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MÉMOIRE

Du luxe pour voir les étoiles

Une demande de fonds pour observer Vénus provoque des discussions à propos de l’aide à la recherche il y a 125 ans

Publié en août 2007

Illustrations d’Angelo Agostini dans sa Revista Ilustrada: moqueries sur dom Pedro II et la recherche astronomique

REPRODUCTIONS MIGUEL BOYAYAN/REVISTA ILUSTRADA/IEB/USPIllustrations d’Angelo Agostini dans sa Revista Ilustrada: moqueries sur dom Pedro II et la recherche astronomiqueREPRODUCTIONS MIGUEL BOYAYAN/REVISTA ILUSTRADA/IEB/USP

Un épisode qui a eu lieu il y a 125 ans a provoqué l’un des premiers débats sur l’investissement dans le domaine des sciences au Brésil. D’un commun accord avec l’empereur dom Pedro II, le ministre de la Marine, Bento de Paula Souza, demanda au Parlement brésilien des fonds de 30 contos pour financer trois expéditions scientifiques qui avaient pour objectif d’observer des points favorables au passage de Vénus sur le disque solaire. Les observations, le 6 décembre 1882, aideraient à déterminer la distance entre la Terre et le Soleil.

Une des expéditions s’est rendue à Olinda, dans l’état du Pernambouc. Mais les principales se sont concentrées sur l’île de Saint Thomas, dans les Antilles, et à Punta Arenas, au sud du Chili. “Ces deux endroits ont formé la base d’un immense triangle et l’un des sommets touchait la planète Vénus”, explique Marcomede Rangel, physicien à l’Observatoire National, institution qui cordonna les expéditions et qui, à l’époque, s’appelait Impérial Observatoire de Rio de Janeiro. “Par ressemblance de triangle, il était possible de déterminer la distance de la Terre à Vénus et de Vénus au Soleil.” Plusieurs autres pays ont envoyé des équipes pour faire des observations dans divers endroits du monde.

La demande de l’empereur et du ministre a suscité des protestations à la Chambre des Députés et au Sénat, ainsi que plusieurs dessins humoristiques dans la presse, en particulier dans la Revista Ilustrada, dessinée et éditée par Angelo Agostini. “Ça a été l’un des plus vifs débats sur l’usage de la science de base”, affirme Ronaldo Rogério de Freitas Mourão, chercheur au Musée d’Astronomie et des Sciences Similaires (Mast) et chercheur sur la question.
Au Sénat, Silveira da Mota, contraire à la concession des fonds, réclamait : “Le peuple veut d’autres choses, il ne veut pas d’observations astronomiques (…) le peuple veut des chemins de fer, beaucoup de café, beaucoup de tabac, beaucoup de liberté individuelle, des gouvernements très économes et très moralisés (…) le peuple veut tout cela, il se fout de ce qui se passe sur les étoiles… c’est un luxe”. À la Chambre des Députés, le député Ferreira Viana faisait chœur avec le sénateur. Les politiciens ne comprenaient pas quels bénéfices les expéditions apporteraient à la population. Résultat : le Parlement n’a pas autorisé les 30 contos. Mais, pour répondre à la demande de l’empereur, le conseiller Leão Velloso a obtenu l’argent de deux riches fermiers et les expéditions ont pu avoir lieu.

La polémique à propos de Vénus a été, d’après l’anthropologue de l’Université de São Paulo, Lilia Moritz Schwarcz, auteur du livre As barbas do imperador (La barbe de l’empereur – Companhia das Letras, 1998), un fait isolé pour l’époque. En 1882, l’activité scientifique était encore à ses débuts, et celui qui s’y intéressait le plus, même en tant qu’amateur, était justement dom Pedro II.

Dom Pedro était un mécène des arts, des lettres et des sciences. L’empereur désirait non seulement permettre l’autonomie culturelle à l’élite locale mais il avait aussi pour but de se distinguer des autres souverains, y inclus ceux du passé. “À l’époque, pour être considérés lettrés les rois et les reines devaient être des scientifiques ”, explique Lilia. Un autre facteur qui a contribué à éviter des polémiques dans les sciences à cette époque était le fait que dom Pedro pratique les sciences de façon privée – il était astronome amateur et possédait un observatoire au Palais de São Cristóvão. Il y avait aussi le Musée de l’Empereur, où se trouvaient les momies qu’il avait rapporté d’Égypte, le matériel ethnographique et la collection des gemmes de Leopoldina. “Là-bas, seuls pouvaient entrer les scientifiques qu’il invitait.”

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