Publié en septembre 2013
Les figures géométriques projetées par un faisceau laser dans le laboratoire de physique Cid Bartolomeu de Araújo à l’Université Fédérale du Pernambouc (UFPE) peuvent sembler banales. Ces dessins lumineux ne mesurent cependant que quelques micromètres et ils ne sont pas faits de n’importe quelle lumière. Ce sont de véritables tourbillons de lumière connus sous le nom de vortex optiques. Quand ces vortex atteignent un objet microscopique comme un grain de poussière ou une cellule vivante, ils peuvent déplacer l’objet et parcourir sans cesse le contour de la figure projetée.
Ceci peut paraitre insignifiant, mais les applications des vortex optiques sont nombreuses. Ils sont déjà utilisés dans des expériences en physique et en biologie pour manipuler la matière au niveau submicroscopique et ils permettront d’augmenter de centaines de fois le volume d’information transmis par les fibres optiques. Ils peuvent également servir de base à une nouvelle génération de circuits optoélectroniques de taille nanométrique. L’avantage de la technique développée par un trio de physiciens de l’UFPE, c’est qu’elle offre une totale liberté aux chercheurs et aux ingénieurs pour façonner les vortex optiques à leur convenance dans leurs différentes applications.
Les techniques utilisées pour créer des vortex optiques ont commencé à être mises au point au début des années 90 par les physiciens Les Allen et Han Woerdman, de l’Université de Leyde, au Pays-Bas, et produisent des vortex formant des circuits à géométrie circulaire. D’autres figures géométriques ont déjà été obtenues, mais elles ont été créées en utilisant des techniques plus complexes ou pour dessiner un type spécifique de contour. «Nous avons découvert un moyen d’obtenir n’importe quelle forme avec le même montage expérimental utilisé pour créer des vortex circulaires», explique le physicien Anderson Amaral, premier auteur de l’article qui a décrit la découverte et publié au mois de mai de cette année dans la revue Optics Letters.
Tire-bouchons
Pour produire un vortex optique, les chercheurs projettent un faisceau laser conventionnel sur un écran à cristaux liquides. Avant d’arriver sur l’écran, l’onde de lumière du laser se propage en une série de fronts plats. En pénétrant dans le cristal liquide, les fronts d’onde sont réfléchis suivant un modèle géométrique formé de bandes claires et sombres et créé par le réarrangement des molécules de cristal liquide, contrôlé par ordinateur. Les zones sombres réfléchissent instantanément la lumière. Les zones plus claires retardent la réflexion. Le modèle géométrique retarde ainsi certaines parties des fronts d’onde de lumière et donne à leurs surfaces, auparavant planes, le format torsadé d’un tire-bouchon.
Quand le faisceau de lumière torsadé est projeté sur un mur, on peut voir un anneau de lumière au lieu d’un point lumineux. La torsion des ondes annule l’intensité dans l’axe du faisceau et créé une zone sombre dans son centre. Dans le même temps, l’anneau lumineux qui reste, acquiert la capacité de déplacer des particules ou de petits objets sensibles à la subtile force de la lumière. Les particules atteintes par le faisceau commencent ainsi à parcourir le circuit formé par l’anneau. Plus la lumière est torsadée, c’est-à-dire, plus la distance entre les tours de l’onde en forme de tire-bouchon est moindre (déterminée par le nombre de bandes sombres et claires sur l’écran à cristaux liquides), plus les particules se déplacent rapidement.
Anderson Amaral a commencé à étudier des manières de contrôler la torsion de la lumière, il y a un an, quand il a commencé son doctorat, orienté par Cid Bartolomeu de Araújo et le physicien Edilson Falcão Filho, également de l’UFPE. Anderson Amaral souhaite utiliser les vortex optiques pour manipuler les électrons d’un métal. Les circuits électroniques actuels ne peuvent pas être inférieurs à quelques micromètres (millièmes de millimètre). De nombreux chercheurs travaillent cependant pour créer des circuits mille fois plus petits qui fonctionneraient en se basant sur les oscillations nanométriques des électrons, les plasmons, créées et contrôlées par des faisceaux de lumière spéciaux comme les vortex optiques.
L’idée astucieuse des physiciens de l’état du Pernambouc a été d’explorer une propriété des vortex optiques appelée charge topologique. Pour simplifier, cette charge est un nombre qui détermine le nombre de tours du tire-bouchon de lumière. «Tout le monde désigne ce nombre sous le nom de charge topologique mais personne ne parle de ses propriétés topologiques (issues de la géométrie)», déclare Anderson Amaral. Les mathématiciens disent que deux figures géométriques ont la même topologie si l’une d’entre elles peut être moulée sur la forme que l’autre, sans qu’il soit nécessaire de couper ou de coller ses points. De cette manière, une sphère peut être transformée en cube et une tasse de café en beignet et vice-versa. Les chercheurs ont ainsi découvert qu’il était possible de changer la forme des vortex de lumière sans modifier leur topologie. En d’autres mots, l’anneau de lumière pourrait avoir différents formats, celui de la lettre L par exemple, et conserver sa capacité de transmettre son mouvement circulaire à n’importe quelle particule.
Cercles et triangles
La nouveauté de la technique développée par l’équipe d’Anderson Araújo est le façonnage de l’anneau des vortex modifiant ainsi le format de la partie centrale du modèle sombre et clair de l’écran à cristaux liquides. Ils ont démontré ce procédé dans l’article publié dans la revue Optics Letters, en créant des vortex en forme de L ou de cercles allongés et de triangles. «Nous sommes en train de perfectionner la technique pour créer des formes plus complexes», explique Anderson Araújo.
«Le façonnage des vortex optiques est une approche très efficace», déclare le physicien Johannes Courtial, du groupe de Miles Padgett, de l’Université de Glasgow, en Écosse, et l’un des plus importants groupes d’étude des vortex optiques dans le monde. Johannes Courtial trouve intéressant le fait que la portion sombre centrale du vortex fonctionne comme une espèce de moule de la partie lumineuse du vortex.
Le groupe de l’UFPE, qui se focalise actuellement sur l’application des vortex dans les circuits de plasmons, estime que la technique sera également utile aux télécommunications. Les fibres optiques actuelles transportent des messages de manière simultanée à travers des faisceaux lasers de longueurs d’onde différentes qui voyagent ensemble à l’intérieur des fibres. La limite du flux d’informations est de l’ordre de 10 gigabits par seconde. Un groupe international d’ingénieurs a démontré dans un article publié le 28 juin dans la revue Science que le fait de codifier l’information à travers des vortex optiques repousserait cette limite à plus de mille gigabits par seconde. «Cette limite pourrait même augmenter davantage si nous pouvions modifier le format des vortex», explique Falcão Filho.
Article scientifique
AMARAL, A.M. et al. Shaping optical beams with topological charge. Optics Letters. v. 38, n. 9. mai. 2013.