Publié en décembre 2014
Environ un million de personnes souffrant de brûlures sont enregistrées chaque année dans le pays. Sur ce total, 10% se rendent volontairement à l’hôpital et 2 500 patients décèdent. Les accidents dus au feu sont la deuxième cause de mortalité des enfants au Brésil et aux États-Unis. C’est pour cette raison que la création en laboratoire de substituts de peau pouvant être greffés est devenue une priorité de la recherche depuis ces 30 dernières années. Les scientifiques de nombreux pays essayent de mettre au point une peau artificielle qui pourra être appliquée avec succès sur les personnes atteintes de lésions graves. Il faut souligner le travail réalisé au Brésil par une équipe de chercheurs de l’Université Publique de Campinas (Unicamp), qui a démontré lors d’essais en laboratoire l’efficacité d’un substitut cutané tridimensionnel composé d’une substance extraite d’un arbre originaire du pays, le copaïer (Copaifera langsdorffii). Cette étude a été menée durant le doctorat de la biologiste Ana Luiza Garcia Millás, du Département d’Ingénierie des Matériaux et des Bioprocessus de la Faculté d’Ingénierie Chimique de l’Université Publique de Campinas, avec une bourse de la FAPESP. Cette étude a remporté en septembre le premier prix de l’innovation lors de la 8ème Rencontre Nationale de l’Innovation en Produits Pharmaceutiques et Médicaments, promue par l’Institut de Recherche et de Développement des Produits Pharmaceutiques et Médicaments en collaboration avec la Société Brésilienne Pro-Innovation Technologique.
« Le traitement de brûlures et de lésions cutanées étendues et graves est un enjeu pour la médecine régénérative. Il y a certaines alternatives pour remplacer la peau, mais aucune d’entre elles ne répond à 100% à la demande et aux besoins pour obtenir une bonne cicatrisation. Notre objectif est de créer une peau artificielle qui puisse être absorbable par l’organisme et qui résolve les problèmes chroniques comme les ulcères, les escarres profondes et les brûlures au troisième degré », déclare Ana Luiza Garcia Millás. « Nous voulons mettre au point un substitut cutané 3D qui, en plus de son rôle réparateur, ait également une fonction régénérative, esthétique, et qui facilite la cicatrisation ».
La nouvelle peau artificielle sera produite à partir d’une solution composée de polymère absorbable PLGA Poly (acide lactide-co-acide glycolide), huile-résine du copaïer et également un solvant. Très utilisé dans la fabrication d’implants, le PLGA se dégrade peu à peu et est absorbé par l’organisme du patient. Une fois prête, la solution de polymère est transformée en fibre à l’aide d’une méthode appelée électrofilage. La structure créée par ce procédé, également appelée scaffold, servira de support ou d’armature cellulaire tridimensionnelle, imitant par mimétisme l’architecture de la peau. Parallèlement, les fibroblastes, qui sont des types de cellules du derme, la partie la plus profonde de la peau, sont retirés par biopsie du patient brûlé. Ces cellules sont ensuite cultivées sur une structure fibreuse qui après quelques jours est greffée sur le patient.
Selon Benedicto de Campos Vidal, professeur émérite de l’Institut de Biologie de l’Université Publique de Campinas et spécialiste en collagène, les résultats in vitro obtenus jusqu’à présent sont bien prometteurs et permettent d’arriver à l’importante constatation suivante: les cellules adhèrent, prolifèrent, se différencient et, apparemment, produisent du collagène, protéine fondamentale dans le processus de cicatrisation. «Tout indique que les fibroblastes (cellules du derme) aboutissent à une matrice de collagène. Ceci est fondamental pour le succès de la recherche», déclare Benedicto Vidal. La nouvelle structure cellulaire aide l’épiderme, la partie la plus superficielle de la peau, à proliférer. Outre le fait de travailler avec des cellules du propre patient, Ana Luiza Garcia Millás a l’intention d’utiliser des fibroblastes provenant de tiers. « L’avantage d’utiliser des cellules extraites d’autres personnes est de pouvoir produire à grande échelle pour une banque de la peau. Le point négatif est qu’elles augmentent les chances de rejet ».
L’emploi de la méthode d’électrofilage (electrospinning) est un élément important de la recherche qui a éveillé l’intérêt du secteur d’ingénierie des tissus compte tenu de sa facilité à produire des fibres ultra fines et une différence élevée entre la surface et le volume ne nécessitant pas d’une instrumentation chère et complexe. Cette méthode, applicable à une grande variété de polymères naturels ou synthétiques, se distingue également en permettant le contrôle du diamètre, la porosité et la topographie des filaments. Elle améliore également le transport de nutriments entre la matrice fibreuse et l’environnement externe.
L’introduction dans le substitut cutané d’une substance naturelle peu étudiée mais avec des propriétés thérapeutiques éprouvées est une autre innovation de la recherche. L’huile-résine du copaïer, utilisée à des fins médicinales depuis le début du seizième siècle, agit comme agent cicatrisant, analgésique, anti-inflammatoire et antimicrobien. « C’est un aspect novateur du travail, conjointement avec l’emploi d’un polymère pour la production de la matrice qui sera appliquée sur la lésion », affirme la dermatologiste Beatriz Puzzi, coordonnatrice du Laboratoire de Culture des Cellules de la Peau à la Faculté des Sciences Médicales de l’Université Publique de Campinas et codirecteur de doctorat d’Ana Luiza Garcia Millás. L’introduction dans la matrice d’huile de copaïer a pour objectif de la rendre fonctionnelle en facilitant la régénération des brûlures. La doctorante de l’Unicamp explique que la substance extraite du tronc d’arbre porte le nom d’huile-résine car elle est constituée d’environ 45% d’huiles essentielles volatiles et de 55% de résine.
Imprimante de peau
Les tests précliniques sur des animaux et cliniques sur des humains n’ont pas encore été réalisés, mais le groupe entrevoit déjà la possibilité de produire ce matériel à une plus grande échelle en utilisant des imprimantes numériques 3D combinées avec la méthode d’électrofilage. Cette idée est apparue suite au besoin d’échelonner la production du produit et compte tenu des exigences en ce qui concerne la manipulation de la structure qui sera greffée. « Nous avons commencé certains tests qui combinent les deux méthodes, l’impression 3D et l’électrofilage. Ceci pourrait être une alternative car les matrices sont extrêmement fragiles et difficiles à manipuler », explique Ana Luiza Garcia Millás. « Les essais in vitro ont déjà montré que le matériel est biocompatible et qu’il a un grand potentiel. Je pense que les tests cliniques pourraient débuter d’ici deux ans, et si tout se passe bien le produit pourrait être commercialisé dans cinq ans ».
Cette innovation produite par l’Université Publique de Campinas possède des similitudes avec deux produits nord-américains des entreprises Organo genesis, propriétaire d’Apligraft, et Forticell Bioscience, avec Orcel. Les deux utilisent du collagène bovin et du fibroblaste humain. La recherche menée par Ana Luiza Garcia Millás est la continuation d’une étude qui a débuté en 2010 durant son master, intitulée « Installation de la technologie d’électrofilage pour la production et la caractérisation de nanofibres de cellulose incorporées à de l’huile naturelle ». Ce travail a débouché sur le dépôt d’un brevet qui propose l’emploi de fibres produites par la méthode d’électrofilage et incorporées à des huiles essentielles non seulement pour être utilisées comme peau artificielle ou pansements, mais également comme filtres, tissus et emballages pour aliments et cosmétiques. La mise au point du substitut cutané a été réalisée par une équipe composée des ingénieurs chimiques Edison Bittencourt, professeur à la Faculté d’Ingénierie Chimique de l’Unicamp et directeur de doctorat d’Ana Luiza Garcia Millás, João Vinícios Silveira, et des professeurs Maria Beatriz Puzzi et Benedicto Vidal, également de l’Université Publique de Campinas.
Une partie du développement de la peau artificielle a été réalisée à l’étranger. En 2012, Ana Luiza Garcia Millás a été financée durant son post-doctorat par le programme de bourses mobilité internationale de la banque Santander et a suivi un programme sandwich, intercalant une partie de ses études en Angleterre. « J’ai été orientée par le scientifique Bob Stevens, professeur à l’Université de Nottinghan Trent et chercheur associé chez The Electrospinning Company. Cette entreprise utilise la plateforme d’électrofilage pour mettre au point des biomatériaux fibreux dans le domaine de la médecine régénérative. Durant mon séjour dans l’entreprise, j’ai choisi le type de polymère que j’allais utiliser pour poursuivre l’objectif visé. J’ai également défini tous les paramètres concernant les solutions et l’équipement d’électrofilage pour la production des scaffolds, et j’ai réalisé des tests préliminaires in vitro en utilisant des fibroblastes de poumon », dit-elle. Ana Luiza Garcia Millás a de nouveau suivi un programme sandwich en 2013 à l’Université Cornell, aux États-Unis, dans le cadre du programme Sciences sans Frontières.
Projet
Développement de scaffolds bioactifs incorporés à des huiles végétales pour la régénération du tissu cutané à partir de la méthode d’électrofilage (nº 2012/09110-0); Modalité Bourse dans le Pays – Régulière – Doctorat ; Chercheur responsable Edison Bittencourt (Unicamp); Boursière Ana Luiza Garcia Millás (Unicamp); Investissement 116 615,19 reais (FAPESP).
Article scientifique
Yusuf, M. et al. Platinum blue staining of cells grown in electro spuns caffolds. Biotechniques. v. 57, n. 3, p. 137-41. Sept. 2014.