Imprimir PDF Republish

ÉPIDÉMIOLOGIE

Confessions d´al

La dysfonction érectile peut être le premier signe de maladies coronariennes

Publié en avril 2006

Certains des secrets les plus intimes des hommes et des femmes sont désormais révélés au grand jour.Au Brésil, un homme sur deux de plus de quarante ans souffre, avec des intensités variables, d’une situation normalement embarrassante appelée dysfonction érectile dans le langage médical ou, baptisée plus fréquemment, impuissance.Un peu moins de la moitié de ces cas sont des formes bénignes, qui ne doivent pas inquiéter outre mesure car il s’agit de cas passagers qui peuvent être renversés spontanément sans grandes répercussions organiques ou psychologiques. Le problème c’est l’autre moitié, les cas modérés ou graves qui vont réellement nécessiter d’un traitement car ils sont “une sentinelle pour d’autres maladies” selon les mots d’Edson Duarte Moreira Júnior, médecin épidémiologiste appartenant à la Fondation Oswaldo Cruz (Fiocruz) à Salvador.Depuis 1998, il mène des recherches qui en ont mesuré l’étendue et les conséquences, en abordant également d’autres problèmes sexuels masculins au Brésil et dans le monde.

Et comme si cela ne suffisait pas, ces dysfonctions sont la source de dommages psychologiques qui peuvent alimenter la dépression, détruire graduellement les relations conjugales familiales ou sociales. Les cas les plus graves d’incapacité érectile peuvent indiquer des déficiences de la circulation sanguine et, si ces dysfonctions ne sont pas traitées à temps, elles peuvent déboucher sur un infarctus.“ La dysfonction érectile peut être le premier signe de maladies coronariennes”, alerte l’urologiste Archimedes Nardozza, professeur à l’Université Fédérale de São Paulo (Unifesp). L’explication est simple: les artères du pénis, relativement petites comparées aux coronariennes qui irriguent le muscle cardiaque, peuvent perturber l’érection même avec une faible quantité de graisse bloquant l’arrivée du sang dans les compartiments du pénis appelés corps caverneux et qui provoquent l’érection au fur et à mesure qu’ils se remplissent.

Pour un homme souffrant d’impuissance, le risque d’avoir une accumulation de graisse dans les artères coronariennes est 2,5 fois plus élevé que pour un homme sexuellement normal, selon une étude réalisée à São Paulo sur 287 participants (137 avec dysfonction et 150 sans).“Plus la dysfonction érectile est grave, plus les risques de problèmes coronariens sont élevés”, déclare le cardiologue Juarez Ortiz, coordinateur de cette étude qui a été publiée en octobre 2005 dans la revue Arquivos Brasileiros de Cardiologia (Archives Brésiliennes de Cardiologie). Le 23 janvier, la revue Archives of Internal Medicine a publié un travail identique signé par James Min, de l’Université de Chicago aux États-Unis, qui compare l’état général de santé de 121 hommes souffrant de dysfonction érectile avec 100 autres sans dysfonction. Dans cette étude, 44% des hommes souffrant de dysfonction présentent des problèmes coronariens, contre à peine 17% pour ceux considérés sexuellement normaux.

L’étude nord-américaine à été un peu plus loin et a montré une relation existante entre ce trouble masculin fréquent et une plus faible activité et résistance physique. Selon cette étude, l’incapacité érectile pourrait être beaucoup plus efficace que les facteurs de risque habituellement évalués, tel les niveaux de cholestérol, la pression artérielle ou l’historique familial, pour indiquer précocement à quel moment les artères perdent la capacité de conduire le sang en quantité et vitesse nécessaires au bon fonctionnement du coeur.

On peut comprendre cette association car les raisons pouvant entraîner un problème d’érection sont les mêmes que celles qui conduisent aux maladies coronariennes, comme l’obésité, l’hypertension et le diabète. Dans ces deux études, le diabète était au moins 2,2 fois plus fréquent et l’hypertension 1,5 fois chez les hommes souffrant de dysfonction érectile que dans ceux de l’autre groupe. L’association entre les problèmes coronariens et l’incapacité érectile apparaît également dans l’une des plus grandes études épidémiologiques jamais réalisées par un pays dans ce domaine et appelé projet Avaliar. C’est ainsi que 4.377 médecins ont interrogé 71.503 hommes de plus de 18 ans dans 380 villes de 24 états brésiliens. Cette étude réalisée entre le mois d’août 2002 et janvier 2003, a montré que l’incapacité érectile, légère, modérée ou grave, passait de 47% pour des hommes ayant une pression artérielle normale, à 73,5% pour ceux qui souffraient d’hypertension grave et de 48,2% pour des hommes ayant un poids normal à 60,7% pour les hommes obèses.

De cette aridité des chiffres surgit une conclusion qui peut être très utile.“Pour prévenir la dysfonction érectile, il suffirait d’agir sur les facteurs de risque des maladies coronariennes, comme l’obésité, l’hypertension, le sédentarisme et le diabète”, déclare Nardozza. Il rappelle également que le diabète, pris de manière isolée, est la principale cause de ce problème masculin en raison de ses deux effets; il endommage autant les vaisseaux sanguins que les termi-naisons nerveuses du pénis. C’est pour cela que les hommes diabétiques bénéficient peu de médicaments pour lutter contre la dysfonction érectile, chimiquement appelés inhibiteurs de phosphodiesterase. En effet, en contenant l’action del’enzyme phospho-diesterase et en maintenant l’oxyde nitrique en circulation pour plus de temps, ce composé stimule le flux sanguin et dilate les artères du pénis, mais ne peut rien faire pour les nerfs détruits par l’excès de sucre dans l’organisme.

La difficulté érectile est la conséquence de l’obstruction graduelle des vaisseaux sanguins, mais elle peut également être autant la cause que la conséquence de la dépression, déséquilibre psychique le plus fréquent auquel elle est associée. Une étude publiée dans le Journal of Affective Disorders en 2004 montre clairement cette relation à double sens. Une équipe coordonnée par Alfredo Nicolosi, chercheur à l’Institut de Technologies Biomédicales de Milan en Italie, a interrogé 2.417 hommes au Brésil, en Italie, au Japon et en Malaisie.Parmi ces hommes, 2% souffraient de dépression déjà diagnostiquée, mais 21% indiquaient des symptômes dépressifs, comme une tristesse prolongée sans raison apparente. La dépression était plus fréquente chez les hommes plus jeunes qui souffraient de dysfonction érectile et qui nourrissaient de grandes expectatives pour une vie sexuelle normale et saine.

Femmes
On estime que sur la planète, 150 millions d’hommes de plus de 18 ans souffrent des formes légères, modérées ou graves de dysfonction érectile. Au Brésil vivent environ 11 millions d’individus qui, durant les 12 mois précédents la recherche, ont au moins durant deux mois successifs soufferts de problèmes d’érection. La forme la plus légère prédomine avec 26,6% du total qui, dans la majorité des cas, ne doit pas alarmer car cette forme est passagère et n’affecte pas la santé. La modérée représente 18,3% des cas et la forme la plus grave 3,5% de la totalité. Ces deux dernières sont réellement préoccupantes car elles peuvent indiquer des problèmes circulatoires ou cardiaques. Selon Moreira Júnior, 1 million de nouveaux cas de ce type de trouble sexuel masculin vont apparaître au Brésil chaque année. Mais il rappelle que le manque d’érection n’est considéré trouble sexuel que quand il complique la vie ou nuit aux relations conjugales ou sociales.

Ce n’est pas seulement l’incapacité érectile qui sonne comme une menace à la virilité. Statistiquement, un homme sur quatre présentera au moins durant sa vie un trouble sexuel, allant du manque de désir à l’éjaculation précoce, sans conséquences plus sérieuses pour la santé. Pour une femme sur cinq il peut s’agir d’un manque de désir ou d’orgasme, et deux sur cinq peuvent avoir certains problèmes sexuels qui ne sont pas nécessairement pathologiques. Ce cadre se retrouve également dans d’autres pays avec de légères variations, selon les différentes études devenues plus fréquentes depuis 1998, quand est apparu le Viagra,premier médicament administré par voie orale pour lutter contre la dysfonction érectile.

La pilule bleue et, par la suite, ses concurrents comme Cialis et Levitra, outre leurs bienfaits les plus évidents, retirent des alcôves les problèmes sexuels, initialement seulement ceux des hommes mais avec le temps, également ceux des femmes. Pour remplacer les traitements douloureux adoptés jusqu’alors, à base d’élastiques ou d’injections appliquées sur le pénis, ces remèdes ont permis aux hommes de reconnaître leurs frustra- tions et de se lancer à nouveau à la recherche de désirs qui avaient été écartés. L’incapacité d’avoir ou de maintenir l’érection de manière satisfaisante durant une relation sexuelle n’a plus alors été perçue comme un simple accident occasionnel qui ne devait inquiéter que les hommes de plus de 70 ans.Un scénario totalement différent est apparu, dans lequel le problème du durcissement de l’organe sexuel masculin s’est révélé comme un phénomène largement disséminé à travers le monde, en dépit des diversités ethniques, géographiques ou culturelles, devenant plus fréquent et plus grave à mesure que l’âge avance.

Ces découvertes font partie du Global study of sexual attitudes and behaviors (Étude globale d’attitudes et de comportements sexuels), probablement l’étude la plus complète qui ait été réalisée dans ce domaine en utilisant la même méthode de collecte d’information sur 13.882 hommes et 13.618 femmes interrogés dans 29 pays. Cette étude a été financée par l’entreprise Pfizer, fabricant du Viagra, qui a également sponsorisé l’Avaliar, laissant toute latitude aux chercheurs, ce fut un “unconditional grant” comme le prouvent les articles scientifiques qui divulguent les résultats obtenus. Les études sur la situation de chaque pays, le Brésil étant l’un des premiers à divulguer ses résultats, ont commencé à être présentées l’année dernière, après la phase d’analyse globale des résultats obtenus.

Les enquêtes qui répertorient les tendances populationnelles de chaque pays,indiquent que dans le monde, 28% des hommes et 39% des femmes souffrent d’un type de problème sexuel, considérant à peine les formes modérées et graves. D’après le psychiatre Jair Mari professeur à l’Unifesp, des études de ce type sont normalement essentiellement descriptives et “dépourvues du contexte médical, social et culturel”. On ne considère pas l’apparition simultanée d’autres déséquilibres organiques ou l’utilisation de remèdes qui pourraient être associés au problème d’érection,ni le type de vécu ou les circonstances qui pourraient l’expliquer, encore moins des comportements intrigants comme celui de Séverine, personnage principal de Belle de Jour, film de Luis Buñuel, tourné en 1967. Séverine, interprétée par Catherine Deneuve, aime son mari mais n’arrive à se libérer sexuellement qu’avec les hommes qu’elle rencontre chaque après-midi dans une maison close.

Pour éviter les chiffres gonflés et les résultats alarmistes,Moreira Júnior souligne cependant que cette étude s’est attachée à considérer l’apparition simultanée d’autres problèmes de santé et de circonstances personnelles, comme le chômage ou le décès de proches, qui peuvent interférer temporairement dans la vie sexuelle. Selon lui, les questionnaires ont été préparés et analysés non seulement par des médecins mais également par des statisticiens, des sociologues, des anthropologues et des psychiatres.

Univers parallèles
De nombreux résultats doivent encore être interprétés, mais ils quantifient déjà les sources potentielles d’insatisfaction dans la vie sexuelle, comme l’éjaculation précoce qui touche 14% des hommes dans le monde. Ces études qui concernent des représentants de populations de cultures et d’ethnies les plus variés, révèlent également les dimensions des problèmes de la sexualité féminine, dont les causes et les conséquences (selon l’aveu même des chercheurs) sont moins bien étudiées que chez les hommes.

Parmi les femmes, 21 % des participantes à cette étude parlent d’un manque d’intérêt sexuel. L’incapacité d’atteindre l’orgasme et les problèmes de lubrification vaginale sont en proportions équivalentes pour 16% des femmes.Curieusement les problèmes les plus fréquents chez les femmes étaient les moins fréquents chez les hommes. En effet, seul 9% des hommes parlent d’un manque d’intérêt sexuel, soit deux fois moins que les femmes.15% des femmes ont déclaré que le sexe n’était pas une activité plaisante, alors qu’à peine 6% des hommes ont donné la même réponse.

La gynécologue Eleonora Bedin Pasqualotto, professeur à l’Université de Caxias do Sul, dans l’État du Rio Grande do Sul, attribue ces différences aux visions contrastées des hommes et des femmes sur leur propre corps et du rôle sexuel qu’ils se doivent de jouer. “À l’inverse des hommes, les femmes accordent davantage d’attention à la perception qu’elles ont d’elles-mêmes car elles se laissent généralement influencer par des stéréotypes de beauté féminine et elles valorisent tout le corps, déclare- t-elle.”. Quand elles se sentent grosses ou laides devant le miroir, même sans l’être, elles peuvent s’éloigner du partenaire, réfréner le désir et cultiver à peine les souvenirs des longues nuits d’amour. “Les hommes par contre, ne se laissent pas abattre par ce qu’ils voient dans le miroir, même si les transformations provoquées par l’âge deviennent évidentes, ils ne se soucient que de leurs performances sexuelles”.

Cette obstination en matière de performance sexuelle permet de comprendre pourquoi, au Brésil, les hommes achètent 1,18 million de comprimés pour lutter contre l’impuissance chaque mois. Le Brésil est l’un des plus grands consommateurs mondiaux de ces remèdes, critiqués pour alimenter chez les hommes, même pour ceux qui commencent leur vie sexuelle, la peur de l’échec à un moment où ils pensent que l’érection est une obligation et une preuve indéniable de masculinité. Sur un panneau publicitaire placé en face d’une pharmacie à l’entrée de l’Université Publique de Campinas (Unicamp), les premiers remèdes annoncés pour un public majoritairement jeune sont justement ceux pour lutter contre l’impuissance. Depuis long- temps, leurs consommateurs ne sont plus seulement les hommes qui ont réellement besoin de traitement contre la dysfonction érectile.Mari appelle à plus de prudence: “L’utilisation précoce et prolongée de ces remèdes peut créer un manque de confiance en soi et une dépendance psychologique”.

Préjugés
Dans une étude publiée l’année dernière dans la revue Clinics, Eleonora Pasqualotto déclare que, chez les femmes, les manifestations qui pourraient être vues comme dysfonction sexuelle indiquent en vérité une insatisfaction avec leur propre vie ou avec la relation conjugale et parfois un mécanisme de défense psychique, résultat d’expériences sexuelles traumatisantes. Elle rappelle également que la persistance des préjugés sociaux conduit à un blocage du désir et à la difficulté de répondre aux stimulations sexuelles. Avec la pilule anticonceptionnelle, les femmes s’éloignent de la crainte de tomber enceinte chaque fois qu’elles ont une relation sexuelle, mais elles ne se délivrent pas du poids des stigmates sociaux et d’un modèle de comportement social qui encourage l’initiation sexuelle des hommes et renforce la virilité, alors que celle des femmes est réprimée, sous peine de dévalorisation et de promiscuité.

Résultat: des hommes anxieux et des femmes insatisfaites. Parmi les représentants de 29 pays, les brésiliens présentent le deuxième plus grand pourcentage d’éjaculation précoce (30%), juste derrière les espagnols (31%), ce qui reflète ce souci de performance et les stéréotypes sexuels. Ce fut un résultat inattendu, dont les effets peuvent déjà être esquissés: “L’homme se frustre, mais s’habitue à l’éjaculation précoce”, déclare Moreira Júnior. “La femme se frustre davantage.”

L’éjaculation précoce n’est pas l’unique raison du mécontentement féminin. Les femmes brésiliennes sont celles qui se montrent les plus insatisfaites avec la durée des préliminaires avant l’acte sexuel. En effet, 22% des brésiliennes, pratiquement le double de la moyenne mondiale, souhaiteraient que les préliminaires durent plus longtemps. Dans le monde, la quasi-totalité des participants (92% des hommes et 91% des femmes) estiment que le contact physique et les caresses sont très importants, même sans relation sexuelle.

Pour Moreira Júnior, ces résultats sont importants pour deux raisons.Tout d’abord ils montrent que les femmes expriment leurs frustrations et ils indiquent que les hommes, en conséquence d’une culture machiste, ne se soucient pas comme ils le devraient de répondre pleinement aux attentes féminines. Ils suggèrent également, à Jair Mari, une vision réductionniste de l’acte sexuel, focalisé sur la pénétration, accordant peu d’attention aux jeux érotiques et à la possibilité d’exploration du corps du partenaire. “Les gens perdent ainsi la chance de se développer sexuellement”, déclare-t-il.

Alors que la qualité laisse à désirer, la quantité éveille l’attention. Selon ces études, le Brésil est le pays où l’on pratique l’acte sexuel avec le plus de fréquence. En effet, 74% des personnes entre 40 et 80 ans ont des relations sexuelles au moins une fois par semaine. La moyenne mondiale est de 50%.“Nous devons tout d’abord voir si les brésiliens ne sont pas ceux qui mentent également le plus”, déclare Moreira Júnior.“C’est peu probable.” Selon lui, les données sont fiables car les enquêteurs ont mis à l’aise les personnes interrogées et ont souligné l’importance de fournir des réponses honnêtes.

Ces résultats pourraient être initialement expliqués par le fait que le Brésil possède une population plus jeune que les pays de l’hémisphère nord, comme les États-Unis et les pays Européens, représentant la plupart des personnes interrogées. Le chercheur de la Fiocruz pense qu’une interprétation plus consistante devrait également tenir compte du poids de la culture, de l’histoire et du climat. “Dans les pays tropicaux”,dit-il, “la tendance est d’avoir un plus grand culte du corps, qui est davantage exposé, favorisant la sensualité et la sexualité”.

Ces études internationales ont fait tomber un tabou en montrant que l’activité sexuelle ne se termine pas avec les cheveux blancs des parents ou des grandsparents. Selon ces études, 69% des hommes et 40% des femmes restent sexuellement actifs après 60 ans.“L’activité sexuelle diminue avec l’âge, ce qui est naturel, mais elle ne disparaît pas soudainement comme la plupart des gens le croient”, déclare- t-il.“Peut-être que certaines personnes n’ont plus de relations sexuelles après soixante ans pour le simple fait de ne plus avoir de partenaires.”

Republier