Dom Pedro II, lors d’une visite à l’Académie des Sciences de Paris, en 1886, fut informé de l’existence d’une grande météorite trouvée dans le lit d’une rivière du sertão de Bahia. La roche avait été découverte en 1784 par un garçon appelé Joaquim da Motta Botelho pendant qu’il gardait son troupeau dans une région proche de la ville de Monte Santo. L’histoire arriva aux oreilles de Rodrigo José de Meneses e Castro, gouverneur de la capitainerie de Bahia, qui ordonna qu’elle soit transportée vers Salvador. L’idée était de la transporter dans une charrette tirée par des bœufs jusqu’à la capitale de l’état de Bahia. La charrette qui la transportait n’a cependant pas résisté au poids de la roche de plus de 5 tonnes qui a fini sa course dans le lit d’un ruisseau asséché appelé Bendegó, à 180 mètres de l’endroit où elle avait été découverte.
La météorite est restée au même endroit pendant plus d’un siècle. En apprenant son existence, l’empereur a dépêché une commission d’ingénieurs pour la transporter jusqu’à Rio de Janeiro. L’entreprise extrêmement complexe n’a été rendue possible qu’à l’aide d’un chariot renforcé posé sur des rails et tiré par des bœufs. La marche a duré 126 jours. La roche est arrivée à Salvador le 22 mai 1888. Elle a ensuite été embarquée vers Recife le 1er juin pour arriver à Rio le 15 juin. La roche a été ensuite confiée à l’Arsenal de la Marine de la Cour afin d’être étudiée. Une fois l’étude terminée, elle a été remise au Musée National pour être exposée à l’entrée du bâtiment.
La météorite Bendegó a été l’un des objets qui a le mieux résisté à l’incendie qui a dévasté le Musée National le 2 septembre et qui a détruit une grande partie de ses collections. Outre cette roche venant de l’espace, l’institution scientifique avait rassemblé plus de 20 millions de pièces recueillies lors de missions scientifiques au cours de ses 200 ans d’histoire. Ces pièces faisaient partie des différentes collections qui servaient de base aux recherches menées dans les domaines anthropologique, botanique, entomologique, paléontologique, entre autres.
L’institution a été fondée au titre de Musée Royal par Dom João VI (1767-1826) au mois de juin 1818. Elle a été créée dans un contexte valorisant les études en histoire naturelle et encouragée par l’arrivée de naturalistes européens venus pour cartographier le territoire, prospecter, étudier les plantes et les minerais et disséminer de nouvelles techniques agricoles. Ses antécédents institutionnels remontent cependant à la Maison de l’Histoire Naturelle fondée en 1784 durant le gouvernement du vice-roi Luis de Vasconcelos e Souza (1742-1809). Connue sous le nom de Maison des Oiseaux, pour exposer des oiseaux empaillés, l’institution située sur l’actuelle avenue Passos, dans le centre de Rio, était une succursale du Musée d’Histoire Naturelle de Lisbonne, au Portugal, où étaient envoyés des exemplaires de produits naturels et des parures indigènes venant du Brésil.
L’institution a fonctionné pratiquement pendant 3 décennies. « Avec la venue de la famille royale, un entrepôt de produits naturels entre la colonie et la métropole n’était plus nécessaire, de sorte que le musée a été désactivé en 1813, déclare l’historienne Maria Margaret Lopes, professeure du Programme de 3e cycle universitaire d’Inter-unités en Muséologie du Musée d’Archéologie et d’Ethnologie de l’université de São Paulo (MAE-USP). « Sa collection a été entreposée dans l’Arsenal de Guerre jusqu’à la création du Musée Royal ».
La couronne portugaise souhaitait depuis longtemps connaître davantage les richesses naturelles de sa colonie. Le Nouveau Monde suscitait également l’intérêt de scientifiques et d’artistes européens. « En vue du mariage de l’archiduchesse Maria Leopoldina avec le prince héritier et futur empereur du Brésil Dom Pedro I, une expédition connue sous le nom d’expédition autrichienne a commencé à se mettre en place avec l’arrivée de naturalistes et d’artistes venus au Brésil pour étudier et décrire les espèces et les paysages de la biodiversité brésilienne », souligne Margaret. Parmi eux se trouvait le zoologue Johann Baptist von Spix (1781-1826) et le botaniste Carl Friedrich von Martius (1794-1868), qui en 1817 ont entrepris une expédition dans l’intérieur du pays, qui plus tard donnera naissance à l’œuvre Flora brasiliensis, qui fera découvrir de manière détaillée les plantes brésiliennes à l’Ancien Monde.
La création d’une institution pour conserver et étudier les richesses naturelles du pays était devenue indispensable. Le Musée Royal, conçu sur le modèle des musées européens d’histoire naturelle, abritait des collections scientifiques, des bibliothèques, des laboratoires, des expositions et était installé dans un bâtiment à Campo de Sant’Anna, dans le centre de Rio. Son patrimoine initial, outre la collection de la Maison des Oiseaux, était constitué d’une collection de minéraux apportée par la famille royale et organisée et répertoriée par le minéralogiste allemand Abraham Werner (1749-1817). « Le Musée Royal a été fondé avec un caractère métropolitain, un centre chargé des réceptions et du référencement des richesses naturelles des provinces brésiliennes », déclare l’historienne.
Les musées scientifiques ont proliféré au Brésil à partir de la seconde moitié du XIXe siècle
Le musée a ouvert ses portes au public en octobre 1821 et a continué à se développer. Entre 1822 et 1823, José Bonifácio de Andrada e Silva (1763-1838), Secrétaire d’État des Affaires du Royaume et des Affaires Étrangères de l’empire de Pedro I, a convaincu des naturalistes étrangers de céder une partie des spécimens collectés durant leurs expéditions en échange d’un soutien dans leurs futurs voyages. Ce fut le cas pour le naturaliste allemand Georg Heinrich von Langsdorff (1774-1852) et le botanique français Auguste de Saint-Hilaire (1779-1853).
Avec la proclamation de l’Indépendance, en septembre 1822, l’institution a reçu le nom de Musée Impérial et National. Dom Pedro II, fervent amateur de sciences a soutenu les activités du musée. L’un de ses dons les plus notables est le cercueil peint de la prêtresse Sha-Amun-em-su, un cadeau du khédive (vice-roi d’Égypte) Ismaïl Pacha, lors de sa visite au Brésil en 1876. Dom Pedro II a conservé la pièce dans son cabinet jusqu’en 1889, date à laquelle elle a ensuite rejoint la collection du musée.
Les collections de pièces d’histoire naturelle ont été enrichies par des dons privés. C’est le cas d’Antônio Luis Patricio da Silva Manso, grand chirurgien et inspecteur de l’Hôpital Militaire de la province de Mato Grosso qui, en 1823, a offert au musée environ 2 300 exemplaires de 266 espèces de plantes. La Bibliothèque Centrale du Musée National, créée en juillet 1863, était l’une des principales institutions d’Amérique Latine spécialisées en sciences anthropologiques et naturelles. « À cette époque, le musée était cité comme un exemple d’excellence par les chercheurs argentins, chiliens et uruguayens », déclare Margaret.
Les domaines scientifiques spécifiques du Musée Impérial et National en matière de botanique, zoologie, géologie et ethnographie ont permis de mener des études qui ont contribué à l’enrichissement des sciences naturelles du pays. À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, le musée a eu un rôle encore plus incisif en devenant l’organisme consultatif du gouvernement de l’Empire pour les recherches en minéralogie et dans d’autres domaines. Des échantillons provenant de tout le pays étaient analysés dans ses départements et laboratoires, comme du charbon, des minéraux, des plantes, des animaux, des squelettes humains et des ossements fossiles d’énormes mammifères inconnus.
Période de gloire
La période sous la direction du botaniste Ladislau de Souza Mello Netto (1838-1894), de 1876 à 1893, est considérée par de nombreux chercheurs comme étant l’âge d’or du Musée National. Il a été à l’origine d’une ample réforme du musée, réorganisant les collections volumineuses en les classant par disciplines selon les nouvelles méthodes scientifiques de l’époque. D’autres réformes ont été menées par Mello Netto, influencées en partie par les critiques formulées par le zoologue et géologue Louis Agassiz (1807-1873), directeur du Musée de Zoologie Comparée de l’université étasunienne de Harvard, et qui avait dirigé l’expédition Thayer au Brésil entre 1865 et 1866.
Louis Agassiz avait constaté, lors d’une visite au Musée National, que l’institution souffrait d’un manque de moyens pour entretenir sa collection. Dans son livre A journey in Brazil, publié en 1868, il déclarait que les collections étaient condamnées « à rester de nombreuses années dans leur état actuel, sans être augmentées ou améliorées ». Les animaux empaillés étaient mal conservés et les poissons, à l’exception de certaines belles espèces de l’Amazone, n’étaient pas représentatifs des variétés existantes dans les eaux brésiliennes ». Mello Netto qui était chargé de l’organisation scientifique des collections avait également décrété que les directeurs de chaque département donnent des cours dans leurs domaines de recherche et qu’ils publient leurs travaux dans la revue Archives du Musée National, qui publiait les résultats des différentes recherches et des informations d’intérêt scientifique pour le musée.
Mello Netto a organisé l’Exposition anthropologique de 1882, la plus importante exposition scientifique brésilienne du XIXe siècle, ce qui lui a permis d’acquérir l’expérience nécessaire pour participer à un autre grand évènement, l’Exposition Universelle de Paris, en 1889. Il luttait âprement pour obtenir davantage de soutiens financiers pour le musée et invitait les étrangers qui visitaient le pays à faire des conférences, à participer à des expéditions et à travailler dans l’institution. Parmi eux se trouvaient les géologues canado-américain Charles Hartt (1840-1878), chargé de la Commission Géologique de l’Empire, le nord-américain Orville Derby (1851-1915), responsable des services géologiques à São Paulo, les naturalistes suisse-allemand Emílio Goeldi (1859-1917) et l’allemand Hermann von Ihering (1850-1930), qui ont ensuite dirigé respectivement des musées à Belém, dans l’état du Pará, et à São Paulo.
Musées scientifiques au Brésil
« Le succès du prestigieux Musée National a permis de susciter un intérêt accru pour les sciences naturelles dans tout le pays », affirme l’historienne Zita Possamai, du Programme de 3e cycle universitaire en Muséologie et Patrimoine de l’Université Fédérale du Rio Grande do Sul (UFRGS), à Porto Alegre. « Les musées scientifiques brésiliens ont proliféré à partir de la seconde moitié du XIXe siècle ». C’était déjà le cas à Belém depuis 1866 avec le Cabinet de la Société Philomatique de l’état du Pará, qui en 1871 a donné naissance au Musée du Paraná Emílio Goeldi. Le Musée du Paraná a été créé en 1876 à l’initiative de la Société d’Acclimatation de Curitiba. En 1894 ce fut le tour du Musée de l’Institut Géographique et Historique de l’état de Bahia et du Musée de São Paulo.
Avec la proclamation de la République et l’exil de la famille impériale en 1889, le Musée National a été transféré au Palace de São Cristóvão, dans le parc Quinta da Boa Vista. Le nouveau musée a ouvert ses portes au public avec des expositions permanentes en mai 1900. Ses activités se sont intensifiées au cours des décennies suivantes avec un renforcement de sa politique d’échange scientifique international, la parution de publications et la réalisation de cours publics. Des années plus tard, sous la direction de l’anthropologue et homme de radio Edgar Roquette-Pinto (1884-1954), le musée a acquis la force et la dimension didactique nécessaire pour construire une science nationale et former les futures générations. Selon Roquette-Pinto, l’éducation était la voie à suivre pour entreprendre les changements nécessaires qui transformeraient le pays.
C’est également à cette époque que l’institution a accueilli d’importantes personnalités scientifiques internationales comme le physicien allemand Albert Einstein (1879-1955), qui a visité le musée en 1925 au cours d’un voyage en Amérique du Sud. En juillet de l’année suivante, ce fut le tour de la chimiste polonaise Marie Curie (1867-1934) et de sa fille Irène Joliot-Curie (1897-1956), qui, après un séjour à Rio, se sont rendues à une conférence à Belo Horizonte, à l’Université de Minas Gerais, pour parler du thème de la radioactivité et de ses possibles applications médicales.
Le succès et le prestige du Musée National ont suscité un intérêt accru pour les sciences naturelles dans tout le pays
L’institution a pris un nouvel élan dans les années 30, selon l’historienne Mariana Sombrio, du Programme de 3e Cycle Universitaire Inter-unités en Muséologie du MAE-USP. Elle explique qu’à cette époque, la préservation du patrimoine national était devenue une préoccupation de l’État avec la création en 1933 du Conseil de Contrôle des Expéditions Artistiques et Scientifiques brésilien. « Conformément aux déterminations du Conseil, aucun spécimen botanique, zoologique, minéralogique ou paléontologique ne pourrait quitter le pays sans s’assurer de la présence d’au moins un spécimen similaire dans les instituts scientifiques du Ministère de l’Agriculture ou du Musée National », explique la chercheuse. L’organisme a fonctionné jusqu’en 1968. Durant cette période, il a reçu 451 demandes, la plupart d’étrangers souhaitant entreprendre des expéditions scientifiques et artistiques dans le pays.
Pour que ces règles soient respectées il était exigé qu’au moins un chercheur brésilien, appartenant de préférence au Musée National, accompagne l’expédition. « L’objectif était d’informer les autorités sur ce qui était collecté », déclare Mariana Sombrio. Ce contrôle n’était cependant pas toujours effectif. De nombreux objets étaient saisis à la douane, sur le point d’être expédiés. « Le musée a su tirer profit de cette politique car de nombreuses pièces recueillies au cours des expéditions ou confisquées rejoignaient sa collection ».
L’idée que le Musée National était une institution qui appartenait au peuple a pris de l’ampleur entre 1937 et 1955, au cours du mandat de l’anthropologue Heloisa Alberto Torres (1895-1977), première femme à diriger l’institution. Pour elle, le musée faisait partie d’une politique culturelle globale d’expression nationale. Elle a commencé à le diriger en 1937 en se servant de l’anthropologie comme d’un instrument scientifique destiné à préserver la culture brésilienne. À cette époque, les musées scientifiques brésiliens ont commencé à abandonner leur image de « temples de la science » au profit des universités et des instituts de recherche. « Le développement des connaissances scientifiques au Brésil n’était pas le fait des universités, mais des musées », explique Margaret. Les universités et les instituts de recherches ont alors assumé le rôle de centres producteurs de recherche compte tenu de la spécialisation en sciences naturelles et de la valorisation croissante des études expérimentales. Les musées, quant à eux, se sont consolidés en tant qu’espaces de collections.
Les collections n’ont pas pour autant été négligées. Un mouvement visant à intégrer ces musées dans les universités a commencé à naître à partir des années 30. En janvier 1946, par exemple, la gestion du Musée National a été confiée à l’Université du Brésil, l’actuelle Université Fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ). Il en a été de même avec le Musée de São Paulo, dont la collection zoologique a été confiée au Musée de Zoologie à la fin des années 30. Les deux sont actuellement administrés par l’USP. Dans les années 60, grâce à sa vaste collection, le Musée National a commencé à former des chercheurs et a créé le premier cours de 3e cycle en anthropologie sociale, l’un des meilleurs du pays. Il est également à l’origine, dans le domaine botanique, d’un cours de master en 1972 et du premier cours de doctorat à Rio en 2001.
Le nombre de personnes qui visitaient le musée ces dernières années n’a pratiquement pas évolué. L’institution comptait environ 180 000 visiteurs en 2016 et 192 000 en 2017. À l’instar de la plupart des musées, seule une partie de sa collection était visible et exposait des plantes et des animaux de la biodiversité brésilienne, des momies égyptiennes, des parures indigènes et des squelettes de dinosaures sud-américains, outre la météorite Bendegó, la plus grande jamais découverte au Brésil.
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