Publié en Janvier 2013
Bernardo Gutiérrez / FolhapressLa simplicité apparente des œuvres d’Oscar Niemeyer (1907-2012) occulte le travail ardu de l’architecte et ses nombreuses réflexions sur le savoir-faire architectonique. La compréhension de ce parcours requiert un regard expérimenté et une analyse profonde. Pour faire face à cette complexité, que le maître aimait minimiser dans ses déclarations, de nombreux chercheurs se sont penchés sur ses travaux pour essayer de comprendre comment fonctionnait l’univers très personnel de Niemeyer. Cette démarche est à l’origine d’une série d’études réalisées par des universitaires qui se sont attachés à mettre en perspective les courbes et les voûtes dans l’histoire de l’architecture, et qui ont conclu que peu de créateurs avaient autant modifié la syntaxe de la profession qu’Oscar Niemeyer. Pesquisa FAPESP a réuni certains des travaux les plus représentatifs du maître.
C’est une tâche que le propre architecte a délégué à ses collègues. «Quand je donne un cours, j’annonce tout de suite que je ne veux influencer personne. Je décris mes travaux, les problèmes que j’ai du affronter, ma manière d’agir en matière d’architecture et avec moi-même, et je leur laisse le reste», déclarait-il. Le message a été bien reçu par les universités. L’un des spécialistes les plus prolifiques du maître est Roberto Segre, professeur à l’Université Fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ et auteur de, entre autres études, Paradoxes esthétiques d’un Niemeyer définitif (2008). « Cette étude réunit les principes de la logique structurelle de Le Corbusier, l’importance de la nature et du paysage, le sens de l’histoire et de la tradition, qui s’ajoutent à la rationalité indispensable pour résoudre les problèmes architecturaux. Après avoir étudié le terrain, le coût, les matériaux et la relation avec les alentours urbains ou naturels, l’idée apparaît sous la forme d’une proposition novatrice finale qui réunit l’intuition et le rationnel », écrit Roberto Segre. « Il a réinventé l’architecture moderne ».
Le Professeur Julio Katinsky, de la faculté d’Architecture et d’Urbanisme de l’Université de São Paulo (FAU-USP) et auteur de Chemins du désir: dessins d’Oscar Niemeyer à la FAU-USP (2007), est d’accord pour dire que la trajectoire de l’architecte brésilien transcende les limitations internes et externes du savoir-faire architectonique. « Les observations sur sa conception de la beauté et les tâches qui s’imposent aux architectes contemporains, ne manquent pas dans les essais de Niemeyer. Mais, comme nous l’avons déjà souligné, nous ne trouveront jamais une définition valable et définitive dans son concept de beauté », observe-t-il dans son étude Technique et art dans l’œuvre de Niemeyer (2007). « D’un autre côté, son œuvre d’une cohérence remarquable, depuis les œuvres précédant la Pampulha où l’on pouvait déjà voir poindre le futur architecte, nous montre également un architecte qui, durant toute sa vie, a toujours su incorporer de manière créative les innovations de son temps dans un processus d’autocréation et de renouvellement permanent depuis ses premières œuvres publiées jusqu’à celles qui sortent aujourd’hui de son bureau ».
Le thème de la récurrence a également éveillé l’attention d’Edson Mahfuz, professeur à l’Université Fédérale du Rio Grande do Sul (UFRGS), auteur de l’ouvrage Le classique, le poétique et l’érotique: méthode, contexte et projet dans l’œuvre d’Oscar Niemeyer (2011). Dans l’article « Cinq raisons pour regarder avec attention les œuvres d’Oscar Niemeyer », le chercheur analyse les principaux traits architecturaux du créateur de Brasilia. « L’une des principales caractéristiques de l’œuvre de Niemeyer et qui le distingue de 99 % des architectes, est de posséder une forte identité formelle. Cette qualité est due à la présence de structures formelles claires qui servent de base à l’organisation de ses projets, à l’utilisation de formes élémentaires dans la configuration de ses éléments constitutifs et au fait que le nombre d’éléments dans ses projets est toujours limité», écrit Edson Mahfuz. « Ces caractéristiques définissent une œuvre hautement synthétique, facile à comprendre et à mémoriser, donc d’une grande valeur symbolique et qui n’a jamais cédé à la tentation de faire des projets démesurés dans une époque classée par certains comme étant néobaroque », estime-t-il.
Selon le professeur, l’une des vertus de Niemeyer est de revisiter ses œuvres. « Bien que l’on parle beaucoup de l’originalité des créations d’Oscar Niemeyer, un examen détaillé de son œuvre est suffisant pour démontrer que son trait caractéristique est la récurrence, la réutilisation de solutions personnelles ou émanant d’autres architectes, comme ce fut le cas avec l’œuvre de Le Corbusier au début de sa carrière. Comme tout artiste qui se respecte, Niemeyer a lentement développé une manière personnelle d’exécuter des projets architecturaux, élargissant son répertoire, adaptant et recyclant des solutions déjà utilisées », dit-il. « Cette obsession pour l’originalité fait que l’on s’attend à une innovation constante à tous les niveaux de l’architecture de Niemeyer. Mais compte tenu du caractère évolutif, son œuvre est prévisible et facilement reconnaissable. Cela me semble être plutôt une vertu qu’un défaut. Bien qu’il ait déclaré que son objectif était de provoquer l’étonnement, la rencontre avec la plupart de ses œuvres nous passe la sensation réconfortante de retrouver quelque chose de familier », observe Edson Mahfuz.
Ce sentiment engendré par des formes architecturales a été examiné, dans un autre registre, par l’anthropologue Lauro Cavalcanti, de l’Université Publique de Rio de Janeiro (Uerj), qui a innové en analysant les projets de Niemeyer sous un angle réunissant l’architecture, l’esthétique et la société, comme dans La douce révolution d’Oscar Niemeyer (2007). « Tout architecte dans une phase plus mature revisite certains de ses principaux thèmes. Niemeyer le fait avec les voûtes, les promenades architectoniques et la légèreté structurelle. Cependant, il surprend toujours avec de nouvelles solutions capables de recréer des langages, dans ce qui est unique et rare. Il y a en lui une cohérence dans la diversité des différentes phases, alliant structure et architecture au profit de la forme », observe-t-il.
Cette cohérence qui a amené Carlos Dias Comas, professeur de l’UFRGS, à analyser dans Le droit à la différence (2007) comment des bases, des couvertures, des courbes, des clairières, ont été utilisés par l’architecte, et qui sont des exemples montrant que Niemeyer a élargi le vocabulaire et la syntaxe de l’architecture moderne. « La courbe pour Niemeyer n’est pas épisodique ou sporadique, elle ne s’unit pas à la fugacité ou à l’éventualité du compartimentage en débat avec le maintien de la structure orthogonale. La courbe peut dispenser la ligne droite, la surmonter, l’équilibrer, mais à peine apparaître. L’ambivalence, qui donne une même importance à deux extrêmes qui s’opposent, est également ambiguë. Les interstices entre le projet totalement courbe et le totalement droit attirent l’attention », déclare-t-il. Cependant, la génialité des appropriations et des solutions ne l’exonère pas toujours de critiques. « Dans les années 70, Brasilia deviendra le symbole de tout ce qui semblait être erroné en matière d’architecture moderne, condamnée pour son élitisme, sa frivolité, sa superficialité, son formaliste et son inhumanité, comme l’auteur de ses palais », dit-il. «Il commencera à récupérer son prestige en 1990, simultanément, dans une certaine mesure, à la récupération de la propre architecture moderne et de sa compréhension en tant que polyphonie où il y a autant de place pour l’ascétisme que pour la diversification », déclare Carlos Dias Comas.
Pour Cêça Guimaraens, professeur à la Faculté d’Architecture et d’Urbanisme de l’UFRJ, la polyphonie est une chose remarquable, mais elle a commencé à se répéter dans les gestes architecturaux de Niemeyer au cours des 10 dernières années de sa vie, et plus que cela n’était souhaitable. « Il faut reconnaître que depuis les volumes déconcertants que sont les Centres Intégrés d’Éducation Populaire (Cieps), l’architecte continue à redessiner ses formes personnelles et insolites », déclarait-elle dans Du nouveau chez Niemeyer (2007).
Auteur du Guide des œuvres d’Oscar Niemeyer: Brasilia 50 ans (2010), Sylvia Ficher, professeur à l’Université de Brasília (UnB), remet également en question ses derniers projets qui, pour la plupart, sont pour elle des «projets inutiles ou surdimensionnés». Elle accepte encore moins la liberté donnée à Niemeyer de pouvoir intervenir dans la zone de Brasilia qui est inscrite au patrimoine de l’humanité, « avec des résultats questionnables». « En général, un architecte intervient sur l’œuvre d’un autre. Niemeyer est intervenu négativement sur son œuvre. Mais comment affirmer que dans l’avenir Brasilia regrettera d’avoir autant d’œuvres de Niemeyer ? », se demande-t-il, en répondant déjà d’une certaine manière à la question.
Republier