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ÉCOLOGIE

Manuel d’urgence

Des cartes définissent les mesures à prendre pour protéger la végétation native, restaurer les zones dégradées et développer la recherche environnementale à São Paulo.

Publié en novembre 2007

Jaguar: sa mauvaise réputation est dueaux attaques de tropeaux non protégés car son propre environnement ne lui offre plus la nourriture nécessaire

FABIO COLOMBINIJaguar: sa mauvaise réputation est dueaux attaques de tropeaux non protégés car son propre environnement ne lui offre plus la nourriture nécessaireFABIO COLOMBINI

Préparez-vous à certaines surprises. À moins de 300 kilomètres de la capitale de l’état le plus industrialisé du pays et symbolisé par une métropole bruyante, des gens stressés et des champs de canne à sucre s’étendant à perte de vue dans les plaines de province, vivent encore des jaguars et des pumas. On trouve également des cerfs du pantanal et des jaburus sur les terres inondées à l’ouest, des arbres avec des troncs remplis de fourmis au milieu des plantes Triplaris americana et des buritis, de grands palmiers élégants. Au Sud-ouest se trouve une forêt où poussent inexplicablement et en abondance des pitangueiras (Eugenia uniflora), des jabuticabeiras (Myrciaria cauliflora) des cambuís (Myrcia multiflora), des goyaviers fraise, des uvaias (Eugenia uvalha) et d’autres arbres de la famille des myrtacées, ainsi que des plantes moins connues comme les gabirobeiras (Campomanesia xanthocarpa Berg) et les piúnas (Terminalia januariensis) qui au printemps et en été nourrissent les oiseaux et les singes grâce à leurs fruits succulents et charnus, formant un immense verger parfumé.

Les biologistes ont décidé de nous faire profiter de ces raretés. 160 chercheurs du Programme Biota Fapesp, en partenariat avec le Secrétariat à l’Environnement, ont élaboré 3 cartes générales et huit autres thématiques considérant chaque groupe d’animaux et de plantes, pour montrer la richesse ou les zones détruites de forêts et du Cerrado (savane arborée) paulistes, comme mentionné sur l’affiche de cette publication ou sur le site www.biota.org.br/info/wap2006). Ces cartes sont le fruit de près de 10 ans de recherches et devront orienter le travail de préservation et d’agrandissement des forêts qui contiennent la vraie vie sauvage de cet état. Les quelques restes de végétation forment des environnements très variés, comme les forêts humides du littoral qui rappellent l’Amazonie et les forêts sèches de l’intérieur qui ressemblent à la Caatinga (forêt épineuse) du Nordeste brésilien.

Ces cartes ont été élaborées grâce à une étude portant sur la répartition de 3 326 espèces de plantes et d’animaux, considérées stratégiques pour préserver les espaces naturels de l’état. Ces cartes, appelées Directives pour la Préservation et la Restauration de la Biodiversité de l’état de São Paulo, proposent deux lignes d’action simultanées. La première concerne la création de 10 à 15 unités de préservation et de protection intégrale dans des zones possédant une grande richesse biologique et indiquées sur l’une des cartes. C’est le cas d’une zone exubérante de Forêt Atlantique située entre trois parcs nationaux aux alentours de la commune d’Itapeva, dans le sud de l’état, et qui appartient aujourd’hui à des particuliers. La serra do Japi est une région également menacée par l’expansion des villes proches de la capitale et elle est stratégique car elle pourrait relier les forêts légalement préservées de la serra da Mantiqueira avec celles du sud de l’état de Minas Gerais.

Ces nouvelles zones d’environ 25 mille hectares pourraient s’ajouter aux 800 mille hectares déjà préservés dans 28 unités de préservation intégrale (100 hectares représentent 1 kilomètre carré). Cependant, cette possibilité est difficilement réalisable car la préservation des forêts est onéreuse et prend du temps. En effet, l’état devrait acheter les terres privées et indemniser les habitants locaux avant d’implanter et de gérer ces nouvelles zones. La deuxième alternative proposée dans la deuxième carte générale pourrait être plus rapide. Il s’agirait d’inciter les propriétaires terriens à protéger les forêts se trouvant sur leurs propriétés. «Si tous les propriétaires ruraux respectaient la loi qui les oblige à préserver 20 % de la végétation native, il y aurait déjà une croissance monumentale des zones vertes», déclare Marco Aurélio Nalon, vice-directeur général de l’Institut Forestier et l’un des coordonnateurs de ces travaux. Les zones actuelles de forêts natives, appelées Réserves Légales, représentent environ 10 % des propriétés rurales de l’état.

«Pour prendre les bonnes décisions et choisir les zones qui devront se transformer en Réserves légales nous avons besoin d’informations précises», déclare Helena Carrascosa von Glehn, ingénieur agronome qui coordonne les équipes de contrôle environnemental et de préservation des ressources naturelles dépendant du Secrétariat à l’Environnement. «Maintenant nous pourrons mieux travailler car nous aurons davantage d’arguments». Son équipe est composée de 320 techniciens qui collaborent avec les 2 200 policiers chargés du contrôle environnemental et pourra enfin expliquer aux fermiers et aux éleveurs les plus entêtés ce qu’ils ont légalement le droit de faire sur leurs propriétés grâce à la carte des zones prioritaires destinée à la création de réserves privées à préserver ou à restaurer. Les couloirs écologiques pourront ainsi augmenter d’environ mille hectares en reliant les restes de forêts comme cela est proposé dans une des cartes de synthèse.

Les cartes deviendront ainsi un type de Constitution Verte qui devra être également adoptée par d’autres Secrétariats pour que les projets de construction de routes ou de lignes électriques, par exemple, soient refusés par le Secrétariat à l’Environnement s’ils venaient à ne pas respecter les recommandations de la carte. La Chambre de Compensation Environnementale oblige également les entrepreneurs à investir 0,5 % du montant total des ouvrages préjudiciables à l’environnement dans des unités de préservation. «Les cartes seront la base de toute la planification stratégique environnementale de l’état», souligne le biologiste Carlos Alfredo Joly, professeur à l’Université Publique de Campinas (Unicamp) et premier coordonnateur du Programme Biota-FAPESP.

Carlos Alfredo Joly déclare qu’il se bat depuis dix ans pour utiliser des informations scientifiques au profit d’une gestion environnementale. Ce combat a démarré avec le secrétaire d’état à l’environnement de l’époque, Fábio Feldmann, mais sans grands résultats car la connaissance sur la diversité des plantes et des animaux de l’état était très limitée et les chercheurs et les organismes de gestion ne parvenaient pas à définir les priorités et le rythme de travail à adopter. À partir du mois de mars 1999, les chercheurs paulistes du Programme Biota-FAPESP ont commencé à remplir ces lacunes et à transformer la base de données qu’ils utilisaient en outil permettant de formuler et d’améliorer les politiques publiques de l’état de São Paulo.

Cependant, beaucoup de forêts ont disparu. «De nombreuses zones naturelles sont toujours détruites par le feu, par l’exploitation du bois ou pour la chasse et sont souvent oubliées car elles sont trop petites ou trop isolées», souligne Ricardo Ribeiro Rodrigues, coordonnateur actuel du Biota et professeur à l’Université de São Paulo (USP) à Piracicaba. «Nous devons modifier cette situation». La végétation naturelle, détruite principalement durant deux siècles par l’expansion des caféiers et la croissance des villes, ne couvre plus actuellement que 13,9 % du territoire pauliste, soit 3,5 millions d’hectares, desquels 77 % appartiennent à des propriétaires privés et 23 % à l’état. Les forêts natives devraient couvrir environ 20 % du territoire pauliste pour que l’on puisse préserver non seulement la biodiversité mais un aspect qui intéresse de près les habitants des villes et les services environnementaux : l’approvisionnement en eau.

Fruits de palmier dans des restinga (bosquets longeant l´océan) du littoral sud pauliste où les biologistes recommandent davantage de préservation légale

EDUARDO CESARFruits de palmier dans des restinga (bosquets longeant l´océan) du littoral sud pauliste où les biologistes recommandent davantage de préservation légaleEDUARDO CESAR

L’absence de forêts entraîne un réchauffement. C’est pour cette raison que la région située au nord-est de l’état entre les rivières Tietê et Grande est la plus désertique, avec moins de 5 % de couverture végétale native, elle est également la plus chaude et la plus sèche. Il s’agit du désert pauliste qui n’est cependant pas totalement exempt de biodiversité. Dans un petit ruisseau longeant des restes de végétations dans la commune de Planalto, l’équipe de Lilian Casatti, du laboratoire d’ichtyologie de l’Université Publique Pauliste (Unesp) à São José do Rio Preto, a découvert pour la première fois dans la région l’espèce Tatia neivai, un poisson-chat coloré de 4 centimètres de long qui vit entre les troncs et les branches qui jonchent le bord des rivières. Dans un étang près d’une forêt entourée de champs de canne à sucre de la commune d’União Paulista, une autre équipe de l’Unesp coordonnée par Denise Rossa-Feres a également découvert pour la première fois une grenouille singe (Phyllomedusa azurea). «En une seule nuit, j’ai détecté 14 espèces de crapauds et de grenouilles qui croassaient en même temps, juste après les premières pluies d’octobre», déclare-t-elle. Il y a de nombreuses lacunes en matière de connaissances scientifiques dans la région nord-est et ouest de l’état selon les données de la troisième carte de synthèse qui définit les priorités d’études des équipes de chercheurs du Programme Biota et des instituts de recherche du Secrétariat à l’Environnement.

Les environnements naturels de l’état sont également très contrastés. Jusqu’à présent, un seul type de Forêt Atlantique, appelée ombrophile tropicale, est encore biologiquement bien représentée dans des zones étendues préservées et qui possèdent une structure raisonnable en matière de parcs et de contrôle environnemental, principalement situées le long du littoral. Ce n’est pas le cas du Cerrado, à l’intérieur de l’état, qui échappe aux lois en matière de préservation environnementale, et qui est éparpillé en milliers de fragments entre les différentes propriétés privées. L’un de ces fragments, situé dans la Station Écologique de Jataí, a une superficie de plus de 2 mille hectares. Le Cerrado est l’environnement naturel qui a le plus souffert car il n’en reste plus que 7 %, soit moins de 1 % de la superficie de l’état.

Cette fragmentation qui isole les populations d’animaux, de plantes et empêche la dispersion de semences, n’est qu’une des menaces pour la survie du Cerrado pauliste. Une analyse portant sur 81 fragments et menée par Giselda Durigan et Geraldo Franco, de l’Institut Forestier et par Marinez Siqueira, du Centre de Référence d’Information Environnementale (Cria), a mis en évidence d’autres dangers, principalement aux abords des routes et des villes, comme les graminées invasives et le feu qui sont plus nuisibles à l’environnement que la croissance des plantations de canne à sucre et l’exploitation du bois. Il n’y a pas que le Cerrado qui mérite une attention toute particulière. Il faut également protéger deux environnements côtiers menacés par la création de parcelles destinées à l’habitat et appelés restinga (bosquets longeant l’océan) et la mangrove, alerte Kátia Pisciota, technicienne du secteur de préservation environnementale de la Fondation Forestière. Ces cartes lui serviront d’arguments pour accélérer la création de réserves naturelles dans des propriétés privées.

Les priorités à adopter et les lacunes scientifiques à surmonter ont clairement été identifiées grâce à la coordination de Joly et de son successeur, Ricardo Rodrigues, de différents chercheurs comme Vera Lúcia Ramos Bononi, directrice de l’Institut de Botanique qui connaît bien les méandres du Secrétariat à l’Environnement pour y avoir débuté comme stagiaire en 1968. Comme elle connaissait les plans de l’équipe du Biota en matière de sélection de zones prioritaires, de préservation et de restauration de la biodiversité de l’état, elle a proposé que Ricardo Rodrigues se charge de la coordination du Biota, lors d’une réunion le 5 avril 2008. À cette occasion, Francisco Graziano Neto, nouveau Secrétaire à l’Environnement, a présenté le programme de recherche qui sera utilisé durant sa gestion. Comme l’une des priorités concernait l’étude de la biodiversité pauliste, Ricardo Rodrigues a décrit le programme Biota en expliquant qu’il s’agissait d’un relevé de la flore et de la faune de l’état regroupant 1 200 chercheurs. Il a ensuite expliqué que le regroupement de ces informations favoriserait la formulation de politiques environnementales et la mise en œuvre de stratégies de préservation des restes de végétation en partenariat avec le Secrétariat à l’Environnement. «Pour le moment, les priorités du Secrétariat à l’Environnement correspondent à celles des chercheurs», déclare Vera Lúcia Ramos Bononi. Le Secrétaire à l’Environnement a analysé les cartes définitives quatre mois plus tard, le 3 octobre, et a été surpris par la richesse des détails. Enthousiasmé par ces cartes, il a aussitôt promulgué une mesure suspendant la concession d’autorisations en matière de déforestation, à partir de septembre et pour une durée de 6 mois. Graziano a présenté publiquement ces cartes le 10 octobre et a déclaré que son intention était de réorganiser les procédures d’autorisation. «Les zones les plus menacées doivent bénéficier de lois plus sévères. Les informations recueillies par les chercheurs sont devenues essentielles pour la gestion environnementale de l’état de São Paulo», ajoute-t-il.

Les scientifiques n’imaginaient pas les difficultés, les impasses et les conflits auxquels ils seraient confrontés entre les différentes réunions avec le secrétaire d’état. Le début a été tranquille. Les nouvelles cartes se basent sur l’Inventaire Forestier de São Paulo, un relevé qui montre la répartition des 13,9 % restants de couverture végétale native dans l’état (voir Recherche FAPESP nº 91, de septembre 2003). Ces cartes sont mise à jour de manière continue et ce mois-ci une version plus détaillée ne concernant que les 27 communes littorales a été publiée. L’Inventaire deviendra une référence pour les organismes publics de contrôle environnemental. Dès leur publication en 2005, ces cartes ont montré un assèchement des rivières paulistes dû à la perte des forêts ciliaires, élevant le risque de pénurie d’eau dans les villes et pour les cultures. Elles ont également favorisé l’identification de zones déboisées ou qui utilisent des engrais et dont les eaux alimentent l’aquifère Guarani dans la commune de Ribeirão Preto.

Les problèmes ont commencé quand il a fallu établir la richesse biologique et les priorités à adopter pour la préservation des zones citées dans l’inventaire. Les biologistes se sont organisés en groupes de travail sur les poissons, les mammifères, les reptiles et les amphibies, les arachnides et les insectes, les paysages, les cryptogames (plantes sans fleurs) et les phanérogames (plantes avec fleurs). Les chercheurs se sont ensuite basés sur leurs collectes, celles d’autres équipes, les informations du SinBiota, la banque de données du Biota, et d’autres données de banques scientifiques de l’état de São Paulo. Ils ont ainsi réuni environ 220 mille fichiers, y compris ceux qui avaient été enregistrés depuis plusieurs décennies. En consultant cette banque d’informations, beaucoup de noms scientifiques étaient faux, de nombreuses plantes communes étaient désignées comme appartenant à des espèces rares et il y avait un surplus d’informations générales anciennes qui n’indiquaient que le lieu de la collecte. De nombreuses plantes semblaient avoir été cueillies hors de l’état de São Paulo en fonction des limitations techniques liées au manque de précision des appareils calculant les coordonnées géographiques et qui fonctionnent mal en forêt. Dans la pratique(virgule) on a exploité moins d’informations qu’on ne le pensait.

Les efforts réalisés pour filtrer et organiser ces informations se sont intensifiés après la réunion du mois d’avril et ont mobilisé les équipes de l’Institut Forestier, de l’Institut de Botanique, de l’USP, de l’Unicamp, de l’Unesp et de l’ONG Préservation Internationale. Le Professeur Nalon, physicien de formation qui travaille depuis 15 ans sur les cartes de géotraitement de l’Institut Forestier, a regroupé les informations de chaque groupe de travail sur la végétation, les bassins hydrographiques, les villes et les routes et les a incluses dans les cartes. Le professeur d’Écologie de l’USP, Jean Paul Metzger, a réuni environ 100 mille échantillons de végétation native de l’état en essayant de découvrir le type de végétation pouvant être relié aux autres, selon l’espèce, la taille et la proximité. Dans les coulisses, de jeunes chercheurs regroupaient sans relâche ces données afin de les inclure aux cartes. Milton Cezar Ribeiro, Giordano Ciocetti et Leandro Tambosi, de l’USP, ont travaillé sur les versions définitives de ces cartes, terminant 5 minutes avant que Metzger et Rodrigues ne présentent les résultats à un public de 150 personnes dans l’auditorium du Secrétariat, le 10 octobre.

Cette rare collaboration entre la recherche scientifique et l’intérêt public peut malheureusement être ruinée par de nombreux préjugés culturels. Pour de nombreux fermiers et éleveurs, les forêts n’ont aucune importance. En outre, de nombreuses personnes pensent que des animaux sylvestres comme les jaguars doivent être éliminés, car ils attaquent les vaches, les volailles et les chiens. «Les jaguars n’attaquent que les animaux maltraités, malades et non surveillés aux abords des forêts, car ils ne trouvent plus de nourriture dans leur propre environnement», observe Beatriz de Mello Beisiegel, chercheuse du Centre National de Recherche pour la Préservation des Prédateurs Naturels (Cenap), d’Atibaia. Quand les agriculteurs nous appellent effrayés pour nous signaler un jaguar, l’équipe du Cenap leur explique qu’ils peuvent adopter des précautions simples en laissant par exemple une lumière allumée près du bétail ou en lançant des fusées quand la nuit tombe.

Cette étude est cependant exceptionnelle car elle démontre que des spécialistes issus d’universités ou d’organismes publics peuvent travailler ensemble à des objectifs communs au profit de la société. «Les chercheurs ne comprennent pas toujours ce besoin urgent de réponses rapides», déclare Helena von Glehn. «Ils doivent être rigoureux, perfectionnistes et, parfois, des informations sans valeur scientifique apparente peuvent s’avérer utiles pour résoudre les problèmes environnementaux urgents».

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