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Neurosciences

Chirurgie sans saignements

Des rayons gamma sont utilisés pour soigner des individus souffrant de troubles obsessifs compulsifs

Pesquisa 1EDUARDO CESARL’opération a duré environ 12 heures. Les procédures préopératoires ont commencé tôt le matin quand les derniers examens de résonance magnétique ont défini la zone exacte du cerveau à atteindre. Avec la carte en main, les médecins ont emmené le patient dans la salle d’opération. Il s’agissait d’un patient souffrant d’un sérieux problème psychiatrique, le trouble obsessif compulsif, plus connu sous le nom de TOC et qui jusqu’alors n’était pas contrôlé. Le patient s’est couché sur une table de traitement de télécobalt, identique à un appareil de résonance magnétique et a été anesthésié. Une fois endormi, ils lui ont mis sur la tête une cloche en métal semblable à un casque et possédant 201 trous millimétriques. Ce sont par ces orifices que sont passés les rayons gamma émis en direction d’un point unique du cerveau. La radiation, d’intensité variable, a éliminé un groupe spécifique de neurones qui étaient la source du problème. Le patient est retourné chez lui le lendemain, sans avoir souffert aucune incision.

Depuis décembre, quand cinq chirurgies de ce type ont été réalisées pour la première fois au Brésil sur des individus dont les noms n’ont pas été révélés, une mélange de sentiments – prudence, anxiété et satisfaction – accompagne l’équipe d’Eurípedes Constantino Miguel à l’Institut de Psychiatrie de la Faculté de Médecine de l’Université de São Paulo (USP). Bien que ces cinq opérations aient été suivies par des spécialistes de l’Université américaine de Brown, où au moins cinquante personnes ont déjà subi ce genre d’opération, le doute persiste encore: est-ce que cela va fonctionner? Jusqu’à présent, et selon les premiers examens, tous les patients opérés se portent bien. Les résultats définitifs ne seront cependant connus qu’à la fin de l’année quand les effets de la radiation se feront réellement ressentir, à partir du troisième mois qui suit l’opération. Si ces études expérimentales se déroulent comme prévu, l’équipe de l’USP pourra annoncer un possible traitement pour des individus présentant les manifestations les plus sérieuses du trouble obsessif compulsif et qui touchent 2% de la population mondiale. Au Brésil, plus de 3 millions de personnes souffrent de cette affection. Les patients opérés font partie d’un groupe de 10% d’individus souffrant de TOC et qui, pour une raison inconnue, n’avait pas obtenu de résultats positifs après cinq ans de traitement.

Le quotidien des gens atteints de TOC est une souffrance continue. Assaillis par des pensées effrénées, ils sont capables de circuler dans leur quartier pendant des heures dans la crainte d’avoir renversé un piéton sans s’en apercevoir. Parfois ils éprouvent le besoin de se laver les mains des centaines de fois jusqu’au saignement, pensant qu’elles sont toujours sales. Ils ont la manie de tout ranger et ne supportent pas les objets désalignés ou qui ne sont pas à leur place. Ils collectionnent des piles de documents sans valeur. Au bout de leur désespoir et de leurs actes incontrôlés, il leur arrive parfois de penser au suicide. “Les obsessions représentées par des pensées étranges et des images absurdes qui se manifestent continuellement sont un grand tourment et entraînent des pratiques répétitives” déclare Antonio Carlos Lopes, médecin appartenant à l’équipe de l’USP. D’après lui, les personnes souffrant de TOC sont conscientes de leurs exagérations mais n’arrivent pas à s’en débarrasser. C’est pour cette raison qu’elles arrêtent d’étudier, n’ont plus de vie sociale et se disputent continuellement avec leurs familles qui ne comprennent pas toujours ce besoin de rituels.

Dans certains cas plus difficiles et quand tous les traitements possibles sont épuisés, on recourt à une neurochirurgie connue sous le nom de capsulotomie antérieure stéréotaxique via Gamma-knife. Il s’agit de petites radiations gamma inoffensives pour les cellules du système nerveux et qui convergent vers un point précis défini préalablement par les examens comme étant la cause du problème. Quand ces rayons se croisent ils deviennent létaux. Cette radiochirurgie, utilisée dans les TOC depuis une dizaine d’année à l’Université de Brown, sert à traiter les tumeurs (200 mille cas enregistrés) et les cas d’épilepsie et de maladie de Parkinson qui résistent aux thérapies conventionnelles. Les chercheurs de l’USP pensent déjà à la prochaine étape avec optimisme. Il s’agit d’une étude à grande échelle portant sur 48 personnes souffrant de TOC et réparties en deux groupes. Le premier groupe sera soumis à une neurochirurgie et l’autre à une fausse opération avec toutes ses procédures mais sans libération de rayons gamma. Les conclusions définitives sur l’efficacité de cet abordage ne seront connues que d’ici cinq ans.

Les troubles obsessifs compulsifs sont peut être dus au fonctionnement anormal de circuits qui connectent des structures proches de la base du cerveau (les noyaux de la base) au cortex, la couche la plus externe. Il s’agirait peut être également d’une faille dans la communication entre les neurones, cette action étant réalisée par la sérotonine, un des neurotransmetteurs du système nerveux. Quand on constate l’inefficacité des deux abordages conventionnels à base de médicaments antidépressifs qui augmentent la quantité de sérotonine dans les connections nerveuses ou la Thérapie Comportementale, on adopte fréquemment une autre technique chirurgicale appelée cingulotomie antérieure. Ce traitement consiste à introduire une électrode dans une ouverture du crâne et qui, au moyen d’ondes radios, brûle les neurones d’un endroit spécifique lié au TOC, comme le gyrus cingulé.

La technique Gamma-knife agit sur des zones plus profondes du cerveau. Les rayons gamma éliminent les cellules d’une structure appelée capsule interne, constituée de fibres nerveuses qui traversent les noyaux de la base et relient le thalamus (responsable de l’interprétation de sensations comme le toucher la douleur et la température) au cortex frontal. L’intention est la même (détruire des neurones qui auparavant fonctionnaient en excès) mais l’avantage de cette technique c’est que le crâne n’a pas besoin d’être ouvert et que les effets collatéraux sont moindres. “Nous n’observons ni hémorragies, ni infections, ni convulsions chez les patients opérés, contrairement à ce qui peut se produire avec d’autres chirurgies ” déclare Miguel Canteras, neurochirurgien et membre du projet. L’effet le plus redouté est le gonflement du cerveau qui est contrôlé par des anti-inflammatoires.

Canteras insiste sur le fait que ces deux techniques chirurgicales n’ont aucun lien avec la lobotomie, première technique chirurgicale utilisée pour traiter les problèmes mentaux. La lobotomie, créée dans les années 30, a été largement utilisée sur des individus souffrant de schizophrénie ou même d’anxiété et d’agressivité exacerbée. Cette pratique consiste à sectionner une portion du cerveau reliant les lobes frontaux au reste du système nerveux, avec de terribles conséquences, car cette pratique provoque des altérations de la personnalité et des troubles cognitifs. “Personne de se doutait des conséquences désastreuses de la lobotomie”, déclare-t-il. “Aujourd’hui nous avons atteint un autre niveau et les neurochirurgies sont réalisées en accord avec les normes cliniques et éthiques.”

Canteras Vérifie les examens avant une chirurgie: réduction des effets collatéraux

EDUARDO CESAR Canteras Vérifie les examens avant une chirurgie: réduction des effets collatérauxEDUARDO CESAR

Origines
L’équipe de l’USP n’est pas uniquement à la recherche de nouveaux traitements, elle étudie également la propre origine du TOC. L’équipe a confirmé le rapport existant, et juste soupçonné, entre les symptômes obsessifs compulsifs et la fièvre rhumatismale, maladie auto-immunitaire provoquée par des anticorps produits par l’organisme pour combattre les bactéries. La fièvre rhumatismale provoque des maux de gorge, des rougeurs de la peau et à un stade plus avancé peut atteindre le système nerveux central quand elle est associée à un autre problème neurologique, la Corée de Sydenham, qui se manifeste par des mouvements incontrôlés des bras et des jambes dus au mauvais fonctionnement des noyaux de la base. Les chercheurs ont examiné 22 enfants souffrant en même temps de fièvre rhumatismale et de Corée de Sydenham et 20 autres enfants ne souffrant que de fièvre rhumatismale. Ils ont ensuite comparé les données obtenues avec celle d’un groupe de contrôle composé de 20 enfants ne souffrant pas de maladies auto-immunitaires. Dans le premier groupe, la moitié des enfants souffraient de TOC ou manifestaient des symptômes obsessifs compulsifs moins intenses pour correspondre à un cadre typique de TOC. Dans le deuxième groupe ne souffrant que de fièvre rhumatismale, le pourcentage d’enfants atteint de TOC était également élevé (35%) alors qu’il n’y avait aucune trace de cette maladie psychiatrique parmi les enfants du groupe de contrôle sans maladie auto-immunitaires. “La fièvre rhumatismale associée ou non à la Corée de Sydenham est un facteur de risque pour le TOC”, déclare Marcos Mercadante, membre de l’équipe de recherche. Sa collègue, Ana Hounie, a constaté que chez les familles d’enfants souffrant de fièvre rhumatismale (avec ou sans Corée de Sydenham), la probabilité de rencontrer un parent au premier degré souffrant également de TOC était trois fois plus élevée que dans le groupe de contrôle, composé de familles d’enfants sans fièvre rhumatismale. “Cette étude indique que la fièvre rhumatismale peut être génétiquement liée au TOC”, déclare Ana. Les résultats de cette étude seront publiés prochainement dans la revue Journal of Clinical Psychiatry.

Dans d’autres recherches, l’équipe d’Euripedes a tout d’abord soupçonné et ensuite confirmé le fait que le TOC n’est pas composé d’une seule maladie mais de plusieurs affections identiques, d’intensité variable et qui se manifestent différemment. Les chercheurs de l’USP ont suivi 42 patients atteints de TOC et repartis en deux groupes en fonction de leur âge. Chez les patients appelés précoces (apparition de la maladie avant l’âge de 10 ans), l’intensité et la gravité des problèmes étaient bien plus sérieuse que pour le groupe tardif, (apparition de la maladie à partir de 17 ans). “Chez les plus jeunes, les manies de collectionner et les répétitions étaient plus intenses, les tics étaient constants et les réponses au traitement étaient moindres ”, explique Maria Conceição Rosário Campos. Ces résultats renforcent l’hypothèse qu’il n’existe pas un seul type de TOC mais des sous-groupes spécifiques possédant des caractéristiques et des manifestations diverses.

Le projet
Pathogenèse et traitement du Trouble Obsessif Compulsif; Modalité Projet thématique; Coordinateur Euripedes Constantino Miguel Filho – Université de São Paulo; Investissement 677.449,05 réaux

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