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Innovation

Des encouragements fiscaux pour la recherche

Le FMI et l’OCDE suggèrent aux gouvernements d’accorder des avantages fiscaux pour stimuler la recherche dans les entreprises

Katie Edwards/Getty images

L’octroi d’encouragements fiscaux sous la forme de réduction d’impôts pour les entreprises qui investissent dans la recherche et le développement (R&D) a gagné un nouvel élan ces dernières années. En France et au Japon, par exemple, ce type de soutien représente plus de 70 % de l’ensemble des instruments utilisés par les gouvernements pour financer l’innovation dans le secteur privé. Cette proportion était de 20 %, au début des années 2000, selon les données de l’Organisation pour la Coopération et le Développement Économique (OCDE) qui réunit les pays les plus industrialisés du monde. Le modèle adopté dans des pays comme le Brésil et l’Afrique du Sud a récemment fait l’objet d’études menées par l’OCDE et le Fonds Monétaire International (FMI). Malgré l’orthodoxie de ces deux organisations, elles ont reconnu le rôle fondamental de l’État dans le financement de la recherche au sein des entreprises et des universités. « La future croissance économique dépendra largement d’une amélioration de la productivité. Les questions de politiques gouvernementales de soutien à l’innovation sont au centre du débat politique », déclare l’économiste Ruud de Mooij, chef de la division des politiques fiscales du FMI. Il a publié en mai un article dans la revue Finance & Development dans lequel il évalue l’impact et l’efficacité des politiques fiscales et propose des recommandations aux autorités compétentes et aux décideurs en se basant sur le rapport Moniteur des Finances Publiques publié par le FMI l’année dernière.

Ruud de Mooij souligne que la plupart des entreprises dépensent peu en R&D car elles savent que ces investissements produiront également des bénéfices chez leurs concurrents. « La production de connaissance déborde et bénéficie d’autres entreprises qui ne sont pas à l’origine de l’investissement » dit-il.

Le FMI suggère que ces incitations bénéficient prioritairement les jeunes entreprises technologiques, les startups, à l’inverse de ce qui se passe dans de nombreux pays qui octroient des avantages aux petites entreprises déjà bien installées. « Une imposition plus faible pourrait encourager l’innovation au sein des petites entreprises mais c’est encore assez rare dans la pratique », observe l’économiste. « Une petite entreprise pourrait considérer son développement peu attractif si en contrepartie elle y perd ses avantages fiscaux ». D’après Ruud de Mooij, il y a des études qui montrent que de nombreuses petites entreprises arrêtent de se développer en atteignant un niveau de revenu qui leur permet encore de bénéficier d’encouragements fiscaux. Cette situation est plus rare dans le cas des startups. Ruud de Mooij soutient qu’il est plus facile de garantir le caractère temporaire des encouragements fiscaux en aidant les jeunes entreprises à se développer comme c’est le cas au Chili et en France qui ont adopté des politiques fiscales avec cet état d’esprit.

Dans le rapport Fiscal incentives for R&D and innovation in a diverse world, publié en 2016, l’OCDE souligne également la nécessité d’octroyer des encouragements fiscaux aux startups qui ont besoin de capitaux pour investir dans de nouvelles technologies. L’organisation souligne cependant que les encouragements fiscaux doivent être vus comme faisant partie d’un arsenal d’options pour promouvoir la R&D dans le secteur privé et qu’il incombe aux décideurs d’adopter les meilleures solutions en fonction des réalités locales. Aux États-Unis, par exemple, il y a beaucoup de soutien direct aux entreprises à travers les achats gouvernementaux. En Europe, on utilise davantage les encouragements fiscaux, comme en Allemagne mais à une plus petite échelle.

Le FMI préconise également que les économies émergentes cessent d’offrir des avantages fiscaux pour promouvoir l’installation de multinationales dans leurs pays. Au lieu de cela, il suggère que les gouvernements investissent dans l’éducation, l’infrastructure et les institutions de recherche pour renforcer leur capacité d’absorber de nouvelles connaissances et encourager le transfert de technologies développées par les économies avancées. Selon ce rapport, de nombreux pays sacrifient leur base fiscale en concédant des avantages fiscaux pour attirer des capitaux étrangers. « Les encouragements fiscaux ont relativement peu d’effets sur le choix du lieu de l’investissement », déclare Rafael Cagnin, économiste de l’Institut d’Études pour le Développement Industriel (Iedi). D’après lui, quand de grandes entreprises étrangères décident d’investir, la taille du marché d’un pays, son intégration dans l’économie internationale, la qualité de son infrastructure et de son environnement d’affaires ont plus de poids que d’éventuels avantages fiscaux. Ruud de Mooij mentionne l’exemple de la Chine qui, à partir de 2008, a supprimé plusieurs encouragements fiscaux favorables à l’investissement étranger, sans pour autant cesser de les attirer. « Sur le plan fiscal, le pays traite les entreprises nationales et étrangères de la même manière, sans discriminations », affirme Ruud de Mooij.

Lucas Lacaz Ruiz/Folhapress La politique industrielle brésilienne a adopté des mesures encourageant la production automobileLucas Lacaz Ruiz/Folhapress

Loi du bien
Des encouragements fiscaux pour la R&D et l’innovation technologique au Brésil sont prévus dans des instruments comme la Loi du Bien, de 2015, dont la réforme est actuellement examinée par le Parlement. « L’un des problèmes de cette loi est qu’elle n’est pas parvenue à promouvoir des encouragements fiscaux pour les jeunes entreprises, privilégiant au contraire les plus consolidées », explique l’avocat Aristóteles Moreira Filho, chercheur au Centre d’Études Société et Technologie de l’École Polytechnique de l’Université de São Paulo (Poli-USP). Le motif, d’après lui, est que la loi permet une déduction supplémentaire de 60 % à 100 % sur les dépenses en R&D pour les entreprises qui payent leur impôt sur la base des bénéfices réels. « Les petites et jeunes entreprises technologiques finissent par être désavantagées par cette logique, soit parce qu’elles n’ont pas opté pour le régime du bénéfice réel, soit parce qu’elles n’ont pas de portefeuille consolidé de produits et de services et l’innovation prend plus de temps avant de dégager un bénéfice. « L’autre problème est que les encouragements fiscaux octroyés par la Loi du Bien peuvent être annulés à tout moment si l’entreprise traverse des difficultés financières. « Même si l’entreprise poursuit ses activités de R&D dans l’année où elle a subi un préjudice, la déduction d’impôt est annulée », explique Luiz Eugênio Mello, vice-président de l’Association nationale de Recherche, Développement et Ingénierie des Entreprises Innovantes (Anpei).

Pour Luiz Eugênio Mello, qui est également directeur exécutif de l’innovation et de la technologie de la compagnie Vale, la loi doit offrir les conditions nécessaires pour avantager les petites et jeunes entreprises, tout en soulignant que les encouragements fiscaux sont également nécessaires aux grandes entreprises. « L’investissement annuel de Vale en R&D est de l’ordre de centaines de millions de réais. Les encouragements fiscaux nous permettent un retour d’environ 15 millions de réais. Ce montant n’est pas négligeable pour une entreprise qui a beaucoup d’actionnaires et qui cherche à valoriser ses actions ». La Recherche en Innovation (Pintec) de 2014, publiée en décembre par l’Institut Brésilien de Géographie et de Statistique (IBGE), montre que les encouragements fiscaux prévus dans la loi n’ont été utilisés que par 3,5 % des entreprises innovantes.

Pour le FMI, les encouragements fiscaux visant à attirer les multinationales sont préjudiciables aux pays émergents et peu rentables

Brevets
Les régimes de patent box, qui sont une exonération fiscale sur les revenus de produits brevetés, se sont disséminés ces dernières années en Europe. Selon le FMI, ce modèle visant à encourager l’innovation dans les entreprises n’a pas eu le succès escompté. « De nombreux projets en R&D ne débouchent pas sur des brevets ni sur des innovations rentables », observe Ruud de Mooij. « Le soutien fiscal est plus efficace quand il réduit directement les coûts de la recherche ». Pour Aristóteles Moreira Filho, les régimes de patent box sont polémiques car ils ne concernent que la fin du processus d’innovation. « Comme l’encouragement porte sur le revenu du brevet, certaines malversations sont apparues, spécialement de groupes multinationaux qui n’investissaient pas en R&D et se limitaient à incorporer, dans les pays bénéficiaires, les actifs de propriété intellectuelle dans des holdings sans activité économique réelle, ou même en rachetant des brevets de manière à obtenir des encouragements fiscaux sans promouvoir un quelconque volume supplémentaire d’investissement en matière d’innovation », explique-t-il. En 2015, l’OCDE a exigé que les pays membres appliquent uniquement le régime de patent box aux brevets développés par l’entreprise bénéficiaire de l’encouragement.

L’un des changements proposés par la Loi du Bien est d’éliminer la concession croissante d’encouragements fiscaux aux déposants de brevets. L’idée est que l’encouragement puisse être octroyé sans qu’un brevet ne soit nécessaire. Une autre demande en cours d’examen est de faire en sorte que l’encouragement fiscal tienne compte de l’externalisation de la R&D auprès de jeunes entreprises et de startups. L’objectif est justement de renforcer les entreprises émergentes, outre le fait de renforcer des stratégies de corporate venture, soit la création d’unités opérationnelles tournées vers l’innovation au sein des grandes entreprises. De nombreuses startups achetées par des entreprises consolidées se transforment ainsi en unités d’innovation.

D’après Rafael Cagnin de l’Iedi, les encouragements fiscaux liés aux revenus de la commercialisation de produits finis ne sont peut-être pas très efficaces. « Le processus d’innovation implique des erreurs ou des changements inattendus. Il vaut mieux octroyer des encouragements fiscaux en début de processus car même si l’obtention d’un produit final est incertaine, les étapes de la recherche permettent à l’entreprise d’accumuler un savoir-faire », déclare Rafael Cagnin. « Les encouragements fiscaux sont donc une pièce fondamentale de la politique industrielle. Le secteur public doit participer au partage de risques qu’implique le processus d’innovation, quand les rendements privés ne sont pas facilement calculés ou justes ».

Moreira souhaite que les encouragements fiscaux soient octroyés à différents secteurs industriels de manière indiscriminée pour ne pas devenir injustes. D’après lui, l’octroi d’encouragements sectoriels, outre leur inefficacité, serait antidémocratique. « On exonère d’un côté pour surcharger de l’autre. Les secteurs ayant davantage de force politique ont un plus grand pouvoir d’influence pour dialoguer avec le gouvernement et parvenir ainsi à imposer leurs agendas par rapport à d’autres secteurs moins influents mais qui ont également besoin d’encouragements pour se développer » estime-t-il.

La politique industrielle brésilienne a pris une série de mesures pour stimuler la production nationale d’automobiles, d’équipements informatiques, de semiconducteurs, entre autres. La stratégie adoptée est encore celle d’octroyer des exonérations ou des suspensions d’impôts sur le produit final sans étendre ces mesures aux importateurs de produits. En début d’année, des programmes comme Innover Auto et la Loi Informatique ont été jugés illégaux par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), après des questionnements de l’Union Européenne et du Japon. « Malheureusement la vision brésilienne en matière d’encouragement fiscal est celle du tout ou rien », déclare l’économiste José Roberto Rodrigues Afonso, professeur à l’Institut Brasiliense de Droit Public de la fondation Getulio Vargas (FGV) et consultant de la Banque Mondiale. Il affirme que lors du dernier gouvernement, les exonérations ont été octroyées aveuglément sans tenir compte des évaluations techniques. « Dans le gouvernement actuel c’est l’inverse qui se produit car le moindre encouragement est perçu comme un péché capital », déclare José Roberto Rodrigues Afonso. « Le Brésil est absent du débat international et semble ne pas parvenir à trouver un équilibre politique et les compétences techniques nécessaires en matière de politique fiscale », affirme-t-il.

Publié en juin 2017

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