa, qui a également été très réceptive. Les fermiers ont également collaboré», raconte Thomas Lovejoy en se remémorant la création de ce programme de recherche en Amazonie. «J’ai fondamentalement accompagné Rob (Richard Bierregaard, biologiste et premier coordonnateur scientifique du PDBFF, actuellement à l’Université de Caroline du Nord, aux États-Unis), je l’ai présenté à des personnes de Manaus et je l’ai laissé travailler. Rob s’est lié d’amitié avec les fermiers qui étaient contents de participer à un travail qui avait l’attention des médias».

Le programme prévoyait l’isolement de zones de forêt de taille variable ainsi que le relevé et le suivi d’arbres, d’insectes, d’amphibiens, de reptiles, d’oiseaux et de mammifères. L’objectif était de déterminer les espèces qui périssaient et celles qui survivaient à mesure que la forêt diminuait. C’était une manière d’examiner l’impact de la fragmentation sur la forêt et les organismes qui la constituent. De nos jours encore, la réduction de la zone de végétation native, résultat de l’expansion des routes, de l’agriculture ou de l’élevage, est l’une des principales causes de la perte de biodiversité en Amazonie, la plus grande forêt tropicale du monde.

Base de données amazonienne
Le travail de terrain réalisé durant 33 ans jusqu’en 2012, a produit une monumentale base de données sur les arbres et les oiseaux. Les chercheurs étudient actuellement la croissance de 45 376 arbres et de 178 295 arbustes (moins de 10 centimètres de diamètre à hauteur de poitrine) sur 55 hectares de forêt continue et 39 hectares de forêt fragmentée. «Nous étudions la forêt qui possède la communauté arborée la plus variée du monde», déclare José Luís Camargo. Outre les arbres, ils ont récemment commencé à comptabiliser les lianes. Dans une étude récemment terminée, ils ont marqué 33 154 lianes sur 69 hectares. «Les lianes ne sont généralement pas la cible des relevés forestiers, mais elles représentent une parcelle importante de la biomasse et de la diversité d’une forêt».

La base de données contient des informations sur 60 mille oiseaux appartenant à 400 espèces qui vivent dans le sous-bois, région intermédiaire entre la cime des arbres et le sol. Chaque oiseau est bagué avec un numéro qui permet aux biologistes, après les avoir capturé dans des filets, de connaître leurs déplacements. «Cette banque de données nous permet de poser des questions plus complexes qui n’apparaissent qu’après des décennies de suivi et qui servent de base aux politiques publiques pour résoudre de nouveaux problèmes comme l’impact des changements climatiques sur l’Amazonie», déclare José Luís Camargo. «De nombreux chercheurs viennent travailler ici parce que nous avons déjà parcouru un long chemin et ils n’ont pas besoin de repartir de zéro. Cette connaissance est un patrimoine national».

Les nombreux résultats du PDBFF n’auraient pas pu être obtenus dans une étude plus courte, selon l’une des conclusions d’un article publié en janvier dans la revue Biological Conservation et contenant un résumé de 32 ans de travail sur le terrain. L’article est signé par 16 biologistes issus de différentes institutions brésiliennes, étasuniennes, australiennes et mexicaines liées au PDBFF. Le premier auteur est le biologiste étasunien William Laurance, qui a vécu cinq ans à Manaus et qui travaille actuellement en Australie. Selon cet article, la vulnérabilité des arbres de grande taille à la fragmentation et aux effets d’évènements éphémère comme El Niño et les tempêtes, ne deviendra évidente qu’après des décennies d’observation. En guise de conclusion ils affirment que quand les arbres tombent ils peuvent former des clairières qui dévient l’humidité des arbres proches et qui modifient la luminosité et la température (voir ilustration). La fragmentation peut réduire la circulation de l’eau, limiter le territoire de nombreuses espèces d’oiseaux qui n’arrivent pas à traverser de grandes zones déboisées, réduire la population d’abeilles, de guêpes, de coléoptères et de fourmis, augmenter les population de grenouilles et d’araignées, causant une perte cumulative de la biodiversité et une diminution des réserves d’eau.

Forêt fragile
Les simulations du comportement de la forêt alimentées par les données du PDBFF suggèrent que même des fragments de 10 hectares ont besoin d’au moins un siècle pour récupérer leur diversité biologique et leur biomasse antérieure. Quand ces fragments sont créés, leurs communautés d’arbres, de palmiers de plantes grimpantes et d’animaux subissent une transformation profonde. «Comme règle générale, plus la zone est petite, plus les effets de la fragmentation se feront ressentir», déclare José Luís Camargo. Il suffit de parcourir les zones d’études pour noter les différences. Les fragments plus petits ont déjà perdu une partie de leur structure forestière originale et ressemblent à une forêt secondaire qui résiste avec difficulté, alors que les plus grands fragments, principalement ceux de 100 hectares, abritent encore des espèces d’arbres qui se développent avec peu de lumière et une humidité élevée, comme dans une forêt typiquement amazonienne. Les zones plus petites sont plus fragiles «et souffrent davantage durant les fortes sècheresses comme celles de 2005 et de 2010», observe José Luís Camargo.

Une des conséquences de la fragmentation est l’effet de bordure. Il s’agit des transformations sur la périphérie d’une forêt causées par la radiation solaire, la lumière et les vents des zones externes. Les arbres les plus proches de la bordure peuvent tomber plus facilement, sécher ou mourir sur pied car ils sont plus sensibles aux changements du microclimat. Suite à l’effet de bordure et à la fragmentation de la forêt, «la moitié de la faune d’oiseaux et de mammifères du sous-bois peuvent entrer en extinction locale et parfois de manière irréversible», alerte José Luís Camargo. Selon l’article de 2011, la déforestation due à la création de pâturages représente chaque année 32 mille kilomètres supplémentaires de nouvelles bordures de forêts et produit des paysages dominés par de petits fragments de formats irréguliers inférieurs à 400 hectares, augmentant l’effet des radiation solaire et des vents sur la végétation native.
«Si c’est comme ça ici, cela pourrait être encore pire dans d’autres zones comme dans la région de l’arco do fogo (arc de feu), qui correspond aux états du Pará, du Mato Grosso et de Rondônia, plus sujette à la déforestation».

«Il y a deux jours, le couloir était encombré de nombreuses valises», commente José Luís Camargo, durant cette matinée du 9 novembre 2012. «Notre 21ème cours de formation s’est terminé hier et nous avons déjà formé 420 écologues». Chaque année, le cours d’Écologie du Paysage Amazonien (réalisé normalement au mois de juillet ou d’août et exceptionnellement au mois d’octobre, comme l’année dernière) réunit 20 étudiants de troisième cycle universitaire et 15 professeurs originaires de différentes universités du pays. «La plupart des participants n’avait jamais mis les pieds en Amazonie», raconte José Luís Camargo. Les professeurs présentent les différents environnements de la région, allant des plaines d’inondation aux archipels des Anavilhanas, afin de former des professionnels qualifiés qui comprendront et aideront à résoudre les problèmes de la région.

Des cours de trois semaines destinés aux étudiants universitaires sont une autre manière de partager les résultats obtenus et d’élargir les connaissances sur la région. «J’ai récemment été l’un des responsables de ce cours à l’Universidade Estadual Paulista (Unesp) de Rio Claro, à l’Université Publique de Minas Gerais et à l’Université Fédérale d’Amazonie», déclare José Luís Camargo. «Le PDBFF forme actuellement plus de chercheurs brésiliens que de chercheurs étasuniens».

D’après lui, l’Institut Smithsonian et l’Inpa couvrent seulement 20% des dépenses annuelles et la plus grande part du budget annuel de 1,2 million de reais provient de dons, de bailleurs de fonds ou de fondations brésiliennes et étasuniennes. «Il a été difficile de trouver des financements au cours de la dernière décennie car les dons se focalisaient principalement sur d’autres objectifs, ainsi les fonds destinés aux études sur la fragmentation forestière ont migré vers les études sur les changements climatiques», déclare José Luís Camargo. «La dévalorisation du dollar est un autre problème important qui se pose. Nous avons perdu un tiers du budget prévu en quelques années à cause du change». Il y a également d’autres préoccupations comme une possible redistribution des terres proches des zones d’études, ce qui pourrait provoquer des changements dans l’utilisation de la terre et amplifier les impacts nuisibles sur les fragments de forêt.

Articles Scientifiques
Durgante, F.M. et al. Species spectral signature: Discriminating closely related plant species in the Amazon with near-infrared leaf-spectroscopy. Forest Ecology and Management. v. 291, 213. Sous presse.
LAURANCE, W. et al. The fate of Amazonian forest fragments: a 32-year investigation. Biological Conservation. v. 144, n. 1, p. 56-67. 2011.
STARK, S.C. et al. Amazon forest carbon dynamics predicted by profiles of canopy leaf area and light environment. Ecology Letters. v. 15, n. 12, p. 1.406-14. 2012.

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