Publiée en juin 2013
Je vénère la nature. J’ai eu une carrière gratifiante. Je peux dire que je suis un chercheur totalement accompli», déclare le biologiste pauliste Paulo Emílio Vanzolini en 2010 à la revue Pesquisa FAPESP en présentant son livre intitulé Évolution des Espèces de Reptiles d’Amérique du Sud. Le livre réunit en 704 pages les 47 principaux articles scientifiques de Paulo Vanzolini, publiés entre 1945 et 2004, et qui ont permis d’élargir le champ de la zoologie brésilienne qui, jusqu’à la moitié du vingtième siècle, se basait uniquement sur la description d’espèces isolées et qui, grâce aux travaux de Paulo Vanzolini, s’est réorientée vers la recherche de mécanismes expliquant la formation de nouvelles espèces examinées d’un point de vue biologique, évolutif et environnemental.
Paulo Vanzolini, qui est décédé d’une pneumonie le 28 avril, cinq jours après avoir eu 89 ans, écrivait également des sambas, sa deuxième passion après la zoologie. Outre le fait de composer (son plus grand succès s’appelle Ronda et a été composé en 1951), il montait parfois sur scène. L’une de ses dernières apparitions a eu lieu dans la brasserie du Sesc Pompeia, à São Paulo, en janvier 2012. Sa femme, la chanteuse Ana Bernardo, interprétait ses musiques pendant qu’il attendait assis à une table pour ensuite raconter des histoires vécues.
Son œuvre restera car, outre le fait d’avoir ouvert la voie à la biologie, il a également collaboré à l’organisation de la Science brésilienne. «Paulo Vanzolini a participé au mouvement de professeurs et de chercheurs qui ont proposé la création de la FAPESP. Sa contribution a été fondamentale au cours du gouvernement Carvalho Pinto pour structurer l’institution et concevoir le modèle organisationnel qui régit la Fondation jusqu’à nos jours», affirme Celso Lafer, président de la FAPESP. «Je regrette profondément sa disparition. Paulo Vanzolini était une personne que j’admirais beaucoup».
Paulo Vanzolini a participé aux premières réunions sur la création de la FAPESP juste après la Constitution de 1947 l’autorisant à se constituer en fondation de soutien à la recherche à São Paulo. C’est lui qui, en 1960, a élaboré la loi de création et les statuts de la FAPESP. Paulo Vanzolini a participé au choix des premiers directeurs et assesseurs avec Antonio Barros de Ulhôa Cintra, président de l’USP et président du Conseil Supérieur de la Fondation. Il a été «l’une des forces de cohésion de la FAPESP», écrit l’historienne de la science Amélia Império Hamburger, dans le livre FAPESP 40 ans: ouvrant les frontières. Paulo Vanzolini a été membre du Conseil Supérieur au cours de trois périodes (1961 à 1967, 1977 à 1979 et 1986 à 1993). Quand Oscar Sala, directeur scientifique entre 1969 et 1975, voyageait, c’était lui qui coordonnait l’examen des demandes d’aides et de bourses.
Durant sa gestion du Musée de Zoologie de l’USP entre 1962 et 1993, il a augmenté la collection de plus de mille exemplaires catalogués sur les plus de 300 mille actuels. Il dactylographiait lui-même les étiquettes et les fiches d’identification des animaux conservés, se rappelle Miguel Trefaut Rodrigues, biologiste qui a fait son doctorat sous l’orientation de Paulo Vanzolini et qui a ensuite été recruté comme professeur à l’USP pour devenir l’un des principaux herpétlogistes (spécialiste en reptiles) brésiliens aux côtés Paulo Vanzolini. Miguel Rodrigues lui a ensuite succédé à la direction du musée qui possède aujourd’hui l’une des plus grandes et des plus importantes collections zoologiques néo-tropicales.
Entre la guerre et la bohème
Paulo Vanzolini entendait souvent parler de l’USP et écoutait de la musique depuis son enfance. Son père était ingénieur civil électricien et professeur à l’École Polytechnique de l’USP et sa mère et sa sœur étaient musiciennes. Il s’est intéressé aux reptiles dès l’âge de 10 ans après avoir visité l’Institut Butantan et a été stagiaire à l’Institut Biologique à l’âge de 14 ans. Au cours de la deuxième guerre mondiale, quand il suivait des cours de médecine à l’USP, il s’est engagé comme volontaire dans la Force Expéditionnaire Brésilienne pour combattre en Italie mais la guerre a pris fin avant qu’il n’embarque. À la fin de son cours de médecine, en 1947, comme il préférait étudier les animaux plutôt que de soigner les gens, Paulo Vanzolini est parti faire un doctorat à l’Université de Harvard, à Boston, aux États-Unis, et a pu ainsi continuer à écouter de la bonne musique, cette fois-ci dans des bars américains.
Peu de doctorats auront autant influencé un domaine de la science brésilienne comme celui de Paulo Vanzolini à l’université de Harvard. Quand il est revenu au Brésil en 1951, après avoir fréquenté des biologistes qui examinaient la formation et la diversification d’espèces d’un point de vue évolutif, il a introduit des concepts qui ont révolutionné la zoologie brésilienne et qui sont toujours utilisés pour comprendre la biodiversité. Paulo Vanzolini déclarait qu’il était essentiel d’étudier les espèces non seulement au moyen d’exemplaires isolés, comme c’était alors de coutume, mais également à travers la distribution dans le temps et dans l’espace des populations d’une même espèce. Il a ensuite émis l’idée que la grande diversité des espèces amazoniennes était due à l’isolement géographique de populations d’animaux provoqué par des variations climatiques qui avaient eu lieu il y a des milliers d’années. Dans des époques de climat froid et sec, les forêts se seraient fragmentées et auraient formé des îles de végétation, également appelées refuges, où les animaux ont pu survivre et former de nouvelles espèces.
Cette approche peut encore être utile, bien qu’avec le temps, comme tout autre, elle ait présenté des limites. «Les refuges n’expliquent pas à eux seuls les modèles de diversité biologique», souligne Célio Haddad, professeur à l’Université Publique Pauliste (Unesp) de Rio Claro. Selon lui, les aspects phylogénétiques, climatiques et géologiques doivent être analysés ensembles pour pouvoir comprendre réellement la formation et la diversification des espèces. «Une même idée ou hypothèse peuvent être utilisées dans des contextes distincts», déclare le biologiste João Alexandrino, professeur à l’Université Fédérale de São Paulo (Unifesp). Au début du mois de mai, un de ses étudiants a entrepris une analyse sur la diversité génétique des populations d’un type de grenouille qui vit dans la forêt atlantique et dans les champs du sud du Brésil, de l’Argentine et de l’Uruguay. Après avoir examiné les premiers résultats des modèles de diversité, João Alexandrino a suggéré à son étudiant de lire un article publié par Paulo Vanzolini, en 1981, sur le concept de refuges évanescents, et dans lequel les îles de forêts pourraient se fragmenter, obligeant les espèces moins spécialisées à s’adapter à des environnements ouverts.
«L’approche concernant les refuges a été novatrice à cette époque et a influencé plusieurs générations de chercheurs», observe Hussam Zaher, directeur du Musée de Zoologie de l’Université de São Paulo (USP), dont Paulo Vanzolini fut directeur durant trois décennies, ayant été nommé directeur à vie par le gouverneur Carvalho Pinto. «On a longtemps parlé de refuges». Hussam Zaher estime que le plus grand mérite scientifique de Paulo Vanzolini est d’avoir apporté et aidé à implanter la synthèse moderne issue des travaux génétiques de Theodosius Dobzhansky, d’Ernest Mayr en zoologie et de George Simpson en paléontologie. Paulo Vanzolini a été élève d’Ernest Mayr et de George Simpson à Harvard qui, depuis cette époque, est un centre de la science moderne. Theodosius Dobzhansky, qui a aussi travaillé à Harvard, a été important pour la formation des premiers généticiens au Brésil où il s’est rendu à quatre reprises. Vanzo, comme il préfère qu’on l’appelle, connaissait bien les intellectuels car son arrière grand-père avait traduit du latin vers l’italien les six livres De rerum natura (de la nature des choses), du poète romain Lucrèce, et son grand-père envoyait des espèces intéressantes d’animaux brésiliens dans les musées d’Europe. Lors d’un témoignage apporté au zoologiste William Ronald Heyer, Paulo Vanzolini a raconté qu’il avait appris l’anglais en lisant les pièces de Shakespeare dans l’original.
La théorie des refuges a été présentée par le géologue allemand Jürgen Haffer en 1969 dans la revue Science. Jürgen Haffer a démontré qu’il y avait une plus grande concentration de populations de différentes espèces de toucans dans les zones de plus grande pluviosité. Trois ans plus tôt, l’ornithologue anglais Reginald Moreau avait souligné l’influence des alternances climatiques et des refuges sur la distribution et la différenciation des populations d’oiseaux en Afrique, mais sans aller plus loin. Parallèlement, Paulo Vanzolini et son ancien collègue de Harvard Ernest Williams ont analysé et publié, un an après Jürgen Haffer, une étude sur la variation géographique et la distribution d’une espèce de lézard du genre Anolis en Amazonie, qui pourrait être expliquée par des variations climatiques. Lors d’un entretien accordé à Pesquisa FAPESP en 2012, Paulo Vanzolini déclarait que son travail et celui d’Ernest Williams était «un exemple pratique de ce qui avait été proposé théoriquement par Jürgen Haffer. Ce n’est rien de plus qu’un modèle (conceptuel) qui peut être répliqué, y-compris dans d’autres régions».
Applications et limites
«Il est impossible de dire que le modèle de refuges, comme il préférait l’appeler, ne puisse s’appliquer à une partie de notre faune», déclare le zoologue Miguel Trefaut Rodrigues. Les zones humides d’altitude (îles de forêts situées sur le sommet de collines, principalement dans la région Nordeste et entourées de plaines) sont aujourd’hui «la preuve la plus évidente de refuges», dit-il. Il s’agit encore aujourd’hui de zones climatiques stables qui favorisent la diversification des espèces. «Chaque zone possède une composition faunistique unique, mais cela n’est pas suffisant pour en faire un refuge». En 1980, dans la seule expédition qu’ils ont menée ensemble, Miguel Rodrigues, qui faisait son doctorat, et Paulo Vanzolini, son directeur de thèse, se sont rendu dans la commune de Catinga do Moura, dans le nord de l’état de Bahia, pour réaliser des collectes dans un lieu que Paulo Vanzolini pensait être un refuge. «C’est seulement 10 ans après ce voyage», raconte Miguel Rodrigues, «que je me suis aperçu que la zone de stabilité climatique se trouvait en réalité dans les montagnes à proximité de la Chapada Diamantina».
Paulo Vanzolini aimait voyager mais sortait peu pour faire des collectes sur le terrain, argumentant qu’il n’était pas bon dans cela, et à sa manière il rapportait toujours un matériel précieux pour les collections du musée. Quand il arrivait quelque part, il faisait courir le bruit qu’il avait apporté un sac rempli d’argent et qu’il achetait des animaux. «Parmi les 400 lézards du genre Tropidurus qu’il a acheté aux enfants à Cocorobó, dans l’état de Bahia, j’ai trouvé six exemplaires d’une nouvelle espèce», déclare Rodrigues.
De 1967 jusqu’à la moitié de 1980, Paulo Vanzolini et d’autres chercheurs brésiliens ont, grâce à l’Expédition Permanente en Amazonie, parcouru des zones inexplorées le long des principaux fleuves de la région dans deux embarcations, les premières financées par la FAPESP, le Lindolpho Guimarães, de 11,5 mètres de long, et le Garbe, de 18 mètres de long.
La liberté du bohème
Lors d’un entretien où on l’interrogeait sur la dualité du scientifique et du compositeur, Paulo Vanzolini a expliqué, irrité, que personne ne pouvait faire que de la zoologie ou que de la musique à temps complet. Mais à quelle activité consacrait il le plus de temps, insistait le journaliste. «Comment croyez vous que je gagne ma vie ? C’est celle du zoologue», répondit-il. «En vérité, il aimait ses lézards. Composer était une activité de fin de soirée, sans grand sérieux, un hobby. Il n’a jamais été un musicien acharné. Il disait que ses connaissances universitaires lui suffisaient», dit Luiz Tatit, professeur du Département de Linguistique de l’Université de São Paulo (USP).
Selon lui, il ne faut pas essayer de chercher un révolutionnaire de la samba chez Paulo Vanzolini. «Il a adopté la samba carioca à São Paulo, comme l’ont également fait à leur manière Adoniran Barbosa ou Geraldo Filme. Comme il n’a jamais eu besoin de la musique pour vivre et que composer n’était pas son principal souci, il a ignoré tous les mouvements musicaux qui apparaissaient ainsi que la crise traversée par la samba. «Son univers était libre et très particulier», note Luiz Tatit. Selon Regina Machado, professeur à l’Institut d’Arts de l’Unicamp, Paulo Vanzolini a aidé à populariser la samba urbaine pauliste.
«À son époque on ne pouvait pas parler d’une samba de São Paulo, mais d’une samba carioca qui sortait de ses frontières pour parvenir aux paulistes qui l’agrémentaient de certaines caractéristiques propres grâce à cette première génération dont faisait partie Paulo Vanzolini», estime Regina, auteur de La voix dans la chanson populaire brésilienne (Ateliê). Le ton caractéristique de ce mouvement ne se trouvait pas dans les notes mais dans le débat entre les sambistes sur l’affirmation de leur appartenance pauliste». Aux côtés du sentiment de fierté inspiré par le progrès pauliste cette samba montrait également les déséquilibres et les différents maux liés à l’urbanisation.
«Ceci transparait dans les paroles d’Adoniran Barbosa, qui parlent d’immigration, ou dans les paroles plus biographiques de Paulo Vanzolini qui racontent ses fréquentations avec des propriétaires de bar ou avec des amis dans ces «petits enfers», thèmes qui ne faisaient pas partie des sambas cariocas», observe Luiz Tatit. À l’inverse de l’effervescence de Rio, les concerts de samba à São Paulo étaient limités à la vie nocturne des bars et des boites de nuit. «Paulo Vanzolini, va cependant grandir en écoutant de la samba à la radio, principalement de Noel Rosa, à qui il s’identifiait. En fin de comptes, Noel a échangé la médecine pour la musique. Paulo Vanzolini, par contre, s’est formé et s’est transformé en scientifique compositeur. Pour lui le sambiste n’avait rien à voir avec un malfrat et ce mot n’a d’ailleurs jamais fait partie de ses chansons. «Il aimait dire qu’il était bohème et travailleur», raconte Sonia Marrach, auteur du livre Musique et université dans la ville de São Paulo: de la samba de Paulo Vanzolini à l’avant-garde pauliste (Editora Unesp).
Paulo Vanzolini n’a jamais voulu devenir musicien professionnel. Il adorait raconter des histoires. Lors d’un spectacle très applaudi, son partenaire Paulinho Nogueira, s’est tourné vers le public et a déclaré: «Vous êtes des gens sympathiques, mais je ne suis pas d’accord sur le fait que vous applaudissiez le seule personne qui ne sache pas faire la différence entre un ton mineur et un ton majeur». C’était un «analphabète musical» par choix et non pas par manque d’opportunités. «D’un côté il illustrait le côté intuitif du musicien populaire et d’un autre côté, son érudition lui permettait de travailler ses chansons de manière très élaborée. Sa grande importance résidait justement dans ce mélange d’univers populaire et de côté intellectuel. «Ceci a énormément influencé les œuvres de Chico Buarque et de Caetano Veloso», rappelle Regina Machado. Le professeur Antonio Candido, critique et essayiste, constate, dans la présentation de la collection de disques Acerto de contas, que Vanzolini travaille avec un minimum de mots pour obtenir un rendement maximum dans des paroles très expressives qui sont de véritables portraits poétiques des petits matins paulistes.
«Paulo Vanzolini se distingue dans le panorama de la musique populaire brésilienne par sa pensée musicale régie par la contradiction. Selon lui, le caractère essentiel de la vie, dans ses différents aspects, réside dans le mouvement, le changement, issus de la négation et des conflits transformateurs des choses subjectives et objectives», estime Sonia. Ce qui est notable c’est que cette contradiction s’exprime avec une bonne humeur, avec une veine comique et une bienveillance lui permettant de s’émerveiller de tout.
La légende dit qu’il a mis six mois pour décider s’il allait utiliser le mot «démontre» ou «révèle» dans un vers de Boca da noite. Mais mélodiquement le résultat c’est toujours de la samba. «Il fait des sambas ressemblantes aux miennes mais sans être totalement similaires car les thèmes qu’il utilise sont différents. Les miens sont plus populaires, les siens plus intellectuels, car c’est un professeur, de zoologie ou je ne sais quoi, c’est un type intelligent. Mais notre samba se ressemble», déclarait Adoniran Barbosa. La samba de Paulo Vanzolini est toujours restée la même, grâce justement à ce que Luiz Tatit appelait «ses lézards», son travail à l’université.
Articles scientifiques
VANZOLINI, P.E. Paleoclimas e especiação em animais da América do Sul tropical. Estudos avançados. v. 6, n° 15, pp. 41-65, 1992.
PORTO, T.J. et al. Evaluating forest refugial models using species distribution models, model filling and inclusion: a case study with 14 Brazilian species. Diversity and Distributions. v. 19, pp. 330-40, 2013.
TURCHETTO-ZOLET, A.C. et al. Phylogeographical patterns shed light on evolutionary process in South America. Molecular Ecology. v. 22, pp. 1,193-213, 2013.