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SCÉNARIOS POSSIBLES EN MATIÈRE D’ÉNERGIE

Bioraffineries du futur

Des études établissent des prévisions sur la participation de l’éthanol dans l’agriculture et dans la matrice énergétique

Publié  en  Février 2012

L’avenir de la production d’éthanol paraît être encore plus prometteur que toutes les prévisions établies jusqu’à présent. D’après une étude menée par des chercheurs de l’Université de São Paulo (USP), en 20 ans il sera possible d’approvisionner la flotte automobile du monde entier avec l’éthanol et l’électricité produits dans les usines de canne à sucre. Pour Sergio Pacca, « cela peut être fait en utilisant l’éthanol et l’électricité de manière plus efficace, avec des véhicules plus économiques ». Le professeur Pacca travaille à l’École des Arts, des Sciences et de l’Humanité de l’Université de São Paulo (USP) Est, et il dirige l’étude avec le professeur José Roberto Moreira, de l’Institut d’Électronique et d’Énergie de la même université. Ensemble, ils ont écrit l’article « A biorefinery for mobility ? » publié en octobre 2011 dans la revue Environmental Science & Technology.

Les résultats des chercheurs se sont basés sur les flottes automobiles du Brésil et des États-Unis. Pour que la canne à sucre fournisse l’éthanol et l’électricité, ils ont calculé que l’idéal serait de disposer en 2030 de 33 % de voitures électriques et de 67 % d’hybrides, des automobiles avec des moteurs à éthanol très efficaces qui parcourent 15 km avec 1 litre d’alcool et des moteurs électriques alimentés par l’énergie issue du moteur à éthanol et du système de freinage, à l’image du Toyota Prius. Ils sont partis du fait que chaque voiture nord-américaine roule 20 000 km/an contre 12 000 km/an pour les voitures brésiliennes. Ainsi, il suffirait d’un hectare de canne à sucre pour 9,2 véhicules aux États-Unis ou 11,6 véhicules au Brésil – à condition que soit maintenue la même proportion de types de voitures. Comme alternative, toutes les voitures des deux pays pourraient être du type hybride plug-in, avec des batteries rechargeables sur une prise de courant et un moteur à éthanol qui entre en action quand les batteries se déchargent ; en somme, à l’image de la chevrolet Volt de General Motors. L’étude prend en compte la technologie actuelle de production qui pourrait être reprise par toutes les usines pour augmenter la production de bio-électricité. Elle prévoit aussi l’emploi de 50 % de la paille actuellement laissée dans le champ pour la production d’énergie électrique. Les chercheurs pensent qu’il serait ainsi possible d’atteindre 90 litres d’éthanol par tonne de canne à sucre (aujourd’hui, la moyenne est de 83 litres par tonne), et d’utiliser seulement 4 % de la surface cultivée de la planète. Leur scénario ne considère pas la deuxième génération de biocarburant, qui est en phase de développement et vise à utiliser, en plus du jus de la canne à sucre, la bagasse et la paille pour faire de l’éthanol.

Sur la base de 33 % de voitures électriques (environ 12 millions de véhicules) et de 67 % de voitures hybrides (20 millions), les chercheurs de l’USP estiment qu’en 2030 il faudra 2 millions d’hectares de canne à sucre contre les 8 millions actuels (la moitié est utilisée pour produire de l’éthanol, l’autre moitié pour le sucre) pour produire 16,3 milliards de litres d’éthanol au Brésil, près 8 milliards en moins que la production de la récolte 2010/2011, qui a été de 25 milliards de litres. La surface plantée de canne à sucre diminue parce que la production et les voitures dépendantes de l’éthanol seront plus efficaces. Dans le scénario qu’ils décrivent, 23 térawattsheure (TWh) seraient produits chaque année avec le brûlage de la bagasse et la paille juste pour stimuler la production des voitures électriques du pays. Aujourd’hui commercialisé, l’excédent d’énergie électrique cesserait d’exister.

Propositions Efficaces
Pacca pense que pour en arriver là il faut créer des mesures de politiques publiques qui donneraient droit à des aides fiscales pour l’achat de voitures hybrides, électriques ou plug-in hybrides, et taxeraient au contraire les véhicules consommant plus d’énergie : « Des politiques pour bénéficier les voitures les plus efficaces ». Pacca et Moreira ont donc calculé qu’il faudra 66 millions d’hectares de champs de canne à sucre dans le monde entier (en 2010, il y en avait 23,8 millions) pour subvenir à toute la flotte de véhicules fonctionnant à l’éthanol et à l’électricité.

Du point de vue de Lee Lynd, professeur à la Thayer School of Engineering du Dartmouth College (États-Unis) et coordonnateur en chef du Global Sustainable Bioenergy (GSB), un groupe international de chercheurs en bioénergie, « les calculs sont solides, mais pour que ce scénario puisse se réaliser il faudra aussi améliorer la productivité de l’éthanol par hectare de la deuxième génération et de nouvelles variétés de canne à sucre, et augmenter le nombre de véhicules efficaces ».

Les chercheurs du Laboratoire National des Sciences et des Technologies du Bioéthanol (CTBE) de Campinas (São Paulo) sont moins optimistes en ce qui concerne la bio-électricité. En collaboration avec la Faculté d’Ingénierie Chimique de l’Université d’état de Campinas (Unicamp), ils ont publié l’article « Second generation ethanol in Brazil: can it compete with electricity production? » dans la revue scientifique Bioresource Technology en octobre 2011. Ils y analysent l’influence de la deuxième génération dans la production d’éthanol et proposent trois scénarios incluant l’utilisation de l’énergie électrique produite à l’usine et les technologies futures d’hydrolyse de la cellulose et de l’hémicellulose, des composantes de la bagasse. Responsable de l’évaluation technologique au CTBE, Antonio Bonomi explique : « Nous avons développé des simulations informatiques pour accompagner les différentes trajectoires de mise en valeur de la production. Nous avons fait des tableaux qui calculent les risques et les valeurs les plus susceptibles de se présenter ».

L’un des scénarios proposés par les chercheurs comme modèle de bioraffinerie actuel basé sur la canne à sucre est l’optimisation de la première génération, c’est-à-dire celle qui n’utilise pas la bagasse pour produire de l’alcool. D’après Bonomi, « la première attitude serait d’utiliser 50 % de la paille. Aujourd’hui, près de 100 % des feuilles restent dans les champs après la cueillette. Il y a quelques temps, on les brûlait toutes avant cette étape. Maintenant de la paille commence à s’accumuler sur le sol et à former une sorte de tapis qui gêne l’entrée de la machine [moissonneuse] dans le champ de canne à sucre. On estime qu’il est possible d’en enlever au moins 50 %. Une partie de la paille a besoin de rester dans le champ pour protéger le sol de l’érosion, maintenir l’humidité et recycler les substances nutritives ».

En plus de l’utilisation de la paille, il prévoit une augmentation de la production d’électricité avec l’utilisation de chaudières hautement efficaces, d’une pression de 90 bars au lieu des 22 actuels. La plus grande production d’énergie électrique ainsi obtenue permettrait d’approvisionner l’usine elle-même et de vendre l’excédent au réseau électrique. La production serait de 185 kilowatts-heures par tonne de canne à sucre si toutes les usines changeaient leurs chaudières et utilisaient 50% de la paille. Autrement dit, une augmentation de 620 % sur les 30 kWh par tonne d’aujourd’hui. Selon l’Union de l’Industrie de la Canne à Sucre (Unica), le Brésil a produit 8 774 gigawatts-heure avec la canne à sucre en 2010, soit 2 % des 509 térawatts-heure de la consommation totale d’électricité dans le pays. Avec l’optimisation de la première génération, les chercheurs prévoient une production de 89,3 litres par tonne.

Un deuxième scénario prend en compte la deuxième génération : l’hydrolyse de la cellulose, qui représente de 40 à 60 % de la bagasse, mais aussi l’hémicellulose (de 20 à 40 %) et la lignine (de 10 à 25 %). Ce procédé utilise aussi une partie de la paille et permettra d’augmenter la production à 110,7 litres par tonne de canne à sucre. Néanmoins, ici la production d’énergie électrique n’est plus que de 92,8 kWh par tonne, c’est-à-dire la moitié de celle du premier scénario. Le biocarburant est alors plus rentable que l’électricité, même si le taux du revenu net est inférieur parce que l’investissement croît avec l’adoption de la deuxième génération. « Dans une étude menée par notre groupe », dit Lynd, « nous avons calculé que les rendements de la production de la deuxième génération sont près de cinq fois supérieurs à ceux de l’électricité de la cogénération ».

L’estimation du CTBE pour l’investissement de l’unité de production d’éthanol de première et deuxième génération est de 329 millions USD. Dans le premier scénario qui repose seulement sur l’optimisation de la première génération, l’investissement est de 222 millions USD. « Il pèse beaucoup plus que le coût de production, et le taux du revenu net est moins élevé avec la deuxième génération qu’avec l’optimisation de la première ».

Pour améliorer les retombées financières de l’industrie de canne à sucre et rendre les affaires plus attractives, l’une des issues est l’adoption de la fermentation des pentoses, un type de sucre produit à partir de l’hémicellulose et qui peut aussi être transformé en alcool. Néanmoins, la technologie n’est pas encore une technologie commerciale. Bonomi suppose que « quand il sera possible d’utiliser l’hémicellulose et d’autres technologies avancées d’hydrolyse, la production d’éthanol passera à 131,5 litres par tonne et le poids de l’investissement deviendra moins lourd avec la vente de plus d’éthanol et un coût moins élevé pour le producteur ». Avec l’utilisation de l’hémicellulose, l’électricité produite par les bioraffineries diminuerait de 185,8 kWh à 72,7 kWh. Et Bonomi de poursuivre : « Au Brésil, les producteurs de canne à sucre ne cesseront jamais d’utiliser une partie de la bagasse et de la paille pour produire l’énergie électrique utilisée dans leurs usines. C’est le grand avantage brésilien »

Utilisation de la terre
À l’étranger où le Brésil est vu comme un pays fort en matière d’agriculture destinée à la production de produits alimentaires, on s’interroge sur le bien-fondé de remplacer cette production par la plantation de canne à sucre. Néanmoins, une étude financée par la FAPESP dans le cadre du Programme ‘Recherche en Bio-énergie’ (Bioen) et dirigée par l’économiste André Nassar de l’Institut des Études du Commerce et des Négociations Internationales (Icone) juge au contraire que ce problème n’existe pas. L’institut prévoit qu’en 2022 la culture de canne à sucre occupera 10,5 millions d’hectares, contre 8,1 millions en 2009.

La croissance de 30 % des champs de canne à sucre doit se faire dans le sudest, en particulier dans les pâturages où est élevé le bétail bovin, et dans le centreouest, en remplacement des zones traditionnelles de culture de grains et de fourrages. Chercheuse à l’Icone, Leila Harfuch explique qu’« aujourd’hui les éleveurs de bétail produisent plus de viande par hectare. En 1996, on a produit 6 millions de tonnes de viande sur 184 millions d’hectares. Dix ans plus tard, la production est passée à 9 millions de tonnes de viande sur 183 millions d’hectares. Pendant cette période, le cheptel est passé de 158 à 206 millions. […] Entre 2009 et 2022, les pâturages doivent diminuer d’environ 5 millions d’hectares au profit d’une partie de l’expansion des graines et de la canne à sucre ».

Basée sur le modèle Brazilian Land Use Model créé par l’institut pour l’offre et la demande de produits agricoles et l’utilisation de la terre dans le pays, la conclusion indique que l’avancée sur les zones vierges, non exploitées, n’aura pas lieu à cause de la production de biocarburants, mais d’aliments. « Le cerrado est la zone où il y a le plus de compétition pour la terre et où la rémunération est la meilleure pour l’agriculteur, ce qui peut avoir des conséquences sur les forêts primaires. Mais l’intensification future de l’élevage doit, par rapport au passé, aboutir à une demande moins grande pour une zone nouvelle ».

En ce qui concerne la production d’éthanol, le modèle montre une évolution de 29 milliards de litres en 2009 à 53,8 milliards en 2022, et ce sans tenir compte de la deuxième génération. Leila Harfuch suppose que « les exportations pour les États-Unis atteindront 9 milliards de litres par an en 2022 ». La recherche a été réalisée avant l’annonce de la fin de la taxation de l’importation de ce pays annoncée en décembre 2011.

« Nous avançons ce chiffre de 9 milliards parce que les Nord-américains devront diminuer la consommation de combustibles fossiles et, conséquemment, réduire les gaz à effet de serre, et l’éthanol de canne à sucre brésilienne et de maïs produit par eux-mêmes devraient remplir une partie de cette mission ».
Lynd complète en affirmant que les « projections pour le potentiel de l’énergie de la biomasse doivent être très prudentes, surtout dans un monde mû par l’énergie durable et le développement de l’économie rurale que peuvent offrir les biocarburants s’ils sont soigneusement implantés ».

LE PROJET
Simulating land use and agriculture expansion in Brazil : food, energy, agro-industrial and environmental impacts – n° 2008/56156-0 MODALITÉ Projet Thématique COORDONNATEUR André Nassar – Icone INVESTISSEMENT 67 886,54 reais (FAPESP)

Articles scientifiques
1. PACCA, S. et MOREIRA, J.R. « A biorefinery for mobility ? » Environmental Science & Technology. v. 45 (22), pp. 9498-9505. Mis en ligne le 3 octobre 2011.
2. DIAS, M.O.S., BONOMI, A. et al. « Second generation ethanol in Brazil : Can it compete with electricity production? » Bioresource Technology. v. 102, n° 14, pp. 8964-8971, octobre 2011.

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