Publié en septembre 2007
EDUARDO CESARMarabá, Parauapebas, Curionópolis, Tucumã, Pau D’Arco, Rio Maria, Xinguara et d’autres municipalités du sud-est de l’État du Pará forment une région économiquement dynamique. Au cours des années 1960 et 1970 elle a été la scène de grands projets d’élevage encouragés par le gouvernement fédéral. L’agriculture familiale a reculé mais, ensuite, parallèlement à l’exploitation minière, aussi bien celle des grandes entreprises que de milliers de chercheurs d’or anonymes, elle recommença a se développer. Les villes n’ont cessé de croître. En raison de la transformation rapide de la Forêt Amazonienne en terres à usage agro-pastoral, le bilan liquide de gaz carbonique (émission moins séquestration) en 2004 est estimé à presque 300 millions de tonnes, l’équivalent de 35% des émissions dans toute la Région Nord cette année.
Le gaz carbonique libéré vers l’atmosphère aide à réchauffer la planète et accélère les changements climatiques. À première vue, il n’y a pas de raison de s’inquiéter car ces émissions peuvent être réduites. Une des solutions conçues pour éviter les déboisements et les brûlis qui libèrent le gaz carbonique est de compenser les fermiers en leur proposant, pour maintenir la forêt debout, des crédits de carbone. Les propriétaires terriens gagneraient pour regarder la forêt au lieu de cultiver la terre ou d’élever du bétail. Néanmoins, cette alternative peut être un désastre pour l’économie régionale car, suivant une étude de l’économiste Francisco de Assis Costa, professeur visiteur du Centre d’Études Brésiliennes (CEB) de l’Université d’Oxford, Angleterre, elle génère une diminution dramatique de l’activité économique, des impôts et des emplois.
“Cette stratégie pour réduire l’émission de carbone, si elle est employée uniquement comme une forme de compensation économique dirigée vers un agent économique, les producteurs ruraux, ne va pas bénéficier le développement régional de l’Amazonie, ni aider à incorporer l’Amazonie à l’économie nationale ” alerte Costa, chercheur au Núcleo de Altos Estudos Amazônicos (Centre des Hautes Études Amazoniennes – Naea) de l’Université Fédérale du Pará, à Belém. “Pour que ça marche, l’argent doit entrer dans l’économie comme une force productive, et non simplement comme un revenu.” D’après lui, transformer les fermiers en rentiers équivaut à faire en sorte que le propriétaire d’une petite industrie de meubles, par exemple, ferme son entreprise et ne survive que du loyer de son immeuble : les fournisseurs de bois et d’autres matières premières pour la fabrication de meubles auraient moins d’acheteurs et seraient forcés de réduire leur production ou de vendre à des prix réduits. La supposée affaire inmanquable, gagner de l’argent sans rien faire, serait loin de représenter le développement sur des bases productives, puisque les maillons qui font fonctionner l’économie, en produisant et en distribuant la richesse, seraient rompus.
Ses conclusions sont le fruit de simulations mathématiques qui ont reproduit le fonctionnement réel de l’économie du sud-est du Pará en 2005, auquel il a ajouté une nouvelle marchandise, l’air. Se basant sur une méthodologie classique d’entrées et de sorties de produits, proposée par l’économiste russe Wassily Leontief dans les années 1970, Costa a analysé la circulation des 101 produits de la production rurale identifiés par le Recensement Agro-Pastoral du Pará de 2004 sur 18 secteurs de l’activité économique et ses dédoublements – de l’agro-pastoral et l’exploitation minière à la consommation finale des familles – dans les 31 municipalités du sud-est du Pará, une région 20% plus grande que tout l’État de São Paulo.
Les résultats sont plutôt décevants. Dans le premier cas, le mécanisme de compensation par la réduction des émissions – et cela à travers un accord juste avec les fermiers avec des montants équivalents à ceux qu’ils recevraient avec l’agriculture ou l’élevage – compense uniquement une partie du revenu perdu avec le renoncement à la production. Si les fermiers réduisaient de moitié la production, en recevant 50% du gain annuel géré par la terre pour maintenir la forêt et réduire également de moitié l’émission de gaz carbonique, l’économie locale recevrait 435 millions de réaux de plus, par les crédits de carbone. Ce n’est pas tant que ça, car la valeur brute de la production économique de la région, correspondant à la circulation totale des marchandises, est presque 60 fois supérieure. Suivant ce scénario, la production chute de 50% et l’émission de gaz carbonique un peu plus que la moitié (56,7%), mais au coût de la rétraction de l’économie locale (9,3%) et de la masse des salaires (11,3%). Diminuent, également, les profits (10,5%) et, légèrement, les impôts (0,1%). Le nombre d’emplois est celui qui souffre le plus, en chutant pas moins de 41,9%.
Un autre scénario analysé par Costa considère une stratégie qui maintiendrait la forêt native et en même temps éviterait ces pertes par des incitations à la rentabilité dans les zones qui demeureraient intouchables par les mécanismes générateurs de crédits de carbone (la production d’autres fermiers substituerait celle de ceux qui ont adhéré au programme de réduction d’émission de carbone). Dans ce cas, l’économie locale augmenterait de 5,4%, les salaires de 9,8%, l’emploi de 9,9%, les profits de 4,7% et les impôts de 3,8%. L’économie régionale gagnerait 90 millions de réaux et l’économie nationale 340 millions de réaux. Le problème est que les émissions de gaz carbonique augmenteraient également (6,7%). “L’échec de la politique de contention des émissions de gaz carbonique correspondrait, dans ce cas, à un succès économique notable”, conclu Costa.
Ses calculs ont indiqué que le revenu global de l’économie régionale perd 1,8 réaux pour chaque réal enlevé à la production ; par contre, le revenu de toutes les chaînes de production et de consommation gagne 1,8 réaux pour chaque réal incorporé par l’économie. Dans cette étude, il réunit deux domaines d’intérêt : le développement régional en Amazonie, sur lequel il a publié 12 livres (l’un d’eux en allemand, résultat de son travail de doctorat, réalisé à la Freie Universitat, à Berlin), et les changements climatiques. Comme professeur visiteur du CEB, il a intensément participé aux débats sur les changements climatiques qui ont eu lieu de janvier à juillet de cette année à Oxford, ville qui concentre la production scientifique mondiale dans ce domaine.
L’étude de Costa démontre aussi que l’implantation isolée de ce mécanisme entraîne un effet contraire à celui désiré : davantage de déboisement et plus de pollution atmosphérique, puisque tous les fermiers ne gagneraient pas forcément pour arrêter de cultiver ou de créer des pâturages. “Un fermier arrêterait de déboiser et gagnerait des crédits de carbone, mais son fils continuerait à déboiser”, exemplifie le chercheur. L’émission de gaz carbonique ne diminuerait effectivement que dans un scénario utopique : si tous les milliers de fermiers conservaient la forêt debout, malgré le contrat conclu uniquement avec une partie d’entre eux.
Costa croit que les politiques de contention de déboisement (et de réduction des émissions de carbone) doivent être liées à des politiques de production qui concilient des stratégies de développement local, endogènes et durables du point de vue environnemental, sans permettre l’épuisement des ressources naturelles de la région. “Nous devons créer nos propres innovations”, dit-il. “Les expériences d’autres pays ne nous sont pas toujours utiles.” Une des possibilités serait d’employer la moitié des 435 millions de réaux par an prévus pour les fermiers de la région, qui la recevraient pour réduire l’émission de gaz carbonique suivant un programme consistant de recherche scientifique qui pourrait mener vers une agriculture moderne, sans surplus d’émission ; l’autre moitié serait destinée à la modification des méthodes actuelles de production agricole, en maintenant, ainsi, la dynamique de développement économique de la région.
Encouragement à la production
Si, par exemple, les 435 millions de réaux étaient destinés à un programme de réduction de l’émission de gaz carbonique qui invertisse la base productive – à partir des systèmes productifs qui émettent plus, vers ceux qui émettent moins – cette conversion serait possible grâce à la recherche scientifique et technologique et des aides. D’après Costa, l’économie locale augmenterait de 5,6%, la masse des salaires de 2,7% et la masse des profits de 6,9%, tandis que l’émission de gaz carbonique chuterait de 32,3%. D’après lui, c’est une situation de gains réciproques : les émissions chutent et l’économie se développe.
Suivant une autre simulation, par laquelle d’autres secteurs de l’économie se développent plus que l’agriculture, et en maintenant l’objectif de réduire les émissions de 50% en cinq ans, l’emploi augmenterait de 155,3% et la masse de salaires de 112,3%. Mais cette impulsion économique indépendante de l’agriculture conduit à une augmentation de 60% des émissions de gaz carbonique par rapport à l’année précédente : cela permet une croissance et une diversification de l’économie locale, mais la stratégie pour contenir les émissions échoue.
Maintenir la forêt n’est pas la seule forme qui permette aux pays en développement d’obtenir – et de négocier – des crédits de carbone. Il y en a d’autres, définies comme des Mécanismes de Développement Propre (MDP), qui supposent des alternatives moins polluantes de production des biens industriels tels que le papier ou le ciment. Cependant, la majorité des projets de MDP développés en Afrique du Sud, au Brésil, en Chine et en Inde, les pays où le nombre de projets de MDP est le plus élevé au monde, implique également une concentration de revenus, très souvent du chômage et, paradoxalement, des dommages à l’environnement, puisque, suivant une étude du biologiste Eduardo Ferreira, de l’Environmental Change Institute (ECI), de l’Université d’Oxford, les impacts de ces projets ne sont pas toujours explicités.
Ferreira a visité en mai huit projets de MDP en cours au Brésil et a constaté qu’ils n’arrivent pas tous à retenir autant de carbone qu’espéré. Par contre, ceux de petite échelle, qui justement provoquent le plus grand impact social positif, se heurtent à beaucoup de difficultés pour obtenir un financement. Par ailleurs, les entreprises qui développent des projets de MDP sont victimes des délais et de la bureaucratie du gouvernement dans l’approbation des projets. Dans un article publié en février dans Nature, Michael Wara, de l’Université de Stanford, États-Unis, renforce l’argumentation suivant laquelle le marché mondial de carbone n’a pas, pour l’instant, fonctionné comme prévu: il n’aide pas à créer un marché pour les technologies propres, à faible consommation de carbone, et ne permet pas aux pays en développement de devenir, de fait, des participants actifs dans la lutte contre les impacts du réchauffement mondial, dans la mesure ou il fonctionne comme une aide indirecte et insuffisante pour les économies périphériques.
Il ne s’agit pas d’un problème simple, même dans d’autres pays. Dans une interview au journal anglais The Guardian, Ngaire Woods, directrice du Global Economic Governance Programme de l’Université d’Oxford, a déclaré, en se référant aux débats sur les perspectives de la réduction de l’émission de carbone au Royaume Uni, que les fonctionnaires du gouvernement regardaient uniquement des parties du problème : certains essayaient de travailler avec les prix, d’autres avec les impacts des changements climatiques, d’autres encore avec la pauvreté dans le monde. D’après elle, il n’existe nulle part un plan stratégique cohérent.
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