Publié em mars 2007
LÉO RAMOSLorsque José Sérgio Gabrielli de Azevedo, 57 ans, économiste de l’état de Bahia, est apparu sur la scène politique brésilienne au début du premier mandat de Lula en acceptant la direction des finances et des relations avec les investisseurs de l’entreprise Petrobras, la réaction de certains fut teintée d’ironie, pour ne pas dire de sarcasme: parfait inconnu mais avec de sérieuses références, où se cachait-il depuis si longtemps? Quatre ans plus tard, dont les deux derniers à la présidence de Petrobras après le départ de José Eduardo Dutra, il se trouvera difficilement quelqu’un pour questionner sa compétence aux commandes de l’entreprise. En effet, Petrobras a enregistré en 2006 un bénéfice de 25,9 milliards de réaux et atteint une part de marché de 230 milliards de réaux, soit 33 % de plus que l’année précédente. Et pourtant, cette entreprise qui est la plus grande au Brésil et l’une des plus grandes entreprises de pétrole au monde a affronté cette même année quelques turbulences politiques désagréables, en particulier avec la Bolivie. Mais le président de Petrobras y a fait face avec courage.
Avant d’intégrer Petrobras, Gabrielli a apparemment toujours été un universitaire. À l’âge de 25, 26 ans, avant même d’entreprendre un doctorat à l’Université de Boston en 1976, il était déjà professeur à la Faculté d’Économie de l’Université Fédérale de l’État de Bahia (UFBA) tout en y terminant son 3e cycle. Lors de son séjour aux États-Unis, il se pencha sur le financement des entreprises étatiques brésiliennes à partir de méthodes économétriques sophistiquées. Puis il réintégra son ancienne faculté, et après avoir franchi toutes les étapes de la carrière enseignante il en devint le directeur entre 1996 et 2000. Son parcours au sein de l’UFBA allait se compléter en 2002 avec la fonction de recteur adjoint en charge de la Recherche et du Troisième Cycle, peu après son retour de Londres où il était allé suivre un post-doctorat.
En réalité, à côté de cette vie universitaire réussie Gabrielli a toujours exercé son côté politique; par goût, dans une certaine mesure, mais sans doute aussi imprégné d’une notion de la politique en tant que mission – notion qui a fortement marqué une grande partie, peut-être la meilleure, de la génération 1968. Militant de cet intense mouvement étudiant de la fin des années 1960, Gabrielli s’est distingué par diverses actions: du point de vue légal, il a été président du Directoire Central des Étudiants (DCE) de l’état de Bahia. Clandestinement il a fait partie de l’Action Populaire (AP), un parti alors en transit entre la gauche catholique – son lieu d’origine – et les pensées marxistes. Ses activités lui vaudront un séjour en prison en 1970. À la fin des années 1970, c’est tout naturellement qu’on le retrouve parmi les fondateurs du Parti des Travailleurs (PT). Et quelques années plus tard, en membre discipliné du parti il accepte la tâche ardue d’être candidat au poste de gouverneur de l’état de Bahia en 1990; ardue dans la mesure où son adversaire n’était autre que le tout-puissant sénateur Antonio Carlos Magalhães qui, on s’y attendait, remporta ces élections.
Certaines facettes du passé du président de Petrobras sont encore moins connues. C’est le cas par exemple de son bref passage dans le monde du journalisme: en 1970 il est chargé de la rubrique internationale du nouveau journal Tribuna da Bahia, un journal dirigé par le carioca Quintino Carvalho et qui avait l’intention de dépoussiérer la presse de Bahia. Une anecdote en particulier marqua cette période, pour le plus grand plaisir des collègues du journaliste temporaire: un soir, le colonel Luís Artur de Carvalho, chef redouté de la Police Fédérale de l’état de Bahia, se trouvait dans les locaux de la rédaction pour une raison quelconque. En apercevant Gabrielli au fond de la salle, il s’écria: “Monsieur Gabrielli, comment va l’AP?”. Sans perdre son calme, il lui répondit: “elle envoie beaucoup d’informations, colonel”. Bien sûr, un journaliste en charge des informations internationales travaillait alors constamment avec les télégrammes de l’AP, l’Associated Press.
Mais c’est de futur que José Sérgio Gabrielli parle dans cette interview accordée à la revue Pesquisa FAPESP. Il y aborde les défis que doit relever une entreprise productrice de pétrole comme Petrobras face aux changements climatiques mondiaux, parle de la chance d’une situation privilégiée du pays en matière de biocombustibles, estime que diaboliser le pétrole est une attitude infondée vu qu’il intègre de manière très profonde la vie contemporaine telle qu’elle est, établit une comparaison très singulière entre le Centre de Recherches de Petrobras et l’École de Sagres, du XVIe siècle, et évoque avec beaucoup d’enthousiasme le réseau de recherches entre Petrobras et les universités brésiliennes, dont le potentiel générateur de connaissances est très prometteur.
N’est-ce pas un contresens que le président d’une entreprise de dérivés de combustibles fossiles fasse un discours en faveur de l’environnement, comme cela s’est vu notamment lors de votre participation au Forum Économique de Davos en janvier?
J’ai participé au forum d’un événement appelé Energy Summit, qui réunit les principales entreprises de pétrole et les principales entreprises d’énergie électrique mondiales. Une trentaine de personnes, au maximum. Et dans ce forum la discussion sur les changements climatiques, les perspectives de croissance de la demande de pétrole et la conservation énergétique sont absolument fondamentales. Quelle est aujourd’hui la position de l’industrie pétrolière? Premièrement, de comprendre que l’ère du pétrole ne sera pas remplacée par celle d’un autre combustible à cause de son épuisement, mais parce que vont apparaître des combustibles alternatifs économiquement viables.
Lesquels?
Plusieurs. En ce moment il y a les biocombustibles, avec toute la perspective d’une meilleure efficacité des automobiles et d’une plus grande conservation d’énergie. Cela implique une politique urbaine qui minimise l’utilisation individuelle du véhicule et qui soit également efficace du point de vue du principal problème que connaît le monde par rapport aux émissions: la perte de l’énergie dans les constructions, l’utilisation des combustibles pour la génération électrique, base du chauffage et du refroidissement des habitations et autres édifices… Le rapport le plus récent de l’ONU place les véhicules à la seconde place des sources les plus importantes d’émissions. Puis viennent le déboisement et les brûlis, autres problèmes de poids. Les sources sont nombreuses, leur identification permet d’adopter des politiques exigées pour chacune d’elles et, donc, de visualiser des possibilités d’effets et d’ajustages dans la lutte plus réelle contre le réchauffement, au lieu de désigner un coupable et de diaboliser ce coupable…
Ou d’alimenter l’illusion selon laquelle on parviendra à se passer de tout le combustible fossile utilisé par les véhicules dans le monde…
Ça c’est un peu une illusion. Aujourd’hui l’important est d’attirer l’attention sur le fait qu’eau propre et air pur sont fondamentaux pour la vie. Cependant la vie humaine moderne n’existe pas sans pétrole.
Cela révèle d’une certaine manière un paradoxe. Comment l’affronter?
Il n’existe pas simplement un ”comment”. Nous devons minimiser les impacts de la production de pétrole sur l’environnement et rendre viable l’utilisation plus efficace de ce pétrole avec l’augmentation de l’utilisation de sources plus propres de génération d’énergie.
Quand vous affirmez que la vie moderne n’existe pas sans pétrole, à quoi faites-vous référence?
Je parle de transport, de génération d’énergie et de pétrochimie. Regardez autour de vous, dans la vie moderne, on rencontre le pétrole presque partout.
Et cela demeurera ainsi, d’après vous, plusieurs décennies, voire plusieurs siècles.
Des siècles je ne pense pas. Plutôt des décennies. Aujourd’hui la situation de demande de pétrole dans le monde est plus ou moins équilibrée – l’offre et la demande sont de 82 à 84 millions de barils de pétrole par jour. La croissance prévue de la demande varie autour de 1,6, 1,8 % par an, et la croissance de l’offre aussi. Donc on ne peut pas dire qu’il y ait de grands problèmes dans ce domaine. Les réserves connues aujourd’hui permettent de tabler sur 70 à 80 années de production. D’un autre côté, l’utilisation de nouvelles technologies pour récupérer des champs matures et pour produire du pétrole dans des situations encore impossibles il y a peu de temps auparavant augmente. Nous produisons à plus de 1 800 mètres de profondeur et la perspective est d’aller jusqu’à plus de 6 000 mètres de profondeur. Il y a dans le Golfe du Mexique un puits de 11 kilomètres de profondeur en eau rase. Et au Brésil on espère exploiter en dessous de la couche de sel qui a 6 000 mètres de roche, dont 2 kilomètres de sel…
Mais vous ne pensez pas que, face à l’équation qui se forme en termes environnementaux, cette technologie ultra sophistitiquée d’exploitation profonde sera un peu inutile?
Elle est viable parce que le prix du pétrole est élevé. Mais par rapport à ce même facteur, des alternatives vont apparaître: la viabilité de l’énergie de biocombustibles, de l’énergie éolienne, solaire, des vagues maritimes et nucléaire croît. Si le prix du pétrole baisse, beaucoup de ces technologies naissantes n’auront plus de raison d’être.
Quand on pense à la matrice énergétique du Brésil pour 2030, on dit que l’énergie hydroélectrique doit continuer à représenter 50 % du total.
L’énergie hydroélectrique représente aujourd’hui 85 % de la matrice électrique et près de 47 % de la matrice énergétique comme un tout. Mais le Brésil est un cas à part, peut-être parce qu’il est, parmi les grands pays du monde, le seul à posséder autant de combustibles renouvelables dans la matrice énergétique, grâce à l’énergie hydroélectrique et à l’alcool. Il suffit de penser que 40 % de l’essence brésilienne, ou son équivalent en termes énergétiques, c’est l’alcool.
Malgré tout, quand on mesure la matrice énergétique brésilienne future, on mise sur une bonne part de l’utilisation du pétrole, non?
Oui. Et cela pose deux grands défis en matière de substitution des combustibles. L’un d’eux est lié au biocombustible, aussi bien l’éthanol que le biodiesel. Ils vont prendre la place de l’essence et du diesel, qui eux vont rester ou, dans le cas du diesel, on arrêtera d’importer. Donc Petrobras doit s’occuper de cela.
Cela veut-il dire que Petrobras devra réduire d’une manière ou d’une autre sa production?
Non, pas réduire ! Petrobras doit trouver une filière pour écouler sa production, parce que l’industrie du pétrole, à la différence d’autres, n’est pas une industrie fordiste qui s’ajuste à la vitesse de la chaîne de transmission. C’est une industrie dans laquelle sont faits des investissements pour travailler à 100 %. Donc il s’agit de trouver de nouvelles filières. Par exemple: nous sommes en train de faire à Rio de Janeiro un complexe pétrochimique qui utilisera directement du pétrole lourd pour produire la pétrochimie, avec une technologie nouvelle dans le monde. Personne ne fait cela, tout le monde utilise du gaz naturel ou du naphte, mais nous, nous allons le faire. De cette manière nous pouvons diminuer la production d’huile combustible et ne plus avoir de problème avec l’essence et le diesel, l’essence et le naphte. La prévision est de débuter la production en 2012. L’autre alternative est de rencontrer des voies pour utiliser ce type d’huile et l’essence et le diesel dans d’autres marchés. Le monde va continuer à être demandeur pour le transport. Nous produisons 2 millions de barils, le monde en consomme 85 millions. Notre objectif est de produire 2,3 millions de barils de pétrole en 2011.
Et quelle est aujourd’hui la destination prévue de cette production pour Petrobras?
D’ici 2011, nous allons construire cette entreprise pétrochimique et une nouvelle raffinerie dans la région Nord-Est pour optimiser surtout la production de diesel. Nous aurons alors 350 000 barils supplémentaires de capacité de traitement. Nous allons augmenter la capacité des raffineries actuelles de plus de 200 000 barils et dans le même temps les productions de biodiesel et d’alcool. Le biodiesel, nous en achetons 800 millions de mètres cubes ou 800 milliards de litres par an. À partir de 2008, nous allons en produire 150 millions de mètres cubes.
Par rapport au transport, les projections de Petrobras établissent-elles la proportion d’utilisation de chacun de ces carburants?
Difficile de répondre précisément. Aujourd’hui, sur le marché de l’essence, l’alcool représente environ 40 %, avec 25 % d’alcool anhydre plus l’alcool hydraté. Pour le diesel nous nous situerons entre 2 à 5 %. La flotte de véhicules au gaz naturel est croissante. Le problème de ce gaz, c’est que son prix relatif est déséquilibré; j’entends par là que ça n’a aucun sens que ce combustible, le gaz naturel, ait un prix élevé alors qu’il y en a très peu au Brésil.
Et les questions politiques autour du gaz ne paraissent pas très simples.
La croissance de la demande de gaz naturel pour les véhicules va probablement connaître une réduction. Sa participation dans la matrice énergétique comme un tout est passée de 4 %, 5% à 8 % en trois ans. La perspective est que cette matrice du gaz augmente jusqu’à atteindre peut-être 10 % de la matrice énergétique brésilienne totale. Et je pense que le volume de biocombustible sera beaucoup plus élevé ici au Brésil que dans le reste du monde, où il atteindra environ 10 % du marché en 2015. La participation des autres formes alternatives, énergie éolienne, solaire, etc. est vraiment très faible.
Mais c’est alors qu’entre à nouveau en scène l’énergie nucléaire. Le ministre Sérgio Rezende a parlé à nouveau emphatiquement du programme nucléaire brésilien.
L’énergie nucléaire est, sans l’ombre d’un doute, l’énergie la plus propre, toutefois elle est aussi la plus dangereuse parce qu’elle ne produit pas un chauffage lent et progressif mais brutal et explosif, aussi bien du point de vue des accidents que de son utilisation non pacifique. La régulation et le suivi de tout programme sont des éléments-clés pour son équilibre. D’autre part, l’énergie nucléaire a un autre problème grave qu’est le résidu, sa réutilisation, qui doit encore être résolu.
Entre-temps…, dans l’industrie du pétrole…
Dans l’industrie du pétrole, si on considère les actuelles réserves prouvées dans le monde, nous disposons de 60 à 70 ans de production pour celles dont la probabilité de développement commercial est de 90 %. Si on prend aussi les réserves possibles, celles dont la probabilité de développement est de 50 % avec la technologie et les conditions commerciales actuelles, nous passons alors à plus de 150 ans. Si l’on ajoute encore les réserves probables, l’horizon de production est énorme.
Et si l’on ajoute la possibilité des champs matures…
Oui, si l’on prend en compte le développement technologique nécessaire pour récupérer des champs matures qui sera induit par les prix élevés du pétrole – cette récupération secondaire dans laquelle on injecte du CO2 dans le puits pour produire plus de pétrole –, si l’on considère la technologie thermique pour augmenter la récupération de pétrole, enfin des technologies plus sophistiquées et plus chères, et si l’on inclut dans le panorama de la production future les sables bétumineux du Canada et le pétrole extra-lourd du Venezuela, si l’on prend tous ces éléments en compte on obtient une prévision de 200 ans de production de pétrole… Aucun défi technologique n’est trop élevé dans cette longue période et tout dépendra en grande partie du comportement du prix du pétrole. Rappelons que notre alcool est devenu viable 30 ans auparavant grâce à une question de prix, et qu’il a ensuite connu une crise à cause d’une question de prix. Quand le prix du pétrole a augmenté, nous nous sommes tournés vers la politique du Proalcool. Et de la production de la canne à sucre nous sommes allés vers une politique de l’industrie automobile. Quand le prix du pétrole a chuté et que simultanément le prix du sucre a augmenté, le Proalcool n’était plus viable.
En dévoilant ce large horizon, votre intention est-elle de faire allusion à une possibilité de brûlage…. de pétrole moins agressive pour l’environnement?
Non, ce que je dis, c’est surtout que le pétrole ne va pas quitter la scène parce qu’il va s’épuiser, mais qu’il peut perdre sa viabilité économique parce qu’il y aura d’autres sources plus propres et économiquement viables.
Mais quelles sources et processus plus propres peuvent l’emporter sur le pétrole dans la matrice énergétique mondiale?
La cellulose, par exemple – la production de cellulose à partir d’un processus enzymatique en utilisant des résidus végétaux. Cette technologie n’en est qu’à ses balbutiements pour l’instant, aussi bien en ce qui concerne la capacité de production d’enzymes, la capacité de capture de ces résidus, le traitement même de la cellulose ou le processus de transport de ses résultats. Mais elle peut se développer. Autre exemple: l’hydrogène, qui implique une révolution technologique, et pas seulement du combustible. La principale limitation que je vois dans cette technologie, c’est qu’elle exige un autre moteur, qu’elle exige une transformation du parc automobile, une nouvelle conception. Pour moi elle est donc plus distante que les biocombustibles. Quant aux avancées en termes d’économie de l’énergie, aujourd’hui nous disposons déjà de technologies, cependant encore chères, de construction de bâtiments intelligents, de vitres adaptées avec la nanotechnologie, etc., qui reflètent, rabattent la chaleur et parfois réduisent jusqu’à 60 % l’utilisation d’énergie dans un édifice.
Le problème concerne-t-il plus le chauffage ou le refroidissement?
Les deux, parce qu’il y a des édifices qui ont besoin d’être chauffés en hiver et refroidis en été. Il y a aujourd’hui toute une dynamique urbaine dans les grandes métropoles qui visent à minimiser de l’utilisation d’énergie dans les transports, toute une politique d’expansion du réseau de transport de masse, parallèlement au développement de moteurs plus efficaces d’utilisation domestique pour les réfrigérateurs, des cuisinières plus efficaces, des ampoules, etc. Il y a donc à la fois un mouvement d’économie qui va diminuer l’impact des combustibles fossiles, et un mouvement d’expansion de production de sources plus propres.
Cependant j’insiste: comment Petrobras, une entreprise qui a commencé à construire au début des années 1950 le rêve brésilien de l’autosuffisance en pétrole dans le pays, désormais atteint, et qui, en plus de l’immense poids économique a un extraordinaire poids socioculturel dans cette nation, ajuste-t-elle son plan stratégique au discours actuel sur le risque des changements climatiques?
Dans notre plan stratégique antérieur à l’IPCC, depuis 2004, 2005, nous envisagions déjà Petrobras comme leader mondial dans le domaine du biocombustible en 2011. Notre objectif stratégique est de nous positionner sur ce marché, pour des raisons proactives et pour des raisons défensives. Dans le premier cas, nous pensons que ce marché va croître. Et les raisons défensives sont les suivantes: comme il y aura des changements, il vaut mieux faire partie de ceux qui changent que de ceux qui seront changés par les autres. C’est d’ailleurs tout à fait impressionnant, quand nous allons à une rencontre comme celle de Davos, de constater l’image de Petrobras à ce niveau. Elle est vue comme une entreprise qui s’occupe de ce champ depuis longtemps. Nous avons un brevet sur le transport d’alcool, l’alcoduc, nous avons la technologie de traitement de l’acidité dans les raffineries et dans les citernes, nous avons avec l’industrie automobile brésilienne une longue expérience dans la production d’automobiles fonctionnant à l’alcool, plus grande que dans n’importe quel autre pays du monde, nous avons une logistique montée pour la distribution de l’alcool, et tout cela place à Petrobras dans une position très remarquée. Donc, du point de vue de Petrobras ce ne sera pas le principal secteur d’investissements, mais il aura une place très importante, y compris en termes relatifs de capital. Dans le cas du biodiesel, j’aimerais évoquer ici une autre dimension du programme, la dimension sociale. L’émission de carbone vient surtout de l’Hémisphère Nord, même si sa croissance est supérieure dans l’Hémisphère Sud. Eh bien: s’il faudra, pour diminuer cette émission, augmenter la quantité de biocombustibles parmi d’autres choses, à moins que pendant cette quête ne se produise une révolution technologique dans l’Hémisphère Nord, ce qui peut se produire, si l’on considère la technologie actuelle, la plus grande probabilité de croissance en matière de sources de biocombustibles est dans l’Hémisphère Sud. Et sur la base de plusieurs plantes, comme le ricin, les oléagineux, la jatropha curcas, le tournesol, etc., etc. Cela modifiera un peu la balance de la géopolitique en matière de carburants.
Peut-on y croire dur comme fer?
J’y crois et, comme je le disais, le biocombustible va représenter quelque chose de l’ordre de 10 % du marché mondial des carburants. On est en train de parler de 8 millions de barils par jour, ce qui équivaut à quatre fois la production actuelle de pétrole de Petrobras. Donc cela va entraîner un changement au niveau du rôle de l’Amérique du sud dans la géopolitique du secteur.
Et cela même avec les perturbations sur le continent?
Cela fait partie de la vie, on n’a pas le choix. Il n’existe pas de région au monde plus perturbée que l’Iran, l’Irak ou le Moyen-Orient. Mais il y a un autre composant sur lequel j’aimerais attirer l’attention ici: la production agricole d’un produit de base combustible est différente de celle d’un produit de base alimentaire ou industriel. Premièrement, elle doit être plus stable que pour les aliments, parce qu’il y a moins de substituts.
Cela signifie que ceux qui seront engagés dans cette production auront une garantie de vente totale.
Exactement, vu que l’offre doit avoir un flux continu. Deuxièmement, il doit y avoir une structure de contrat à long terme, ce qui n’est pas habituel dans ce marché. Donc nous aurons des canaux logistiques de distribution spéciaux. Il y aura une série de transformations dans les rapports Nord-Sud, et nous devrons surmonter les mécanismes de protection de la Communauté Européenne et des États-Unis vis-à-vis de leurs agriculteurs qui sont moins efficaces que ceux du Sud. Cela rend une telle protection inefficace du point de vue de la production générale. Nous devrons accélérer le Cycle de Doha, etc., et là nous ne travaillerons pas sur la protection mais sur l’efficacité de la productivité. Mais il y a un autre problème: vu la dimension des besoins en carburants, cela a un grand impact sur la zone plantée. Et les biocombustibles vont entrer en compétition avec les aliments dans certains endroits, comme cela s’est déjà produit. C’est le cas de la tortilla mexicaine: le prix du maïs a augmenté, celui de la tortilla également. Ainsi, en augmentant la zone plantée il faut veiller à ce que la production alimentaire ne perde pas sa viabilité. Deuxième problème: la déforestation. Évidemment, il faudrait faire ça dans les zones déjà déboisées.
Mais si nous parlons ici de soja, de canne à sucre, etc., nous avons déjà une frontière très étendue.
Oui, au Brésil, mais il y a le reste du monde. En résumé, nous devrons être plus efficaces dans l’utilisation des terres déjà déboisée pour produire plus. Et il y a un troisième problème: l’eau. L’agriculture est une grande consommatrice d’eau, et si elle augmente, l’offre en eau peut connaître des difficultés. Une vision globale de ce problème est par conséquent nécessaire, parce qu’il n’existe pas de solution partielle. Il faut combiner politique d’État – et je parle d’État national et de relations internationales – et mécanismes de marché. De véritables politiques d’État pour la planification, la répression, la régulation, avec une politique de prix, de pénalités.
Ne s’agit-il pas d’une équation difficile à résoudre?
Très difficile. Sur le plan international il y a d’un côté les États-Unis, qui refusent d’admettre qu’ils sont à l’origine du problème, et de l’autre les producteurs potentiels de biocombustibles préoccupés par la vision à court terme, par la seule rupture des barrières commerciales, sans…
Les producteurs potentiels sont le Brésil…
Le Brésil, l’Inde et la Chine. Il y a une croissance de la demande énergétique polluante dans ces pays. Surtout en Chine, où il existe une perspective de milliers d’usines thermo-électriques à partir du charbon. Ce sont ces problèmes qui doivent être discutés au niveau international et dans chaque nation. De plus, le mécanisme de crédit de carbone est intéressant mais totalement insuffisant pour affronter le problème. En bref, cela veut dire acheter le droit d’émettre du CO2. On ne peut pas compter là-dessus à long terme. Des mesures plus restrictives, de contention, sont nécessaires. Et la technologie joue un rôle absolument clé dans cette question, aussi bien pour la conservation que pour les biocombustibles, et même pour la séquestration du carbone dans la production de combustibles fossiles. Il y a une réinjection de CO2 et plusieurs technologies en développement qui séquestrent le carbone dans la production de pétrole. En phase initiale.
J’aimerais aborder la question du programme des réseaux de recherche de Petrobras, qui utilise lesdites participations spéciales, 1 % du chiffre d’affaires de l’entreprise, pour investir 1 milliard de réaux en recherches dans les universités au cours des prochaines années.
Ce sont des ressources s’élevant à 1,4 milliards de réaux pour les trois prochaines années. Le programme englobe 26 domaines thématiques liés au pétrole, au gaz et au biocombustible – qui ne se réfèrent pas seulement à leur production – et six zones régionales, tournées vers le type de problème que nous connaissons dans différentes régions du pays. Cela implique 72 institutions de recherche. Il y a des recherches très diverses, notamment sur les bactéries, les réactions chimiques de base, les matériaux, la nanotechnologie.
Quoi qu’il en soit, on n’est pas trop dépendant des combustibles traditionnels?
Non, nous avons des recherches sur les biocombustibles. Et si l’on en revient au Cenpes, nous sommes en train d’effectuer des recherches sur la cellulose, sur les bactéries anaérobiques absorbeuses de soufre, etc.
Quelle est la vision du président de Petrobras sur le Cenpes?
Petrobras possède aujourd’hui, c’est un fait indubitable, le plus grand centre de recherche et de développement technologique du pays et d’Amérique latine. 3 000 personnes y travaillent. Quelle est la logique du Cenpes? C’est la logique de l’École de Sagres…
C’est une idée tout à fait étonnante ! Pourquoi une référence du XVIe siècle?
L’École de Sagres a associé l’expérience du marin à la connaissance des sages universitaires et aux rêves des cartographes. Et ça, c’est un élément-clé: associer des perspectives rêvées aux intêrets de l’industrie en ce qui concerne la recherche des résultats et la poursuite de ses objectifs, avec la recherche universitaire, avec la connaissance scientifique en général – c’est ça le Cenpes. Et il réussit parce qu’il associe connaissance de base et application. Ce n’est pas un centre de recherche universitaire, c’est un centre de recherche appliquée mais ayant une base scientifique. C’est un centre de recherche d’entreprise, et il fonctionne bien. Les possibilités de développement de la connaissance sont ainsi très grandes. Mais il n’a jamais été – et ça c’est un autre trait important – isolé. Ni par rapport à d’autres centres de recherche, ni par rapport aux centres universitaires du pays. Il a créé un réseau de recherches très intense avec toutes les grandes universités du Brésil. Ainsi, cette recherche appliquée de Petrobras se propage dans l’université brésilienne et internationale. Mais elle est devenue à nos yeux insuffisante; parce qu’elle n’était pas institutionnelle, elle se faisait de groupe à groupe, de chercheur à chercheur. L’idée de constitution du réseau institutionnel débutée en 2005 vise à augmenter la capacité de génération de recherche et de connaissance dans ce système dans le pays tout entier. Et c’est un réseau parce que chaque partie possède au minimum quatre institutions. Il y a généralement une institution-clé, qui est le leader, et les autres qu’elle coordonne, de l’état d’Amazonas à celui du Rio Grande do Sul.
Profitant de vos associations, si le Cenpes repose sur l’École de Sagres, quel est le modèle du réseau institutionnel?
Internet. Ce qui caractérise Internet c’est la structure de réseau où la rupture d’un nœud ne casse pas l’autre.
Notre pays lui-même expérimente depuis déjà un certain temps la structure de réseau de recherche pour faire des bonds en termes de génération de la connaissance. Les choses ont commencé à partir du Programme Génome de la FAPESP lancé en 1997, il y a donc presque dix ans…
Exactement, ce fut la base de la génomique…
Donc nous en venons, via le Cenpes, à un mariage entre le référentiel classique de l’École de Sagres et le référentiel plus contemporain du réseau virtuel. Si cela ne marche pas, c’est une idée pour le moins originale…
Oui… L’École de Sagres est concentrée sur un pôle, et le réseau est diversifié, pulvérisé et décentralisé. Et notre défi est précisément d’articuler de manière productive un modèle avec l’autre. Nous allons, c’est certain, continuer la recherche appliquée au Cenpes et compléter cette avancée en entraînant l’ensemble de ce réseau. Et nous espérons influencer d’une manière ou d’une autre le système entrepreneurial brésilien avec l’idée d’innovation.
Le réseau de recherche a-t-il été pensé à partir de la grande expérience de certains dirigeants actuels de Petrobras dans l’université?
Partiellement. C’est une association entre cela, l’expérience du Cenpes et l’expérience des domaines d’affaires de Petrobras. Lors de la discussion au niveau de la direction, l’expérience universitaire s’est révélée importante – pas seulement la mienne, mais aussi celle du directeur Ildo Sauer, acquise à l’Université de São Paulo. Le processus interactif a fonctionné et, comme cela se produit chez Petrobras, ce fut le résultat d’un processus collectif de définition. Et le réseau n’est en rien nouveau ou original, internationalement. Il y a plusieurs expérimentations similaires dans les grandes entreprises de pétrole.
Le réseau va-t-il rester concentré au Brésil?
En ce moment nous sommes concentrés au Brésil mais nous sommes ouverts, parce que ce réseau a et doit avoir des contacts et des relations avec le monde entier, sinon il cesse de fonctionner. J’insiste sur le fait que la grande différence entre des modèles du passé et ce réseau actuel est que ce dernier se base sur des relations institutionnelles. Des contrats sont signés avec les institutions, dans lesquelles est prévue une structure de gestion spécifique de ces contrats.
Et Petrobras peut-elle exiger des résultats?
Oui, bien sûr, en ne payant pas la période suivante. Petrobras fonctionne sur la base du bulletin d’évaluation, et l’argent vient à 100 % de Petrobras.
Petrobras est accusée, même si c’est sur le ton de l’ironie et de la plaisanterie, d’être plus forte dans la politique culturelle du pays que le Ministère de la Culture. Elle aurait ainsi un savoir-faire pour faire quelque chose de similaire en science et en technologie…
Les programmes culturels de Petrobras sont alignés sur les politiques du Ministère de la Culture. Dans le cas des organismes de soutien à la recherche (CNPq, Capes, etc.), le cadre est différent, parce nous investissons dans un sous-ensemble des domaines concernés par ces institutions.
Pour conclure la discussion, les changements mondiaux ne placent-ils pas Petrobras face à un dilemme fondamental de croissance?
Non, je ne le vois pas comme ça. Depuis les 150 dernières années, l’industrie du pétrole dans le monde est responsable des formes de la vie moderne. Sans elle, le monde ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui. Il n’y aurait pas les avions que l’on a, les voitures, on aurait d’autres moyens de transport, d’autres types d’énergie, d’autres moyens de génération électrique, tout… Donc elle ne peut pas être diabolisée, d’accord? Sans pétrole, nous n’aurions pas d’industrie pétrochimique. Il convient de mettre sur les points sur les i. Dans le cas du Brésil, Petrobras est intensément liée, depuis ses débuts, au développement du pays. Dans son essence même, elle a une relation avec l’industrie brésilienne, avec la lutte contre les problèmes d’inégalité, avec la nationalité, l’affirmation nationale, l’indépendance. Des valeurs intrinsèques de la stratégie et de la vie de Petrobras. Elle a résisté et soutenu, elle a eu une relation d’amour et de haine avec le Proalcool – sans Petrobras, le Proalcool ne se serait probablement pas développé. Maintenant, avec le biodiesel et l’expansion de l’exportation d’alcool, Petrobras se positionne vis-à-vis de ces segments en tenant compte de leur importance. Il est important de les incorporer chez Petrobras parce qu’il s’agit d’un problème national d’efficacité énergétique. Petrobras évalue aujourd’hui le crédit de carbone de ses émissions. Et elle consacre 40 % de ses investissements au raffinage, qui s’élèvent à 23 milliards de dollars en quatre, cinq ans, pour améliorer la qualité du diesel et de l’essence. L’investissement total de Petrobras est de 87 milliards de dollars jusqu’en 2011. Et tout cela s’intègre parfaitement dans l’histoire de Petrobras, et je ne vois aucun “être ou ne pas être… oh !” devant nous. Aucune crise existentielle profonde.