Publié en septembre 2013
LÉO RAMOSUne petite entreprise fondée il y a six ans a été capable de gagner des clients comme Coca-Cola, Rhodia, Villares et Ajinomoto grâce au développement d’un algorithme basé sur la connaissance de la logique floue (fuzzy logic), un domaine de recherche de l’intelligence artificielle lié à l’expansion de la théorie des ensembles qui traite, par exemple, d’éléments appartenant ou non à un groupe déterminé. «Dans cette approche une chose peut être partiellement contenue dans un système», déclare l’ingénieur informatique Igor Santiago, directeur exécutif d’I.Systems, à Campinas (SP). «À titre explicatif, une personne n’est ni grande ni petite, mais à 80% grande, par exemple. Cette différenciation favorise un grand nombre d’applications pratiques jusqu’alors impossible avec la logique», dit-il. La logique classique c’est la logique binaire où la réponse ne peut être que oui ou non, vraie ou fausse. Dans la pratique, le système électronique créé par l’entreprise réduit les pertes et les processus ou les équipements industriels deviennent plus efficaces, à l’exemple du conditionnement de liquides ou de poudres, des chaudières à vapeur, des tours de distillation, de la production d’énergie à partir de la biomasse et du traitement des effluents. Le logiciel, appelé Leaf, gère automatiquement des milliers de règles en utilisant la logique floue pour garantir la stabilité des processus de contrôle industriel.
La logique floue travaille avec des modes de raisonnement qui sont approximatifs au lieu d’être exacts. «Elle est utilisée pour le développement de systèmes intelligents qui utilisent une connaissance vague ou imprécise pour la prise de décision», explique l’ingénieur électricien Ricardo Gudwin, professeur à la Faculté d’Ingénierie Électrique et Informatique de l’Universidade Estadual de Campinas (Unicamp). «Aujourd’hui la logique floue possède un grand nombre d’applications dans le domaine de la mise au point des caméras, des contrôleurs de processus industriels, des ascenseurs et des robots. La différence entre les contrôleurs existants sur le marché et ceux développés par I.Systems réside dans le fait que ces règles floues sont créées automatiquement par un algorithme mis au point par l’entreprise. «Ceci permet aux personnes peu familiarisées de gérer rapidement des systèmes de contrôle industriels complexes et d’obtenir des gains opérationnels en réduisant les coûts et en augmentant la productivité», affirme Igor Santiago.
Lecture rapide
Selon le chef d’entreprise, qui a été élève de master de Ricardo Gudwin, le Leaf représente une avancé d’environ cent ans par rapport à la technologie connue sous le nom de Processus Proportionnel, Intégral et Dérivatif (PID), créé à la fin du XIXe siècle et utilisée aujourd’hui dans pratiquement 100% des systèmes industriels automatisés. D’après lui, la technologie du PID a été faite pour lire seulement une information à la fois, comme la température, la pression, le débit. La planification réalisée à l’aide de pompes, de valves et autres équipements doit faire en sorte que la production se déroule comme prévu. «Le fait que le PID n’observe qu’une information à la fois signifie qu’il attend toujours qu’un problème survienne avant de réagir et d’essayer de le réparer. Le Leaf, par contre, peut lire de nombreuses informations à la fois. Il est capable d’anticiper les changements et d’éviter qu’ils nuisent à la production. À titre d’exemple, nous pouvons citer le remplissage de bouteilles avec un volume précis de liquide. Compte-tenu des fluctuations des systèmes de remplissage, il est très difficile de remplir des bouteilles avec la quantité exacte déterminée sur l’étiquette. Pour résoudre ce problème, les entreprises règlent leurs machines de remplissage de manière à ce qu’elles fournissent 5% de liquide en plus afin d’éviter que les oscillations ne fournissent pas la quantité promise. Le Leaf, quant à lui, crée et met en œuvre des règles floues qui réduisent les fluctuations et permettent aux machines d’être réglées pour injecter à peine 1% en plus du liquide voulu, économisant ainsi 4% du volume sur chaque bouteille.
Le Leaf a été mis en pratique en 2010, dans l’usine de Coca-Cola à Jundiaí, située à 60 kilomètres de São Paulo, et principal embouteilleur de la marque en Amérique Latine avec deux milliards de bouteilles par an. Le principal enjeu est le contrôle à chaque instant de la pression interne et du volume de soda dans l’équipement de remplissage. Le problème résidait dans le fait qu’un système PID était utilisé pour contrôler le volume et un autre pour contrôler la pression. Comme chaque système n’était pas informé des actions de l’autre (car ils ne peuvent lire qu’une information à la fois) ils finissaient par se gêner mutuellement.
La solution a été d’implanter un Contrôle Multi-variable flou, qui agit simultanément sur les valves de pression et de débit de la ligne de remplissage, permettant un ajustement plus fin et plus précis de la quantité et de la vitesse du liquide injecté dans les bouteilles. «Nous avons stabilisé le processus de remplissage du soda et l’entreprise a ainsi économisé 500 mille litres de soda et 100 mille bouteilles PET par an depuis 2010», raconte Santiago. «Nous avons réussi à réduire les pertes par rejet dans les variations de niveau du liquide injecté de 31%, et les pertes par bouillonnement de 42%, qui correspondent à la formation de bulles de gaz carbonique. Les pertes par bouillonnement ont été réduites de 64 à 37 litres de soda par heure, et les rejets par niveau de liquide sont passés de 685 à 465 bouteilles par jour».
L’histoire qui a conduit à la création d’I.Systems a commencé en 2004, quand trois ingénieurs informatiques et un mathématicien, formés à l’Unicamp, ont décidé de suivre un cours d’intelligence artificielle dans la même institution. C’est à cette époque qu’ils ont commencé à mener des recherches pour mettre au point le Leaf. Leur premier plan d’affaires, en 2006, a été présenté comme travail de conclusion d’un cours d’entrepreneuriat de l’Unicamp. L’année suivante, ils ont créé l’entreprise. En 2009, I.Systems a obtenu un financement du programme Recherche Novatrice en Petites Entreprises (Pipe) de la FAPESP. «Nous avons utilisé ce financement pour développer un simulateur de remplissage de soda et nous avons ensuite convaincu le directeur de l’usine de Coca-Cola que notre solution créerait des bénéfices», se rappelle Santiago. «En 2010, nous avons obtenu un autre projet Pipe qui nous a permis d’implanter notre technologie».
En début d’année, l’entreprise a bénéficié d’un apport financier du fonds Pitanga, spécialisé dans les investissements dans les entreprises de base technologique avec des fonds provenant de huit investisseurs: le biologiste Fernando Reinach, gestionnaire de l’entreprise, les fondateurs de l’entreprise Natura, Guilherme Leal, Luiz Seabra et Pedro Passos, et les banquiers d’Itaú Unibanco, Pedro Moreira Salles, Candido, Fernão Bracher et Eduardo Vassimon. «Le fonds Pitanga a décidé d’investir dans I.Systems car l’entreprise avait développé une nouvelle manière d’utiliser la logique floue dans un processus de régulation de l’automatisation industrielle. Il s’agit d’une solution novatrice qui n’existe à aucun autre endroit du monde», déclare Reinach. «Il y a des entreprises qui font de l’automatisation industrielle mais aucune n’a utilisé ce type de solution. Le marché potentiel du produit d’I.Systems peut intéresser n’importe quelle entreprise dans le monde.
L’investissement, dont le montant n’est pas révélé, sera utilisé pour développer de nouveaux produits et pour améliorer l’équipe des ventes. L’entreprise I.Systems n’a encore aucun concurrent au Brésil mais elle devra faire face à de grandes entreprises sur le pan international comme Siemens et General Electric. «Nous sommes en train d’évaluer si nous allons déposer le brevet de cette technologie au Brésil ou à l’étranger ou si nous allons travailler tout en conservant le secret industriel sur les marchés nord-américains, asiatiques et européens», déclare Santiago.
Projets
1. Contrôle de processus industriels – Une approche à travers l’intelligence informatique (n°2007/56398-1); Modalité Programme Recherche Novatrice en Petites Entreprises (Pipe); Coordination Igor Bittencourt Santiago/I.Systems; Investissement 10 592,26 réais (FAPESP).
2. Application de la plateforme hourus pour l’automatisation industrielle et d’équipements (n° 2010/51286-3); Modalité Programme Recherche Novatrice en Petites Entreprises (Pipe); Coordination Igor Bittencourt Santiago/I.Systems; Investissement 95 888,22 réais et 1 210,71 dollars US (FAPESP).