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IMUNOLOGIE

Hors de contrôle

Une inflammation déclenchée par la septicémie affecte le coeur

Publié en juin 2010

LAURA DAVIÑADéfendre l’organisme contre lui-même quand d’un geste désespéré il s’attaque à ses cellules est le défi principal des médecins dans les cas de septicémie, une infection généralisée provoquée par une bactérie ou un virus et accompagnée d’une inflammation agressive contre les organes qu’il devrait protéger. En évaluant l’état de santé de patients atteints de septicémie – un problème qui concerne chaque année 18 millions de personnes dans le monde –, des médecins brésiliens et étrangers ont constaté que le risque de mort augmentait considérablement quand l’organe le plus touché est le coeur : le taux de décès s’élève à 80 % si le muscle cardiaque est affecté et qu’il pompe avec difficulté du sang riche en oxygène pour le reste du corps, contre 20% en l’absence d’atteinte cardiaque.

Des chercheurs de l’Université de São Paulo (USP) à Ribeirão Preto sont allés plus loin. En analysant le coeur de personnes et d’animaux morts de septicémie, l’équipe coordonnée par le pathologiste Marcos Rossi et le pharmacologue Fernando Cunha est parvenue à caractériser le type de lésion provoquée par l’inflammation des cellules cardiaques. Plus important encore : elle a découvert un moyen prometteur pour protéger le coeur et, ainsi, gagner du temps pour permettre au corps de récupérer le contrôle de la situation.

La principale avancée de l’équipe a été de voir ce qui se passe avec les cellules cardiaques à l’échelle moléculaire. Dans des études en laboratoire avec des animaux, les chercheurs ont constaté que des molécules d’oxyde nitrique libérées lors de l’inflammation abîmaient la paroi des cellules et les rendaient plus perméables au calcium. La conséquence d’une telle altération est un surdosage de cet élément chimique qui entraîne la mort cellulaire – si la proportion de cellules affectées est très élevée, la capacité de pompage du sang par le coeur diminue. Publiée en mars 2010 dans la revue scientifique Shock, cette découverte est d’autant plus importante qu’elle propose des solutions pour freiner le processus d’usure du coeur. Sur le marché, il existe des médicaments qui bloquent l’absorption du calcium et qui sont utilisés pour contrôler la pression artérielle et réguler le rythme cardiaque.

À l’heure actuelle, le groupe de Cunha et Rossi évalue – en partenariat avec des chercheurs de l’Albert Einstein College of Medecine de New York – la capacité de ces médicaments à maintenir le corps en fonctionnement quand ils sont prescrits en cas de septicémie. L’étude est encore en cours, mais les résultats préliminaires sont très encourageants. Dans l’une des expérimentations, les chercheurs ont administré des composés empêchant ’absorption de calcium – lesdits bloqueurs de canaux calciques – à des souris atteintes d’une perforation intestinale et d’une infection généralisée. Ils ont ensuite comparé ce qui se passait entre un groupe d’animaux atteints de septicémie non traitée et un groupe de rongeurs sains.

Les bloqueurs de canaux calciques ont permis d’élever le taux de survie des souris malades. Sans le médicament, la plupart des animaux septicémiques mourraient en moins de 24 heures. Avec, ils survivaient tous au premier jour. Selon Rossi, « le taux de mortalité des animaux septicémiques ayant reçu le bloqueur d’acide calcique a été similaire à celui des souris du groupe contrôle, qui ne souffrait pas d’infection. […] Un résultat qui nous a rempli d’espoir ».

Plusieurs tests
et sans doute des années de travail – sont encore nécessaires pour prouver que cette stratégie est efficace et qu’elle pourra être adoptée en toute sécurité dans le quotidien des hôpitaux. Mais il est une donnée qui incite les chercheurs à l’optimisme : il sera plus simple d’utiliser les bloqueurs de canaux calciques avec les êtres humains dans la mesure où ils sont déjà utilisés pour traiter des problèmes cardiaques. Ce nonobstant, Rossi rappelle qu’il serait prématuré de crier victoire, car les circonstances auxquelles ont été soumis les animaux sont très différentes de celles qui concernent les patients dans les hôpitaux.

En tant que pathologiste, Rossi a effectué un grand nombre d’autopsies sur des patients morts de septicémie ; il a constaté que leur coeur avait presque toujours subi des changements radicaux : « Le coeur d’un patient septicémique était différent, un peu flasque, ce qui indiquait qu’en vie il avait présenté un problème de fonctionnement ». L’analyse du matériel obtenu avec les autopsies a effectivement montré des altérations morphologiques au niveau du muscle cardiaque. Décrites dans la revue Shock en 2007, ces altérations constituaient un portrait du moment final.

Afin de connaître le début et l’évolution des lésions cardiaques associées à la septicémie, les chercheurs ont dû recourir à un modèle expérimental du problème – ils ont choisi de travailler avec des souris parce que l’organisme de ces rongeurs fonctionne de la même manière que celui de l’humain. À l’aide d’une incision sur l’intestin de l’animal, des bactéries du tractus digestif atteignent la cavité thoracique et provoquent une infection généralisée.

Dès le départ, les chercheurs ont noté une importante modification de la structure du coeur des animaux septicémiques : une réduction significative de la quantité de protéines responsables du maintien d’une forte union des cellules cardiaques. En analysant le tissu au microscope électronique, Rossi a constaté que ces cellules, connues sous le nom de cardiomyocytes, se déconnectaient les unes des autres ; un peu comme si, au niveau cellulaire, le muscle cardiaque était en train d’être démonté.

Même si cette transformation – décrite dans la revue Critical Care Medicine en 2007 – avait lieu au niveauc microscopique, le démontage entraînait des conséquences facilement observables. Pour que le coeur batte à un rythme régulier, ses cellules doivent être fermement reliées entre elles, en vue de permettre la contraction et le relâchement en toute synchronie. Quand les cellules sont déconnectées, le rythme cardiaque devient irrégulier et le coeur s’arrête rapidement.

Des analyses chimiques plus sophistiquées, par le biais d’une technique (immunofluorescence) qui fait briller certaines protéines lorsqu’elles sont présentes dans un échantillon, ont renforcé la suspicion d’une déstructu- ration cardiaque au niveau moléculaire. Mais pas à l’intérieur des cellules. Le problème se situait à l’extérieur, dans ledit milieu extracellulaire. Les chercheurs de Ribeirão Preto ont souligné dans l’article publié en avril 2009 dans Laboratory Investigation que la structuration protéique – le complexe glycoprotéine- dystrophine (DGC), qui sert d’appui et donne forme aux cellules – semblait se dissoudre dans le coeur des animaux septicémiques.

Si ces lésions cardiaques ont réellement été provoquées par l’inflammation associée à la septicémie, l’augmentation du taux de survie des patients atteints par les formes les plus sévères peut provenir du contrôle de l’inflammation et des dommages occasionnés par la maladie. D’après les chercheurs, il s’agirait là d’une nouvelle approche importante du problème, vu qu’en général on tente seulement de combattre les agents infectieux avec des antibiotiques et des antiviraux. Et Rossi d’affirmer : « Les altérations identifiées apparaissent comme des cibles thérapeutiques, dont la modulation pourra réduire la morbidité et la mortalité dans le cas de la septicémie ».

Et ils ne sont pas les seuls à penser de la sorte. À l’Université américaine de l’Utah, le groupe dirigé par le cardiologue Dean Li – duquel participe le médecin brésilien Fernando Augusto Bozza de l’Institut de Recherches Cliniques Evandro Chagas de Rio de Janeiro – a tenté un contrôle inusité des réactions inflammatoires découlant de la septicémie ou de la grippe aviaire. Les chercheurs ont donné aux souris un composé empêchant aux communicateurs chimiques qui alimentent l’inflammation de laisser le courant sanguin pour aller sur les tissus. D’après l’article paru le 17 mars dans Science Translational Medicine, ils ont ainsi réussi à réduire le niveau de lésion dans l’organisme des rongeurs. Dean Li écrit : « En bloquant les effets nocifs de l’inflammation dans l’hôte et en stabilisant les vaisseaux sanguins, nous avons identifié une stratégie totalement différente pour traiter ces infections. […] Basiquement, nous avons montré qu’au lieu d’attaquer le pathogène nous pouvons nous centrer sur l’hôte pour l’aider à lutter contre l’infection ».

Néanmoins, le contrôle adéquat de la septicémie requiert plus d’une stratégie d’action. Dans un travail récent réalisé en partenariat avec des chercheurs de l’Université écossaise de Glasgow, le pharmacologue José Carlos Alves Filho – de l’équipe de Cunha – a administré à des souris septicémiques une protéine produite naturellement par les cellules du système de défense et qui agit comme un communicateur chimique d’action anti-inflammatoire : l’interleukine 33, ou IL-33. En plus de réduire l’inflammation dans l’organisme sans l’éliminer dans le foyer d’origine de l’infection, cette protéine a stimulé la migration d’un type spécifique de cellules de défense, les neutrophile qui éliminent les bactéries de manière efficace.

Les résultats de cette thérapie expérimentale ont été clairs : seuls 20 % des rongeurs septicémiques traités par IL-33 sont morts, tandis que le taux de mortalité du groupe ayant reçu un composé inoffensif s’est élevé à 80 %. Dans l’article de Nature Medicine du 16 mai où sont présentées ces données, les chercheurs suggèrent que l’effet de l’IL-33 sur les rongeurs doit aussi être observé chez les êtres humains puisque les neutrophiles sont moins actifs chez les personnes qui développent des septicémies plus graves.

Moins d’un mois auparavant, le pharmacologue Fernando Spiller – autre membre de l’équipe de Cunha et de Rossi – avait démontré que l’utilisation de sulfate d’hydrogène (ou acide sulfurique (H2S), le gaz responsable de la mauvaise odeur des oeufs pourris) induisait la migration de neutrophiles et d’un autre groupe de cellules de défense, les leucocytes, vers la zone initiale d’infection (voir Pesquisa FAPESP nº 146). Ce renforcement cellulaire a éliminé les bactéries et réduit à 13 % la mortalité des souris ayant reçu ce composé, contre quasiment 80 % pour ceux qui n’ont pas été traités – des données mises en avant dans l’article paru dans l’American Journal of Respiratory and Critical Care Medicine.

Bien que prometteuses, ces avancées ne sont que les premiers pas d’un long parcours pour améliorer ou contrôler la septicémie, un problème de santé particulièrement grave dans les pays en développement où les ressources sont moins élevées. Un relevé fait il y a quelques années par l’Institut Latino Américain à l’occasion d’Études sur la Septicémie a révélé que sur les 47 milliards de réaux dépensés en thérapie intensive par le système de santé brésilien, plus de 17 milliards ont été destinés au traitement de 400 000 patients atteints de septicémie, dont 227 000 sont morts.

LES PROJETS
1. Médiateurs impliqués dans la genèse de la douleur, la migration de leucocytes et dans la septicémie – nº 2007/51247-5 /2. Septicémie et choc septique : altérations fonctionnelles et morphologiques du coeur : étude expérimentale sur des souris – nº 2004/14578-5 /3. Évaluation in vitro de l’expression de la dystrophine sur des cardiomyocytes soumis à différents stimuli – nº 2009/53544-2. MODALITÉ 1 et 2. Projet Thématique 3. Ligne Régulière de Financement de Projets de Recherche. COORDONNATEURS 1 et 2. Sergio Henrique Ferreira – USP /RP . 3. Marcos Antonio Rossi – USP /RP . INVESTISSEMENT 2 303 227,35 réaux/ 153 565,78 réaux/ 310 920,30 réaux

Articles scientifiques
1. ROSSI, M.A. et al. Myocardial structural changes in long-term human sepsis/septic shock may be responsible for cardiac dysfunction. Shock. v. 27 (1), pp. 1-18. janv. 2007.
2. CELES, M.R. et al. Disruption of sarco lemmal dystrophin and beta-dystroglycan may be a potential mechanism for myocardial dysfunction in severe sepsis. Laboratory Investigation. v. 90, pp. 531-542. fév. 2010.

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